« En 1963 à l’IDHEC, une idée régnait alors, idée dont j’ai beaucoup souffert quand j’étais à l’école de cinéma, c’est la notion de grammaire normative. On ne pouvait concevoir de langage cinématographique en dehors d’un système organisé et rigide de règles précises qui nous dictaient ce qu’on devait faire et ce qu’on ne pouvait pas faire en cinéma. (…) C’est par exemple le fait que toute la grammaire du cinéma de fiction repose sur le champ/contrechamp, ou sur la confrontation par le montage parallèle de deux angles de prise de vue ou de deux regards qui constitue l’espace supposé de la fiction. Et tout le langage du cinéma de fiction est braqué sur la crédibilité de cet espace.
(…) Mais je crois qu’une grande partie du cinéma documentaire, du cinéma expérimental et du cinéma révolutionnaire — Vertov par exemple – est déjà passé à côté de cette crédibilité pour essayer autre chose, pour découvrir des éléments d’autres “langages”. Et de toute façon un autre lieu s’installe dès qu’on vise la crédibilité de l’image, c’est pour dépasser l’image et établir un dialogue avec la conscience du spectateur.
(…) Je crois que cette idée – la recherche de la crédibilité – a été en grande mesure remplacée par la notion de confrontation avec le réel, avec n’importe quel réel, afin d’en extraire un moment qui serait senti comme réel. C’est, je crois, un processus propre à tout l’art moderne où on ne reproduit plus une chose existante, dans la tête ou sur un croquis, qu’on va ensuite mettre en peinture ou en musique, mais où existe l’échange avec le hasard, avec l’intuition et aussi “volonté” de la matière.
Toutes ces forces vont imposer au départ du projet une direction, des sentiments. Et peut-être, à la fin du processus, produit-on quelque chose qui est réel, mais au premier abord, le réel n’est pas une chose inscrite, circonscrite, une chose dont on peut déjà dire des choses définitivement. (…) Ces choses ne se passent pas seulement sur un plan intellectuel, mais elles se situent au niveau même de la matière. On instaure un dialogue avec la matière qu’on a sous la main ».
Johan van der Keuken.
Extrait : page 10 et 11 de « Johan van der Keuken, cinéaste et photographe ». Ouvrage Collectif sous la direction de Serge Meurant, édité par le Ministère de la Communauté française, Service de l’audiovisuel, Réseau d’action culturelle-cinéma R.A.C.C. 1983