Ce samedi 8 janvier de 11h à 13h au Cinéma Arenberg
Cinquième séance du cycle de “Sensibilisation à l’analyse cinématographique”
Le temps éclaté ou la narration subjective
Films d’Alain RESNAIS sur la peinture
“J’aimais la peinture, mais je ne savais pas avec qui en parler. Je me suis dit que si je parlais peinture avec les peintres, j’apprendrais peut-être des choses sur la peinture ; cela serait en tous cas une conversation agréable.” (Alain RESNAIS)
“Visite à Lucien Coutaud”, “Portrait d’Henri Goetz”, “Visite à Hans Hartung”, “Visite à Félix Labisse”, “Visite à Oscar Dominguez”, “Journée naturelle — Max Ernst”… alors que d’autres cherchent à s’intégrer au milieu du cinéma par la filière corporatiste, Alain RESNAIS tourne, en amateur, une série de visites aux artistes entre 1946 et 1948. “Je voulais faire des films sur des peintres dans leur trentième année, me souvenant du film réalisé par Sacha GUITRY en 1914 – 1915 ‘Ceux de chez nous’ où l’on voit Renoir, Monet en train de peindre. Je trouvais dommage de ne pas garder trace de ceux que je connaissais alors. ” (Alain RESNAIS)
Le réalisateur tourne sa première commande, un “Van Gogh” que lui propose Gaston DIEHL, créateur du Mouvement des Amis de l’Art, à l’occasion de la grande exposition au tout nouveau Musée de l’Orangerie. BRAUNBERGER en produit une version en 35mm. Ce “Van Gogh”, le premier film de la filmographie officielle d’Alain RESNAIS, est primé à Venise et reçoit un Oscar à Hollywood, cela malgré les critiques des amateurs de peintures qui s’offusquent de ce court métrage filmé en noir et blanc qui morcelle les toiles du maître.
“Le cinéaste respecterait-il scrupuleusement les données de l’Histoire de l’Art qu’il fonderait encore son travail sur une opération esthétiquement contre nature. Il analyse une oeuvre synthétique par essence, il en détruit l’unité et opère une synthèse nouvelle qui n’est pas celle voulue par le peintre. Le spectateur découvre la peinture selon un système plastique qui la dénature profondément. L’écran détruit radicalement l’espace pictural car si le cadre est centripète, l’écran est centrifuge.” (André BAZIN)
Mais le “Van Gogh” de RESNAIS est moins un film sur la peinture que la tentative d’explication d’un mythe. Le réalisateur atteint, à travers la peinture, l’absolu que le peintre entrevoyait et l’usage du noir et blanc lui permet de passer d’un tableau à l’autre, d’une époque à l’autre, comme s’il s’agissait d’un seul espace-temps cinématographique.
“Il s’agissait, en effet, de savoir si des arbres peints, des personnages peints, des maisons peintes, pouvaient grâce au montage remplir, dans un récit, le rôle des objets réels, et si, dans ce cas, il était possible de substituer pour le spectateur ; et presque à son insu, le monde intérieur d’un artiste, au monde tel que le révèle la photographie. Cette expérience d’ordre dramatique et cinématographique n’a donc rien à voir avec la critique d’art, encore moins avec la biographie scientifique. Nous avons volontairement sacrifié l’exactitude historique au bénéfice du mythe de Van Gogh.” (Alain RESNAIS)
” Par la suite, avec Robert HESSENS, j’ai fait ‘Guernica’; le nom de Picasso n’était pas du tout prononcé. On se servait avec son accord de son oeuvre. (…) Je me souviens très bien de la première projection, il y avait un des ses amis avec lui qui a dit :
‘C’est pas mal, malheureusement on ne voit pas suffisamment son oeuvre, il faudrait expliquer de quelle période elle est issue, quand vous l’avez faite, je pense qu’il faudrait refaire le montage en allongeant les plans pour que l’on voit mieux, ça passe si vite…’
Et Picasso l’a envoyé ballader… en disant :
‘Mais non, vous ne comprenez rien, c’est un film, mes tableaux là-dedans, c’est juste comme des vedettes, c’est comme ça qu’il faut faire. Si on veut voir mes tableaux, il y a assez de bouquins pour les trouver, il n’y a qu’à aller dans les musées, ici, on est au cinéma. Non, c’est très bien comme ça, ne changez rien.’
Picasso était très encourageant. ” (Alain RESNAIS)
“Van Gogh”, “Guernica” sont deux films tournés au banc-titre, comme le sont d’ailleurs “Gauguin”, “Les statues meurent aussi” et partiellement “Nuit et Brouillard”. C’est-à-dire que RESNAIS n’y filme pas la réalité mais des représentations de celle-ci, données déjà comme images mentales. Son écriture cinématographique est d’emblée fondée sur le montage.
Avec “Guernica”, il s’agit encore de filmer une expérience vécue mais non plus celle d’une individualité ; l’oeuvre d’art devient désormais la trace d’une expérience collective qui appartient à l’Histoire.
“Guernica… c’est une petite ville de Biscaye, capitale traditionnelle du pays Basque. C’est là que s’élevait le chêne, symbole sacré des libertés basques. Guernica n’a qu’une importance historique et sentimentale. Le 26 avril 1937, jour de marché, dans les premières heures de l’après-midi, des avions (allemands au service de Franco — passage censuré- ) bombardèrent Guernica pendant trois heures et demie par escadrilles se relayant tour à tour. La ville fut entièrement incendiée et rasée. Il y eut 2000 morts tous civils. Ce bombardement avait pour but d’expérimenter les effets combinés des bombes explosives et des bombes incendiaires sur une population civile. ” (Paul ELUARD — extrait du commentaire — )
Peint en noir et blanc pour le Pavillon Républicain Espagnol de l’Exposition Internationale de New York de 1937, le “Guernica” de Picasso, toile de 8 mètres de long sur 3,50 mètres de haut, fut entamée une semaine après le bombardement et achevée comme un cri, un mois plus tard.
Si le chef d’oeuvre de Picasso sert de point de départ au film, le réalisateur l’enrichit en puisant dans un demi siècle de productions du peintre catalan.
“Il y avait dans le massacre de Guernica, le prélude à tous les massacres qui allaient suivre.
Depuis, je n’ai pas fait d’autres films sur la peinture parce que je ne trouvais pas de solutions nouvelles, je sentais que j’allais répéter les mêmes procédés.” (Alain RESNAIS)
Avec des analyses de séquences extraites de “Van Gogh” — 1948 — , de “Guernica” — 1950 — et de “La Guerre est finie” — 1966 — d’Alain RESNAIS,
de “Ceux de chez nous” — 1914 – 1915 — de Sacha GUITRY et de “Lignes, formes, couleurs” — 2005 — d’Alain JAUBERT.
Texte joint : BAZIN André “Peinture et cinéma”, in “Qu’est-ce que le cinéma?” pp. 187 — 189, ed. Cerf, coll. “7e Art”, 1983.
Lecture conseillée : FLEISCHER Alain, “L’Art d’Alain RESNAIS”, ed. du Centre Pompidou, 1998.
Prochaines séances : Samedi 19 février et samedi 26 mars 2011.
PAF : 5 € *
* à partir de 7 cours suivis, une place au Cinéma Arenberg vous est offerte
Pour toute information : 02 512 97 21