Extraits du livre « En busqueda de un cine popular »
“Il est difficile de dire quand les humains se décident pour la révolution. C’est un processus. En Bolivie la mort et la misère frappent les yeux à chaque instant et les êtres préoccupés qui posent une question reçoivent la réponse comme un cri. Peu á peu se structure l’idée du rôle que devrait jouer un cinéma national dans un pays pauvre. Le processus et la convulsion sociale déclenchés par la révolution de 1952 a eu beaucoup à voir avec la prise de conscience de cinéastes engagés.”
“Les premiers films du groupe Ukamau montraient l’état de misère, pour rappeler aux gens des villes, à la classe moyenne, a la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie, que d’autres personnes existaient. Mais les projections en milieu populaire ouvrirent les yeux aux jeunes cinéastes. Avec ce type de cinéma, leur expliquaient des gens du peuple, on n’apprenait rien de nouveau, mise à part la curiosité de se voir à l’écran. Ces cinéastes se rendirent compte que le peuple connaissait mieux la misère qu’eux et que finalement ce type de film ne servait à rien. Finalement, ils comprirent que le peuple préfère connaître les causes plutôt que les effets., pourquoi et comment se produit La misère. De sorte que contribuer par La connaissance libératrice à La formation d’une conscience révolutionnaire était La tache révolutionnaire La plus importante que pouvait se fixer un cinéma révolutionnaire”
Yawar Malku : “Deux communautés paysannes de l’altiplano empêchèrent l’accès des peace Corps, alléguant qu’ils connaissaient leurs pratiques de stérilisation par les dénonciations du film, relayées par la radio. En 1971 face aux preuves sur les diverses activités antinationales et la pression populaire croissante, le gouvernement bolivien expulsa les Corps de Paix”.
“Mais pour que cela soit possible on ne peut méconnaître que le groupe devait produire un cinéma d’intérêt et d’attraction populaires. C’est-à-dire que la création de cette conscience se base sur la communicabilité avec le peuple. Une communicabilité structurée par une conception-dialectique des relations œuvre peuple, protège des vices de la verticalité et du paternalisme.
Yawar Malku avait réussi a attirer un public gigantesque sans pour autant réussir a atteindre une communicabilité de participation active. Sa structure restait liée au schéma de la fiction classique, plaçant la dénonciation a la limite de l’invraisemblable. Il fallait donc dépasser cette limite et atteindre un cinéma populaire qui aborde les faits réels avec des éléments irréfutables. Il ne pouvait plus être conçu dans les formes conventionnelles.
“Pour “Le courage du peuple” on a employé une méthode reconstructive qui avait un principe similaire à celui des lois de la dialectique, celle des changements quantitatifs en qualitatifs. Ensuite par une suite de sauts d’une situation à l’autre, s’établissait la connexion secrète, la logique interne, l’interrelation du phénomène historique qui apparaissait déformé extérieurement par la superposition d’éléments anecdotiques qui dans la synthèse étaient éliminés pour arriver ainsi á l’éclaircissement. Mais toute cette structure qui éliminait les limitations et les vices de l’argumentation était en même temps soutenue par l’intervention présente et vivante des protagonistes et des témoins directs des faits qui interprétaient eux-mêmes leurs expériences, apportant ainsi la touche d’irréfutabilité documentaire. On élimina ainsi l’intervention des acteurs et on fit place à la participation populaire, qui permit à la fois la réalisation horizontale avec un niveau de participation dans le travail créateur très grand de la part des groupes ou des personnes qui créaient directement, en même temps que se faisait l’œuvre. (..) Le niveau de conscience politique du prolétariat minier bolivien, par exemple, est de telle grandeur que les possibilités de participation consciente sont incommensurables. Sur le terrain même, ensemble, avec ces gens qui racontait leurs expériences spontanément à travers de véritables actes représentatifs”
Prise dans ces processus de représentation continue la caméra avait par conséquent à jouer un rôle de protagoniste, à se situer depuis les points de vue des participants, à participer comme un témoin de plus. Ainsi par exemple le premier massacre fut filme sans interruption depuis le moment ou les gens descendait des montagnes vers le plateau et ou elle est atteinte par les tirs. Les cadreurs se mirent à filmer un massacre réel. Et un grand nombre de scènes simultanées devaient êtres découverts sur place, très rapidement, pour ne pas les perdre, parce qu’elles ne pourraient jamais se répéter, comme dans La réalité, parce que le climat psychique était déjà déchaîné et se livrait et ne se livrerait qu’une seule fois. A La table de montage en donnant une logique a ces plans on commença a sentir qu’on marchait en terrain ferme.
Ce matériel, ces images n’avaient pas été imaginées par un scénariste, n’avaient pas été mises en scène par un réalisateur donnant des instructions précises de comment crier, de comment bouger ou parler, c’étaient des images inventées (ou plutôt rappelées) par le peuple.
Cette expérience permit de parler d’un autre problème : le phénomène émotionnel. On conclut qu’il fallait non pas rejeter mais utiliser ce pouvoir pour éveiller une préoccupation en profondeur, qui partirait du choc émotif pour arriver a un stade de réflexion qui n’abandonne pas le spectateur a la chute du rideau mais qui le poursuive, l’obligeant a la critique et a l’autocritique. Ce qui s’opposait a la conception d’un cinéma cherchant à créer la distance entre le spectateur et l’oeuvre pour ne pas abîmer le processus réflexif et rationnel.
On pensa aussi qu’une fois éliminée “l’identification” avec le personnage “acteur”, face auquel le spectateur tend à se transférer pour compenser ses propres frustrations, il pouvait s’opérer une identification avec un groupe humain, avec lequel le peuple remplaçait le protagonisme individuel, mettant en jeu une vieille impulsion atavique, l’impulsion de La “solidarité de groupe” qui survit dans l’inconscient de chaque homme.
Le problème fondamental du cinéma révolutionnaire c’est qu’il trouve ses formes et ses contenus dans la mesure ou il communique et ou il est communicable avec le peuple. Et cette communicativité doit naître de La pénétration de l’âme populaire, de la captation des structures mentales et des rythmes internes du peuple, et non d’une opposition calculée et vengeresse face á l’oppresseur. Si on pense à un cinéma destine au peuple bolivien, il faut partir du principe que la relation avec autrui ne se conçoit pas de manière utilitariste comme c’est le cas dans la minorité dominante : Il est donc plus logique pour cette majorité un cinéma qui se base qui ne se base pas sur des attitudes individualistes et collectives.”
“Un film sur le peuple fait par un réalisateur n’est pas la même chose qu’un film fait par le peuple à travers un auteur. En tant qu’interprète et traducteur de ce peuple, il se transforme en véhicule du peuple. En changeant les relations de création se produit un changement de contenu et parallèlement un changement formel”
“Dans le cinéma révolutionnaire l’œuvre finale sera toujours le résultat des capacités individuelles organisées vers une même fin, lorsqu’à travers elle se captent et se transmettent l’esprit et le souffle de tout un peuple et non la problématique réduite d’un seul homme. Cette problématique individuelle qui dans la société bourgeoise acquiert des contours démesurés, se résout dans la société révolutionnaire dans sa confrontation.
Dans « le sang du condor », notre relation avec les paysans était encore verticale – avec des cadres décidés par nous en fonction de nos goûts personnels, textes à apprendre par cœur.
Grâce a la confrontation de notre travail avec le peuple, grâce a ses critiques, a ses suggestions, a ses réclamations, nous avons pu purifier le langage et y intégrer peu a peu la créativité du peuple.
Dans « le courage du peuple », les lieux de tournage furent décidés sur la base de discussions avec la population. Comme dans l’ennemi principal, les dialogues servirent aux paysans a exprimer leurs propres idées.
Et quand nous avons utilisé le plan-séquence dans nos derniers films nous y étions pousses par l’exigence du contenu lui-même. Nous devions créer un plan d’intégration. À rien ne nous servait de passer directement à des gros plans de l’assassin – dans « l’ennemi principal » – jugé par le peuple sur la place publique, car la surprise que produit toujours un gros plan imposé par la coupe directe briserait ce qui était en train de se réaliser dans le plan séquence et qui était la force interne de la participation populaire. Le mouvement de camera interprétait directement les points de vue, les besoins dramatiques du spectateur qui pouvait cesser de l’être pour se transformer en participant. Parfois ce plan-séquence nous amenait a un gros plan en respectant la distance d’approche possible dans la réalité, parfois il ouvrait un champ entre épaules et tètes pour nous approcher pour voir et entendre ce que dit le juge. (…) Mariategui disait que l’indigène n’est jamais moins libre que quand il est seul.”
“Un spectateur-participant ne peut être un consommateur. En participant il cesse d’être spectateur pour devenir partie vivante du processus dialectique oeuvre-destinataire”