« Le 16 novembre 1968, entre Cuba et New-York, Godard et Anne Wiazemsky sont à Montréal, pour les ‘Dix jours du cinéma politique’ […]. Il y prépare également un autre projet, une expérience de télévision libre en Abitibi […] Il se rend avec Anne Wiazemsky dans le grand nord du Québec à la mi-décembre 1968 […] mais l’expérience tourne court dès que le couple s’aventure à l’extérieur, où le blizzard souffle par moins 25 degrés […]. Le quatrième matin, Godard dit simplement à sa femme : « On rentre ». Accompagnés par Claude Nedjar ils quittent Noranda, reviennent à Montréal , d’où ils prennent l’un des premiers avions pour Paris ».
Citation de : Antoine de Baecque, Godard : biographie, Paris : éditions Grasset, 2010, pp. 440 – 441. Photographie : Guy Borremans.
Jean-Luc Godard en Abitibi
L’un des plus grands maîtres du septième art – figure importante de la Nouvelle Vague française – Jean-Luc Godard, a foulé le sol enneigé de l’Abitibi, en plein mois de décembre, en 1968. C’est ce que nous apprend ce documentaire pour le moins surprenant de la réalisatrice Julie Perron.
Mai en décembre (Godard en Abitibi) par Julie Perron, Office national du film du Canada
Mai en décembre (Godard en Abitibi) par Julie Perron, Office national du film du Canada
Julie Perron, 2000, 25 min 50 s
Ce court métrage documentaire raconte le passage du cinéaste Jean-Luc Godard à Rouyn-Noranda, en décembre 1968. Quelques mois plus tôt, en mai 1968, la France est secouée par des manifestations populaires et une poignée de cinéastes en colère interrompt le Festival de Cannes. Au Québec, la montée du nationalisme conduit à des affrontements au cours des festivités du 24 juin. C’est dans ce contexte que l’on organise « Les dix jours du cinéma politique » au Cinéma Verdi, à Montréal, qui accueille Jean-Luc Godard, auréolé du succès de ses films À bout de souffle (1959) et Pierrot le fou (1965). Loin de s’en tenir à des rencontres avec ses admirateurs, le cinéaste caresse un projet. Accompagné d’une équipe de cinéastes français et canadiens, il ira à Rouyn-Noranda, où la télévision lui donne carte blanche, et y fera la révolution…
Ce film est issu de la série Libres courts, qui rassemble des premières œuvres courts métrages documentaires.
Mais qu’était venu faire le célèbre cinéaste français dans notre coin de pays ?
De Paris à Rouyn-Noranda, en passant par Montréal
En mai 1968, un mouvement de contestation populaire éclate dans les rues de Paris. Au même moment, à Cannes, des cinéastes font pression pour avorter le célèbre festival de cinéma et se rendre à Paris pour être témoin des manifestations, qui s’annoncent déjà historiques. Jean-Luc Godard fait partie des cinéastes qui sonnent l’alarme : « Nous sommes déjà en retard », et qui demandent l’arrêt du Festival de Cannes « par solidarité avec les étudiants et les ouvriers ».
Au même moment, au Québec, la montée du nationalisme conduit à des affrontements lors des festivités du 24 juin 1968. Surnommée le « Lundi de la matraque », une émeute est déclenchée à la veille d’une élection fédérale lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste, à Montréal. Les affrontements violents entre les manifestants et les policiers feront 125 blessés.
C’est dans ce climat que l’on organise « Les 10 jours du cinéma politique » au Cinéma Verdi, à Montréal, qui accueille Jean-Luc Godard, auréolé du succès de ses films À bout de souffle (1959) et Pierrot le fou (1965). Loin de s’en tenir à des rencontres avec ses admirateurs, le cinéaste de la Nouvelle vague caresse l’idée d’un projet.
Peu de temps après, il se rend à Rouyn-Noranda, où la télévision locale lui offre carte blanche, et prépare une série de 10 reportages avec l’aide d’une équipe de cinéastes français et canadiens. À ce moment, Godard rêve d’ouvrir le médium de la télévision, « contrôlé par 2% de la population », et de le rendre plus accessible à ceux qui en sont généralement exclus, c’est-à-dire les étudiants, les ouvriers et les militants politiques.
Enthousiaste, l’équipe de cinéastes se met à l’ouvrage sans trop savoir quoi faire. Ce manque de direction se fait sentir : la série verra le jour et sera vivement critiquée autant pour la piètre qualité de ses images que de son contenu. « Le fond de la médiocrité venait d’être atteint », écrit le journal La Frontière à l’époque. Quelques jours plus tard, Godard quitte la ville sans avertir qui ce soit.
Malgré tout, le passage du cinéaste français aura marqué cette ville minière du Nord du Québec et influencé la création d’un nouveau poste de télévision communautaire francophone. Godard aura permit à la population de Rouyn-Noranda de se réapproprier le médium de la télévision à une époque de grands changements au Québec, celle de la Révolution tranquille.
Un petit pas pour le cinéaste… Un grand pas pour la démocratisation des médias.
par Catherine Perreault
Source : ONF