La critique de cinéma entre crise et mutation

par Acrimed

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Pour­quoi n’y a‑t-il pas une seule émis­sion de cri­tique de ciné­ma digne de ce nom sur France Télé­vi­sions (rap­pel : il s’agit d’un ser­vice public) ?

La confu­sion est gran­dis­sante entre cri­tique et pro­mo­tion dans les médias domi­nants. Dans ce contexte, quel est l’avenir du jour­na­lisme ciné­ma ? Et que dire de la situa­tion des publi­ca­tions plus « poin­tues » ? Quel est l’impact du numé­rique et notam­ment des réseaux sociaux sur le champ de la cri­tique de ciné­ma ? Pour trai­ter de ces ques­tions (et d’autres), nous avons reçu Michel Ciment et Alex Mas­son, deux jour­na­listes expé­ri­men­tés qui ont déve­lop­pé une réflexion cri­tique sur la critique.

En guise de présentation du débat

Comme nous l’avions remar­qué avec les films Ava­tar et Les Aven­tures de Tin­tin, la confu­sion est de plus en plus grande entre la cri­tique et la pro­mo­tion dans les médias domi­nants. La cou­ver­ture cri­tique est très sou­vent cor­ré­lée au bud­get com­mu­ni­ca­tion des stu­dios. Plus lar­ge­ment, une approche du jour­na­lisme ciné­ma dans laquelle dominent l’anecdotique et le peo­po­lo­gique tend à s’imposer, la situa­tion étant aggra­vée par un sys­tème de conni­vences et com­plai­sances à l’œuvre dans d’autres domaines (copi­nage, voyages de presse et autres avan­tages, etc.). Quand le jour­na­lisme sert de relai mar­ke­ting ou que le sui­visme cri­tique pri­vi­lé­gie une poi­gnée d’œuvres au détri­ment de toutes les autres – 600 à 650 films sortent chaque année… –, le sérieux et l’indépendance de la cri­tique sont mis en cause.

Quant aux publi­ca­tions plus exi­geantes (l’érudition ciné­phi­lique reste vivace en France), si elles échappent géné­ra­le­ment à l’insignifiance pro­mo­tion­nelle, elles ne sont pas tou­jours pro­té­gées des effets délé­tères de l’entre-soi social voire idéo­lo­gique des fes­ti­vals, pro­jec­tions de presse et autres évé­ne­ments, com­pré­hen­sible dans une cer­taine mesure, mais qui peut favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment d’un esprit de cote­rie – voire de dogme – et cou­per les cri­tiques à la fois d’une grande par­tie du public (des publics), celui-ci se trou­vant livré à l’influence des médias domi­nants, mais aus­si de leur voca­tion de pres­crip­teur hon­nête et impar­tial. Acri­med n’a pas à se pro­non­cer sur la « bonne » façon de cri­ti­quer et d’analyser les films mais on peut regret­ter qu’il n’y ait pas davan­tage de débats sur ces ques­tions à la fois théo­riques, cultu­relles et politiques.

Les sup­ports de la cri­tique de ciné­ma sont très diver­si­fiés : quo­ti­diens et heb­do­ma­daires géné­ra­listes, maga­zines cultu­rels, radios, télé­vi­sions, sites Inter­net d’information, mais aus­si bien sûr publi­ca­tions spé­cia­li­sées (livres, revues, web­zines, blogs, réseaux sociaux, forums, etc.). La fra­gi­li­té éco­no­mique est la règle plus que l’exception, la pré­ca­ri­té est très répan­due dans le sec­teur ; les jour­na­listes qui gagnent leur vie en exer­çant uni­que­ment leur acti­vi­té de cri­tique sont peu nom­breux. Un recours mas­sif au béné­vo­lat pas­sion­né per­met de main­te­nir une plu­ra­li­té de titres mais la plu­part res­tent confi­den­tiels. Pour des déve­lop­pe­ments sur ces sujets, voir notre entre­tien avec Sté­phane Ledien de la revue Ver­sus.

Les pra­tiques et les usages de la cri­tique de ciné­ma sont variés. Nous n’attendons pas tous la même chose de la cri­tique ; les uns veulent être gui­dés dans leurs choix (pres­crip­tion), d’autres sou­haitent enri­chir leur com­pré­hen­sion des films (ana­lyse), d’autres encore aiment confron­ter leur avis à celui des cri­tiques pro­fes­sion­nels (débat). Les uns lisent les articles avant de voir les films, les autres, après. Néan­moins ces dif­fé­rentes atti­tudes révèlent un besoin com­mun d’évaluation et d’interprétation des œuvres. Il importe d’une part de pou­voir hié­rar­chi­ser, sélec­tion­ner les films, et d’autre part de les com­prendre. De par son influence – au moins poten­tielle – sur les dif­fé­rents sec­teurs du ciné­ma (pro­duc­tion, dis­tri­bu­tion, pro­gram­ma­tion, etc.) et plus lar­ge­ment sur la situa­tion cultu­relle, la cri­tique a une res­pon­sa­bi­li­té qui lui impose des devoirs. Mais aus­si des moyens.

Ter­mi­nons pro­vi­soi­re­ment par une ques­tion : pour­quoi n’y a‑t-il pas une seule émis­sion de cri­tique de ciné­ma digne de ce nom sur France Télé­vi­sions (rap­pel : il s’agit d’un ser­vice public) ?

Michel Ciment est écri­vain et cri­tique de ciné­ma depuis plus de cin­quante ans, il dirige la revue Posi­tif et a contri­bué à de nom­breuses autres publi­ca­tions. Il a publié plu­sieurs livres d’entretiens avec des cinéastes (Elia Kazan, Fran­ces­co Rosi, Joseph Losey, Stan­ley Kubrick, John Boor­man, Jane Cam­pion…). Il pro­duit et anime l’émission « Pro­jec­tion pri­vée » sur France Culture et par­ti­cipe régu­liè­re­ment au « Masque et la Plume » sur France Inter. En 2014, Michel Ciment revient sur sa car­rière dans un livre d’entretiens avec le cri­tique N.T. Binh (Le Ciné­ma en par­tage, Rivages). Il est pré­sident d’honneur de la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de la presse ciné­ma­to­gra­phique (FIPRESCI) et du Syn­di­cat fran­çais de la cri­tique de ciné­ma (SFCC).

Alex Mas­son est jour­na­liste ciné­ma depuis plus de vingt ans, il a exer­cé dans plu­sieurs médias (Radio Nova, Pre­mière, Score, Les Inro­ckup­tibles, Notre temps, Bra­zil…). La pré­ca­ri­té qui règne dans le sec­teur et la dégra­da­tion des condi­tions d’exercice de la cri­tique l’ont contraint à se recon­ver­tir pro­gres­si­ve­ment dans la pro­gram­ma­tion de fes­ti­vals. Alex Mas­son col­la­bore avec les membres du SFCC à la rédac­tion d’un « livre blanc » consa­cré à la situa­tion de la cri­tique. Nous avions repro­duit un entre­tien dans lequel il s’exprimait en détail sur « la crise de la cri­tique et du cinéma ».

par Acri­med, ven­dre­di 11 sep­tembre 2015