Après le scandale des « Cinq », la farce Posada Carriles

Par Maurice Lemoine

Source : http://www.medelu.org/spip.php?article800

mer­cre­di, 27 avril 2011 / Mau­rice Lemoine

De natio­na­li­té cuba­no-véné­zué­lienne, Luis Posa­da Car­riles n’est pas citoyen amé­ri­cain. Il a bien été résident per­ma­nent aux Etats-Unis en 1962, mais il a per­du ce sta­tut pour avoir pas­sé plus d’une année hors du pays. Il ne peut donc y ren­trer léga­le­ment. C’est pour­tant avec l’objectif de pas­ser ses vieux jours au « pays de la liber­té » que, en mars 2005, il laisse der­rière lui le Gua­te­ma­la, tra­verse le Belize et se dirige vers Cancún, dans l’Etat mexi­cain de Quin­ta­na Roo. Jusqu’à son arri­vée dans cette ville bal­néaire, il a été aidé et assis­té par des tra­fi­quants de drogue appar­te­nant au car­tel cen­tra­mé­ri­cain que dirige le mafieux Otto Her­re­ra García. A Cancún, Juan Car­los Rive­rol, alias « le prof », prend le relais. Lié à un groupe de « nar­cos » d’origine cuba­no-amé­ri­caine – Les Marie­li­tos – Rive­rol s’enrichit sur le dos de Cubains sans visas dési­reux de gagner les Etats-Unis en évi­tant les 145 kilo­mètres du détroit de Flo­ride, infes­té de requins… et de garde-côtes américains.

De Cancún, Posa­da Car­riles repart pour l’île Mujeres, à l’extrémité nord-est de la pénin­sule du Yucatán. Le matin du 15 mars, un yacht de 27 mètres, la San­tri­na, y accoste. Il appar­tient au mil­lion­naire San­tia­go Álva­rez, pré­sent à bord en com­pa­gnie de cinq com­parses de la com­mu­nau­té cuba­no-amé­ri­caine de Mia­mi. Le même jour, à 14 heures, le bateau repart et met le cap sur la Flo­ride – avec, à bord, un « clandestin ».

Le 11 avril, Fidel Cas­tro dénonce la pré­sence de Posa­da Car­riles à Mia­mi. Le 12, durant la confé­rence de presse quo­ti­dienne du Dépar­te­ment d’Etat, cette « insi­nua­tion » scan­da­lise le porte-parole Richard Bou­cher : « C’est un sujet que nous avons abor­dé de nom­breuses fois dans le pas­sé. Je ne suis pas sûr qu’il y ait quelque chose de nou­veau. » Il aurait mieux fait de se taire. Le len­de­main, pro­vo­quant quelques hoquets, Posa­da Car­riles demande l’asile poli­tique car, plaide son avo­cat, il a « favo­ri­sé les inté­rêts des Etats-Unis pen­dant envi­ron quatre décen­nies » : une telle requête ne peut être pré­sen­tée que lorsqu’un indi­vi­du est déjà sur le ter­ri­toire natio­nal ! De La Havane et Cara­cas, Cas­tro et Hugo Chá­vez exigent des auto­ri­tés amé­ri­caines qu’elles arrêtent l’individu pour acti­vi­tés ter­ro­ristes et réclament son extradition.

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Ter­ro­risme international

Né à Cien­fue­gos (Cuba), le 15 février 1928, Posa­da Car­riles a col­la­bo­ré avec la police du dic­ta­teur Ful­gen­cio Batis­ta à par­tir de 1955. En 1959, le triomphe de la révo­lu­tion lui don­nant la nau­sée, il rejoint les contre-révo­lu­tion­naires. Membre de la Bri­gade 2006, il par­ti­cipe à la ten­ta­tive d’invasion de la Baie des Cochons qui débute le 17 avril 1961. Il n’y fait rien de vrai­ment héroïque, ne réus­sis­sant même pas à débar­quer ! Ulcé­ré par cet échec indi­vi­duel et col­lec­tif, il est l’un des deux cents Cubains qui incor­porent l’armée amé­ri­caine pour y être for­més au grade d’officier. Lui est, de plus, recru­té par la Cen­tral Intel­li­gence Agen­cy (CIA). En octobre 1967, la « Com­pa­gnie » l’envoie à Cara­cas pour restruc­tu­rer les ser­vices de ren­sei­gne­ment véné­zué­liens. Il demande et obtient la natio­na­li­té de ce pays pour pou­voir inté­grer la Direc­tion géné­rale de police (Dige­pol) qui devien­dra ulté­rieu­re­ment la Divi­sion géné­rale de sécu­ri­té de la direc­tion des ser­vices de ren­sei­gne­ment et pré­ven­tion (Disip). Sous le pseu­do­nyme de « com­mis­saire Basi­lio », il s’y livre jusqu’en 1974 à la répres­sion féroce des mou­ve­ments de gauche vénézuéliens.

Quit­tant ses fonc­tions à la suite d’un chan­ge­ment de gou­ver­ne­ment, Posa­da Car­riles demeure à Cara­cas et y ouvre une agence de détec­tive – Inves­ti­ga­ciones comer­ciales e indus­triales C.A. Tou­jours lié à la CIA et col­la­bo­rant avec les ser­vices secrets argen­tin, chi­lien, gua­té­mal­tèque et sal­va­do­rien, il dirige, avec un autre Cubain, Orlan­do Bosch, le Com­man­do d’organisations révo­lu­tion­naires unies (CORU). Tous deux pré­parent et com­man­ditent la pose de deux bombes dans le vol CU 455 de la Cuba­na de Avia­ción qui, décol­lant de La Bar­bade, le 6 octobre 1976, explo­se­ra en vol, cau­sant la mort de soixante-treize passagers.

Empri­son­né à Cara­cas avec Bosch et les deux Véné­zué­liens qui ont maté­riel­le­ment per­pé­tré le crime, Posa­da Car­riles, non encore défi­ni­ti­ve­ment jugé, s’évade en 1985 avec l’aide de la Fon­da­tion natio­nale cuba­no-amé­ri­caine (FNCA) – créée en 1981 par Ronald Rea­gan, basée à Mia­mi – et de la CIA. Cette der­nière a besoin de ses com­pé­tences. On retrouve effec­ti­ve­ment Posa­da Car­riles sur la base mili­taire d’Ilopango, au Sal­va­dor, où, sous la direc­tion du lieu­te­nant-colo­nel amé­ri­cain Oli­ver North, et en tant que chef de la logis­tique, il appro­vi­sionne en armes et en maté­riels les contre-révo­lu­tion­naires nica­ra­guayens – la contra. Vio­lant une inter­dic­tion expli­cite du Congrès des Etats-Unis, l’opération est de plus finan­cée grâce aux tonnes de cocaïne que four­nit le car­tel de Medellín, en Colombie.

Lorsque éclate le scan­dale de l’Iran-Contragate [1], Posa­da Car­riles se fait oublier quelque temps avant de réap­pa­raître en tant que « conseiller » de la police sal­va­do­rienne, puis de gagner en 1988 le Gua­te­ma­la où, en plein conflit armé – deux cent mille morts –, il tra­vaille pour le gou­ver­ne­ment comme fonc­tion­naire du ren­sei­gne­ment [2].

Indé­pen­dam­ment de ses acti­vi­tés au ser­vice de l’Empire, des dic­ta­tures conti­nen­tales et des luttes contre-insur­rec­tion­nelles, la prio­ri­té de Posa­da Car­riles est tou­jours demeu­rée Cuba. Les groupes anti­cas­tristes de Mia­mi et en par­ti­cu­lier la FNCA le financent sous le man­teau tout en fai­sant tour­ner des affaires ayant pignon sur rue. Tou­jours en Amé­rique cen­trale, il recrute, forme – il est expert en explo­sifs – et équipe les gua­té­mal­tèques et sal­va­do­riens qu’il charge d’exécuter une série d’attentats dans l’île. Du 12 avril au 4 sep­tembre 1997, leurs bombes frappent des hôtels de La Havane et de Vara­de­ro – Meliá Cohi­ba, Capri, Nacio­nal, Sol, Pal­me­ras, Tritón, Châ­teau-Mira­mar et Copa­ca­ba­na ; dans ce der­nier, meurt un jeune tou­riste ita­lien, Fabio Di Celmo.

Le 17 novembre 2000, Luis Posa­da Car­riles est arrê­té au Panamá alors qu’il pré­pa­rait un atten­tat à la bombe contre Fidel Cas­tro en visite dans ce pays à l’occasion d’un Som­met ibé­ro-amé­ri­cain. L’engin devait explo­ser durant une confé­rence du pré­sident cubain à l’Université, au risque de bles­ser, muti­ler ou tuer un nombre consi­dé­rable d’étudiants pan­améens. Condam­né le 20 avril 2004 à huit années d’incarcération « pour avoir com­pro­mis la sécu­ri­té publique », Posa­da Car­riles est amnis­tié le 26 août, pour « rai­sons huma­ni­taires », par la pré­si­dente pan­améenne Mireya Mos­co­so, qui doit ter­mi­ner son man­dat… le len­de­main. Certes, le pré­sident de la Cour suprême s’était oppo­sé à cette mesure, le pro­cès étant en cours d’appel et la loi pan­améenne sti­pu­lant qu’il n’est pos­sible de gra­cier un pri­son­nier que si la pro­cé­dure judi­ciaire est arri­vée à son terme. Mais, dans les semaines pré­cé­dentes, Mos­co­so avait reçu la visite du secré­taire d’Etat Colin Powell et d’Otto Reich, cuba­no-amé­ri­cain char­gé des affaires de l’hémisphère occi­den­tal (l’Amérique latine) au Conseil natio­nal de sécu­ri­té du gou­ver­ne­ment de George W. Bush. Après le séjour de Reich au Panamá, une rumeur avait lar­ge­ment cir­cu­lé à Mia­mi : « Il a tout arrangé. »

Ce 26 août 2000, les com­plices cuba­no-amé­ri­cains de Posa­da Car­riles – Guiller­mo Novo Sam­pol, Pedro Remón et Gas­par Jimé­nez –, eux aus­si amnis­tiés, atter­rissent donc triom­pha­le­ment à Mia­mi. Pour les rai­sons pré­cé­dem­ment évo­quées – il n’est pas citoyen amé­ri­cain –, leur chef ne peut les accom­pa­gner. Un deuxième avion, à bord duquel se trouve San­tia­go Álva­rez, le trans­porte à San Pedro Sula, au Hon­du­ras. C’est depuis l’Amérique cen­trale où l’accueillent et le pro­tègent hauts fonc­tion­naires de police, col­la­bo­ra­teurs de la CIA, mar­chands d’armes et nar­co­tra­fi­quants qu’il entre­pren­dra le périple qui, en mars 2005, lui per­met d’entrer clan­des­ti­ne­ment aux Etats-Unis.

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Selon que vous serez « les Cinq » ou Posada

Cara­cas et La Havane ont fait trop de bruit. Washing­ton ne peut plus feindre igno­rer le lieu de séjour du « ter­ro­riste inter­na­tio­nal » – selon la défi­ni­tion du Fede­ral Bureau of Inves­ti­ga­tion (FBI) –, d’autant qu’il passe son temps à accor­der des inter­views. Le 17 mai, on se résigne à l’arrêter. Le 19, il est incar­cé­ré à El Paso (Texas), dans une cel­lule « cinq étoiles », et incul­pé pour… « vio­la­tion de la légis­la­tion sur l’immigration ». Le 27 sep­tembre, la jus­tice amé­ri­caine déter­mine qu’il ne sera pas extra­dé au Vene­zue­la ou à Cuba pour y être jugé de ses crimes [3] car… « il pour­rait être tor­tu­ré dans ces pays ». Mû par un sen­ti­ment de ran­cune pri­mi­tive, il pour­rait sur­tout y dévoi­ler les des­sous de la « guerre sale » menée par Washing­ton en Amé­rique latine et à Cuba depuis les années 1960, les tur­pi­tudes de la CIA et même, pour­quoi pas, le rôle de celui qui en était direc­teur en 1976, au moment de l’explosion du DC‑8 de la Cuba­na de Avia­ción : George Bush (père). Le risque de voir éta­lé au grand jour l’American Way of Death est pra­ti­que­ment le même s’il est réel­le­ment jugé aux Etats-Unis. Bref, il a dans la tête des secrets que beau­coup ne sou­haitent pas voir éta­ler au grand jour.

Dès lors, deux scan­dales judi­ciaires étroi­te­ment liés l’un à l’autre se télé­scopent publi­que­ment. En effet, le 24 mai 2005, quelques jours après l’arrestation de Posa­da Car­riles, le Groupe de tra­vail des Nations unies sur les déten­tions arbi­traires a dénon­cé l’emprisonnement, aux Etats-Unis, de cinq Cubains – Gerar­do Hernán­dez, Ramón Labañi­no, René Gonzá­lez, Fer­nan­do Gonzá­lez et Anto­nio Guer­re­ro –, sou­li­gnant qu’il viole les normes inter­na­tio­nales et exi­geant un nou­veau pro­cès. Cette même année 2005, dix prix Nobel lan­ce­ront un appel pour la libé­ra­tion des cinq Cubains en ques­tion [4].

Ayant infil­tré sans vio­lence, pour le compte du gou­ver­ne­ment cubain, les groupes ter­ro­ristes de la mou­vance Posa­da Car­riles afin d’en neu­tra­li­ser les effets dans l’île, les « Cinq » ont été arrê­tés à Mia­mi en sep­tembre 1998, jugés dans cette ville et dans des condi­tions ahu­ris­santes pour « conspi­ra­tion d’espionnage » met­tant en cause la sécu­ri­té natio­nale des Etats-Unis, puis condam­nés en décembre 2001 à des peines qui dépassent l’entendement [5].

Tout autre va être le sort de celui dont les agis­se­ments ont impo­sé leur pré­sence à Mia­mi, au nom de la légi­time défense de leur pays, Cuba. Après avoir déci­dé que Posa­da Car­riles ne pou­vait être extra­dé ni à La Havane ni à Cara­cas, le juge William Lee Abott a don­né quatre-vingt-dix jours au gou­ver­ne­ment pour qu’il trouve un pays tiers où l’expulser. Washing­ton cherche donc un endroit où il pour­rait vivre tran­quille­ment. Lui est prêt à pré­pa­rer sa valise – c’est une de ses grandes spé­cia­li­tés. Mais, le Cana­da, le Mexique, le Hon­du­ras, le Cos­ta Rica, le Gua­te­ma­la et le Sal­va­dor refu­sant de l’accepter sur leur ter­ri­toire, Washing­ton reste avec cet ami encom­brant sur les bras.

Bien qu’un Grand Jury ait été convo­qué à Newark (New Jer­sey) en jan­vier 2006 pour écou­ter les dépo­si­tions sur son impli­ca­tion dans les atten­tats de La Havane en 1997, la jus­tice amé­ri­caine accorde la liber­té condi­tion­nelle à Posa­da Car­riles, contre une cau­tion de 350 000 dol­lars, le 19 avril 2007. Il jouit dès lors d’une « retraite » tran­quille, dans l’urbanisation Lago del Rey, au sud-ouest de Mia­mi. Quatre années pas­se­ront en manœuvres dila­toires, intrigues et mani­gances, avant que ne s’ouvre enfin son pro­cès, le 10 jan­vier 2011, à El Paso. Pour­quoi dans cette ville du Texas ? Parce que Posa­da Car­riles a de l’imagination ! Inter­ro­gé par les auto­ri­tés migra­toires, il a pré­ten­du que, venant du Mexique, il a tra­ver­sé en auto­mo­bile la fron­tière de cet Etat, à Browns­ville, et a ensuite voya­gé en auto­bus Grey­hound jusqu’à Mia­mi. Il a encore men­ti aux Dépar­te­ments de la Jus­tice et de la Sécu­ri­té lorsque, ayant sol­li­ci­té l’asile poli­tique et sa natu­ra­li­sa­tion amé­ri­caine, il a nié, sous ser­ment, être lié d’une manière ou d’une autre aux atten­tats menés en 1997 à Cuba.

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Crimes sans châtiment

Sous la pré­si­dence de la juge fédé­rale Kath­leen Car­done, nom­mée en 2003 à cette fonc­tion par… George W. Bush, le show peut com­men­cer. Prê­tant à sou­rire, onze charges pèsent sur Posa­da Car­riles, qui com­pa­raît en pré­ve­nu libre : par­jure, fraude, obs­truc­tion à la jus­tice, infrac­tions aux lois amé­ri­caines sur l’immigration, etc… Avec, tou­te­fois, un risque pour lui, signale d’emblée José Per­tier­ra, l’avocat qui repré­sente Cara­cas dans sa demande d’extradition : « Si le tri­bu­nal le juge cou­pable d’avoir men­ti sur sa rela­tion avec les auteurs des atten­tats à la Havane, la jus­tice amé­ri­caine sera obli­gée de le pour­suivre en tant qu’auteur intel­lec­tuel de ces crimes. » La défense ne s’y trompe pas qui, dès la pre­mière audience, entre­prend de trans­for­mer l’affaire Posa­da Car­riles en un pro­cès contre… Cuba. L’avocat Artu­ro V. Hernán­dez est d’autant plus inquiet que la juge a auto­ri­sé le Minis­tère public à pré­sen­ter 6500 docu­ments en pro­ve­nance de La Havane. Elle lui a éga­le­ment per­mis d’utiliser comme preuve des élé­ments four­nis par le gou­ver­ne­ment gua­té­mal­tèque, dont le faux pas­se­port au nom de Manuel Enrique Cas­tillo López avec lequel Posa­da Car­riles est entré au Mexique (voir ci-dessous).

Le 19 jan­vier, la fonc­tion­naire de l’immigration Susa­na Bola­nos s’avance à la barre. Elle a eu à exa­mi­ner le for­mu­laire N400 par lequel Posa­da Car­riles deman­dait sa natu­ra­li­sa­tion. A la ques­tion « avez-vous mili­té, à un moment ou à un autre, pour le ren­ver­se­ment d’un gou­ver­ne­ment », il a répon­du « oui ». A celle concer­nant les anté­cé­dents pénaux, il a men­tion­né une condam­na­tion qui lui a valu quatre années en pri­son au Panamá. « Ces choses, défi­ni­ti­ve­ment, m’ont pré­oc­cu­pée », conclut Bola­nos. L’avocat Hernán­dez a une réponse toute prête : l’accusé n’a pas une connais­sance de l’anglais suf­fi­sam­ment fluide pour avoir com­pris, à l’époque, les ques­tions posées.

Cuba­no-amé­ri­cain, mais aus­si infor­ma­teur (en échange de sa natu­ra­li­sa­tion) rému­né­ré du FBI, Gil­ber­to Abas­cal témoigne pen­dant six jours à par­tir du 24 jan­vier. Recru­té par San­tia­go Álva­rez comme méca­ni­cien, il fai­sait par­tie de l’équipage qui, à bord du yacht San­tri­na, est venu récu­pé­rer Posa­da Car­riles dans le Yucatán et l’a trans­por­té clan­des­ti­ne­ment à Mia­mi. Il confirme donc la voie d’entrée réelle de l’accusé. Sor­tant de sa manche des rap­ports médi­caux de l’Agence de sécu­ri­té sociale, la défense tente de le dis­cré­di­ter : on lui a diag­nos­ti­qué de sérieux symp­tômes de schi­zo­phré­nie, entre 2002 et 2004, après qu’il ait fait une chute, en 2000, depuis un immeuble en construc­tion. « Pro­blèmes men­taux » conclut l’avocat. Ce qui ne devrait pas faire oublier qu’Abascal a prou­vé ses dires en mon­trant une pho­to­gra­phie de Posa­da Car­riles en train de se faire cou­per les che­veux par un coif­feur de l’île Mujeres, avant l’embarquement sur la Santrina.

Abas­cal va payer très cher sa pres­ta­tion. Le 27 jan­vier, la juge Car­done lui ordonne de s’asseoir sur le banc des témoins et lui demande, avant l’arrivée des jurés : « M. Abas­cal, vous me sem­blez être per­tur­bé. Vou­lez-vous m’expliquer ce qui se passe ? » Il y a dans la voix du témoin une nuance d’amertume quand il répond : « [l’avocat] Artu­ro Hernán­dez fait des his­toires à ma femme et elle m’a appe­lé pour me dire qu’en rai­son de ce har­cè­le­ment, elle ne veut plus rien avoir à faire avec moi [6]. » C’est qu’Abascal pro­voque la haine, et depuis long­temps. Il a aus­si été un témoin « clé » de l’accusation lors de la com­pa­ru­tion de San­tia­go Álva­rez, le pro­prié­taire de la San­tri­na, en 2006, à Mia­mi. Arrê­té par le FBI en 2004 pour pos­ses­sion d’un arse­nal – AK-47 et AR-15 aux numé­ros d’identification limés, silen­cieux, gre­nades, etc. –, dans son bureau de Hia­leah, à Mia­mi, Álva­rez a été condam­né à quatre années de pri­son pour ce motif, mais éga­le­ment parce qu’il refu­sait de témoi­gner pour expli­quer com­ment Posa­da Car­riles est arri­vé aux Etats-Unis. En août 2006, à Mia­mi, Abas­cal a échap­pé de peu à une ten­ta­tive d’assassinat par arme à feu. Une fois de plus, à El Paso, il a l’air d’un lapin pris dans les phares d’un camion. Fort sévè­re­ment, alors que débute l’audience et après avoir deman­dé aux pro­cu­reurs de s’approcher, la juge appelle l’avocat qu’elle admo­neste pour ce délit fédé­ral – inti­mi­da­tion de témoin –, pas­sible de pri­son. Tou­te­fois, afin que les jurés ne puissent entendre la conver­sa­tion, elle a préa­la­ble­ment cou­pé son micro. Lorsque la séance reprend son cours, l’avocat met Abas­cal sur le gril pen­dant un temps inter­mi­nable, l’intimide, l’insulte, le traite de voleur, de men­teur, d’espion de Cuba, de mer­ce­naire et de fou !

Pour mémoire, on note­ra que pen­dant les sept mois du pro­cès des Cinq, à Mia­mi, en 2000 et 2001, c’est le pro­cu­reur qui a per­mis toutes sortes de pres­sions et de menaces contre les jurés – pris en chasse dans le Palais de jus­tice, inter­pel­lés par la foule des anti­cas­tristes, har­ce­lés par les jour­na­listes ayant pris fait et cause pour l’extrême droite cuba­no-amé­ri­caine – à tel point que, à plu­sieurs reprises, ils expri­mèrent leurs craintes pour leur sécurité.

Le 7 février, on apprend de la bouche de Ste­ven Ussher, enquê­teur du Ser­vice d’immigration et de contrôle des douanes, que les auto­ri­tés amé­ri­caines n’ont jamais don­né l’ordre de per­qui­si­tion­ner ou d’examiner la San­tri­na pour y cher­cher des preuves de la pré­sence de Posa­da Car­riles. Le 8, l’avocat de ce der­nier livre une bataille déses­pé­rée pour convaincre la juge d’empêcher ou de retar­der le témoi­gnage du lieu­te­nant-colo­nel de la Sécu­ri­té cubaine Rober­to Hernán­dez Cabal­le­ro. Une fois de plus, deux affaires se per­cutent – et curieu­se­ment : le 29 mars 2001, à la requête de la défense des Cinq, Hernán­dez Cabal­le­ro a déjà témoi­gné devant la Cour fédé­rale de Mia­mi. Son adver­saire d’hier, le gou­ver­ne­ment des Etats-Unis, lui demande aujourd’hui de pré­sen­ter les mêmes élé­ments d’enquête contre Posa­da Car­riles alors qu’il les a vio­lem­ment com­bat­tus lorsqu’ils auraient dû, en bonne logique, per­mettre d’absoudre les Cinq. Il est vrai que, cette fois, l’enjeu est mineur : on ne juge pas les crimes de l’anticastriste contre Cuba, ni ceux qui ont ten­té de les empê­cher, mais quelques « petits men­songes entre amis ».

Le 9 février, c’est inter­rom­pu en per­ma­nence par les objec­tions de la défense que le colo­nel Hernán­dez Cabal­le­ro livre fina­le­ment sa dépo­si­tion sur les évé­ne­ments de 1997, les bles­sés qu’ils ont pro­vo­qué et la mort du tou­riste Di Cel­mo. La juge Car­done estime dès lors qu’elle en a fait assez. Elle décide que le témoin sui­vant – Ilea­na Viz­caí­no Dime, spé­cia­liste cubaine de méde­cine légale qui a autop­sié le corps de Di Cel­mo – sera inter­ro­gé par l’accusation et la défense, mais… hors de la pré­sence des jurés. De la même manière, elle ne per­met pas que soit sou­mis à ceux-ci un fax par­ti­cu­liè­re­ment éclai­rant envoyé par Posa­da Car­riles à des com­plices, depuis le Gua­te­ma­la, en 1997.

Inter­cep­té par Anto­nio « Tony » Álva­rez, homme d’affaires cubain exi­lé qui, à Ciu­dad Gua­te­ma­la, par­ta­geait un bureau avec le ter­ro­riste (sans se dou­ter ini­tia­le­ment de ses acti­vi­tés), le fax en ques­tion, signé Solo – l’un des pseu­do­nymes favo­ris de Posa­da [7] – exi­geait de ses inter­lo­cu­teurs des infor­ma­tions pré­cises sur le résul­tat de leurs atten­tats dans l’île, alors attri­bués à l’opposition interne par les médias inter­na­tio­naux : « Comme je vous l’ai expli­qué, s’il n’y a pas de publi­ci­té, le tra­vail est inutile. Les jour­naux amé­ri­cains ne publient rien si l’information n’est pas confir­mée. (…) S’il n’y a pas de publi­ci­té, il n’y aura pas de paie­ment. J’attends des nou­velles demain (…) ». Alar­mé, Alva­rez avait avi­sé des agents du bureau du FBI à Mia­mi – qui n’avaient stric­te­ment rien fait.
A El Paso, avant de voir sa dépo­si­tion inter­rom­pue, « Tony » Álva­rez aura juste le temps d’expliquer qu’il a pu consta­ter, à l’époque, la pré­sence, dans le bureau de Posa­da Car­riles, d’un tube por­tant la men­tion « Indus­trie mili­taire mexi­caine — C‑4 — Explo­sifs dan­ge­reux » – pré­ci­sion appor­tée en « petit comi­té », la juge Car­done ayant eu la déli­cate atten­tion de faire, une nou­velle fois, sor­tir les jurés.

Dans une inter­view accor­dée aux jour­na­listes Ann Louise Bar­dach et Lar­ry Rother, le 18 juin 1998, dans l’île néer­lan­daise d’Aruba, Posa­da Car­riles a recon­nu qu’il avait orga­ni­sé la cam­pagne contre des objec­tifs tou­ris­tiques cubains en 1997, qu’il était finan­cé par la FNCA et son pré­sident Jorge Mas Cano­sa, et qu’il avait payé le sal­va­do­rien Raúl Cruz León pour poser les bombes – dont celle qui a tué Di Cel­mo [8]. Posa­da Car­riles s’était même per­mis quelques facé­ties : « Le FBI et la CIA ne me gênent pas. Je suis neutre avec eux. Chaque fois que je le peux, je les aide. » Cet entre­tien fût publié dans le New York Times les 12 et 13 juillet 1998.

C’est donc avec beau­coup d’intérêt qu’on atten­dait la pré­sence de Bar­dach au pro­cès d’El Paso. Tou­te­fois, dès le départ, les dés ont été pipés, la défense s’étant mis d’accord avec les pro­cu­reurs Timo­thy J. Rear­don et Jerome Tere­sins­ki pour caviar­der l’enregistrement réa­li­sé par la jour­na­liste à Aru­ba. D’une durée de six heures et trente minutes à l’origine, celui-ci fut réduit à deux heures et qua­rante minutes dans la ver­sion sou­mise à l’écoute des jurés. On leur évi­ta ain­si de s’encombrer l’esprit avec : le rôle de Posa­da Car­riles dans l’Iran-contragate, dans les années 1980 ; ses rela­tions clan­des­tines avec les orga­ni­sa­tions para­mi­li­taires du Sal­va­dor et du Gua­te­ma­la, durant la même décen­nie ; sa rela­tion de plus de trente ans avec la CIA.

Image_1-59.png Pen­dant quatre jours, Bar­dach a dû défendre vigou­reu­se­ment son tra­vail et répondre aux attaques insi­dieuses ou directes de l’avocat Artu­ro Hernán­dez. Ain­si : « Ne croyez-vous pas que vous avez vio­lé le code d’éthique jour­na­lis­tique en écri­vant dans le New York Times que Cruz León tra­vaillait pour M. Posa­da ? » Bar­dach répond d’une voix tran­chante : « Si, M. Hernán­dez, il tra­vaillait pour Posa­da. Celui-ci me l’a dit – “Je suis le chef, l’auteur intel­lec­tuel, le res­pon­sable de l’opération”. » Hernán­dez insiste. Il lit la trans­crip­tion dans laquelle Posa­da Car­riles affirme qu’ « un autre type » a employé León. « Un autre type ! N’importe qui peut l’avoir employé ! » Bar­dach sort de ses gonds : « Je sais qui est le type, vous savez qui est le type, eux [les pro­cu­reurs] savent qui est le type ! Nous savons tous qui est le type, mais nous ne pou­vons pas le dire ! Vous ne vou­lez pas qu’on dise qui est le type ! Disons qu’il s’appelle Mon­sieur X. Ce type n’aurait jamais recru­té Cruz León si Posa­da n’avait pas vou­lu qu’il recrute Cruz León… »

Décryp­tage (sauf pour les jurés, à qui l’on inter­dit l’accès à cette infor­ma­tion) : « le type » s’appelle Fran­cis­co Chá­vez Abar­ca. Sal­va­do­rien, il fût l’un des poseurs de bombe. L’une d’entre elles explo­sa le 12 avril 1997, dans la dis­co­thèque de l’hôtel Meliá Cohí­ba, pro­vo­quant d’importants dégâts ; une autre, dis­si­mu­lée au quin­zième étage du même éta­blis­se­ment, put être désa­mor­cée à temps. Sur ins­truc­tion de Posa­da Car­riles, il a recru­té et entraî­né – entre autres –, pour le même type de « tra­vail », deux autres Sal­va­do­riens, Otto Rodrí­guez Lle­re­na (arrê­té lors de sa seconde mis­sion à La Havane, le 10 juin 1998) et Cruz León. Le 1er juillet 2010, por­teur d’un faux pas­se­port gua­té­mal­tèque, Chá­vez Abar­ca a été arrê­té à l’aéroport inter­na­tio­nal Simón Bolí­var de Mai­quetía (Cara­cas). Après sa déten­tion, il a avoué être entré au Vene­zue­la pour éva­luer la pos­si­bi­li­té d’y créer, en lien avec des membres radi­caux de l’opposition, des troubles et des atten­tats de nature à désta­bi­li­ser le pays, à la veille des élec­tions légis­la­tives du mois de sep­tembre sui­vant. Extra­dé le 7 juillet à Cuba, il a, au cours de son juge­ment, les 20 et 21 décembre, recon­nu sa culpa­bi­li­té et décrit les opé­ra­tions dont Posa­da Car­riles l’a char­gé [9].

Quand, à la demande de la défense, se pré­sente Otto Reich, la juge Car­done le pré­sente comme un « expert en affaires cubaines ». Il est sur­tout un ex-col­la­bo­ra­teur direct des pré­si­dents Ronald Rea­gan, George Bush Ier et George Bush II. Impli­qué dans l’Iran-contra et dans tous les « coups pour­ris » de Washing­ton en Amé­rique latine, il a éga­le­ment joué un rôle dans le ten­ta­tive de ren­ver­se­ment du pré­sident Chá­vez, en avril 2002, au Vene­zue­la. Les jurés n’ont pas besoin de le savoir, inutile de leur encom­brer l’esprit. C’est néan­moins fort de cette riche expé­rience que Reich leur assène un long réqui­si­toire contre la « dic­ta­ture cubaine » où « cin­quante mille mili­taires sont empri­son­nés (sic !) », avant de s’en prendre à Bar­dach – « capable de tra­fi­quer les réponses de n’importe quel inter­viewé » – et même au New York Times, qua­si­ment qua­li­fié de quo­ti­dien crypto-cubain.

Le 8 avril, au terme d’une comé­die qui s’est éter­ni­sée durant treize longues semaines, et après trois petites heures de déli­bé­ra­tions, le tri­bu­nal, à l’unanimité, a décla­ré Posa­da Car­riles inno­cent des onze charges pesant sur lui. Sud des Etats-Unis oblige, la majo­ri­té des douze jurés étaient d’origine his­pa­no. Or, El Paso, situé sur la fron­tière mexi­caine, est l’une des portes d’entrée de l’immigration illé­gale sur le ter­ri­toire amé­ri­cain – pra­tique qui, pour tout indi­vi­du arri­vé lui-même dans ces condi­tions, où des­cen­dant de parents ayant eu recours à cette pra­tique, non seule­ment ne consti­tue pas un crime, mais est même vu avec une cer­taine sym­pa­thie. Dès lors, consi­dère l’avocat de Cara­cas Per­tier­ra, « juger un “sans papier” pour avoir men­ti à l’Immigration est absurde pour un paseño. Ces cas-là, nor­ma­le­ment, ne requièrent que le temps néces­saire pour dan­ser un meren­gué à la porte d’un col­lège ! » D’autant que jamais le jury n’a su que, si Posa­da Car­riles a men­ti, c’est sur­tout pour pro­té­ger ceux qui, avec San­tia­go Álva­rez, à bord de la San­tri­na, lui ont per­mis de débar­quer illé­ga­le­ment à Mia­mi (l’aide à un « ter­ro­riste » est sévè­re­ment sanc­tion­née par la loi). Jamais ils n’ont su que la juge Car­done avait reje­té le cas Posa­da Car­riles en 2007. Elle pré­ten­dit alors que le gou­ver­ne­ment avait trom­pé ce der­nier afin qu’il fasse de fausses décla­ra­tions – ce qui per­met­trait, ensuite, de le pour­suivre pour par­jure. Il fal­lut qu’une Cour d’appel inva­lide cette déci­sion et oblige la magis­trate à ouvrir le procès.

Dans ces condi­tions, nul ne s’étonnera que celui-ci se soit trans­for­mé en une mise en accu­sa­tion de Cuba ; que Car­done ait constam­ment sus­pen­du les audiences, pen­dant plu­sieurs jours et sous dif­fé­rents motifs – lais­sant ain­si le show s’éterniser durant plus de trois mois et abru­tis­sant les jurés ; qu’elle ait per­mis à la défense de s’acharner pen­dant des heures sur les témoins ; qu’elle ait mis de côté un cer­tain nombre de preuves ; qu’elle ait régu­liè­re­ment fait sor­tir les jurés de la salle lors de témoi­gnages impor­tants ; qu’à de nom­breuses reprises, elle ait inti­mé à ces mêmes jurés de ne pas tenir compte de ce qu’ils venaient d’entendre ; que…

En revanche, elle n’a pu ni pré­voir ni pré­ve­nir la petite bombe qui a explo­sé le 18 jan­vier. Ce jour-là, s’exprimait Gina Gar­rett-Jack­son, avo­cate du Dépar­te­ment de sécu­ri­té natio­nale (Home­land Secu­ri­ty). Celle-ci racon­ta com­ment, en contact avec des pro­cu­reurs fédé­raux et des agents du FBI, la Police des douanes et de l’immigration, ain­si qu’avec la Drug Enfor­ce­ment Admi­nis­tra­tion (DEA) [10], elle a tra­vaillé en 2005 sur le cas Posa­da Car­riles. N’ignorant pas que, en rai­son de ses acti­vi­tés pas­sées, il ne rem­plis­sait pas les condi­tions pour obte­nir l’asile poli­tique, expli­qua-t-elle à El Paso, « je l’ai néan­moins inter­ro­gé en détail car mon devoir était de tes­ter sa cré­di­bi­li­té. Et je ne l’ai pas cru. » Ce qui l’amena, en août de cette année-là, à contac­ter par cour­rier élec­tro­nique une pro­cu­reure fédé­rale de Mia­mi, Caro­line Heck Mil­ler, pour lui deman­der s’il ne lui parais­sait pas oppor­tun de pour­suivre Posa­da Car­riles « pour ses acti­vi­tés cri­mi­nelles ». Et Gar­rett-Jack­son de conclure : « La pro­cu­reure n’a pas paru intéressée. »

Heck Mil­ler n’est pas une incon­nue. C’est elle qui fût char­gée de l’accusation contre les Cinq, lors de leur pro­cès inique, à Mia­mi. C’est elle qui, aux ordres du pro­cu­reur géné­ral du sud de la Flo­ride Guy Lewis, dont la conni­vence avec l’extrême droite cuba­no-amé­ri­caine était à peine dis­si­mu­lée, a requis contre les Cinq des châ­ti­ments plus lourds que ceux pré­vus dans le « guide des peines » des Etats-Unis. En août 2005, pré­ci­sé­ment, lorsqu’elle igno­ra l’invitation de Gar­rett-Jack­son à s’intéresser sérieu­se­ment au cas Posa­da Car­riles, trois juges de la Cour d’appel d’Atlanta venaient de frap­per le pro­cès des Cinq de nul­li­té. Dans leur argu­men­ta­tion, ils se réfé­raient lar­ge­ment à la longue liste des crimes de Posa­da Car­riles et d’autres ter­ro­ristes que les Cinq étaient char­gés de sur­veiller et, grâce aux infor­ma­tions qu’ils recueillaient, de contri­buer à neu­tra­li­ser [11].

Ain­si donc, on le sait désor­mais, celle-là même – Heck Mil­ler – qui déploya une éner­gie phé­no­mé­nale afin de faire condam­ner Gerar­do Hernán­dez, Ramón Labañi­no, René Gonzá­lez, Fer­nan­do Gonzá­lez et Anto­nio Guer­re­ro à des peines iniques pour des crimes qu’ils n’ont pas com­mis a refu­sé de pour­suivre Posa­da Car­riles pour des crimes par­fai­te­ment avérés.

Image_1-58.png Comme pour rendre l’histoire encore plus immo­rale, le 18 jan­vier, alors que Gar­rett-Jack­son témoi­gnait à El Paso, Heck Mil­ler est réap­pa­rue à Mia­mi : elle y a une nou­velle fois sol­li­ci­té la pro­ro­ga­tion de la demande d’habeas cor­pus dépo­sée par l’un des Cinq, Gerar­do Hernán­dez – l’homme qu’elle a jeté dans les geôles amé­ri­caines pour deux per­pé­tui­tés plus quinze ans.

Sur les Cinq et la tra­jec­toire de Posa­da Car­riles, lire Cinq Cubains à Mia­mi ‚Edi­tion Don Qui­chotte, Paris, 2010. Plus d’in­fo : http://www.medelu.org/spip.php?article538

NOTES

[1] Vio­lant l’embargo inter­na­tio­nal, l’administration de Ronald Rea­gan vend du maté­riel mili­taire à l’Iran et uti­lise cet argent pour finan­cer la contra.

[2] C’est à cette époque, le 28 février 1990, que Posa­da Car­riles est vic­time d’un atten­tat, dans la capi­tale Ciu­dad Gua­te­ma­la. Deux tirs l’atteignent : l’un lui fra­casse la mâchoire et lui tra­verse la langue, l’autre se fiche à côté du cœur.

[3] La Havane réclame Posa­da Car­riles pour la mort des soixante-treize pas­sa­gers et membres d’équipage du DC‑8 de la Cuba­na de Avia­cion, à la Bar­bade ; pour celle du tou­riste ita­lien Fabio di Cel­mo en 1997 ; pour plu­sieurs com­plots en vue d’assassiner Fidel Cas­tro. Cara­cas a lan­cé un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal car c’est dans cette ville que le crime de La Bar­bade a été orga­ni­sé et parce que Posa­da Car­riles s’est éva­dé d’une pri­son véné­zué­lienne en 1985.

[4] José Ramos-Hor­ta, Wole Soyin­ka, Adol­fo Pérez Esqui­vel, Nadine Gor­di­mer, Rigo­ber­ta Men­chú, José Sara­ma­go, Zhores Alfe­rov, Darío Fo, Gün­ter Grass, Mai­read Cor­ri­gan Maguirre.

[5] Quinze ans d’emprisonnement pour René Gonzá­lez ; dix-neuf ans pour Fer­nan­do Gonzá­lez ; per­pé­tui­té plus dix-huit ans pour Ramón Labañi­no ; per­pé­tui­té plus dix ans pour Anto­nio Guer­re­ro ; deux per­pé­tui­tés plus quinze ans pour Gerar­do Hernán­dez. Au terme d’une très longue bataille judi­ciaire, Anto­nio Guer­re­ro a vu son châ­ti­ment rame­né à vingt et un ans plus dix mois, le 13 octobre 2009 ; Ramon Labañi­no à trente ans d’incarcération et Fer­nan­do Gon­za­lez à dix-sept ans plus neuf mois, le 8 décembre 2009.

[6] Epi­sode racon­té par José Per­tier­ra, dans un cour­rier col­lec­tif, le 28 janvier.

[7] Ins­pi­ré par une série télé­vi­sée fameuse dans les années 1960, MAN from U.N.C.L.E., dont le héros s’appelait Napo­léon Solo.

[8] Arrê­té le 4 sep­tembre 1997 à La Havane, condam­né à mort en 1999, Cruz León a vu en appel sa peine réduite à trente ans de pri­son par la jus­tice cubaine, le 3 décembre 2010.

[9] Il a été condam­né à trente ans de prison.

[10] Orga­nisme anti-drogue dépen­dant du minis­tère de la justice.

[11] Le pro­cu­reur géné­ral des Etats-Unis, Alber­to Gonzá­lez, fit appel de la déci­sion des trois juges et, le 9 août 2006, la Cour plé­nière les désa­voua, rati­fiant le pro­cès de Miami.