Du jamais vu depuis la Grande Dépression des années 30. Les organes de contrôle et de sanction de la criminalité financière jettent l’éponge les uns après les autres. De manière plus ou moins subtile, partout la puissance publique renonce à appliquer la loi dès lors qu’il s’agit des méfaits commis par ceux qui exercent les métiers supérieurs de l’argent. Mieux, les transactions destinées à éviter que des poursuites pénales soient engagées contre les auteurs de prétendus « crimes sans victime » poussent comme des champignons.
Le phénomène, qui prend des proportions obscènes aux USA, s’observe également en Europe, à commencer par la Grande Bretagne où l’industrie financière a remplacé depuis longtemps l’industrie tout court. Les cols bleus ont été sacrifiés – mondialisation oblige – au profit des cols blancs ; lesquels, notamment au sommet de la pyramide de la profession bancaire, ont progressivement réécrit les règles du jeu.
Devenus plus puissants que les Etats dont il ont financé les déficits en masquant la lâcheté politique de leurs élites, les banquiers ont exigé que ces derniers passent l’éponge et les absolvent de leur cupidité sans borne et de ses conséquences criminelles.
Cette course effrénée à l’enrichissement personnel sans cause, ce « courtermisme systémique » a néanmoins fait perdre de vue aux banksters une donnée essentielle : les enseignements de l’histoire ; en l’espèce celle des Templiers dans leur rapport à l’argent et à son usage politique ; une relecture à laquelle ils seraient sans doute avisés de consacrer un peu de temps, mais passons…
Après 4 ans d’une crise financière majeure, les Procureurs font maintenant mine de découvrir que des escrocs se sont engagés, entre autre pratique illicite, dans l’élaboration d’une véritable conspiration destinée à manipuler secrètement le taux de base bancaire et les divers segments du marché du crédit.
Indépendamment des lourds soupçons qui pèsent toujours sur une bonne dizaine d’établissements « de premier ordre » (les fameuses Prime Banks), il est aujourd’hui avéré que 2 traders au moins ont manipulé le LIBOR (London InterBank Offer Rate) utilisé partout dans le monde pour fixer les taux d’intérêts de plus de 800 trillions de dollars ( !) de produits financiers, tels les crédits par carte bancaires et les prêts hypothécaires.
Amendes douces pour les huiles
Les banques concernées, la Barclays et l’UBS, sont donc passées à la caisse selon un rituel désormais classique à base d’amende douce : Barclays s’en est tirée avec 450 millions de dollars. Pour UBS, ça va tourner dans les 1,5 milliards de dollars. Ça paraît too much ; en réalité c’est peanuts en regard de leur profit total annuel ; juste le prix à payer pour pouvoir continuer à faire de sales affaires, selon un business-model dans lequel la fraude et l’abus de confiance prennent une place sans cesse croissante. Les optimistes béats objecteront que nous sommes en progrès puisque les 2 institutions ont fini par admettre leur faute, ce à quoi les banksters se refusent habituellement.
A Londres, on a pris le flouze et on est passé à autre chose. Rupert Murdoch, bluffé, et expert en franchissement déontologique de ligne jaune, n’a pu résister au plaisir de reproduire un morceau du dialogue des 2 faussaires, en une de l’un de ses tabloïds :
« T’es super bon à ce jeu du LIBOR ; ne m’oublie pas quand tu seras sur ton yacht à Monaco, d’accord ?
« J’ai besoin de toi pour le garder aussi bas que possible. Si tu le fais, je te payerai tu sais ; dans les 50 000 ou 100 000 dollars ; ce que tu veux. Je suis un homme de parole… »
A New York, une fois n’est pas coutume, on a décidé de lancer des poursuites contre les 2 traders. Sans doute pour détourner l’attention de renoncements moins glorieux. En particulier celui de l’administration Obama qui a officiellement renoncé à poursuivre les banksters, en l’espèce ceux de la HSBC, pour son (nouveau) blanchiment astronomique des recettes des cartels colombiens et mexicains de la drogue.
Entreprise criminelle en 4 lettres
Toute honte bue, le ministère US de la Justice n’a même pas tenté de dissimuler sa capitulation lorsqu’il a affirmé que des poursuites contre la banque « déstabiliseraient le système financier ».
Conscient qu’il jetait le cochonnet un peu loin, Lanny Breuer, patron de la division Criminelle du Ministère et chargé théoriquement de traquer les agissements des banksters, en a rajouté une couche épaisse en indiquant que « poursuivre la HSBC pourrait coûter des milliers d’emplois ». Le refrain est connu, tout comme la grande compréhension du garçon pour les écarts des banquiers dont il faisait son ordinaire lorsqu’il officiait à leur service en qualité d’avocat…
Des propos qui ont suscité une véritable nausée dans l’opinion US où l’on ne compte plus les victimes des actes criminels des banksters depuis le début de la crise, à commencer par les investisseurs trompés sur la qualité des produits financiers qu’on leur vendait, pour terminer avec les millions de propriétaires immobiliers modestes dont les biens ont été saisis de manière illicite.
Eliot Spitzer, ancien gouverneur de l’état de New-York et ex-procureur redouté par Wall Street, s’en est fait l’écho en termes peu diplomatiques : « La décision de ne pas engager de poursuites contre la HSBC réduit à néant tout ce que le gouvernement à pu réaliser jusqu’à présent en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ; où que ce soit…je veux dire quand vous réfléchissez à la manière dont ils agissent envers les gens ordinaires lorsqu’ils se font pincer pour trafic de drogue, lorsqu’ils confisquent tous leurs biens et réclament les peines maximum alors que dans ce cas, ils mettent la main sur une banque qui blanchit des milliards de dollars des cartels colombiens et mexicains pendant des années, et on me raconte qu’ils ne parviendraient pas à trouver contre ces gens là un seul chef d’inculpation qui tienne la route ! Si la loi ne s’applique pas équitablement, nous ne sommes plus dans un état de droit… »
Plus ça va, moins ça va
Des travaux universitaires consistant à comparer, par exemple de 1985 à 2010, le nombre de poursuites criminelles engagées avec celui du nombre de fraudes comptables identifiées confirment par ailleurs ce que dicte le simple bon sens : dans la durée, les fraudes sont inversement proportionnelles au nombre des poursuites. Donner, comme le fait aujourd’hui la puissance publique US, carte blanche aux banksters, ne peut donc que se traduire par un désastre économique et moral, à une échéance, certes encore incertaine.
La période considérée qui, aux USA, remonte généralement jusqu’au milieu des années 80, couvre notamment la crise des Caisses d’Epargne, pendant laquelle l’exercice favori de leurs dirigeants consistaient à détourner subtilement à leur profit les fonds des épargnants.
Les régulateurs de l’époque se sont évertués à monter des dossiers qui tenaient la route et qui étaient systématiquement remis aux procureurs fédéraux. La fête s’est soldée par la condamnation pénale de plus d’un millier de dirigeants des établissements concernés. La douloureuse relative au plan de sauvetage des Caisses qu’il a fallu recapitaliser, s’est traduite pour le contribuable yankee par une ponction de l’ordre de 125 milliards de dollars.
En comparaison, la crise actuelle lui coûte – pour l’instant – 13 trillions de dollars ! L’autre énorme différence tient au fait qu’à ce jour, le ministère de la justice américain n’a pas engagé une seule poursuite judiciaire contre l’un ou l’autre des dirigeants des principaux établissements financiers responsables dans une mesure non négligeable, de la crise économique mondiale qui perdure.
A échelle comparable, on estime que si les services de l’Attorney General Eric Holder avaient répondu contre les malfaisants de la finance avec la même détermination et les mêmes moyens légaux que ceux déployés par leurs pairs au cours de la crise des Caisses d’Epargne, ce sont environ 100 000 cadres de la finance qui auraient passé le réveillon de la saint Sylvestre 2012 en prison.
Une année donc exceptionnellement faste pour les banksters…
Par Woodward et Newton
Source de l’article : bakchich