La DH, taire la vérité et crier les préjugés : quand attiser le racisme est un métier

Imposer l’idée d’un afflux d’immigrés, d’une « invasion » c’est oublier de rappeler que nos grand-parents étaient bien heureux de pouvoir se réfugier en France en 1940...

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Bel­gique 2 sep­tembre 2015

Jeu­di der­nier, la Der­nière Heure titrait en grands carac­tères « les Belges ne veulent pas des migrants ! » Sur base d’un « son­dage exclu­sif », le jour­nal ren­voyait avec sa « Une » raco­leuse vers un maigre dos­sier de trois pages. Dans un cli­mat de mon­tée de la xéno­pho­bie et des idées d’extrême droite, le rôle des médias est fon­da­men­tal, et des titres comme celui-ci ne sont pas anodins.

Par Nico­las P. (Bruxelles)

Article sen­sa­tion­nel, vide journalistique

À côté de la pho­to d’une femme en biki­ni et des « visages de charme de la ren­trée », un titre accro­cheur comme celui-là n’aurait pas pu être mieux accom­pa­gné. L’article se com­po­sait en tout et pour tout des résul­tats en gra­phiques d’un son­dage effec­tués sur 2.000 per­sonnes à pro­pos des migrants et des consé­quences pour notre pays de leur arri­vée. Mais il ne faut pas être lin­guiste pour savoir que les mots et la manière de poser les ques­tions ont un poids.

Par­ler de « migrant » plu­tôt que de réfu­gié, ça a un poids. En plus d’être inexact il sub­sti­tue la réa­li­té d’une per­sonne qui fuit la guerre ou la per­sé­cu­tion à celle d’un simple voyageur[[http://www.rtbf.be/info/dossier/drames-de-la-migration-les-candidats-refugies-meurent-aux-portes-de-l-europe/detail_migrant-demandeur-d-asile-ou-refugie-debat-sur-la-terminologie?id=9063772]].

Deman­der com­bien coûte un migrant, c’est nier les chiffres qui prouvent le contraire[[http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-belgique-face-a-un-afflux-massif-de-refugies-reponse-en-chiffres?id=9050959]]. Inter­ro­ger sur la somme que cha­cun serait prêt à don­ner pour un réfu­gié, c’est ne pas deman­der com­bien il donne en réa­li­té déjà pour finan­cer l’achat d’avions de chasse, com­pen­ser l’évasion fis­cale des familles les plus riches de notre pays, ou encore payer des para­chutes dorés de cen­taines de mil­liers d’euros accor­dés aux patrons d’entreprises publiques[[http://www.lalibre.be/economie/actualite/les-salaires-et-les-parachutes-dores-polemiques-dans-le-secteur-public-524a55db35703eef3a0b54a3]]. Ain­si le patron de la SNCB avec un salaire de 290 000 euros/an ou les dia­man­taires anver­sois coupables[[http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-belgique-demissionnaire-face-a-la-fraude-de-certains-diamantaires?id=8984142
Print Friend­ly Ver­sion of this page­Print Get a PDF ver­sion of this web­pa­gePDF]] d’une fraude de plus de deux mil­liards d’euros ne font l’objet d’aucun son­dage d’opinion et très rare­ment de la « Une » d’un quotidien.

Faire croire que les réfu­giés coûtent à l’Etat c’est oublier de dire que ces coûts couvrent essen­tiel­le­ment le salaire d’employés (ASBL, centres Feda­sil, admi­nis­tra­tion…) et que le gain pour les finances de l’Etat est en moyenne de 3.500€ par indi­vi­du (les coti­sa­tions sociales des réfu­giés étant supé­rieures aux allo­ca­tions ver­sées). Impo­ser l’idée d’un afflux d’immigrés, d’une « inva­sion » c’est oublier de rap­pe­ler que nos grand-parents étaient bien heu­reux de pou­voir se réfu­gier en France en 1940 et que la situa­tion actuelle de la Bel­gique en terme d’accueil n’a rien d’exceptionnel cette année et n’atteint que 2 deman­deurs d’asile pour 1000 habi­tants. Enfin foca­li­ser la poli­tique sur l’immigration c’est taire le fait qu’en Europe ce ne sont pas les réfu­giés mais bien les poli­ti­ciens tra­di­tion­nels et le grand patro­nat qui sabotent d’arrache-pied nos ser­vices publics, saquent nos emplois et détruisent notre sécu­ri­té sociale.

Le rôle d’un média n’est pas de crier haut et fort les pré­ju­gés qui cir­culent dans un pays. Effec­ti­ve­ment un sen­ti­ment anti-immi­gra­tion domine actuel­le­ment dans l’opinion publique. Mais com­ment s’en éton­ner ? La crise détruit des mil­liers d’emplois, les poli­ti­ciens se lavent les mains de toute res­pon­sa­bi­li­té de leurs poli­tiques anti­so­ciales en accu­sant tour à tour les immi­grés de « pro­fi­ter des allo­ca­tions » ou de « voler les emplois » et le mou­ve­ment social peine à appor­ter une réponse cohé­rente et audible.

Les jour­naux hurlent avec les loups en fai­sant les gros titres du moindre soup­çon d’attentat ter­ro­riste, foca­lisent les débats de socié­té sur la ques­tion des immi­grés, et nient sys­té­ma­ti­que­ment l’évidence des injus­tices bien réelles dues au capi­ta­lisme et à l’austérité.

Même si cer­tains jour­naux sont par­ti­cu­liè­re­ment immondes et mal­hon­nêtes, la majo­ri­té des médias pri­vés comme publics par­ti­cipent à la bana­li­sa­tion de la xéno­pho­bie et au cli­mat anti-immi­gra­tion par leurs choix édi­to­riaux, leur façon de trai­ter les sujets, le choix des images comme des termes uti­li­sés etc. A l’occasion un jour­na­liste ou l’autre peut se mon­trer plus hon­nête et publier des infor­ma­tions cor­rectes qui peuvent être utiles pour démon­ter les argu­ments habituels.

Mais cor­ri­ger des chiffres à coups d’études scien­ti­fiques ne suf­fit pas. Pour réel­le­ment répondre à la mon­tée du racisme, il ne suf­fit pas, comme cer­tains « pro­gres­sistes » intel­lec­tuels le font, de mépri­ser les gens sou­vent plus pré­ca­ri­sés qui pointent du doigt les réfu­giés comme cause du nombre de sans-abris, du taux de chô­mage ou de l’insécurité. Plus que jamais il est néces­saire de mettre à jour le rôle hon­teux des Etats euro­péens dans le déclen­che­ment de conflits au Moyen-Orient et ailleurs, dans le pillage des res­sources du monde néo­co­lo­nial, dans le main­tien en place de dic­ta­tures bru­tales et meurtrières.

Il faut crier plus que jamais que ce ne sont pas des immi­grés qui ont fer­mé presque toutes les usines de Wal­lo­nie ces vingt der­nières années. Que ce ne sont pas les immi­grés qui se font élire sur de fausses pro­messes. Que ce ne sont pas les immi­grés qui demandent des mil­liards d’euros pour sau­ver leurs banques. Pas plus que ce ne sont les immi­grés qui obligent tous les gou­ver­ne­ments d’Europe à rabo­ter les pen­sions, dimi­nuer les allo­ca­tions et vendre les ser­vices publics à des entre­prises pri­vées. Tout cela doit être le rôle du mou­ve­ment social, via les syn­di­cats, les asso­cia­tions et les par­tis de gauche et leurs médias.

Que face à tant de vio­lence sociale et de misère une couche impor­tante de la popu­la­tion cherche un res­pon­sable, c’est natu­rel. Mais à l’heure ou l’annonce de la mort en mer de dizaines de réfu­giés devient quo­ti­dienne, conti­nuer à taire les vraies causes des injus­tices et à concen­trer l’attention sur les réfu­giés ain­si qu’à recou­vrir de légi­ti­mi­té jour­na­lis­tique les men­songes racistes omni­pré­sents, ce n’est pas seule­ment médiocre, c’est criminel.

Source de l’ar­ticle : socialisme.be


Notes :