Nous sommes tous en danger

Ultime interview de Pier Paolo Pasolini, le 1er novembre 1975, la veille de sa mort.

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Heu­reux, vous qui vous réjouis­sez quand vous pou­vez mettre sur un crime sa belle étiquette

Furio Colom­bo : Paso­li­ni, dans tes articles et tes écrits, tu as don­né de nom­breuses ver­sions de ce que tu détestes. Tu as enga­gé un com­bat soli­taire contre un si grand nombre de choses, d’ins­ti­tu­tions, de convic­tions, de per­sonnes, de pou­voirs. Pour ne pas com­pli­quer ce que je veux dire, je par­le­rai de « la situa­tion », et tu sais que j’en­tends par là la scène contre laquelle, de manière géné­rale, tu te bats. Main­te­nant je te fais cette objec­tion. La « situa­tion », qui com­prend tous les maux dont tu parles, contient aus­si tout ce qui te per­met d’être Paso­li­ni. À savoir : tout ton mérite et ton talent. Mais les ins­tru­ments ? Les ins­tru­ments appar­tiennent à la « situa­tion ». Édi­tion, ciné­ma, orga­ni­sa­tion, jus­qu’aux objets mêmes. Ima­gi­nons que tu pos­sèdes un pou­voir magique. Tu fais un geste et tout dis­pa­raît. Tout ce que tu détestes. Et toi ? Est-ce que tu ne res­te­rais pas seul et sans moyens ? Je veux dire sans moyens d’expression…

Pier Pao­lo Paso­li­ni : Oui, j’ai bien com­pris. Mais je ne me contente pas d’ex­pé­ri­men­ter ce pou­voir magique, j’y crois. Pas au sens médium­nique. Mais parce que je sais qu’en tapant tou­jours sur le même clou, on peut faire s’é­crou­ler une mai­son. À petite échelle, les radi­caux nous en donnent un bon exemple, quatre chats qui par­viennent à dépla­cer la conscience d’un pays (et tu sais que je ne suis pas tou­jours d’ac­cord avec eux, mais il se trouve que je suis sur le point de me rendre à leur congrès). À grande échelle, l’Histoire nous four­nit le même exemple. Le refus y a tou­jours joué un rôle essen­tiel. Les saints, les ermites, mais aus­si les intel­lec­tuels. Les quelques per­sonnes qui ont fait l’His­toire sont celles qui ont dit non, et non les cour­ti­sans et les valets des car­di­naux. Pour être effi­cace, le refus doit être grand, et non petit, total, et non pas por­ter sur tel ou tel point, « absurde », contraire au bon sens.
Eich­mann, mon cher, avait énor­mé­ment de bon sens. Qu’est-ce qui lui a fait défaut ? La capa­ci­té de dire non tout en haut, au som­met, dès le début, tan­dis qu’il accom­plis­sait une tâche pure­ment et ordi­nai­re­ment admi­nis­tra­tive, bureau­cra­tique. Peut-être qu’il aura dit à ses amis que ce Himm­ler ne lui plai­sait pas tant que ça. Il aura mur­mu­ré, comme on mur­mure dans les mai­sons d’é­di­tion, les jour­naux, chez les sous-diri­geants poli­tiques et à la télé­vi­sion. Ou bien il aura pro­tes­té parce que tel ou tel train s’ar­rê­tait une fois par jour pour lais­ser les dépor­tés faire leurs besoins et ava­ler un peu de pain et d’eau, alors qu’il aurait été plus fonc­tion­nel ou éco­no­mique de pré­voir deux arrêts. Il n’a jamais enrayé la machine. Alors, trois ques­tions se posent. Quelle est, comme tu dis, « la situa­tion », et pour quelle rai­son devrait-on l’ar­rê­ter ou la détruire ? Et de quelle façon ?

F. C. Nous y voi­là. Décris-nous « la situa­tion ». Tu sais très bien que tes inter­ven­tions et ton lan­gage ont un peu l’ef­fet du soleil qui tra­verse la pous­sière. L’i­mage est belle mais elle ne per­met pas de voir (ou de com­prendre) grand-chose.

P. P. P. Mer­ci pour l’i­mage du soleil, mais mon ambi­tion est bien moindre. Je
vou­drais que tu regardes autour de toi et que tu prennes conscience de la tra­gé­die. En quoi consiste la tra­gé­die ? La tra­gé­die est qu’il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contre les autres. Et nous, les intel­lec­tuels, nous consul­tons l’ho­raire des trains de l’an­née pas­sée, ou d’il y a dix ans, puis nous disons : comme c’est étrange, mais ces deux trains ne passent pas là, et com­ment se fait-il qu’ils se soient fra­cas­sés de cette manière ? Soit le conduc­teur est deve­nu fou, ou bien c’est un cri­mi­nel iso­lé, ou bien il s’agit d’un com­plot. C’est sur­tout le com­plot qui nous fait déli­rer. Il nous libère de la lourde tache consis­tant à nous confron­ter en soli­taires avec la véri­té. Quelle mer­veille si, pen­dant que nous sommes ici à dis­cu­ter, quelqu’un, dans la cave, est en train d’échafauder un plan pour se débar­ras­ser de nous. C’est facile, c’est simple, c’est la résis­tance. Nous per­drons cer­tains com­pa­gnons puis nous nous orga­ni­se­rons pour nous débar­ras­ser de nos enne­mis à notre tour, ou bien nous les tue­rons les uns après les autres, qu’en penses-tu ?

Je sais bien que lorsque Paris brûle-t-il ? passe à la télé­vi­sion, ils sont tous là à ver­ser des larmes, avec une envie folle que l’histoire se répète, une his­toire bien belle, bien propre (l’un des avan­tages du temps est qu’il « lave » les choses, comme la façade des mai­sons). Comme c’est simple, quand moi je suis d’un côté, et toi de l’autre. Je ne suis pas en train de plai­san­ter avec le sang, la dou­leur, l’effort qu’à cette époque-là aus­si les gens ont dû payer pour pou­voir « choi­sir ». Quand tu as la tête écra­sée contre telle heure, telle minute de l’histoire, faire un choix est tou­jours tra­gique. Cepen­dant, il faut bien l’admettre, les choses étaient plus simples à l’époque. L’homme nor­mal, avec l’aide de son cou­rage et de sa conscience, réus­sit à repous­ser le fas­ciste de Salò, le nazi membre des SS, y com­pris de la sphère de sa vie inté­rieure (où, tou­jours, la révo­lu­tion com­mence). Mais aujourd’hui les choses ont chan­gé. Quelqu’un vient vers toi, dégui­sé en ami, il est gen­til, poli, et il « col­la­bore » (à la télé­vi­sion, disons) soit pour gagner sa vie, soit parce que ce n’est quand même pas un crime.

L’autre – ou les autres, les groupes – viennent vers toi ou t’affrontent – avec leurs chan­tages idéo­lo­giques, avec leurs aver­tis­se­ments, leurs prêches, leurs ana­thèmes, et tu res­sens qu’ils consti­tuent aus­si une menace. Ils défilent avec des ban­de­roles et des slo­gans, mais qu’est-ce qui les sépare du « pouvoir » ?

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F. C. En quoi consiste le pou­voir, selon toi, où se trouve-t-il, à quel endroit, com­ment le débusques-tu ?

P.P.P. Le pou­voir est un sys­tème d’éducation qui nous divise en domi­nés et
domi­nants. Mais atten­tion. Un sys­tème d’éducation iden­tique pour tous, depuis ce qu’on appelle les classes diri­geantes jusqu’aux pauvres. Voi­là pour­quoi tout le monde désire les mêmes choses et se com­porte de la même manière. Si j’ai entre les mains un conseil d’administration ou bien une manœuvre bour­sière, je l’utilise. Ou sinon je prends une barre de fer. Et quand j’utilise une barre de fer, j’ai recours à la vio­lence pour obte­nir ce que je veux. Pour­quoi est-ce que je le veux ? Parce qu’ils m’ont dit que c’est bien de le vou­loir. J’exerce mon droit-ver­tu. Je suis à la fois un assas­sin et un homme de bien.

F. C. Ils t’ont accu­sé de ne plus faire de dis­tinc­tion entre ce qui relève de la poli­tique et de l’i­déo­lo­gie, d’a­voir per­du le sens de la dif­fé­rence pro­fonde qui doit quand même exis­ter entre fas­cistes et non fas­cistes, par exemple chez les jeunes.

P.P.P. C’est pour cette rai­son que je te par­lais de l’ho­raire des trains de l’année
pas­sée. Tu as déjà vu ces marion­nettes qui font tel­le­ment rire les enfants parce qu’elles ont le corps tour­né d’un côté, et la tête de l’autre ? Il me semble que Totò par­ve­nait à faire un tour de ce genre. Voi­là com­ment je vois la belle troupe d’in­tel­lec­tuels, socio­logues, experts et jour­na­listes pour­vus des inten­tions les plus nobles : les choses se passent d’un côté et leur tête regardent de l’autre. Je ne dis pas que le fas­cisme n’existe pas. Je dis : arrê­tez de me par­ler de la mer alors que nous sommes dans la mon­tagne. Il s’a­git d’un pay­sage dif­fé­rent. Ici on res­sent le désir de tuer. Et ce désir nous relie comme les frères sinistres de l’é­chec sinistre d’un sys­tème social dans son ensemble. Moi aus­si j’ai­me­rais tout résoudre en iso­lant la bre­bis galeuse. Je les vois aus­si les bre­bis galeuses. J’en vois tel­le­ment. Je les vois toutes. C’est ça l’en­nui, comme je l’ai déjà dit à Mora­via : pour la vie que je mène, il y a un prix à payer… C’est comme quel­qu’un qui des­cend aux Enfers. Mais à mon retour — si je par­viens à ren­trer —, j’ai vu des choses dif­fé­rentes, et en plus grand nombre. Je ne dis pas que vous devez me croire. Je dis que vous devez constam­ment chan­ger de sujet pour évi­ter d’af­fron­ter la vérité.

F. C. Et quelle est la vérité ?

P. P. P. Je regrette d’a­voir employé ce mot. Je vou­lais dire la « preuve ». Per­mets-moi de remettre les choses dans l’ordre. Pre­mière tra­gé­die : une édu­ca­tion com­mune, obli­ga­toire et erro­née, qui nous pousse tous dans l’a­rène du tout avoir à tout prix. Nous sommes pous­sés dans cette arène, telle une étrange et sombre armée où cer­tains détiennent les canons, et les autres les barres de fer. Alors une pre­mière divi­sion, clas­sique, consiste à « res­ter avec les faibles ». Mais moi je dis qu’en un cer­tain sens, tous sont faibles, parce que tous sont vic­times. Et tous sont cou­pables, parce que tous sont prêts au jeu de mas­sacre. À condi­tion d’a­voir. L’é­du­ca­tion reçue se décline en ces termes : avoir, pos­sé­der, détruire.

F. C. J’en reviens alors à la ques­tion par laquelle j’ai com­men­cé. Toi, magi­que­ment, tu sup­primes tout. Mais tu vis de livres, et tu as besoin d’in­tel­li­gences qui aiment lire. Autre­ment dit, de consom­ma­teurs édu­qués du pro­duit intel­lec­tuel. Tu fais du ciné­ma et tu as besoin non seule­ment de grands publics dis­po­nibles (de fait, tu as géné­ra­le­ment beau­coup de suc­cès popu­laire, autre­ment dit tu es « consom­mé » avi­de­ment par ton public), mais aus­si d’une grande machi­ne­rie tech­nique, orga­ni­sa­tion­nelle, indus­trielle, qui tienne l’en­semble. Si tu enlèves tout cela, avec une espèce de mona­chisme magique de type paléo­ca­tho­lique et néo­chi­nois, qu’est-ce qui te reste ?

P. P. P. Tout. C’est-à-dire moi-même, être en vie, être au monde, voir, tra­vailler, com­prendre. Il existe cent manières de racon­ter les his­toires, d’é­cou­ter les langues, de repro­duire les dia­lectes, de faire le théâtre de marion­nettes. Aux autres, il reste bien davan­tage. Ils peuvent me tenir tête, qu’ils soient culti­vés comme moi ou bien igno­rants comme moi. Le monde s’a­gran­dit, tout se met à nous appar­te­nir et nous n’a­vons besoin ni de la Bourse, ni d’un conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, ni d’une barre de fer, pour nous dépouiller. Tu sais, dans le monde que beau­coup d’entre nous rêvaient (je répète : lire l’ho­raire des trains de l’an­née pas­sée, mais dans ce cas pré­cis, on peut même par­ler d’un horaire remon­tant à de nom­breuses années), il y avait un patron ignoble avec un haut-de-forme et des dol­lars qui lui tom­baient des poches, et une veuve éma­ciée qui récla­mait jus­tice avec ses enfants. Le beau monde de Brecht, en somme.

F. C. Tu sembles dire que tu as la nos­tal­gie de ce monde.

P. P. P. Non ! J’ai la nos­tal­gie des gens pauvres et vrais qui se bat­taient pour abattre ce patron, sans pour autant deve­nir ce patron. Puis­qu’ils étaient exclus de tout, per­sonne ne les avait colo­ni­sés. J’ai peur de ces Noirs qui se révoltent, et qui sont iden­tiques au patron, autant de bri­gands qui veulent tout à n’im­porte quel prix. Cette sombre obs­ti­na­tion diri­gée vers la vio­lence totale ne per­met plus de savoir « de quel signe tu est ». Toute per­sonne que l’on emmène mou­rante à l’hô­pi­tal est plus inté­res­sée – s’il lui reste un souffle de vie – par ce que lui diront les méde­cins sur ses chances de sur­vie, que parce que que lui diront les poli­ciers sur les méca­nismes du crime. Com­prends-moi bien : je ne fais aucun pro­cès d’in­ten­tion, et j’ai ces­sé de m’in­té­res­ser à la chaîne cau­sale, d’a­bord eux, d’a­bord lui, ou qui est le cou­pable en chef. Il me semble que nous avons défi­ni ce que tu nommes la « situa­tion ». C’est comme quand il pleut dans une ville, et que les bouches d’é­gout se sont engor­gées. L’eau monte, c’est une eau inno­cente, une eau de pluie, elle ne pos­sède ni la furie de la mer ni la méchan­ce­té des cou­rants d’un fleuve. Néan­moins pour une rai­son quel­conque, elle ne des­cend plus mais monte. C’est la même eau de pluie célé­brée par tant de poé­sies enfan­tines et « chan­tons sous la pluie ». Mais elle monte et te noie. Si nous en sommes arri­vés à ce point, je dis : ne per­dons pas notre temps à mettre une éti­quette ici et une autre là. Voyons plu­tôt com­ment débou­cher ce mau­dit égout, avant de nous retrou­ver tous noyés.

F. C. Et toi, pour y par­ve­nir, tu vou­drais tous nous trans­for­mer en petits ber­gers dépour­vus d’é­cole obli­ga­toire, igno­rants et heureux.

P. P. P. For­mu­lée en ces termes, l’i­dée est stu­pide. Mais la fameuse école obli­ga­toire fabrique néces­sai­re­ment des gla­dia­teurs déses­pé­rés. La masse ne cesse de s’ac­croître, tout comme le déses­poir, tout comme la rage. Disons que j’ai fait une bou­tade (mais je ne crois pas). Mais vous, dites-moi autre chose. On entend dire que je regrette la révo­lu­tion pure et directe faite par les oppri­més, dans le seul but de deve­nir libres et patrons d’eux-mêmes. On entend dire que je m’i­ma­gine qu’un pareil moment pour­rait encore adve­nir dans l’his­toire de l’I­ta­lie et du monde. Le meilleur de ma pen­sée pour­ra peut-être ins­pi­rer l’une de mes futures poé­sies. Mais pas ce que je sais et ce que je vois. Je vais le dire car­ré­ment : je des­cends dans l’en­fer et je sais des choses qui ne dérangent pas la paix des autres. Mais faites atten­tion. L’en­fer est en train de des­cendre chez vous. Il est vrai qu’il s’in­vente un uni­forme et une jus­ti­fi­ca­tion (quel­que­fois). Mais il est éga­le­ment vrai que son désir, son besoin de vio­lence, d’a­gres­sion, de meurtre, est fort par­ta­gé par tous. Cela ne res­te­ra pas long­temps l’ex­pé­rience pri­vée et périlleuse de celui qui a, disons, expé­ri­men­té « la vie vio­lente ». Ne vous faites pas d’illu­sions. Et c’est vous qui êtes, avec l’é­cole, la télé­vi­sion, le calme de vos jour­naux, c’est vous les grands conser­va­teurs de cet ordre hor­rible fon­dé sur l’i­dée de pos­sé­der et sur l’i­dée de détruire. Heu­reux, vous qui vous réjouis­sez quand vous pou­vez mettre sur un crime sa belle éti­quette. Pour moi cela res­semble à l’une des opé­ra­tions par­mi tant d’autres de la culture de masse. Ne pou­vant empê­cher que cer­taines choses se pro­duisent, on trouve la paix en fabri­quant des éta­gères où on les range.

F. C. Mais abo­lir signi­fie néces­sai­re­ment créer, si tu n’es pas toi aus­si un des­truc­teur. Les livres, par exemple, que deviennent-ils ? Je ne veux pas tenir le rôle de celui qui s’an­goisse davan­tage pour le sort de la culture que pour celui des indi­vi­dus. Mais ces gens que tu sauves, dans ta vision d’un monde dif­fé­rent, ne peuvent pas être plus pri­mi­tifs (c’est une accu­sa­tion que l’on t’a­dresse sou­vent), et si nous ne vou­lons pas uti­li­ser la répres­sion « plus avancée»…

P. P. P. … Qui me fait frémir.

F. C. Si nous ne vou­lons pas employer de phrases toutes faites, il faut quand même être plus pré­cis. Par exemple, dans la science-fic­tion comme dans le nazisme, le fait de brû­ler des livres consti­tue tou­jours le geste ini­tial d’ex­ter­mi­na­tion. Une fois fer­mées les écoles, et une fois la télé­vi­sion éteinte, com­ment animes-tu la crèche ?

P. P. P. : Je croyais m’être déjà expli­qué avec Mora­via. Fer­mer, dans mon lan­gage, signi­fie chan­ger. Mais chan­ger d’une manière aus­si dras­tique et déses­pé­rée que l’est la situa­tion elle-même. Ce qui empêche d’a­voir un véri­table débat avec Mora­via, mais sur­tout avec Fir­po, par exemple, est que nous res­sem­blons à des gens qui ne voient pas la même scène, qui n’é­coutent pas les mêmes voix. Pour vous un évé­ne­ment a lieu lors­qu’il fait l’ob­jet d’un article, beau, bien fait, mis en page, relu, avec un titre. Mais qu’est-ce qu’il y a là-des­sous ? Il manque ici le chi­rur­gien qui a le cou­rage d’exa­mi­ner le tis­su et de dire : mes­sieurs, il s’a­git d’un can­cer, pas d’une mala­die bénigne. Qu’est-ce que le can­cer ? Une chose qui modi­fie toutes les cel­lules, qui les fait toutes s’ac­croître de manière folle, en dehors de la logique qui les ani­mait pré­cé­dem­ment. Est-il un nos­tal­gique, le malade qui rêve de la san­té qu’il avait avant, même si avant il était stu­pide et mal­heu­reux ? Avant le can­cer, je veux dire ? Voi­là, avant tout il fau­dra faire je ne sais quel effort afin que tous, nous regar­dions la même image. Moi j’é­coute les hommes poli­tiques avec leurs petites for­mules, tous les hommes poli­tiques, et cela me rend fou. Ils ne savent pas de quel pays ils sont en train de par­ler, ils sont aus­si éloi­gnés que la lune. Et les let­trés. Et les socio­logues. Et les experts en tout genre.

F. C. : Pour­quoi penses-tu que pour toi, cer­taines choses sont tel­le­ment plus claires ?

P. P. P. : Je vou­drais arrê­ter de par­ler de moi, peut-être en ai-je déjà trop dit. Tout le monde sait que mes expé­riences, je les paie per­son­nel­le­ment. Mais il y a aus­si mes livres et mes films. Peut-être est-ce moi qui me trompe. Mais je conti­nue à dire que nous sommes tous en danger.