10 février 2012
Difficile d’échapper depuis quelques jours à la grande action de solidarité « Hiver 2012 » initiée par la RTBF. Même si on sent bien que les diverses chaines de la radio télévision publique en font beaucoup, le fait d’utiliser la puissance communicationnelle médiatique afin de mettre en lumière la pauvreté dans ce pays n’est pas en soi une mauvaise chose, au contraire. Ce qui me semble bien plus discutable, c’est de faire croire qu’un appel à la solidarité de la population constitue à lui seul une mission de service public.
Premièrement, faire véritablement œuvre de service publique exigerait de questionner les raisons de la pauvreté grandissante et de la précarisation d’une partie croissante de la population (et sans doute également de l’enrichissement concomitant d’un petit nombre de privilégiés). Pourquoi la RTBF ne questionne-t-elle pas les liens entre pauvreté et décisions politiques passées mais aussi actuelles ? On aimerait par exemple qu’elle mette en lumière l’impact des milliers d’exclusions du chômage sur la pauvreté et sur l’action des CPAS. On aimerait qu’elle analyse quel sera celui de la plus grande dégressivité des allocations de chômage que vient de valider le gouvernement papillon quand dans le même temps étaient maintenus les intérêts notionnels ?
Deuxièmement, si les actes individuels de solidarité sont importants et doivent être valorisés à l’heure où l’individualisme est quasi érigé au rang de valeur par la doxa libérale, force est de constater que ce type de campagnes de « charité » passent totalement au bleu le rôle de l’action publique afin de combattre la pauvreté. Pourquoi, constatant que des personnes sont à la rue [[un service public devrait sans doute s’inquiéter du fait qu’il n’existe pas le moindre recensement officiel des personnes privées de leur droit au logement pourquoi reconnu à l’article 23 de notre Constitution]], ou le nombre élevé de personnes en attente d’un logement social (environ 40.000 familles en Wallonie) et de mal-logés, la RTBF ne parle-t-elle pas des dizaines de milliers d’immeubles (publics et privés) laissés inoccupés ? Rien que sur Liège, il y en a plus de 3000. Pourquoi alors qu’elle constate que le coût de l’énergie condamne au froid de nombreuses personnes disposant d’une habitation, la RTBF n’en profite-t-elle pas pour mettre en débat la libéralisation du secteur de l’énergie et ses conséquences sur les prix ? Et la quasi absence de taxation des superbénéfices des acteurs du marché ? Pourquoi ne questionne-t-elle pas nos gouvernants sur l’absence d’une véritable politique du logement public dans ce pays (moins de 7% au niveau belge contre 17% en France, 24% en Allemagne, 26% en Angleterre et même 36% aux Pays-Bas), ou sur l’absence d’une politique publique d’isolation des bâtiments publics et privés (moins de 20% sont munis de double vitrage) ou enfin sur l’impact de la suppression des primes à l’isolation ?
Les chroniques de Paul Hermant constituent assez invariablement un régal. Récemment, j’entendais cette bien isolée mais réconfortante voix de la RTBF asséner cette vérité crue sur les ondes de la Première : “une couverture en laine c’est bien, une couverture sociale c’est mieux” [[On me signale que c’est à Irène Kaufer que l’on doit cette lumineuse formule. Bravo à elle :)]]. Peut-on espérer que certains à la direction de la chaine publique sont aussi assidus que moi à l’écoute de sa chronique ?
Source de l’article : blog de Pierre Eyben