Dove a‑t-il réellement voulu diffuser un clip raciste ? Plutôt étrange de la part d’une entreprise attachée à la promotion de la diversité.
Comment vérifier les processus d’interprétation des images, lorsqu’on ne dispose pas de lourds moyens d’enquête ? De nombreux cas de réception peuvent être analysés comme autant d’expériences sociales spontanées, pour autant qu’on les observe sous l’angle approprié.
Peut-on se tromper en lisant une image ? Question dérangeante, dans un univers visuel réglé par les principes de la transparence documentaire, supposés garantir une lisibilité univoque des contenus. No caption needed (pas besoin de légende), comme l’affirme un ouvrage à succès, est la signature de la croyance en la vérité du visuel – qui permet de faire l’économie de toute éducation à l’image.
L’exemple de la réception de la publicité pour le savon douche Dove montre pourtant que l’on peut mésinterpréter de bonne foi un message visuel. Le 6 octobre dernier, une version de 4 secondes d’un clip publié sur Facebook fait l’objet d’un montage en quatre images fixes par la maquilleuse Naomi Blake (Naythemua), qui montre deux femmes retirant successivement leur t‑shirt, la première noire, la seconde blanche (voir ci-dessus).
La conclusion semble s’imposer d’elle-même : avec le savon Dove, une peau noire devient une peau blanche – un message dans la lignée des publicités racistes du XIXe siècle, bientôt citées sur les réseaux sociaux, où le montage de Naomi Blake acquiert instantanément une viralité explosive.
Dove a‑t-il réellement voulu diffuser un clip raciste ? Plutôt étrange de la part d’une entreprise attachée à la promotion de la diversité. La marque se confond en excuses et retire la publicité incriminée, pour couper court à la polémique. Mais le document qui a circulé en ligne et qui est repris par la presse est le montage avant/après, non le clip original. Trois jours après le début du buzz, des internautes rediffusent cette source, en faisant remarquer que celle-ci comprend un troisième personnage féminin, d’un autre type racial.
La peau blanche n’est donc pas le terme de la séquence, ce qui invalide l’interprétation raciste, basée sur une lecture hiérarchique de l’opposition noir/blanc. Sur le site du Guardian, la mannequin Lola Ogunyemi, premier modèle du clip, proteste à son tour contre cette réception négative, et revendique sa participation enthousiaste à un projet construit sur la diversité – dont la version télévisée comporte sept personnages d’âge et de races différentes.
Inspiré de la célèbre séquence finale du clip Black or White (1991) de Michael Jackson, qui recourt au morphing pour exprimer la fusion des races et des genres, la campagne pour le savon Dove a voulu proposer un message égalitaire et joyeux de mélange des différences. La réduction à deux personnages et la succession noire/blanche produit au contraire un effet de montage typique, où toute association est lue comme une corrélation, en fonction d’un schéma finaliste.
Cas exemplaire d’interprétation déclenchée par un récit préexistant, celui du whitewashing raciste, cette projection causaliste peut être décrite comme une décontextualisation et une erreur de lecture. Toutefois, la réaction de l’entreprise, qui a choisi de s’excuser plutôt que de nier cette glose, montre que l’interprétation d’une image sociale est une construction qui ne dépend pas des seules intentions des producteurs, mais doit au contraire intégrer la réponse de la réception.