2012, année fantastique pour les banksters

2012 se termine sur un record inédit : pas un seul membre de la grande famille du crime financier international – exception faite de Madoff - ne passera le réveillon en prison…

Du jamais vu depuis la Grande Dépres­sion des années 30. Les organes de contrôle et de sanc­tion de la cri­mi­na­li­té finan­cière jettent l’éponge les uns après les autres. De manière plus ou moins sub­tile, par­tout la puis­sance publique renonce à appli­quer la loi dès lors qu’il s’agit des méfaits com­mis par ceux qui exercent les métiers supé­rieurs de l’argent. Mieux, les tran­sac­tions des­ti­nées à évi­ter que des pour­suites pénales soient enga­gées contre les auteurs de pré­ten­dus « crimes sans vic­time » poussent comme des champignons.

Le phé­no­mène, qui prend des pro­por­tions obs­cènes aux USA, s’observe éga­le­ment en Europe, à com­men­cer par la Grande Bre­tagne où l’industrie finan­cière a rem­pla­cé depuis long­temps l’industrie tout court. Les cols bleus ont été sacri­fiés – mon­dia­li­sa­tion oblige – au pro­fit des cols blancs ; les­quels, notam­ment au som­met de la pyra­mide de la pro­fes­sion ban­caire, ont pro­gres­si­ve­ment réécrit les règles du jeu.

Deve­nus plus puis­sants que les Etats dont il ont finan­cé les défi­cits en mas­quant la lâche­té poli­tique de leurs élites, les ban­quiers ont exi­gé que ces der­niers passent l’éponge et les absolvent de leur cupi­di­té sans borne et de ses consé­quences criminelles. 

Cette course effré­née à l’enrichissement per­son­nel sans cause, ce « cour­ter­misme sys­té­mique » a néan­moins fait perdre de vue aux banks­ters une don­née essen­tielle : les ensei­gne­ments de l’histoire ; en l’espèce celle des Tem­pliers dans leur rap­port à l’argent et à son usage poli­tique ; une relec­ture à laquelle ils seraient sans doute avi­sés de consa­crer un peu de temps, mais passons…

Après 4 ans d’une crise finan­cière majeure, les Pro­cu­reurs font main­te­nant mine de décou­vrir que des escrocs se sont enga­gés, entre autre pra­tique illi­cite, dans l’élaboration d’une véri­table conspi­ra­tion des­ti­née à mani­pu­ler secrè­te­ment le taux de base ban­caire et les divers seg­ments du mar­ché du crédit. 

Indé­pen­dam­ment des lourds soup­çons qui pèsent tou­jours sur une bonne dizaine d’établissements « de pre­mier ordre » (les fameuses Prime Banks), il est aujourd’hui avé­ré que 2 tra­ders au moins ont mani­pu­lé le LIBOR (Lon­don Inter­Bank Offer Rate) uti­li­sé par­tout dans le monde pour fixer les taux d’intérêts de plus de 800 tril­lions de dol­lars ( !) de pro­duits finan­ciers, tels les cré­dits par carte ban­caires et les prêts hypothécaires. 

Amendes douces pour les huiles

Les banques concer­nées, la Bar­clays et l’UBS, sont donc pas­sées à la caisse selon un rituel désor­mais clas­sique à base d’amende douce : Bar­clays s’en est tirée avec 450 mil­lions de dol­lars. Pour UBS, ça va tour­ner dans les 1,5 mil­liards de dol­lars. Ça paraît too much ; en réa­li­té c’est pea­nuts en regard de leur pro­fit total annuel ; juste le prix à payer pour pou­voir conti­nuer à faire de sales affaires, selon un busi­ness-model dans lequel la fraude et l’abus de confiance prennent une place sans cesse crois­sante. Les opti­mistes béats objec­te­ront que nous sommes en pro­grès puisque les 2 ins­ti­tu­tions ont fini par admettre leur faute, ce à quoi les banks­ters se refusent habituellement.

A Londres, on a pris le flouze et on est pas­sé à autre chose. Rupert Mur­doch, bluf­fé, et expert en fran­chis­se­ment déon­to­lo­gique de ligne jaune, n’a pu résis­ter au plai­sir de repro­duire un mor­ceau du dia­logue des 2 faus­saires, en une de l’un de ses tabloïds :

« T’es super bon à ce jeu du LIBOR ; ne m’oublie pas quand tu seras sur ton yacht à Mona­co, d’accord ?

« J’ai besoin de toi pour le gar­der aus­si bas que pos­sible. Si tu le fais, je te paye­rai tu sais ; dans les 50 000 ou 100 000 dol­lars ; ce que tu veux. Je suis un homme de parole… »

A New York, une fois n’est pas cou­tume, on a déci­dé de lan­cer des pour­suites contre les 2 tra­ders. Sans doute pour détour­ner l’attention de renon­ce­ments moins glo­rieux. En par­ti­cu­lier celui de l’administration Oba­ma qui a offi­ciel­le­ment renon­cé à pour­suivre les banks­ters, en l’espèce ceux de la HSBC, pour son (nou­veau) blan­chi­ment astro­no­mique des recettes des car­tels colom­biens et mexi­cains de la drogue.

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Entre­prise cri­mi­nelle en 4 lettres

Toute honte bue, le minis­tère US de la Jus­tice n’a même pas ten­té de dis­si­mu­ler sa capi­tu­la­tion lorsqu’il a affir­mé que des pour­suites contre la banque « désta­bi­li­se­raient le sys­tème financier ». 

Conscient qu’il jetait le cochon­net un peu loin, Lan­ny Breuer, patron de la divi­sion Cri­mi­nelle du Minis­tère et char­gé théo­ri­que­ment de tra­quer les agis­se­ments des banks­ters, en a rajou­té une couche épaisse en indi­quant que « pour­suivre la HSBC pour­rait coû­ter des mil­liers d’emplois ». Le refrain est connu, tout comme la grande com­pré­hen­sion du gar­çon pour les écarts des ban­quiers dont il fai­sait son ordi­naire lorsqu’il offi­ciait à leur ser­vice en qua­li­té d’avocat…

Des pro­pos qui ont sus­ci­té une véri­table nau­sée dans l’opinion US où l’on ne compte plus les vic­times des actes cri­mi­nels des banks­ters depuis le début de la crise, à com­men­cer par les inves­tis­seurs trom­pés sur la qua­li­té des pro­duits finan­ciers qu’on leur ven­dait, pour ter­mi­ner avec les mil­lions de pro­prié­taires immo­bi­liers modestes dont les biens ont été sai­sis de manière illicite.

Eliot Spit­zer, ancien gou­ver­neur de l’état de New-York et ex-pro­cu­reur redou­té par Wall Street, s’en est fait l’écho en termes peu diplo­ma­tiques : « La déci­sion de ne pas enga­ger de pour­suites contre la HSBC réduit à néant tout ce que le gou­ver­ne­ment à pu réa­li­ser jusqu’à pré­sent en matière de lutte contre le tra­fic de stu­pé­fiants ; où que ce soit…je veux dire quand vous réflé­chis­sez à la manière dont ils agissent envers les gens ordi­naires lorsqu’ils se font pin­cer pour tra­fic de drogue, lorsqu’ils confisquent tous leurs biens et réclament les peines maxi­mum alors que dans ce cas, ils mettent la main sur une banque qui blan­chit des mil­liards de dol­lars des car­tels colom­biens et mexi­cains pen­dant des années, et on me raconte qu’ils ne par­vien­draient pas à trou­ver contre ces gens là un seul chef d’inculpation qui tienne la route ! Si la loi ne s’applique pas équi­ta­ble­ment, nous ne sommes plus dans un état de droit… »

Plus ça va, moins ça va

Des tra­vaux uni­ver­si­taires consis­tant à com­pa­rer, par exemple de 1985 à 2010, le nombre de pour­suites cri­mi­nelles enga­gées avec celui du nombre de fraudes comp­tables iden­ti­fiées confirment par ailleurs ce que dicte le simple bon sens : dans la durée, les fraudes sont inver­se­ment pro­por­tion­nelles au nombre des pour­suites. Don­ner, comme le fait aujourd’hui la puis­sance publique US, carte blanche aux banks­ters, ne peut donc que se tra­duire par un désastre éco­no­mique et moral, à une échéance, certes encore incertaine.

La période consi­dé­rée qui, aux USA, remonte géné­ra­le­ment jusqu’au milieu des années 80, couvre notam­ment la crise des Caisses d’Epargne, pen­dant laquelle l’exercice favo­ri de leurs diri­geants consis­taient à détour­ner sub­ti­le­ment à leur pro­fit les fonds des épargnants. 

Les régu­la­teurs de l’époque se sont éver­tués à mon­ter des dos­siers qui tenaient la route et qui étaient sys­té­ma­ti­que­ment remis aux pro­cu­reurs fédé­raux. La fête s’est sol­dée par la condam­na­tion pénale de plus d’un mil­lier de diri­geants des éta­blis­se­ments concer­nés. La dou­lou­reuse rela­tive au plan de sau­ve­tage des Caisses qu’il a fal­lu reca­pi­ta­li­ser, s’est tra­duite pour le contri­buable yan­kee par une ponc­tion de l’ordre de 125 mil­liards de dollars.

En com­pa­rai­son, la crise actuelle lui coûte – pour l’instant – 13 tril­lions de dol­lars ! L’autre énorme dif­fé­rence tient au fait qu’à ce jour, le minis­tère de la jus­tice amé­ri­cain n’a pas enga­gé une seule pour­suite judi­ciaire contre l’un ou l’autre des diri­geants des prin­ci­paux éta­blis­se­ments finan­ciers res­pon­sables dans une mesure non négli­geable, de la crise éco­no­mique mon­diale qui perdure.

A échelle com­pa­rable, on estime que si les ser­vices de l’Attorney Gene­ral Eric Hol­der avaient répon­du contre les mal­fai­sants de la finance avec la même déter­mi­na­tion et les mêmes moyens légaux que ceux déployés par leurs pairs au cours de la crise des Caisses d’Epargne, ce sont envi­ron 100 000 cadres de la finance qui auraient pas­sé le réveillon de la saint Syl­vestre 2012 en prison. 

Une année donc excep­tion­nel­le­ment faste pour les banksters…

Par Wood­ward et Newton

Source de l’ar­ticle : bak­chich