Notre envie est de stimuler ceux qui se mobilisent, de faire prendre conscience à la société civile qu’elle doit s’approprier un média sous peine d’être dépossédée de son image.
portrait — Ils incarnent le changement
Fils de réfugiés chilien, le cinéaste Ronnie Ramirez a l’engagement dans le sang. De ses documentaires tournés dans les recoins du monde
au développement de la web TV bruxelloise d’action collective Zin TV, il utilise toujours sa caméra pour filmer « ceux qui se lèvent ».
Il existe une télévision qui suit de près les mouvements sociaux et les initiatives citoyennes. Où les reporters passent du temps avec les militants, les jeunes et les habitants d’un quartier. Où les cameramen sont encore bienvenus, même dans les moments chauds, parce qu’ils sont parvenus à établir une relation de confiance. Un média qui s’affiche comme un outil « d’émancipation télévisuelle », en proposant notamment des formations à l’audiovisuel qui apprennent à « construire un regard personnel ». Zin TV, dont le studio se niche aujourd’hui dans les sous-sols du Pianofabriek, le centre culturel flamand de la commune bruxelloise de Saint-Gilles, c’est tout ça à la fois. Pour l’un de ses fondateurs, le réalisateur Ronnie Ramirez, l’aventure a commencé officiellement en septembre 2009. Mais Zin TV est en germe depuis bien plus longtemps. « Tout militant a un vécu personnel qui est souvent la source de ses activités actuelles », sourit Ronnie, le visage rond, la voix chaleureuse.
Le sien débute au Chili, dans une famille bourgeoise, avec une nounou et un jardinier. Mais une bourgeoisie de gauche, activiste, résistante à Pinochet. Sous la dictature qui durera 16 ans (1973 – 1990) le père de Ronnie est emprisonné, puis relâché au bout de deux ans par l’entremise de la Croix-Rouge. Sa famille est contrainte de s’exiler et débarque en Belgique, à Deurne, « en ce temps-là bastion socialiste ».
« Nous avons été très bien accueillis, se souvient Ronnie. A l’arrivée à l’aéroport, le bourgmestre de Saint-Josse Guy Cudell nous a même pris dans ses bras et nous sommes passés à la télé. Nous avons reçu beaucoup d’amour à l’époque. Aujourd’hui, je m’efforce de le rendre un peu. Mais si nous étions arrivés aujourd’hui… » La famille Ramirez atterrit ici sans rien, c’est comme « une prolétarisation ». « Mais nous ne l’avons pas mal vécu, car nous avions la vie sauve. » Leur quotidien s’organise, avec toujours l’idée de repartir. Une possibilité concrétisée seulement 17 ans plus tard : « On nous a dit que la “démocratie” était revenue, qu’on pouvait rentrer. Mon père y est allé dès qu’il a pu, pour participer au processus. Nous, toute notre vie était construite ici… »
Cette enfance parmi les réfugiés chiliens, où le rapport à l’injustice, à la mort aussi, était toujours présent, a évidemment marqué Ronnie. « Les adultes auraient-ils dû nous cacher tout ça ? Je ne sais pas. Mais je ne peux en tous cas pas penser ma vie sans engagement social. Militer est génétique. »
‘‘ Le réel est une ressource inépuisable ’’
C’est dans les réunions politiques chiliennes, où il s’ennuie enfant, que Ronnie va se mettre à dessiner. Il continue dans les marges de ses cahiers, jusqu’à ce qu’un prof convoque ses parents : il leur conseille de l’envoyer poursuivre ses études en section artistique. L’adolescent penche d’abord pour la BD, « mais les gens que je rencontrais dans le milieu étaient plutôt des introvertis. Je n’avais pas envie de passer ma vie enfermé dans un grenier à dessiner ! » Lors d’une visite à l’école supérieure artistique Sint-Lukas, il passe la tête dans le local des étudiants en cinéma : « Ils avaient l’air sociables, communicatifs, passionnés – même si leurs films étaient très mauvais –, je voulais être comme eux ! »
Lors d’un cours, l’apprenti-cinéaste assiste à la projection de L’enfant aveugle de Johan van der Keuken. « Ce film m’a véritablement pétrifié, l’émotion était très forte. Alors que je restais assis dans la salle, un prof est venu me voir, je lui ai dit, “je veux faire ce genre de film”. Il m’a conseillé de passer à l’Insas. » C’est là qu’il assistera à une rencontre avec le documentariste néerlandais. « J’ai compris qu’il existait une méthode, une démarche, pour donner le pouvoir à un faible – l’enfant aveugle dans ce cas – que la forme était capitale, pas seulement le message idéologique. Et que le réel est une ressource inépuisable. » C’est ce cinéma du réel qu’il veut pratiquer à sa sortie de l’école. « Mais je débutais dans le documentaire en même temps que le plan Magellan[[Plan de réforme, d’économies (et de réduction des emplois de 20 %) des chaînes de radio et télévision publiques. Et les débuts de leur « commercialisation ».]] à la RTBF… On nous annonçait en gros que le bateau coulait. On s’est rapidement demandé que faire pour que ce type de cinéma puisse exister quand même. »
Tout en poursuivant un parcours classique dans le milieu, assistant caméra, opérateur, et en devenant professeur, Ronnie Ramirez organise avec Mourad Boucif[[Réalisateur de Kamel, Au-delà de Gibraltar, La couleur du sacrifice et Les hommes d’argile.]] des ateliers vidéo dans les quartiers populaires. Et réalise ses propres films. Le premier, Les fantômes de Victoria, sur un village fantôme au Chili, lui attire la reconnaissance, « mais aussi la demande de reproduire son succès. Or je n’avais pas envie de devenir un autre Patricio Guzmán[[Réalisateur chilien travaillant la mémoire de son pays et de la dictature.]], d’exploiter le filon du passé chilien. Mes films suivants se passent en Palestine, au Congo, à Anvers, je ne voulais pas m’enfermer dans une case. » Le lien entre toutes ces réalisations ? « On m’a dit que je filmais des gens qui se lèvent. Je vais voir des catastrophes et des personnes qui cherchent des solutions pour s’en sortir. Etre un militant c’est pour moi cela : chercher des solutions. »
Ronnie Ramirez, cinéaste, formateur militant, pour que la société civile ne se fasse plus déposséder de son image.
A partir de 2003, Ronnie Ramirez est invité au Venezuela, pour donner des formations. Il y découvre une facette originale de la révolution : des télévisions locales, propriétés des communautés, qu’elles soient indigènes, paysannes, ouvrières, afrodescendantes, etc. « Alors de retour en Belgique, nous nous sommes dit à quelques-uns : si eux le font, pourquoi pas nous ? » En tâtonnant, en analysant les expériences ailleurs, le projet de Zin TV (Zin pour zinneke, le petit chien bâtard symbole de Bruxelles) se monte. « Nous souhaitons avoir une base solide, liée à la société civile, en créant un rapport de confiance. Notre envie est de stimuler ceux qui se mobilisent, de faire prendre conscience à la société civile qu’elle doit s’approprier un média sous peine d’être dépossédée de son image. »
Le volet formation n’est pas du type « mode d’emploi technique ». « L’idée est de libérer les personnes de leurs références hollywoodiennes et télévisuelles, de dynamiter les réflexes conditionnés, explique le cofondateur du projet. De leur donner ensuite les règles de base du langage cinématographique et un cadre dans lequel elles peuvent pratiquer, corriger, trouver un style, une démarche. Les images qui sont produites sont souvent maladroites, rustiques, mais elles dégagent une vérité, une esthétique propre. Tout cela est un prétexte pour que les participants deviennent acteurs. » L’ambition est de construire un vrai média de service public, sur le modèle non marchand. « C’est peut-être ambitieux, mais sans cela nous ne serions que dans l’occupationnel. »
Zin TV se professionnalise petit à petit, reconnue par le CSA, le secteur de l’éducation permanente et de la cohésion sociale[[Secteurs tous deux financés par les pouvoirs publics.]]. L’équipe a doublé depuis l’an dernier, passant à six personnes. « Nous allons également nous mettre à l’animation. » « C’est l’actualité qui nous attire le plus, et nous sommes débordés, tant il y a d’initiatives citoyennes chez nous. Nous sommes frustrés de ne pas pouvoir les montrer toutes ! »
Quant à ses propres films, Ronnie les réalise à présent dans le cadre de sa télé – « Sinon je passerais tout mon temps à chercher de l’argent pour les faire ! ». « Zin TV, franchement, c’est génial. Il n’y a pas un jour qui passe sans satisfaction. Et travailler avec des amis, c’est idéal, cela permet de franchir des montagnes. » – L.d.H.