Recueil à partir d’un entretien réalisé avec trois acteurs de Zin TV (Anne-Sophie Guillaume, Ronnie Ramirez et Maxime Kouvaras)
En tant que média citoyen, Zin TV se situe donc à l’intersection des médias alternatifs et des mouvements sociaux. Zin TV souhaite incarner un porte-voix audiovisuel démocratique et populaire mis à disposition des citoyens engagés et du monde associatif. Dans ce sens, il a développé un modèle de communication de participation citoyenne.
En parallèle de ce travail de terrain, Zin TV développe une réflexion continue sur l’indépendance des médias, sur le rôle des médias dans la société, et sur les leviers de transformation sociale par l’action citoyenne.
Zin TV est un projet de média, qui passe par la participation citoyenne notamment, ainsi que par l’accompagnement académique des citoyens qui ont des choses à dire. Nous ne nous définissons pas comme médias alternatifs. Car en règle générale, tous les adjectifs qu’on ajoute au mot médias sont faits pour disqualifier l’autre. Nous ne sommes pas non plus un nouveau média, ni un petit média, etc.
Nous voulons construire une télévision que nous allons réinventer à notre façon, avec notre propre identité, en tenant compte de choses importantes pour nous, comme la participation citoyenne. Par exemple, la jeunesse aimerait bénéficier d’un effet miroir, pouvoir se reconnaître non pas comme un consommateur, mais comme un acteur ; les femmes aimeraient pouvoir se reconnaître non pas comme des objets ou des personnes dominées, mais comme des actrices. Donc, nous travaillons avec une série de communautés, de collectivités et d’associations qui désirent être actrices dans la société et qui, pour toutes sortes de raisons, ne se retrouvent pas dans les médias mainstream ou traditionnels ; ou qui, lorsqu’ils s’y retrouvent, y sont folklorisées, ridiculisées, voire criminalisées, comme le sont par exemple les syndicats. Nous travaillons parfois avec des syndicats, en mettant en avant leurs revendications plutôt qu’en les montrant comme des problèmes pour les usagers des transports publics, par exemple.
Nous sommes partis d’un groupe de personnes qui avaient envie de travailler sur le terrain, avec des mouvements sociaux, des organisations de jeunesse et d’autres associations. Chacun avait ses propres expériences dans le domaine des médias ou des mouvements ; Ronnie, par exemple, avait notamment une expérience avec des médias communautaires au Venezuela. On a créé ce collectif avec la volonté de mutualiser toutes ces énergies et forces. Ça part de Bruxelles, mais il y a de plus en plus de connexions ailleurs, les collaborations s’élargissent. Nous avons entre autres mis en place tout un axe de couverture de l’actualité des mouvements sociaux ; c’est quelque chose de nécessaire, pour nous. Nous développons aussi des films documentaires et, depuis peu, nous essayons de créer des émissions ; avec, toujours, l’envie de faire exister un autre regard, une diversité de regards ; c’est ça qui nous définit, la pensée hétérodoxe, sans se déterminer en opposition à d’autres médias. On ne se sent pas alternatifs.
On offre un autre regard, que nous considérons comme étant plus libre, moins contrôlé que dans les médias dominants, parce qu’on ne dépend pas d’intérêts liés à des financements. Bien sûr, l’enjeu du financement nous concerne aussi, mais on cherche des voies pour garantir notre indépendance.
Un média de service public
Zin TV a la vocation d’être un média de service public. Car un tel média doit créer des intersections et travailler à donner une image intelligente de notre société ; non pas une image lamentable, comme on peut le voir lorsqu’on allume la télé, notamment quand y sont traités les femmes ou les immigrés. Pour nous un média de service public doit par nature travailler avec l’intelligence collective et valoriser des patrimoines intellectuels et politiques de nos communautés.
Cela implique aussi une responsabilité. Nous construisons une relation de confiance, avec les organisations avec qui nous travaillons. Nous avons déjà eu l’occasion de « faire le buzz », par rapport à certains sujets, et d’avoir une visibilité incroyable ; mais pour des raisons éthiques, on a refusé d’en profiter, car on a estimé qu’il fallait respecter la personne filmée. Par exemple, concernant l’attentat de Paris en novembre 2015, nous avons un réseau de bénévoles pour la couverture de l’actualité des mouvements sociaux et notamment ; et une de ces bénévoles avait filmé la mère d’un des jeunes kamikazes mort à Paris. C’est une interview que tous les médias désiraient. Mais nous avons estimé que ce n’était pas diffusable en l’état, pour différentes raisons. C’est par rapport à de telles choses et de telles manières qu’on doit construire des garde-fous, garder le cap.
Il y a une dialectique, dans notre travail ; nous y sommes sans cesse en mouvement.
La question, c’est de savoir dans quelle direction. Nous essayons systématiquement et continuellement de nouvelles choses, de nouvelles formes, puisque nous travaillons en interaction avec la société civile qui, elle aussi, est en mouvement, pleine d’initiatives, avec lesquelles nous nous articulons. L’agenda des mouvements sociaux, c’est notre agenda. Par exemple, si demain, il y a une grève, nous serons contactés par les syndicalistes, pour que nous puissions les aider à visibiliser leur action. Le rôle d’un média de service public, c’est de se mettre au service du public. Dans le même sens, un média est un intermède entre les différents acteurs de la société. Et dans ce rôle d’intermède et de service au public, nous assumons notre subjectivité, notre parti pris.
Il s’agit aussi, dans cet esprit, d’être un relai pour la parole de toutes les personnes concernées. On peut aussi noter que, si quelqu’un filme, on verra à travers son regard. Le cadre raconte ; et, au sujet de cette subjectivité assumée, on n’essaie pas de parler d’un équilibre et d’une objectivité journalistique qui serait atteinte par le simple fait de donner la parole à deux partis. La subjectivité, c’est que chacun a une individualité et ira sur le terrain avec sa manière de voir les choses – en étant à l’écoute du terrain, évidemment ; c’est une démarche documentaire.
C’est évident que lorsqu’on parle de média citoyen, on ne parle pas de tous les citoyens ; nous avons des affinités, des envies ; nous souhaitons être un moteur de transformation de la société. En stimulant et en faisant exister, en donnant une fenêtre pour que les organisations et mouvements sociaux puissent être connus et entendus.
Et c’est vrai que nous opérons un choix, au niveau de ces acteurs, nous choisissons ceux qui construisent une société qu’on estime progressiste. Il y a donc un choix, au niveau des personnes à qui nous donnons la parole, et dans la manière dont on va construire cette parole.
La question de l’information et du choix des sources
Sur notre site internet, il y a une rubrique qui propose une série de médias citoyens, qui sont tous l’oeuvre de militants sociaux, de gens qui cherchent des solutions, du secteur progressiste. C’est ça, notre source d’information, c’est en général là qu’on puise des articles magnifiques, qu’on publie sur notre site internet ; avec cette source, que je consulte toujours en priorité, j’estime être l’homme le plus informé du monde… On lit de temps en temps la Libre Belgique ou le Soir, mais ce n’est pas notre tasse de thé. On essaie de construire notre imaginaire à partir de l’initiative de la population, des quartiers populaires,…
Ce que peut faire le citoyen, c’est de s’armer en méthodes de décryptage ; beaucoup de choses existent, pour ça ; sur le site de Zin TV, par exemple, il y a un grand nombre de sources qui peuvent servir dans ce sens. Le principe du recoupement des informations, aussi, est important. C’est en fait un travail de journaliste, mais c’est ce que nous demandons au citoyen, qu’il devienne lui-même journaliste, en quelque sorte.
Nous regardons aussi des films. Nous essayons de constituer une bibliothèque et d’échanger nos références – c’est très important, de construire des références communes ; on a tous nos propres imaginaires – par exemple, Ronnie est chilien et je suis grec. On a tous des sujets favoris ; on partage donc tout ça, et ça permet des découvertes.
Au sujet de l’idée que le citoyen devrait devenir journaliste, je trouve que c’est quelque chose d’essentiel ; et j’ajouterais que nous n’estimons pas que le journaliste soit un être supérieur, capable de l’absolue vérité, et d’être le seul communicateur sur les réalités. Les gens les vivent, alors pourquoi ne pourraient-ils pas communiquer ce qu’ils vivent ?
Rapports et synergies avec les acteurs médiatiques ou sociaux
Au sujet de nos relations avec les médias dits alternatifs, il y a une reconnaissance entre nous. Nous sommes très contents d’être reconnus par les associations de base, avec lesquelles nous faisons un travail de fond ; ces gens, ce sont les citoyens organisés, pas le citoyen comme figure abstraite ; ce sont des gens qui ont eux aussi pris l’initiative d’alimenter l’imaginaire collectif et ses actions et recherches de solutions. Nous nous mettons en réseau avec des médias avec lesquels nous nous reconnaissons, c’est-à-dire avec qui nous trouvons des points communs.
La mise en commun fonctionne bien pour la presse écrite. Concernant la télévision, nous avons tenté des alliances avec des structures de télévisons communautaires, mais les choses ne sont pas faciles, nous ne voulons pas perdre notre identité – sans vouloir l’imposer. Notre démarche n’est pas hégémonique. Certes, on voudrait bien qu’il y ait beaucoup d’autres Zin TV, autour de nous. Nous avons aidé d’autres à exister, en leur prêtant nos infrastructures – on l’a fait avec Sans papier TV et Campesina TV. Nous faisons aussi des formations avec d’autres communicateurs. Nous travaillons même à l’occasion avec des journalistes du monde institutionnel qui voient parfois en nous un espace de liberté et d’expression.
Je pense que c’est important, aussi, de parler des enjeux liés à l’enseignement ; l’éducation aux médias devrait en faire partie. Nous développons ce travail avec des associations, des organisations de jeunesses mais petit à petit, nous nous connectons aussi avec les écoles ; c’est vraiment une priorité. L’intégration de l’éducation aux médias dans l’enseignement devrait constituer une revendication importante dans tout plaidoyer en rapport avec la thématique.
Modes de financement et indépendance
Concernant notre modèle économique, nous redistribuons l’argent qui rentre entre l’ensemble des permanents, à parts égales, et non en fonction de leurs prestations. Il y a différentes sources de recettes, dont un subside emploi via l’éducation permanente – en ce qui me concerne, ça m’a permis d’être engagée à mi-temps.
Zin TV est aussi un lieu d’activités et de rencontre et de rassemblement pour les acteurs des mouvements sociaux, les jeunes, ou encore des chercheurs.
Nous organisons notamment des projections-débats. Nous recevons aussi un subventionnement de la cohésion sociale, qui nous permet de développer des ateliers vidéos ; c’est ça aussi qui a motivé la création de Zin TV, le fait de pouvoir disposer d’un moyen de diffusion des productions de ces ateliers, dont on pense qu’elles amènent d’autres regards, sur toutes sortes de choses. Nous réalisons aussi des documentaires financés par des associations, ce qui contribue aussi à faire vivre le projet.
Tout financement entraîne des risques. Mais heureusement, nous n’avons pas une obligation de diffuser 24 heures sur 24, de sortir x actualités par jour. Nous pouvons donc prendre le temps, et nous voulons pouvoir continuer à le faire, pour pouvoir traiter les sujets sérieusement.
Il est clair que nous voulons être un média autonome ; et c’est la disparité et la diversité des rentrées financières qui font que, finalement, on tient sur nos deux pattes. On peut nous retirer un subside, on aura toujours par ailleurs des rentrées à travers des productions, des activités ou d’autres subventions.
Bien sûr, les financements peuvent amener leur part de contraintes, surtout si ce sont des subsides – même si nous estimons que, actuellement, ils nous laissent notre liberté ; nous sommes prêts à continuer sans eux, puisque nous sommes engagés, mais ce n’est pas tenable à long terme. Nous cherchons donc à nous financer autant que possible à d’autres sources, comme les productions. Plus généralement, nous avons toute une réflexion sur ces questions, sur des modes de fonctionnement, des garde-fous qui permettent de conserver l’éthique, de ne pas se laisser rattraper par l’argent. C’est‑à dire des assemblées générales où nos activités sont abordées de manière critique, où on s’assure de la transparence des comptes ; ou encore, notre charte, qui nous interdit par exemple de nous allier à un parti politique. Nous sommes donc indépendants, mais avec une subjectivité assumée ; nous mettons clairement en valeur un autre modèle de société, et d’autres penseurs, philosophes, économistes, etc. On invite par exemple Pierre Carles. Pourquoi ne parle-t-on pas de Correa, ici ? Parce qu’il n’y a pas une envie de changer le système économique ; nous, nous ne sommes pas pour ce modèle.
En ce qui me concerne, je pense que c’est important de pouvoir se consolider et échanger des pratiques. En France, Bastamag et d’autres médias ont trouvé des moyens de se financer. Nous avons certainement des choses à apprendre, de la part de ces coordinations de médias. Car nous restons dans des équilibres précaires. La priorité est de se consolider. Mais nous devons aussi nous connecter, nous mettre en réseaux, c’est comme ça que nous arriverons à faire des choses plus intéressantes.