Pourquoi des Etats Généraux aujourd’hui ?
La culture et la musique traversent une crise globale qui, chez nous, est à la fois sociale, économique, technologique, budgétaire, politique et idéologique. Il est urgent d’y réagir collectivement.
1. L’industrie musicale poursuit son processus de concentration. Trois grosses firmes de disques contrôlent aujourd’hui 80% de la production mondiale et « formatent » la consommation culturelle de masse. Quelle place, dans ce contexte, pour les productions indépendantes, les musiques « non commerciales » et les marchés nationaux ?
2. La Belgique francophone vit depuis longtemps à l’ombre de Paris. Notre marché est ainsi doublement colonisé par les industries françaises et anglo-saxonnes, et nous importons déjà plus de 95% de nos chansons et de nos musiques. Comment, dans ces conditions, développer un secteur musical autochtone et faire vivre nos professions ?
3. La majorité des médias audio-visuels belges francophones, privés comme publics, sont largement inféodés à cette situation. Des pans entiers de la création musicale et de notre patrimoine sont ainsi complètement évacués des antennes. Comment, au contraire, rendre compte de la diversité et de la richesse de notre vie musicale ?
4. Le marché « traditionnel » du disque s’effondre, alors que, sur le Net, la musique circule de plus en plus souvent gratuitement. Entre liberté d’expression et financement des métiers de la musique, comment vivre cette révolution technologique ?
5. Les politiques d’austérité imposées par l’Union Européenne pénalisent doublement la culture et la musique : directement, par la contraction des budgets culturels et sociaux (baisses des subsides), et indirectement, par la baisse générale du pouvoir d’achat (moins d’argent pour les « loisirs »).
6. Le statut « d’intermittent du spectacle », conquis de haute lutte par nos aînés, est aujourd’hui systématiquement remis en cause et se transforme souvent en véritable « chasse aux chômeurs ». Comment défendre un statut social adapté à l’exercice de nos professions ?
7. Cette crise économique et sociale se double en outre chez nous d’une profonde crise politique et institutionnelle. C’est l’existence même de la Belgique qui, comme état fédéral, est aujourd’hui remise en cause par l’autonomisation croissante de la Flandre. Or, si Bruxelles et la Wallonie devaient demain se réinventer un avenir commun, les artistes auraient un rôle central à jouer dans la construction d’un imaginaire collectif. On ne rebâtit pas une nation sur un vide culturel.
8. Nul repli « nationaliste » dans ces constats. La musique est, par essence, internationale et métissée. Nous voulons simplement « vivre, créer et travailler au pays ». Ce qui ne nous empêche pas, comme tous les artistes, de prétendre aussi parler au monde entier. C’est en étant nous-mêmes que nous serons les meilleurs de nos ambassadeurs.
9. Si ces contraintes économiques et politiques nous sont largement extérieures, le combat se passe donc aussi dans nos propres têtes. Pour combattre ensemble une servitude, encore faut-il d’abord en prendre soi-même conscience. C’est pourquoi, nous appelons à une révolution dans les esprits. Si nous arrivons à partager ces constats, alors, nous arriverons aussi à y apporter des solutions. Seuls, nous ne sommes rien. Ensemble, nous pouvons tout. C’est le sens de ces Etats Généraux.