Repenser de fond en comble la stratégie des Palestiniens
Le 9 octobre, le nouveau premier ministre palestinien Rami Hamdallah est entré solennellement à Gaza, à la tête du nouveau gouvernement d’union nationale. Le 12 octobre au Caire, la conférence des donateurs a promis 4,3 milliards d’euros pour la reconstruction de la bande de Gaza, ravagée par 52 jours d’agression israélienne l’été dernier. Et le 13 octobre, le Parlement britannique a voté la reconnaissance de l’État palestinien, vote non contraignant pour le gouvernement du Royaume-Uni mais qui envoie un signal fort à Israël — trois députés français veulent suivre cet exemple. Le 3 octobre, le gouvernement suédois, lui, a annoncé sont intention de reconnaître formellement la Palestine.
La série d’avancées diplomatique obtenues par l’Autorité palestinienne, en moins de quinze jours, reste symbolique et fragile. Rien ne dit que le gouvernement d’union nationale, composé pour l’instant de « technocrates », aboutira à une véritable réconciliation politique entre l’Autorité palestinienne, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Hamas. La reconstruction dépendra du bon vouloir des autorités israéliennes, qui ont obtenu le droit de veto sur chaque projet de réhabilitation. Et les progrès sur le front diplomatique restent du domaine du virtuel. Le blocus est loin d’être levé, comme l’avaient pourtant demandé tous les dirigeants palestiniens, de l’OLP au Hamas.
Ces petites avancées ne corrigent en rien les avertissements du diplomate palestinien Majed Bamya, le 15 septembre 2014 devant quelques dizaines de spectateurs rassemblés à l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). Ce haut fonctionnaire de 31 ans chargé du dossier des prisonniers a été l’une des voix de la Palestine pendant l’offensive contre Gaza. Il a acquis une célébrité instantanée le 28 août dernier en contrant vigoureusement un porte-parole israélien dans un débat sur la chaîne France 24. Partisan d’une communication « agressive » selon ses propres termes, cet homme au discours structuré en plusieurs langues, dont le français, n’épargne pas son propre camp. Fixant peu de limites à son franc-parler, il s’est donné la mission de dénoncer les faiblesses de son propre camp aussi bien que les calculs de l’adversaire.
L’indispensable unité nationale
Ce nouveau langage a une limite : Majed Bamya avertit qu’il s’exprime en son nom propre, et non en tant que diplomate, prix de sa liberté de parole. Une liberté qu’il exerce pleinement. Pour les Palestiniens, tout reste à faire, affirme-t-il. L’urgence, c’est l’union politique pleine et entière. « La concurrence politique doit cesser, le Hamas a le droit d’avoir son siège à l’OLP », l’OLP qui représente tous les Palestiniens, des territoires occupés et de la diaspora, et qui rassemble le Fatah et plusieurs autres partis. Le Hamas n’en fait pas partie. Il faut l’y admettre, et sans conditions, dit le diplomate : « il n’a pas à payer pour cela ». Les différences dans les positions politiques ne peuvent servir de prétexte à repousser un rapprochement indispensable selon lui. Le Hamas et le Fatah ne sont pas d’accord sur plusieurs points fondamentaux ? Ce n’est pas un problème, dit l’électron libre, qui donne en exemple les débats au sein de l’OLP avant les accords d’Oslo : le Front de libération de la Palestine (FPLP) n’était pas d’accord, il s’est plié à la volonté de la majorité. « Après, ils sont restés opposés à ces accords, ils ont continué à exprimer leur opposition, mais ils l’ont fait dans un cadre responsable ».
Assez, plaide Majed Bamya, de cette atmosphère de méfiance où « chacun doute de l’autre » et « cherche à nouer des alliances internationales alors que la seule alliance qui compte c’est l’alliance nationale ». Allusion qu’il décode lui-même en évoquant les rumeurs voulant que le Hamas cherche à se rapprocher des États-Unis en vue de nouer des négociations spécifiques.
Ces divisions, constate-t-il avec une certaine amertume, font le jeu d’Israël, et les stratégies de l’un et de l’autre lui semblent toujours aller dans des directions divergentes. Seule solution, répète Bamya, une véritable unité nationale. Depuis, le Hamas a certes semblé faire un pas dans cette direction en acceptant de transmettre le pouvoir à Gaza au gouvernement d’union nationale. Mais s’il se retire — pour le moment — en tant que gouvernement séparé de la bande de Gaza, le Hamas reste ce qu’il est au premier chef : un puissant mouvement politico-militaire qui n’a pas l’intention de désarmer. Et qui reste aussi en dehors du rassemblement politique des Palestiniens au sein de l’OLP.
La coordination sécuritaire, un jeu de dupes
L’usage des armes n’est pourtant pas un tabou pour Majed Bamya. S’exprimant toujours à titre personnel, il ne craint pas de dénoncer la coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël. L’Autorité n’a rien à gagner dans ce qu’il considère comme un jeu de dupes. Elle dit qu’elle protège les Palestiniens, explique-t-il, mais « ma position personnelle, c’est que cette coordination n’a pas de sens tant qu’il y a incursions et arrestations ». Logique au début des accords de paix, ajoute-t-il, « elle ne l’est plus maintenant qu’il est évident que nous n’avons pas de partenaire ».
Le diplomate s’explique d’ailleurs sur le fond. Pour lui, « partisan de la non-violence avant l’agression de Gaza », les Palestiniens « n’ont pas à assurer la sécurité de la puissance occupante, et la résistance est légitime » tant qu’elle ne vise que des soldats et exclut les civils. Bamya n’hésite d’ailleurs pas à citer comme exemple le Général de Gaulle, Jean Moulin et le Front de libération nationale (FLN) algérien. On reconnaît là la doctrine de Marwan Barghouti, l’un des principaux leaders de la deuxième intifada, arrêté par Israël le 15 avril 2002 et condamné à la prison à perpétuité. Barghouti, dont Bamya est proche, recommandait que la résistance « marche sur deux jambes », celle des armes et celle de la négociation. Une vision qui n’est certes pas celle de Mahmoud Abbas aujourd’hui, mais qui semble gagner du terrain chez les jeunes Palestiniens exaspérés par l’absence de perspective politique.
Pour un réveil diplomatique
Les reproches du jeune diplomate à l’Autorité palestinienne ne se limitent pas aux relations avec Israël. Il accuse sa direction d’une certaine inertie diplomatique, ce qui peut paraître paradoxal au vu des derniers succès internationaux remportés par les Palestiniens, de l’admission à l’ONU aux récentes reconnaissances de la Suède et du Parlement britannique. Mais ces réussites, affirme-t-il, masquent l’absence de vision à long terme, alors qu’Israël déploie une stratégie « Israël investit dans sa relation avec la Russie, avec les Kurdes, avec la Chine…Elle a investi en Afrique à un point que vous ne pouvez pas imaginer. L’Afrique, (qui fut) notre terrain de prédilection… ».
Rien de tout cela chez les Palestiniens, qui selon lui se reposeraient sur leurs lauriers en se réjouissant des 138 voix obtenues à l’ONU pour sa reconnaissance. « Israël regarde vers l’avenir et nous, nous sommes fiers de notre passé ». Majed Bamya plaide alors pour une diplomatie professionnelle, dont on comprend bien que pour lui, elle reste à construire. Il faut, par exemple, travailler les liens avec l’Allemagne, dit-il en choisissant l’exemple le plus épineux pour les Palestiniens. Bien sûr, l’Allemagne est astreinte par son passé à prendre des positions pro-israéliennes, mais cela ne durera pas toujours. Il faut donc selon lui « travailler maintenant pour récolter dans dix ans ». Un plaidoyer pro domo ? Dans dix ans, Majed Bamya n’aura que 41 ans.
Pierre Prier
Source de l’article : Orient XXI