Lettre ouverte du secteur culturel bruxellois aux élus politiques

Ne souhaitons-nous plus que notre capitale incarne et fasse rayonner la richesse culturelle de notre pays, au niveau national et international ? Allons-nous vraiment laisser tomber les artistes et institutions dont nous sommes si fiers et toucher au noyau de cette dynamique bruxelloise ?

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Lettre ouverte du sec­teur cultu­rel bruxel­lois à tous nos élus poli­tiques | Inves­tir dans la culture pour construire un “Bruxelles où tout le monde se retrouve”

28/10/2014

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB), le Brus­sels Kuns­te­no­ver­leg (BKO), le Conseil bruxel­lois des Musées (CBM) et la Concer­ta­tion des Centres Cultu­rels bruxel­lois (CCCB) sou­haitent par la pré­sente expri­mer leur mécon­ten­te­ment par rap­port aux mul­tiples coupes bud­gé­taires infli­gées au sec­teur cultu­rel. A l’instar des nom­breuses ini­tia­tives ou opi­nions for­mu­lées par leurs col­lègues, ils rap­pellent que l’art per­met de réaf­fir­mer les valeurs indis­pen­sables à la construc­tion d’une socié­té juste, telles que la démo­cra­tie, la soli­da­ri­té, l’ouverture à l’autre et la réflexion cri­tique… même (et sur­tout !) en période de crise. De plus, ils s’inquiètent des consé­quences que ces mesures entraî­ne­ront sur le ter­rain bruxel­lois, réel labo­ra­toire à la croi­sée des enjeux.

Des coupes bud­gé­taires et des menaces à plu­sieurs niveaux…

A l’heure où les dif­fé­rents gou­ver­ne­ments sont for­més et les bud­gets fina­li­sés, il appa­raît clai­re­ment que l’avenir du sec­teur cultu­rel bruxel­lois est menacé :

Les orga­ni­sa­tions fla­mandes ont récem­ment appris que leurs sub­sides seront réduits de 7,5 % à par­tir de 2015 et que des éco­no­mies impor­tantes seront éga­le­ment effec­tuées sur les infrastructures.

De son côté, la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles a annon­cé une coupe trans­ver­sale de 1% sur les conven­tions et contrats-pro­grammes, en sus de la pres­sion déjà exer­cée sur le sec­teur depuis plu­sieurs années (non-indexa­tion des sub­sides, éco­no­mies dans les bud­gets équi­pe­ments, etc.).

Plus inquié­tant encore, le gou­ver­ne­ment fédé­ral a quant à lui récem­ment dévoi­lé son bud­get. Les ins­ti­tu­tions cultu­relles fédé­rales (Bozar, La Monnaie/De Munt et l’Orchestre Natio­nal de Bel­gique), toutes basées à Bruxelles, ain­si que les éta­blis­se­ments scien­ti­fiques (dont les Musées royaux des Beaux-Arts et les Musées royaux d’Art et d’Histoire) devront consi­dé­ra­ble­ment réduire leurs dépenses (cer­tains parlent de 20 à 30 % d’économies).

Au niveau de la Région bruxel­loise, le flou règne quant aux mesures liées à l’emploi au sein du sec­teur cultu­rel, que ce soit par rap­port aux postes ACS dont on annonce la révi­sion du sys­tème, ou aux réduc­tions de coti­sa­tions patro­nales liées aux pres­ta­tions artis­tiques dont le méca­nisme n’a pas encore été défini.

En ce qui concerne la Com­mis­sion euro­péenne, s’il n’est pas encore ques­tion d’économies, les craintes du sec­teur se cris­tal­lisent autour de la nomi­na­tion du Hon­grois Tibor Navra­cics en tant que Com­mis­saire en charge de la Culture — et ce mal­gré l’avis néga­tif émis par le Par­le­ment. En effet, que peut-on espé­rer d’un poli­ti­cien qui a res­treint la liber­té des médias dans son propre pays ?

A la croi­sée de ces niveaux, Bruxelles tou­chée de plein fouet…

Plus que toute autre ville belge, Bruxelles attire les artistes du monde entier. Notre capi­tale est un lieu où il fait bon créer, expé­ri­men­ter… et inno­ver. De nom­breuses petites struc­tures (lieux d’accompagnement, bureaux de pro­duc­tion, col­lec­tifs, etc.) sou­tiennent les artistes dans leur pra­tique et contri­buent au dyna­misme d’un pay­sage cultu­rel riche et diver­si­fié. Cer­taines mesures annon­cées risquent de repré­sen­ter pour beau­coup de ces orga­ni­sa­tions déjà fra­giles un coup fatal dont elles ne pour­ront pas se remettre.

Les grandes ins­ti­tu­tions que sont Bozar et La Monnaie/De Munt (entre autres), tout comme nos com­pa­gnies et artistes, sont recon­nues au niveau inter­na­tio­nal pour la qua­li­té et le carac­tère inno­va­teur de leur tra­vail. Grâce à ses opé­ra­teurs et écoles artis­tiques, Bruxelles peut se tar­guer d’occuper une place à la pointe de la créa­tion artis­tique actuelle. On ne compte plus le nombre d’artistes étran­gers qui font le choix de s’établir dans notre capi­tale, atti­rés par la diver­si­té de la ville et l’émulation créa­tive qui y règne.

D’autre part, Bruxelles se carac­té­rise par une iden­ti­té mul­tiple et hybride. Les spé­cia­listes la qua­li­fient aujourd’hui de ville « super­di­verse ». Dans ce contexte, la défense d’intérêts com­mu­nau­taires appa­raît comme désuète. Le défi actuel de notre capi­tale et de sa zone métro­po­li­taine consiste à ima­gi­ner un vivre ensemble com­mun, où cha­cun puisse s’épanouir, dans le res­pect de ses valeurs et de ses racines, sans que l’une ou l’autre com­mu­nau­té ne prédomine.

De très nom­breuses orga­ni­sa­tions et asso­cia­tions (artis­tiques, cultu­relles et socio-cultu­relles) bruxel­loises agissent dans les champs de la média­tion cultu­relle, de la par­ti­ci­pa­tion, du lien avec l’enseignement ou encore, pour les musées, de la pré­ser­va­tion des col­lec­tions. Ancrées dans un contexte urbain, elles s’adressent à des publics tou­jours plus larges, cherchent à entrer en dia­logue avec la ville qui les entoure et contri­buent au déve­lop­pe­ment d’une assise pour un pro­jet com­mun. Ce tra­vail exige un inves­tis­se­ment impor­tant en temps et en per­son­nel, mais ses résul­tats se mesurent en termes imma­té­riels visibles et objec­ti­vés dans les champs édu­ca­tifs, sociaux et citoyens. Si des choix doivent être faits, il y a fort à parier que la média­tion des publics et les pra­tiques artis­tiques inno­vantes ne seront pas épar­gnées. Les consé­quences, bien que stric­te­ment non-quan­ti­fiables, pour­raient être désastreuses.

Aujourd’hui, c’est donc l’ensemble du sec­teur cultu­rel bruxel­lois qui manque d’oxygène. De très nom­breux opé­ra­teurs (petits et grands) indiquent que leur fonc­tion­ne­ment est mis en dan­ger. Non seule­ment la pro­duc­tion artis­tique est ren­due dif­fi­cile, mais le rôle de notre sec­teur en tant qu’acteur de socié­té et moteur du vivre ensemble se voit menacé. 


Pour un « Bruxelles où tout le monde se retrouve » ?

Le sec­teur cultu­rel bruxel­lois relève (et com­bine) les défis du rayon­ne­ment inter­na­tio­nal et de l’ancrage dans une ville “super­di­verse”. De plus, il sti­mule de manière posi­tive la ren­contre néces­saire des deux grandes com­mu­nau­tés de notre pays.

Nos élus poli­tiques veulent-ils réel­le­ment saper les bases de ce tra­vail essen­tiel ? Ne sou­hai­tons-nous plus que notre capi­tale incarne et fasse rayon­ner la richesse cultu­relle de notre pays, au niveau natio­nal et inter­na­tio­nal ? Allons-nous vrai­ment lais­ser tom­ber les artistes et ins­ti­tu­tions dont nous sommes si fiers et tou­cher au noyau de cette dyna­mique bruxel­loise ? Les efforts pour diver­si­fier les publics et l’offre cultu­relle dans notre capi­tale cos­mo­po­lite n’en valent-ils donc tout sim­ple­ment pas la peine ? Sans tom­ber dans le chau­vi­nisme mais en pre­nant en compte la réa­li­té décrite ci-des­sus, peut-on espé­rer que tous nos res­pon­sables poli­tiques recon­naî­tront un jour les par­ti­cu­la­ri­tés du sec­teur cultu­rel bruxel­lois ? Qu’ils valo­ri­se­ront l’expertise acquise par les acteurs de ter­rain dans la construc­tion de ponts et le tis­sage de liens ? Et qu’ils com­pren­dront l’intérêt de sou­te­nir cette fonc­tion de ville labo­ra­toire pour une socié­té meilleure ? 

Bruxelles, le 28 octobre 2014
_Source de l’ar­ticle : RAB

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB)

Het Brus­sels Kuns­te­no­ver­leg (BKO)

La Concer­ta­tion des Centres Cultu­rels bruxel­lois (CCCB)

Le Conseil bruxel­lois des Musées (CBM)

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB), le Brus­sels Kuns­te­no­ver­leg (BKO), le Conseil bruxel­lois des Musées (CBM) et la Concer­ta­tion des Centres Cultu­rels bruxel­lois (CCCB) ras­semblent plus de 250 orga­ni­sa­tions (membres effec­tifs et membres adhé­rents) actives dans diverses dis­ci­plines ; arts de la scène, musique, arts plas­tiques, lit­té­ra­ture, etc. Leurs pro­fils sont éga­le­ment variés : des infra­struc­tures théâ­trales, muséales et centres cultu­rels aux lieux d’accompagnement d’artistes et com­pa­gnies, en pas­sant par les fes­ti­vals, centres cultu­rels et asso­cia­tions liées à la média­tion ou la com­mu­ni­ca­tion cultu­relle. La diver­si­té crois­sante des membres de ces réseaux consti­tue l’assise sur laquelle s’est appuyée la rédac­tion de ce texte.

Pour plus d’in­fos, contac­tez Sophie Alexandre (sophie@reseaudesartsabruxelles.be) — 02 502 26 88 ou 0478 38 32 13