Depuis plusieurs mois, 400 afghans demandeurs d’asile luttent pour obtenir une régularisation collective ainsi qu’un moratoire sur les expulsions en Afghanistan. Afin de mieux comprendre leurs parcours, leurs revendications et leurs motivations, FDC est parti à la rencontre de l’un d’entre-eux. Ramin D. Boy, 18 ans, raconte son parcours personnel et, avec une intense lucidité, partage son analyse politique de la situation afghane, des impacts de la Belgique sur cette dernière et de la manière dont le « dossier afghans » est traité aujourd’hui par les autorités belges.
Ramin D.Boy, 18 ans, afghan, étudie à Anvers.
« J’avais 4 jours quand les russes ont envahi mon pays. J’ai connu la guerre civile, les talibans, puis les fondamentalistes au pouvoir. Ma génération n’a jamais rien vu d’autre que l’occupation et la misère. Mon éducation vient de mon activisme social, c’est pourquoi les enfants de mon pays comme ceux de Palestine peuvent parler de politique à partir de leur expérience. » Ainsi s’exprimait la travailleuse sociale et ex-parlementaire afghane, Malalaï Joya, lors d’une interview diffusée dans l’émission « Là-bas si j’y suis » (France Inter) en février 2010. Témoignage qui rejoint, de façon troublante, celui de Ramin D. Boy. « Je n’ai jamais décidé de quitter l’Afghanistan, ce sont mes parents qui ont fait ce choix », lance d’emblée le jeune homme, s’exprimant parfaitement en anglais et néerlandais. Quand les talibans sont arrivés à Masajev au Nord de l’Afghanistan, le père de Ramin est tailleur dans une petite entreprise familiale de confection des vêtements. Les talibans interdisent son activité et ferment le magasin. Dès lors, la famille de Ramin décide d’émigrer vers le Pakistan pour des raisons économiques : ils y resteront 8 ans.
Or, depuis longtemps, le torchon brûle entre l’Afghanistan et le Pakistan. En 1893, les anglais donnent la partie Nord de l’Afghanistan au Pakistan actuel. A partir de là, la ligne de Durand délimite la frontière entre les deux pays à travers un traité signé pour cent ans. Dans les années 90, Mohammad Najibullah, le président afghan de 1987 à 1992, refuse de reconduire le traité et est pendu par les talibans. Pour rappel, les talibans, établis dans les camps de réfugiés au Pakistan, se présentent à l’origine comme un mouvement réformateur dont la légitimité repose sur le djihad[1]. Sunnites, ils prétendent ramener la paix en Afghanistan (dont ils contrôlent la majeure partie en 1996), désarmer la population et imposer la charia (loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle, appliquée de manière stricte dans certains États musulmans, ndrl).[2]
« Pendant la guerre civile de 92 à 96 dans les madrassas (écoles coraniques, de plus en plus nombreuses au Pakistan, où elles ont parfois pris le relais du secteur éducatif traditionnel, ndrl), les élèves subissaient des lavages de cerveau dispensés par un islam fondamentaliste venu d’Arabie Saoudite. Au Pakistan, les gens disent que si les USA voulaient être cohérents, ils fermeraient les écoles coraniques et les madrassas. En fait, au Pakistan, on les appelle des ‘usines à talibans ‘» explique, l’ex-parlementaire afghane, Malalaï Joya.
Rappelons que l’Afghanistan occupe une position stratégique au cœur de l’Asie. Les différentes bases américaines présentes en Afghanistan assurent une présence en Iran, Chine, Ouzbekistan et permettent également un accès aux réservoirs de gaz et de pétrole des républiques d’Asie Centrale.
En 2002, les talibans arrivent à Mazari et capturent le grand-frère de Ramin sous prétexte que celui-ci ne porte pas la barbe … « Ils n’ont pas pris que mon frère. Enormément de gens furent “embarqués”. Le premier jour, ce fût terrible. Il fallait rester à la maison. C’est comme cela que mon père est mort, il était tellement inquiet au sujet de mon frère … ». En 2008, la situation profondément instable entre l’Afghanistan et le Pakistan s’empire. Des attentats sont perpétrés dans tout le Pakistan, y compris à Karachi où s’est installé la famille de Ramin. Une fois de plus, la famille décide de reprendre le chemin de l’exil. Un ami du père de Ramin trouve un passeur. A ce moment-là, ils ne savaient pas qu’ils se rendaient en Belgique, la seule chose qui importait était de partir.
Arrivé dans le plat pays, Ramin est scolarisé à Anvers. Il y apprend à parler le français et le néerlandais et introduit alors une demande de régularisation. Lorsqu’il reçoit un avis négatif, sa première réaction est de tenter à comprendre la cause du refus :”J’ai commencé à analyser les documents reçus par d’autres d’afghans dans la même situation que moi. Chaque refus était argumenté de la même manière. Pour moi, cela a été très difficile à accepter : chaque individu a une situation particulière, on ne peut pas uniformiser les réponses à ce point !”.
Contre toute attente, il obtient un rendez-vous avec Maggie De Block (Open VLD), secrétaire d’État à l’Asile et la Migration au parlement fédéral dans le cadre du ‘Kids Parlement’. Lors de l’entretien, Maggie De Block lui explique les procédures de régularisation et évoque le droit à la famille. Elle lui signifie d’ailleurs qu’il peut se rendre à sa prochaine convocation au commissariat accompagné de membres de sa famille. Or, sur place, on le lui interdit : « Maggie De Block dit que c’est permis mais dans les faits, lorsque vous arrivez au commissariat dans le cadre de votre procédure de régularisation, ce droit vous est refusé. Nous ne savons pas quelles sont les règles du jeu dans lequel nous jouons ».
Ramin s’exprime aussi sous forme de rap et de slam. Ici, en néerlandais avec le morceau intitulé « Papier en pijn ».
Durant l’été 2013, Ramin réalise ces différentes démarches lorsque l’occupation de l’Eglise du Béguinage, dans le centre historique de la ville de Bruxelles, est lancée : « Avant cela, je n’avais jamais participé à des actions si ce n’est ‘Kids Parlement’ avec l’avocate Selma Benkhelifa. Quand je suis venu à la première réunion et que j’ai vu tous ces Belges réunis autour de notre cause, je me suis dit :”S’ils se réunissent pour les Afghans, pourquoi je reste à la maison et ne les rejoins pas ?”… Les organisations, les étudiants, et tous ceux qui nous ont rejoint aux manifestations ou ceux qui, simplement, venaient nous visiter au lieu de l’occupation …Cela nous a mis du baume au cœur. Vous savez, parfois vous n’avez rien à faire, il suffit juste d’être là. C’est plus que suffisant !”.
Aujourd’hui, sur le site du Ministère des Affaires étrangères, il est indiqué que « la situation sécuritaire en Afghanistan est très problématique » ; que « des zones entières du pays, en ce compris les grandes agglomérations, font face à une insurrection armée » ; que « le conflit occasionne plus d’un millier de morts violentes chaque année » ; et enfin que « le danger peut prendre la forme d’attentats à la bombe, d’attaques suicides, d’enlèvements, de confrontations armées, d’attaques le long des routes, qui (…) touchent de façon indiscriminée les personnes présentes alentours ». Or, certains Afghans se voient actuellement refuser leur demande d’asile car ils viennent de régions considérées par les Autorités belges – qui se basent sur l’avis du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies – comme « sûres ».
A ce propos, Maggie De Block déclarait, en octobre 2013, au journal De Rechtzetting : « Les afghans vivent dans un pays magnifique et sûr ». Là, Ramin s’insurge : « Non, ce n’est pas vrai, l’Afghanistan n’est pas un pays sûr ! Seulement 33% du territoire afghan est sous le contrôle du gouvernement, le reste n’est pas sécurisé. Si vous alliez sur le terrain, vous constateriez que le gouvernement est corrompu ainsi que le président Hamid Karzai … Je ne crois pas en lui ! Il a dit lui-même à la télévision qu’il reçoit de l’argent de la CIA depuis l’Iran, juste pour se taire sur le sort que l’Iran fait subir aux réfugiés afghans. La situation des Afghans en Iran est terrible ! Vous vous faîtes menacer et insulter dans la rue, juste parce que vous êtes un migrant afghan. Je suis très soulagé depuis que je suis en Belgique et que je peux me promener dans la rue, sans entendre ce genre de choses … En Iran, la police arrête les Afghans sans raison, et le président se tait sur ce sujet ! Parce qu’il reçoit de l’argent pour son silence … ».
Ramin D. Boy répond en écho aux propos de Malalaï Joya : « Et les jeunes enfants endoctrinés par les talibans pour faire la guerre, ce ne sont pas les enfants d’Obama ou les enfants de votre président à vous ici (France) ; ce sont de pauvres gens qui vont se faire tuer pour d’autres causes. Aujourd’hui, mon pays est un paradis pour les terroristes et le trafic de drogue. Or, cela, c’est la faute des USA et de l’OTAN ! ».
Pour s’emparer du contrôle de l’Asie Centrale, riche en pétrole, les Etats-Unis n’ont pas lésiné sur les moyens. Dès 2001, la guerre en Afghanistan incarnera le symbole « de la guerre contre le terrorisme » considérée par l’opinion occidentale comme plus que légitime aux lendemains des attentats du 11 septembre à New-York. Le « va-t-en-guerre » aura donc lieu contre Al-Qaïda au nom de la « légitime défense ». Dès le départ, la Belgique s’associera à cette guerre en envoyant ses F‑16, considérés comme parmi les meilleurs avions de chasse, les plus utilisés dans le monde.
Pourtant, depuis plus d’une dizaine d’années, des voix citoyennes se font entendre en Belgique et ailleurs contre cette guerre notamment en 2001, lors du lancement de l’intervention et en 2008 lors d’un nouvel envoi de F16 belges en Afghanistan. Pourtant, le ministre belge de la Défense, Pieter De Crem (CD&V) appuie pour une poursuite de la présence militaire belge en Afghanistan au-delà de la fin de la mission de combat de l’OTAN dans ce pays, prévue en décembre 2014.
Selon Ramin, il serait néanmoins caricatural d’endosser l’entière responsabilité de la situation politique actuelle de son pays à l’intervention militaire occidentale dont la Belgique fut actrice : « Non, l’intervention occidentale n’explique pas tout. Si nos grands-parents avaient fait de leur mieux, nous ne serions pas en Belgique aujourd’hui. C’est en partie notre responsabilité. Mais oui, l’intervention occidentale a un rôle car à cause de la position stratégique de l’Afghanistan, nous avons dû faire face à énormément de tensions, guerres et jeu d’influences émanant de l’extérieur. Je suis chanteur et j’ai écrit une chanson, intitulée « Asie », qui parle de cela et interroge l’action des grands-parents afghans, en langue dari. D’ailleurs, la plupart du temps, j’écris sur la politique et les problèmes sociaux en Afghanistan ».
Le week-end précédant Noël, les afghans et leurs représentants ont marché jusque Mons depuis Bruxelles dans l’espoir d’y rencontrer le Premier ministre.
Le 24 décembre dernier, Elio Di Rupo (PS), le Premier ministre belge, a reçu des représentants du collectif ayant organisé la “Marche des Afghans” lors du week-end précédent Noël. Lors de cette marche, 350 Afghans ont parcouru 70 kilomètres avant d’arriver à Mons le dimanche 22 au soir devant l’hôtel de Ville afin de rencontrer le bourgmestre. Néanmoins, aucun rendez-vous avec Elio Di Rupo n’était prévu. Une semaine auparavant, les médias avaient été informés que la marche des trois jours des afghans se terminerait devant l’Hôtel de Ville de Mons ainsi que de leur volonté de rencontrer Di Rupo.
Par ailleurs, le samedi 21 décembre au soir, une demande officielle est introduite par la FGTB pour que le Bourgmestre de Mons rencontre les représentants des Afghans à l’issue de leur marche. Mais le dimanche 22, Di Rupo n’est pas présent. Il rencontra finalement les représentants des Afghans le mardi 24 décembre avec Maggie De Block. Celle-ci a invité les Afghans dont la demande d’asile a été refusée à la réintroduire. Ces demandes seront analysées individuellement par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Maggie De Block insiste pour que chacun apporte des éléments neufs afin de justifier leur demande, notamment sur la situation dans leur pays d’origine. Ramin réagit à cette rencontre officielle : « Le rendez-vous avec Maggie De Block et Elio Di Rupo laisse une impression très claire : ils se supportent l’un et l’autre. Même si ils n’ont pas la même idéologie, ils protègent la politique fédérale. Nous n’avons donc obtenus aucun résultat. Le sujet, c’est l’économie fédérale, pas nous. Maggie De Block dit que nous pouvons déposer une nouvelle demande, mais ce n’est pas une avancée, nous avons toujours su que nous pouvions le faire. Nous l’avons d’ailleurs fait à plusieurs reprises et elles ont toutes étaient refusées. Il n’est jamais question de la protection que nous réclamons face au danger auquel un retour en Afghanistan nous expose, mais juste … de pourcentage ».
Photo : Olga Novak
Environ 250 Afghans qui occupent l’église du Béguinage à Bruxelles ont marché depuis la capitale jusque Mons pendant trois jours afin de sensibiliser les belges sur la précarité de leur situation.
Un autre rendez-vous est fixé avec le Premier ministre dans un mois. Le même groupe d’afghans (issu de l’Eglise du Béguinage) organisera une nouvelle marche le 13 janvier prochain de Bruxelles à Gand en compagnie, entre autres, de Monseigneur André Léonard. Les Afghans attendent toujours d’obtenir l’installation d’un moratoire sur leurs expulsions et leur régularisation collective sur le territoire belge. Sur la suite de leur combat, Ramin se veut inspiré : « Je trouve que le collectif de soutien aux Afghans a très bien mené sa barque jusque ici : de plus en plus de gens nous soutiennent et s’intéressent à la situation afghane. Les gens viennent vers nous et nous pouvons les informer. Néanmoins, l’info reste limitée au champ de manipulation des médias qui martèlent la rhétorique suivante : « les migrants sont en Belgique pour tirer profit d’une situation et ce n’est pas aux Belges d’assumer cela » ».
En conclusion, Ramin nous fait part de ses espoirs : « Avec nos actions, nous avons réussi à faire changer la manière de penser des politiciens … Pas énormément, mais ils pensent différemment par rapport au début de notre combat ».
Photo : Olga Novak
Julie Jaroszewski et Aurore Van Opstal
Source : http://www.femmesdechambre.be/etre-afghan-en-belgique/
[1] Le dijhad est défini comme l’effort sur soi-même pour atteindre le perfectionnement moral ou religieux ou comme le combat, l’action armée pour étendre l’islam et, éventuellement, le défendre selon l’Encyclopédie Larousse
[2] Définition des « talibans », tirée de l’Encyclopédie Larousse