Le journal de David Holzman

Jim McBride, un documenteur

LE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN (David Holz­man’s dia­ry) / MY GIRLFRIEND’S WEDDING, de Jim McBride (Etats-Unis / 73 min, 61 min / 1967, 1969) / Source : Nights­wim­ming

David Holz­man n’existe pas. Devant la camé­ra, un acteur a endos­sé ce rôle et la réa­li­sa­tion assu­rée par Jim McBride, débu­tant là une car­rière dont la visi­bi­li­té sera réelle dans les années quatre-vingt. Le film est donc un pré­cur­seur dans ce genre très par­ti­cu­lier qu’est le “docu­men­teur”.

A Joa­chim Lepas­tier  et à Oli­vier Eyquem.

Le jour­nal de David Holz­man est assu­ré­ment un film pré­cur­seur et ce sta­tut lui confère déjà une cer­taine valeur. Avant de décou­vrir cette œuvre rare et peu com­men­tée depuis sa sor­tie en France en 1974 (soit sept ans après sa réa­li­sa­tion), il convient cepen­dant de ne pas trop la fan­tas­mer et de ne pas en attendre des choses qu’elle ne peut don­ner. Elle se pré­sente sous la forme très directe d’un jour­nal intime fil­mé. Mais David Holz­man n’existe pas. Devant la camé­ra, l’ac­teur L. M. Kit Car­son a endos­sé ce rôle, der­rière, l’i­mage a été réglée par Michael Wad­leigh et la réa­li­sa­tion assu­rée par Jim McBride, débu­tant là une car­rière dont la visi­bi­li­té sera réelle dans les années quatre-vingt (A bout de souffle made in USA, The Big Easy, Great balls of fire). Le film est donc un pré­cur­seur dans ce genre très par­ti­cu­lier qu’est le “docu­men­teur”.

Pour que l’am­bi­va­lence joue à plein, les auteurs choi­sis­sant d’œu­vrer dans ce cadre-là doivent être par­fai­te­ment dans leur époque et doivent avoir le nez col­lé sur la vitre pour regar­der la réa­li­té de leur temps. Pour que l’illu­sion soit pré­ser­vée et que le spec­ta­teur soit habi­le­ment mani­pu­lé, il doivent s’ap­pro­prier, plus ou moins déli­bé­ré­ment, plus ou moins iro­ni­que­ment, les formes artis­tiques pri­vi­lé­giées par l’é­poque. Le jour­nal de David Holz­man dia­logue donc avant tout avec l’art de 1967. Il annonce moins qu’il ne réca­pi­tule et, tout pré­cur­seur qu’il soit, il ren­voie plus vers l’ar­rière qu’il ne se pro­jette vers le futur. David Holz­man (le film comme le per­son­nage) nous parle donc de Jean-Luc Godard ou de Vin­cente Min­nel­li et se lance à corps per­du dans une des aven­tures artis­tiques les plus cou­rantes alors : le ciné­ma-direct (appe­lé encore ciné­ma-véri­té). C’est donc en fei­gnant de reprendre toutes les carac­té­ris­tiques (éco­no­miques, tech­niques, nar­ra­tives et morales) de ce ciné­ma-là que Jim McBride va le paro­dier dans le but de démon­trer que non, contrai­re­ment à ce que put avan­cer Godard, le ciné­ma n’est pas la véri­té 24 fois par seconde et que oui, dès qu’une camé­ra est bra­quée sur quel­qu’un, la réa­li­té en est changée.

L’œuvre se pré­sente sous l’ap­pa­rence d’un assem­blage de scènes arra­chées à la (fausse) réa­li­té. Le patch­work repose sur une alter­nance assez régu­lière entre les confes­sions de David Holz­man ou de ses amis dans leurs appar­te­ments et les sor­ties de l’ap­pren­ti-cinéaste dans la rue. Une ten­dance assez mar­quée se dégage de cette construc­tion nar­ra­tive basée sur deux types de séquences : un air vivi­fiant cir­cule dans les secondes (qui échappent à la recherche d’une signi­fi­ca­tion) alors que les pre­mières sont satu­rées de dis­cours, qu’ils soient clairs ou bal­bu­tiants, directs ou indi­rects (le har­cè­le­ment, camé­ra au poing, par Holz­man de sa petite amie). L’ar­se­nal théo­rique tiré par la cara­vane du film plombe quelque peu celui-ci, l’é­ti­re­ment du temps des mono­logues accen­tuant cette impres­sion. Mal­gré ce que laisse sup­po­ser le début de l’ex­pé­rience, lorsque David Holz­man nous pré­sente ses amis le magné­to­phone Nagra et la camé­ra Eclair, la ques­tion de la fabri­ca­tion, du “com­ment”, est secon­daire. Celle du “pour­quoi” est un peu envahissante.

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Il ne faut pas non plus attendre du Jour­nal de David Holz­man une mon­tée en puis­sance car nous nous trou­vons là devant l’his­toire d’un échec. Un échec sur toute la ligne. Le dia­riste à la camé­ra subit des contra­rié­tés constantes car rien ni per­sonne ne semble dis­po­sé à s’ap­pro­cher de ce que lui croit pou­voir mon­trer de leur véri­té. Enre­gis­trant sans relâche, afin de mieux com­prendre le monde, il ne peut que consta­ter que celui-ci ne cesse de lui glis­ser entre les doigts. Cette série de désap­poin­te­ments pro­voque une cer­taine baisse de ten­sion sur le plan du récit, mais elle véhi­cule, il faut le dire, un réel poten­tiel comique. De même, si le spec­ta­teur peut être désar­çon­né par cet évi­de­ment nar­ra­tif, il se voit rat­tra­pé par le col au moment de la conclu­sion, par­ti­cu­liè­re­ment astu­cieuse et cohérente.

En elle même pas aus­si trou­blante qu’at­ten­du, l’œuvre le devient en fait un peu plus une fois mise en rap­port avec la sui­vante, My girl­friend’s wed­ding, deuxième film de McBride pro­po­sé ici en bonus par l’é­di­teur du DVD, avec beau­coup de per­ti­nence. Mise en miroir devrait-on dire tant elle repré­sente le double inver­sé du Jour­nal, à tous les niveaux. Voi­ci en effet un “vrai” docu­men­taire dans lequel Jim McBride inter­roge sa com­pagne Cla­ris­sa sur sa vie pas­sée, par­ti­cu­liè­re­ment chao­tique, ses rela­tions fami­liales, très dif­fi­ciles, et ses aspi­ra­tions, liées à une révo­lu­tion moins poli­tique que morale, avant de fil­mer son mariage… avec un autre homme que lui.

Tour­né plus vite encore que le pre­mier, cet essai, en cou­leurs cette fois-ci, est d’une esthé­tique plus ingrate mais la façon dont est tis­sé le lien avec le spec­ta­teur est oppo­sée. Si la lon­gueur et la répé­ti­tion des plans demandent tou­jours de s’ac­cro­cher sérieu­se­ment, l’at­ta­che­ment se fait peu à peu. Bien sûr, le fait que nous ren­con­trions là une per­son­na­li­té d’ex­cep­tion don­nant une tour­nure constam­ment inat­ten­due à ses pro­pos y est pour beau­coup mais on sent éga­le­ment, à tra­vers les échanges et le regard du cinéaste, l’au­then­ti­ci­té du rap­port amou­reux. Et si mys­ti­fi­ca­tion il y a dans My girl­friend’s wed­ding, elle n’est pas basée sur son mode de fabri­ca­tion, mais, au-delà d’un titre que l’on peut consi­dé­rer comme trom­peur, sur l’un des sujets abor­dés, le mariage blanc.

Ce pas­sage par un ciné­ma dont McBride venait de sou­li­gner mali­cieu­se­ment les limites tout en en célé­brant fina­le­ment l’exis­tence ne laisse pas d’in­tri­guer, comme le fait la suite de sa car­rière, de sa fic­tion indé­pen­dante sur le péril ato­mique Glen and Ran­da (1971) à son acti­vi­té pour la télé­vi­sion durant les années quatre-vingt-dix, en pas­sant bien sûr par ses esti­mables suc­cès intermédiaires.