L’Islande et le refus de l’austérité

L’UE choisit l’austérité face à la crise économique et se lance dans le sauvetage des banques privées... Salim Lamrani se penche sur le cas de l’Islande, un exemple que les médias et les apprentis sorciers de la finance préfèrent passer sous silence.

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Le 6 mars 2010, plus de 93% élec­teurs islan­dais par­ti­ci­pant à un réfé­ren­dum se pro­noncent contre le rem­bour­se­ment de presque 4 mil­liards de dol­lars au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, au titre des dettes accu­mu­lées par les banques islan­daises en faillite.

Face à la crise éco­no­mique, alors que l’Union euro­péenne a choi­si la voie de l’austérité et a déci­dé de sau­ver les banques, l’Islande a au contraire pro­cé­dé à la natio­na­li­sa­tion des ins­ti­tu­tions finan­cières et a reje­té les poli­tiques de res­tric­tions bud­gé­taires. Avec un taux de crois­sance de 2,7% en 2012, même le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI) salue le redres­se­ment éco­no­mique du pays.

Lorsqu’en sep­tembre 2008, la crise éco­no­mique et finan­cière a tou­ché l’Islande, petit archi­pel du Nord de l’Europe peu­plé de 320 000 habi­tants, l’impact a été désas­treux, comme sur le reste du conti­nent. La spé­cu­la­tion finan­cière a conduit les trois prin­ci­pales banques à la faillite, dont les actifs repré­sen­taient une somme dix fois supé­rieure au PIB de la nation, avec une perte nette de 85 mil­liards de dol­lars. Le taux de chô­mage a été mul­ti­plié par 9 entre 2008 et 2010, alors que le pays jouis­sait aupa­ra­vant du plein emploi. La dette de l’Islande repré­sen­tait 900% du PIB et la mon­naie natio­nale avait été déva­luée de 80% par rap­port à l’euro. Le pays s’est retrou­vé plon­gé dans une pro­fonde réces­sion, avec un recul du PIB de 11% en deux ans[ Paul M. Poul­sen, « [Com­ment l’Islande, naguère au bord du gouffre, a pu se réta­blir », Fond moné­taire inter­na­tio­nal, 26 octobre 2011. Site consul­té le 11 sep­tembre 2012.]].

Face à la crise

En 2009, lorsque le gou­ver­ne­ment a vou­lu appli­quer les mesures d’austérité exi­gées par le FMI, en échange d’une aide finan­cière de 2,1 mil­liards d’euros, une forte mobi­li­sa­tion popu­laire l’a contraint à la démis­sion. Lors des élec­tions anti­ci­pées, la gauche a rem­por­té la majo­ri­té abso­lue au Parlement[[Marie-Joëlle Gros, « Islande : la reprise a une sale dette », Libé­ra­tion, 15 avril 2012.]].

Le nou­veau pou­voir a néan­moins fait adop­ter la loi Ice­save – du nom de la banque en ligne pri­vée qui a fait faillite et dont les épar­gnants étaient en majo­ri­té hol­lan­dais et bri­tan­niques – afin de rem­bour­ser les clients étran­gers. Cette légis­la­tion contrai­gnait l’ensemble des Islan­dais à rem­bour­ser une dette de 3,5 mil­liards d’euros (40% du PIB) – 9000 euros par habi­tant – sur 15 ans à un taux de 5%. Face aux nou­velles pro­tes­ta­tions popu­laires, le Pré­sident a refu­sé de rati­fier le texte par­le­men­taire et l’a sou­mis à réfé­ren­dum. En mars 2010, 93% des Islan­dais ont reje­té la loi sur le rem­bour­se­ment des pertes cau­sées par Ice­save. Sou­mise une nou­velle fois à réfé­ren­dum en avril 2011, elle a de nou­veau été mas­si­ve­ment reje­tée à 63%[[Comité d’annulation de la dette du Tiers-monde, « Quand l’Islande réin­vente la démo­cra­tie », 4 décembre 2010.]].

Une nou­velle Consti­tu­tion, rédi­gée par une Assem­blée consti­tuante de 25 citoyens élus au suf­frage uni­ver­sel par­mi 522 can­di­dats et com­po­sée de 9 cha­pitres et de 114 articles, a été adop­tée en 2011. Celle-ci pré­voit un droit à l’information, avec un accès public pour les docu­ments offi­ciels (Article 15), la créa­tion d’un Comi­té de contrôle de la res­pon­sa­bi­li­té du gou­ver­ne­ment (Article 63), un droit à la consul­ta­tion directe (Article 65) – 10% des élec­teurs peuvent deman­der un réfé­ren­dum sur des lois votées par le Par­le­ment –, ain­si que la nomi­na­tion du Pre­mier Ministre par le Par­le­ment [[Consti­tu­tion de l’Islande, 29 juillet 2011. Site consul­té le 11 sep­tembre 2012.]].

Ain­si, contrai­re­ment aux autres nations de l’Union euro­péenne dans la même situa­tion, qui ont appli­qué à la lettre les recom­man­da­tions du FMI exi­geant l’application de mesures d’une aus­té­ri­té sévère – comme en Grèce, en Irlande, en Ita­lie ou en Espagne –, l’Islande a choi­si une voie alter­na­tive. Lorsqu’en 2008, les trois prin­ci­pales banques du pays, Glit­nir, Land­sban­kinn et Kaup­thing se sont effon­drées, l’Etat islan­dais a refu­sé d’y injec­ter des fonds publics, comme dans le reste de l’Europe. Il a au contraire pro­cé­dé à leur nationalisation[[Antoine Gre­na­pin, « Com­ment l’Islande est sor­tie de l’enfer », Le Point, 27 février 2012.]].

De la même manière, les banques pri­vées ont été contraintes d’annuler toutes les créances à taux variable dépas­sant 110% de la valeur des biens immo­bi­liers, évi­tant ain­si une crise de sub­prime comme celle des Etats-Unis. Par ailleurs, la Cour Suprême a décla­ré illé­gaux tous les prêts indexés sur des devises étran­gères qui ont été octroyés à des par­ti­cu­liers, obli­geant ain­si les banques à renon­cer à ces créances, au béné­fice de la population[[Marie-Joëlle Gros, « Islande : la reprise a une sale dette », op. cit.]].

Accu­sé de négli­gence dans la ges­tion de la crise finan­cière, l’ex-premier ministre islan­dais Geir Haarde a été décla­ré cou­pable, en avril 2012, par un tri­bu­nal spé­cial qui n’a rete­nu aucune sanc­tion à son encontre.

Quant aux res­pon­sables du désastre – les ban­quiers spé­cu­la­teurs qui ont pro­vo­qué l’effondrement du sys­tème finan­cier islan­dais –, ils n’ont pas béné­fi­cié de la man­sué­tude en vogue à leur égard dans le reste de l’Europe où ils ont été sys­té­ma­ti­que­ment absous. En Islande, ils ont été pour­sui­vis par la jus­tice et mis en pri­son, par Ola­fur Thor Hauks­son, Pro­cu­reur spé­cial nom­mé par le Par­le­ment. Même le Pre­mier Ministre Geir Haarde, accu­sé de négli­gence dans la ges­tion de la crise, n’a pu évi­ter un procès[[Caroline Bru­neau, « Crise islan­daise : l’ex-premier ministre n’est pas sanc­tion­né », 13 mai 2012.]].

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Une alter­na­tive à l’austérité

Les résul­tats de la poli­tique éco­no­mique et sociale islan­daise ont été spec­ta­cu­laires. Alors que l’Union euro­péenne se trouve en pleine réces­sion, l’Islande a béné­fi­cié d’un taux de crois­sance de 2,1% en 2011 et pré­voit un taux de 2,7% pour 2012, et un taux de chô­mage oscil­lant autour de 6%[[Ambrose Evans-Prit­chard, « Ice­land Wins in the End », The Dai­ly Tele­graph, 28 novembre 2011.]]. Le pays s’est même offert le luxe de pro­cé­der au rem­bour­se­ment anti­ci­pé de ses dettes auprès du FMI[[Le Figa­ro, « L’Islande a déjà rem­bour­sé le FMI », 16 mars 2012.]].

Le pré­sident islan­dais Ola­fur Grím­sson a expli­qué ce miracle éco­no­mique : « La dif­fé­rence est qu’en Islande, nous avons lais­sé les banques faire faillite. C’était des ins­ti­tu­tions pri­vées. Nous n’y avons pas injec­té de l’argent pour les main­te­nir à flot. L’Etat n’a pas à assu­mer cette res­pon­sa­bi­li­té »[[Ambrose Evans-Prit­chard, « Ice­land Offers Ris­ky Temp­ta­tion for Ire­land as Reces­sion Ends », The Dai­ly Tele­graph, 8 décembre 2010.]].

Contre toute attente, le FMI a salué la poli­tique du gou­ver­ne­ment islan­dais – qui a appli­qué des mesures aux anti­podes de celles qu’il pré­co­nise –, une poli­tique qui a per­mis de pré­ser­ver « le pré­cieux modèle nor­dique de pro­tec­tion sociale ». En effet, l’Islande dis­pose d’un indice de déve­lop­pe­ment humain assez éle­vé. « Le FMI déclare que le plan de sau­ve­tage à la manière Islan­daise four­nit des leçons pour les temps de crise ». L’institution ajoute que « le fait que l’Islande soit par­ve­nue à pré­ser­ver le bien être social des ménages et obte­nir une conso­li­da­tion fis­cale de grande ampleur est l’une des plus grandes réus­sites du pro­gramme et du gou­ver­ne­ment islan­dais ». Le FMI a néan­moins omis de pré­ci­ser que ces résul­tats ont été pos­sibles uni­que­ment parce que l’Islande a reje­té sa thé­ra­pie de choc néo­li­bé­rale et a mis en place un plan de relance alter­na­tif et efficace[[Omar R. Val­di­mars­son, « IMF Says Bai­lout Ice­land-Style Hold Les­sons in Cri­sis Times », Busi­ness Week, 13 août 2012.]].

Le cas de l’Islande démontre qu’il existe une alter­na­tive cré­dible aux poli­tiques d’austérité appli­quées à tra­vers l’Europe. Celles-ci, en plus d’être éco­no­mi­que­ment inef­fi­caces, sont poli­ti­que­ment coû­teuses et socia­le­ment insou­te­nables. En choi­sis­sant de pla­cer l’intérêt géné­ral au-des­sus de celui des mar­chés, l’Islande montre la voie au reste du conti­nent pour sor­tir de l’impasse.

Salim Lamrani

Source : Ope­ra Mundi