Artistes son ou techniciens du son : Quelle formation ? Pour quel marché du travail ?
Franck Ernould — modérateur : La deuxième table ronde de la matinée a pour thème : Artistes son ou techniciens du son : quelle formation ? pour quel marché du travail ?. Nous allons notamment insister sur les deux composantes, à la fois artistiques et techniques, liées au travail du son. En France, comparée aux Etats-Unis, notre « exception culturelle » fait que le cinéma est de préférence considéré comme un art, plus qu’une industrie. Par conséquent, le réalisateur n’est pas un Maître d’œuvre salarié, garant du bon achèvement du film, mais davantage un créateur, un artiste et il est considéré comme tel.
Dans les années 1950 et 60, en cinéma comme en musique, la formation des techniciens et des ingénieurs du son s’effectuait par une transmission directe sur le terrain, dans une logique de compagnonnage. Les solutions techniques et les outils étaient simples à maîtriser, le métier appelait à faire preuve d’astuce, et à recourir, le cas échéant, au système D. Le travail de l’ingénieur du son, du « recorder », ne consistait pas à résoudre des équations différentielles ou à maîtriser des logiciels complexes sur une configuration informatique sophistiquée. Les consoles étaient rudimentaires, sans beaucoup de pistes, ni de processeurs audio. Le son devait être fait avant la prise, et impossible à « réparer » au mixage. On savait que les machines enregistreuses et les lectrices avaient leurs défauts, on les connaissait, on les contournait. Une autre tournure d’esprit, par rapport à aujourd’hui, où le virtuel règne en image comme en son.
Dans l’esprit des gens, la notion « d’ingénieur du son » reste assez vague. En préparant cette table ronde, j’ai eu l’idée de lancer une recherche sur la fonction dans Google et sur les sites orientés « métier » ; le résultat est assez amusant. Je ne résiste pas à vous lire cette fiche descriptive : « Ingénieur du son (cinéma). Appelé aussi Chef-Opérateur du son. Jusque-là, tout va bien… C’est lui qui assure au cinéma toute la partie sonore d’un film : ambiances, bruits, dialogues. Mauvaise acoustique ? Il faudra peut-être décider d’un autre lieu de tournage ! Sur place, avec sa batterie de micros, il fait la peau à tous les bruits parasites, et veille à ce que l’enregistrement des dialogues soit parfait. Comme le réalisateur, son travail ne s’arrête pas au dernier clap. Artiste, il jongle aussi avec les sons additionnels – voix-off, bruitages, musique. Il travaille en collaboration étroite avec l’assistant du son qui place les micros, et le mixeur qui fixe tous les sons sur une même bande. Ensuite, le monteur son prend la relève : sa tâche consiste à caler le son sur les images. L’ingénieur du son peut être amené aussi à faire des prises de son en studio d’enregistrement, retravailler les aigus et les graves, sonoriser des spectacles. Il est chargé, pour les musiciens, du réglage des instruments et des micros, de la sonorisation de la salle ».
Une vision un peu exotique, en fait : au cinéma, ce serait l’ingénieur du son qui fait tout ! En revanche, le texte d’intro est bien vu : mi-artiste, mi-technicien, l’ingénieur du son est le responsable de tout l’univers sonore d’un film. Un poste envié, mais où les places sont chères.
Je suis sorti de l’école Louis Lumière en 1984. Il n’existait alors que très peu d’écoles de son en France, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, aussi bien à Paris qu’en province. Un marché qui s’est bien développé dans les années 90, mais où de nombreuses questions se posent à présent, l’univers du son professionnel ayant évolué considérablement ces dix dernières années. Dans une formation au son, il est facile de prendre un tableau, d’y écrire des équations décrivant des phénomènes acoustiques ou électroniques, et de prétendre que si on a tout compris, on saura prendre le son. Il s’avère que c’est un peu plus compliqué que ça… Nous allons pouvoir discuter de cet aspect avec les intervenants de cette table ronde, où se côtoieront les directeurs et les responsables de formation de différents établissements, ainsi que des mixeurs, plus précisément deux mixeuses qui ont suivi un parcours bien différent. Elles nous décriront leurs activités actuelles — où les frontières entre postes ne sont plus aussi figées qu’avant — et où, sans aller jusqu’à l‘ingénieur du son Superman qui fait tout le film, un mixeur ou un preneur de son de direct peut aussi faire du montage son.
Il est difficile pour des techniciens du son de s’en tenir à une vision technico-technique de leur métier, qui consisterait à toujours appliquer les mêmes recettes technologiques, quelle que soit la situation. La formation au son, selon moi, doit insister sur cet aspect. Les métiers du son sont des professions de passionnés, ceux qui arrivent en formation possèdent, en principe, des acquis. Le niveau d’admissibilité dans les écoles de son a beaucoup augmenté ces dernières années. L’école Louis Lumière — alors Lycée technique — recrutait, il y a vingt cinq ans, au niveau Bac, et formait à un BTS Cinéma « option son » — même si ceux qui réussissaient le concours d’entrée venaient, pour la plupart, d’une Math spé, d’un DEUG de maths ou de physique. Claude, qu’en est-il aujourd’hui ?
Claude Gazeau — Responsable de la Formation son à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière : Voici quatre ans, cette formation est devenue un Master 2. C’est l’équivalent d’un bac+5 européen. En conséquence, la durée de la formation est passée à trois ans.
Franck Ernould : Les programmes ont-ils fait l’objet d’une remise à niveau ?
Claude Gazeau : Je vais avoir du mal à répondre à cette question, n’étant professeur à Louis Lumière que depuis deux ans. Les programmes ont de toute façon changé par l’apport technologique et la complexité croissante de nos métiers. Pour ce qui concerne la formation, il faut suivre, et nous allons beaucoup plus loin désormais, au niveau technologique.
Franck Ernould : C’est vrai qu’en allant voir sur le site Web de l’école, j’ai remarqué que l’équipement technique des studios n’a rien à voir avec ce dont nous disposions en 1982/84
Claude Gazeau : Nous avons abandonné la pellicule et la bande magnétique, pour utiliser en formation les technologies que nos étudiants trouveront lorsqu’ils arriveront sur le marché du travail. On essaie, en permanence, de coller à la réalité.
Franck Ernould : Existe-t-il toujours un concours d’admission ?
Claude Gazeau : Tout à fait, au niveau Bac+2. Les épreuves d’admission se divisent en deux parties : la première est très orientée « maths/physique » — il faut vraiment avoir un niveau Math spé pour réussir. Les meilleurs ont accès à la deuxième partie du concours, plus orientée « culture générale » et intérêt pour le son : un écrit et un entretien.
Franck Ernould : Au niveau du BTS de Boulogne, ça se passe comment ?
Raymond Yana, Responsable de la formation BTS Audiovisuel à Boulogne-Billancourt : En principe, nous recrutons à partir de la terminale, mais compte tenu de la demande, il nous arrive d’aller jusqu’à Bac+1. Il y a cinq options au BTS Audiovisuel : pour l’option « son », nous recrutons en sortie de bacs scientifiques, S ou STI. Nous recevons chaque année 500 à 600 dossiers pour douze places, on convoque environ soixante candidats aux entretiens — en s’assurant de leur motivation, de la connaissance du métier, et sur le fait d’être plus attirés par la technique que par les paillettes. Nous choisissons douze candidats sur liste principale, et nous constituons une liste d’attente de vingt.
Franck Ernould : Claude, vous avez les mêmes chiffres ?
Claude Gazeau : Au dernier concours « son », il y avait trois cents prétendants pour seize places. C’est un nombre constant depuis une dizaine d’années.
Franck Ernould : Nous étions plus nombreux au concours en 1982 — six cents candidats pour vingt places. Mais à l’époque, il existait moins de formations alternatives…
Claude Gazeau : C’est exact et d’autre part, depuis l’introduction du statut Master 2, la formation « son » de l’école aboutit à trois Majeurs en derrière année : une Majeur « scénographie » — spectacle vivant, mise en place d’installations ; une Majeur « cinéma » qui, comme son nom l’indique, concerne la prise de son et le mixage cinéma ; et une Majeur « documentaire », qui quitte un peu le strict domaine sonore, pour s’intéresser à la façon d’écrire une histoire, un documentaire, et de le réaliser au niveau sonore, en radio par exemple.
Franck Ernould : Mike, combien as-tu d’élèves au SAE Institute ?
Mike Brück : Ici, en France, ça varie entre trois cent cinquante et quatre cent vingt étudiants à l’école, répartis dans une dizaine de formations différentes : d’une formation initiale jusqu’au Master. L’école dispense aussi des petites formations « grand public », genre Responsable de la salle polyvalente d’une petite ville qui organise son bal du 14 juillet. On peut aller jusqu’à un Doctorat.
En fait, j’ai aussi plusieurs casquettes : je représente non seulement notre école en France, mais aussi tout le groupe, qui a des centres de formation dans le monde entier — une cinquantaine en tout. Le SAE Institute possède également un label, un groupe de studios professionnels, avec un côté très anglo-saxon.
J’ai pris mes fonctions en France, en 1993. J’habite normalement en Australie — je devrais donc être à la plage en ce moment — mais je suis principalement en France. Après quinze ans, je n’ai toujours pas compris le système scolaire français ! Les DEUG, les BTS et autres… Nous voyons les choses un peu différemment, avec une approche plus pragmatique, plus orientée « business ». Si tu peux, tant mieux ; si tu ne peux pas, tant pis.
Franck Ernould : Il y a un tri à l’entrée du SAE Institute ?
Mike Brück : Pour les formations « grand public », il y a de la place pour quarante personnes ; elles durent six mois — premiers arrivés, premiers servis. Pour les formations « diplômantes », il y a un concours d’entrée, niveau Bac minimum. Ce qui compte pour nous, c’est de connaître qui est la personne qu’on a en face de nous.
Elle se présente par une lettre de motivation, on lui fait faire un test de connaissances : culture générale, tests de physique et de mathématique, un peu d’acoustique. Quelqu’un qui n’a jamais touché à un clavier et une souris, ce n’est peut-être pas la peine de poursuivre ; ce qui nous intéresse, c’est son caractère. Notre but : comprendre si la personne est suffisamment intéressée par la formation.
Franck Ernould : Gilbert Pereira, vous représentez le CPNEF. Par rapport aux établissements que nous venons de citer, quelle est la différence ?
Gilbert Pereira — CPNEF (Commission Paritaire Nationale Emploi-Formation) : Ce n’est pas du tout le même domaine. La Commission traite de l’ensemble des métiers de l’Audiovisuel. Elle les recense, regroupe l’ensemble des partenaires sociaux pour débattre de nos métiers, de leur évolution, et se charge d’établir une gestion prévisionnelle des emplois et des formations. À terme, la Commission peut même émettre un avis sur les conventions collectives.
Franck Ernould : Vous pouvez donc avoir une influence sur le contenu des enseignements, le profil des postes ?
Gilbert Pereira : Nous n’en sommes actuellement pas à cette précision, à ce détail, mais nous agissons plus sur l’emploi et les besoins de formation. Là, il y a effectivement un certain nombre de prescriptions, par exemple dans le domaine du spectacle vivant. Il y en aura aussi à terme en cinéma-audiovisuel, mais sous quels délais, je suis incapable de vous le dire : ces commissions paritaires regroupent, par définition, employeurs et salariés, plus l’administration.
Franck Ernould : Laure Arto et Nathalie Vidal sont toutes les deux mixeuses. Elles ont réussi les concours d’entrée et les examens de sortie d’écoles de cinéma et d’audiovisuel. Elles travaillent depuis des années. J’aimerais bien connaître votre parcours, à chacune… Répondez-vous au portrait-robot du fort en maths/physique/musicien ? Comment ça s’est passé (après) la sortie de l’école ?
Laure Arto — mixeuse : J’ai passé un Bac C, aujourd’hui S ; j’ai ensuite fait un DEUG de maths, et une formation accessible au niveau Bac+2 à la MST de Brest — Maîtrise de Science et Technique — image et son. On en sort avec une Maîtrise, niveau Bac+4 : donc, je crois que c’est devenu un Master, maintenant.
Franck Ernould : C’est une formation vraiment audiovisuelle…
Laure Arto : Tout à fait, assez généraliste sur l’image et le son en première année, plus spécialisée en deuxième. En première année, par exemple, j’ai fait du montage image sur Avid, par exemple.
Par la suite j’ai effectué plusieurs stages — notamment aux audis Jackson — société que j’ai intégrée après un stage de deux mois, et qui fait partie du groupe Télétota, représenté ce matin par Christophe Massie. J’ai travaillé 8 ans comme « recorder » — c’est du jargon cinéma, ça signifie « assistant son en auditorium ». Ça consiste à accueillir l’équipe de mixage du film sur toute la durée du mixage, c’est-à-dire plusieurs semaines. On est très proche du mixeur, cela consiste à mettre en place toute la configuration, pour satisfaire tous ses besoins techniques.
Franck Ernould : Tu fais l’interface entre lui et l’auditorium…
Laure Arto : Voilà… Il y a du matériel technique propre au studio, mais il peut aussi y avoir du matériel de location, qu’il faut brancher, configurer… Tous les mixeurs ne travaillent pas de la même manière, il faut s’adapter. Pendant huit ans, j’ai travaillé entre Jackson et Auditel. Depuis deux ans je travaille en free-lance, essentiellement comme mixeuse, mais je fais aussi du montage son, ou j’enregistre des bruitages…
Franck Ernould : Et toi, Nathalie ?
Nathalie Vidal : Je n’ai pas du tout un parcours scientifique. Je suis plutôt littéraire, j’ai arrêté les maths en seconde. Je faisais beaucoup de musique, j’ai enchaîné sur une fac de musicologie, j’ai soutenu une Maîtrise, mon mémoire était consacré à la musique de film. Très vite, j’ai dévié sur la bande son au cinéma. À cette occasion j’ai réalisé que c’était le son en général qui m’intéressait dans son rapport à l’image, plutôt que l’aspect exclusif de la musique de film.
J’ai passé le concours la FEMIS deux fois, j’ai travaillé, je prenais tous les stages qui se présentaient — pas seulement en son, mais en régie, en réalisation. Ce qui m’a permis de connaître la réalité du terrain, avant d’intégrer la FEMIS. Je suis très contente que la FEMIS ait été créée pour recevoir des gens dont le parcours ne correspond pas forcément à celui exigé par d’autres écoles : Louis Lumière, par exemple. Si j’avais voulu passer le concours de Louis Lumière, j’aurais dû refaire un an, voire plus, de remise à niveau.
J’ai fait partie de la troisième promotion de la FEMIS. Depuis, les choses ont un peu changé, mais au niveau du recrutement, la porte reste ouverte à des personnes qui n’ont pas un parcours purement mathématique ou scientifique. A la sortie de l’école, ça s’est bien passé, et je touche du bois, ça continue depuis…
Franck Ernould : Tu as enchaîné des stages ?
Nathalie Vidal : C’est le parcours habituel ! Cela dit, avec Bac+4, on a déjà envie de travailler… Lors de mes premiers stages avant la FEMIS — notamment un, en montage — j’ai été bien conseillée, parce qu’il existait aussi la formation « sur le tas ». J’étais prête à me lancer, mais on m’a fait comprendre qu’en son, ce serait peut-être bien d’avoir des bases plus précises et plus techniques en faisant une école. Surtout qu’en post-production, le passage au numérique a beaucoup changé la donne pour les stagiaires.
Bref, en sortant de l’école, j’ai enchaîné avec le circuit classique : courts métrages, assistanat. Comme la FEMIS prépare à l’ensemble des métiers — prise de son, montage son, mixage — j’ai mis un certain temps pour arriver au mixage, mais je suis contente d’être passé par tous les postes. L’assistanat m’a beaucoup appris, aussi.
Franck Ernould : Revenons sur ce passage au numérique qui fait qu’on a moins besoin d’assistants. Les gens se débrouillent tout seuls. En auditorium, l’assistant « recorder » se retrouve parfois à gérer simultanément trois ou quatre séances, ce qui n’est pas idéal pour prendre le temps de se mettre à la console, à côté d’un mixeur, et de regarder comment il fait, comment il résout les difficultés.
Un autre point primordial du métier, dont on ne parle pas assez selon moi, est : Comment un ingénieur du son gère les aspects psychologiques, les relations humaines avec les gens qui sont à côté ou derrière lui ? C’est vraiment important, et à Louis Lumière, on ne m’en a jamais parlé…
Claude Gazeau : On en parle un peu plus aujourd’hui. Je voudrais revenir sur ce qu’a dit Nathalie : C’est vrai que le numérique a produit une espèce de distanciation sur un certain nombre de choses. Mais en même temps, je trouve que pour ceux qui ont mon âge ou un peu plus, qui ont connu le « recorder » de l’époque, celui à qui on parlait au travers d’un interphone, et à qui on disait :« Charge-moi la bobine 2 », c’était un peu comme une machine là-haut, tous ces « défileurs » identiques, synchronisés ; il pouvait y en avoir dix ou quinze chargés en 35mm magnétique, sur un seul mixage. Le numérique a contribué à rapprocher l’assistant de l’auditorium, du mixeur et des opérations de mixage.
Nathalie Vidal : En fait, je parlais surtout de l’assistant en montage image ou en montage son. Le monteur est aujourd’hui assez isolé. Le monteur image aura un assistant qui vient après la journée de travail pour faire de la « gestion », mais la notion de stagiaire ne fait plus partie de l’équipe, du coup, plus d’apprentissage. J’ai des souvenirs, en tant que stagiaire, de rangement de chutes dans la salle de montage où l’on était physiquement ensemble toute la journée. On assistait à l’élaboration du film, avec toutes les problématiques dont on se nourrissait pour avancer sur le travail : la collaboration avec le réalisateur, l’historique du film, comment résoudre les problèmes. Ce ne sont pas seulement des clics de souris !
Franck Ernould : Gilles, comme tu le précisais tout à l’heure, ton domaine professionnel est davantage celui du spectacle vivant… Même si la notion de « spectacle vivant » est quand même assez large ! Tu retrouves certaines des problématiques, des thèmes déjà évoqués ?
Gilles Hugo : On peut dire qu’il y a le cinéma d’un côté et le spectacle vivant de l’autre, avec l’Audiovisuel au milieu qui communique avec les deux. Clairement, quand on parle de cinéma, ce n’est pas du tout mon univers, mais l’Audiovisuel, c’est le même monde. Aujourd’hui, un « sonorisateur » peut aussi bien se retrouver aux commandes d’une console sur le plateau de la Star Ac’ — avec diffusion en direct — que sur une tournée musicale. Le studio d’enregistrement « musique » à l’ancienne n’existe pratiquement plus : le Pro Tools a envahi les chambres d’étudiants, mais aussi les régies de sonorisation – ce qui impose nécessairement une connaissance de l’enregistrement multipiste, à défaut du mixage.
Le monde a vraiment changé. Il n’y a plus vraiment de barrières, il y a des spécialités. Je dis souvent que ça ressemble à la compétition automobile : Si Michael Schumacher s’engage au rallye de Monte-Carlo, il ne le gagnera peut-être pas la première année, mais l’année suivante, il le gagnera sûrement. Et si un très bon pilote de rallye veut passer à la Formule 1, il ne gagnera pas de Grand Prix cette année, mais dans un an, sûrement.
Dans nos métiers, c’est globalement semblable : je pense qu’un assistant passera assez facilement du spectacle vivant à l’Audiovisuel, un ingénieur du son aussi — avec des limites évidemment.
Je rappelle souvent, et là je rejoins ce qui a été dit avant, que nos métiers, notamment sur les postes de responsabilité — ce qui inclut, pour moi, l’assistant qui pose un micro cravate HF sur un invité ; s’il le pose mal, le meilleur ingénieur du son avec le matériel le plus performant, ne pourra pas « sortir » la voix de l’invité — c’est 40% de diplomatie, 40% de psychologie et 20% de technique. Si on n’a pas les 20% de technique, ce n’est pas la peine d’essayer ; si on est un excellent technicien, mais qu’on n’a vraiment pas de disposition à la psychologie ou à la diplomatie, il faut rester chez soi… Là on est à 100%: au-dessus ça s’appelle le talent. On peut en avoir, ça peut aider, mais honnêtement, dans 99% des situations, c’est pas le problème.
Franck Ernould : Quel a été ton parcours, Gilles ?
Gilles Hugo : J’ai le parcours inverse de ceux qui ont parlé jusqu’ici. Au départ, je manageais des artistes. C’était dans les années 1970. Il y avait alors très peu d’écoles de son, on ne parlait pas d’audiovisuel, à part Louis Lumière qui servait à former, entre autres, les gens de l’ORTF — on était encore à l’époque de l’Office. J’ai été le premier ingénieur du son free lance à la télévision française, sur une émission de Michel Drucker, qui a été le premier animateur à faire une émission hors des plateaux télé de la SFP, pour ne pas avoir à gérer les syndicats maison.
Gilbert Pereira : En 1962, avec l’arrivée de la deuxième chaîne, les prestataires de service ont commencé à exister, et tous les diplômés « son » de Louis Lumière — on disait Vaugirard à l’époque — passaient par la télévision.
Gilles Hugo : Donc, je manageais des artistes. Un jour, l’ingénieur du son qui devait assurer une tournée est parti. Je ne connaissais rien au son, mais je connaissais bien la musique, et je me suis mis à la console de sonorisation. J’ai de plus en plus travaillé à ce poste, de moins en moins comme manager. Quelques années plus tard, Michel Drucker a monté une émission dans un théâtre, dans les conditions du spectacle vivant, hors plateau de télé. On est en 1980 : il existait alors un décalage terrible entre le « service public du son » et le son en concert, où l’on inventait littéralement la sonorisation moderne depuis déjà quelques années. Les gens du terrain construisaient plus d’enceintes qu’ils n’en achetaient. Je suis rentré chez Drucker, et de fil en aiguille, je me suis retrouvé à faire le son de centaines d’émissions, notamment pour Canal+ : Les Nuls, Nulle part ailleurs… et les Victoires de la Musique.
J’ai monté ma société — qui s’appelle Silence — assez vite. En tant qu’employeur, je me suis retrouvé à employer des gens venant des écoles. Là j’ai une vision un peu différente. D’une part, je les accueille dans le cadre d’un stage d’études — avec convention de stage d’école — y compris des élèves sortant d’établissements, dont nous avons des représentants ici. Par ailleurs, avec nous, le stagiaire parle de son école d’une façon un peu différente qu’à ses parents — qui paient 7000 euros par an — ou de ce qu’il dit à ses professeurs. Nous avons aussi une approche différente : A la seconde où l’on envoie un stagiaire sur une opération, par exemple « : Va brancher le retour », et qu’on le voit partir avec la mauvaise XLR, on attend qu’il ait tout déroulé, qu’il soit au bout de ses 100 mètres de câble, avec la mauvaise prise au bout, et on lui dit « : D’accord, tu as un Pro Tools chez toi, tu fais DJ le week-end, tu as des grandes connaissances de son, tu as un an et demi d’école, c’est formidable ! Voilà, maintenant, on va repartir de la base, retourner à l’atelier, et t’apprendre la différence entre une XLR mâle et une XLR femelle… »… Ce qui est de moins en moins pratiqué dans les écoles.
Il se trouve qu’on emploie beaucoup de personnes sortant des écoles, et là, je rejoins ce qui a été dit avant : la nécessité de faire évoluer la structuration des professions, parce qu’on a beau s’appeler « ingénieur du son », on n’est pas ingénieur pour autant. Appelons les choses par leur nom : il y a des traditions en cinéma, en télévision, en spectacle vivant, il faut les normaliser. Du point de vue technique, il y avait jusqu’à présent, beaucoup de conventions collectives, et des « champs » où il n’existait rien. La normalisation des secteurs d’activité passe par des conventions collectives, par des lois sociales. Nous avons aujourd’hui — à la suite de la demande formulée voici trois gouvernements — huit conventions collectives, plus une, pour ranger, caser tout le monde. Elles ne sont pas toutes signées, excepté la convention pour la prestation technique. J’étais un ardent défenseur du regroupement de l’Audiovisuel et du spectacle vivant, au contraire de ceux qui continuent de dire qu’il faut les séparer. Je pense que ce regroupement est motivé, parce que distinguer « spectacle vivant » et « spectacle enregistré », ne correspond plus à la réalité. Je ne connais pas un seul show de variétés sans caméras, pour alimenter les grands écrans derrière les chanteurs et les animateurs, et aucun show « live » qui ne soit pas enregistré. On se sert des techniques audiovisuelles dans les spectacles vivants, et pour faire beaucoup de télévision, je sais que si la télévision ne faisait pas appel aux techniques du « live », il n’y aurait pas les lumières que l’on peut y voir maintenant, et sûrement pas le son– — en particulier le son plateau. Si je prends l’exemple du son d’une émission « hautement culturelle » comme la Star Ac’ fait par Silence, nous utilisons simultanément pas moins de 180 micros, dont 80 HF. Dans toutes les écoles, on explique que c’est impossible à faire, alors que ce sont typiquement des techniques issues du spectacle vivant, qu’on apporte de la comédie musicale. Les passerelles sont devenues des viaducs… À part la notable exception du cinéma — qui réussit à être un peu à part — on y utilise de plus en plus le HF, et les mêmes techniques.
Bref, j’emploie les élèves sortant des écoles de son françaises , en essayant de leur apprendre le métier.
Franck Ernould : Voilà une question que je voulais poser, à Raymond Yana : à leur sortie de l’école, leur BTS en poche, que font les élèves ? Ils travaillent directement, ayant reçu des propositions dès l’école, ou ils enchaînent sur une autre formation pour se spécialiser ?
Raymond Yana : Avant de parler de ce qu’ils font en sortant de l’école, je vais finir d’expliquer ce qu’ils font à l’école ! Je vous ai parlé de ceux qui entraient en formation initiale, mais nous avons également une quarantaine de stagiaires qui sont en formation en alternance. Ils sont salariés d’une entreprise, et ils viennent chez nous…
Franck Ernould : Pour se perfectionner ?
Raymond Yana : Non, pour présenter le diplôme ! Leur formation est diplômante, dans le cadre des contrats de professionnalisation.
Nous accueillons parfois des personnes pour faire des compléments de formation, dans le cadre d’une VAE — Validation des Acquis par l’Expérience — mise en place depuis quelques années. Après trois ans d’expérience professionnelle, on peut prétendre à ce diplôme, en faisant valider son expérience.
Maintenant, je réponds à la question. Lorsqu’ils sortent, certains étudiants souhaitent poursuivre leurs études. Beaucoup considèrent que les deux années de BTS leur apportent une formation pratique et technique. Ils s’inscrivent ensuite une année en université, puisqu’il existe des équivalences — un BTS représentant cent vingt crédits européens. Certaines universités les accueillent, et ils profitent de cette année-là, où ils ont un statut, pour faire une formation complémentaire plus théorique, et préparer leur concours, que ce soit celui de Louis Lumière ou la FEMIS.
Franck Ernould : Ça représente combien d’étudiants par an ?
Raymond Yana : 25% des étudiants continuent après le BTS.
Franck Ernould : Et pour ceux qui sortent et qui travaillent ?
Raymond Yana : C’est un peu compliqué. Beaucoup nous disent qu’ils veulent faire comme métier « intermittent du spectacle ». On essaie de leur expliquer que ce n’est pas franchement un métier, mais ils ont l’air de considérer ça comme un label de qualité… j’ignore à quoi c’est dû. Certains travaillent en CDI, mais il y en a beaucoup que je considère — en ayant le statut d’intermittents du spectacle — comme étant au chômage.
Franck Ernould : Dans quel domaine les retrouve-t-on ? Radio, sonorisation, cinéma ?
Raymond Yana : Ça se répartit. Pas beaucoup en cinéma, dans ce domaine, avec un BTS, les possibilités sont restreintes à part pour les plus culottés, mais beaucoup n’y arrivent pas. À la télévision, bien sûr, puisqu’à l’occasion de stages, les étudiants ont l’opportunité de se faire connaître et de montrer qu’ils savent faire la différence entre XLR mâle et femelle, pour reprendre l’anecdote de Gilles Hugo… Ceux qui réussissent la démonstration, sont souvent sollicités pour revenir travailler à la sortie de l’école.
Certains travaillent aussi dans le spectacle vivant, en sonorisation. Dans les critères de recrutement figure aussi cet aspect artistique, je crois aussi que c’est le thème du débat : tous nos étudiants sont musiciens. Tous. Ce n’est pas un critère de sélection, mais le hasard fait qu’ils sont tous musiciens.
Claude Gazeau : À Louis Lumière également !
Franck Ernould : C’est vrai, dans ma promo, nous étions tous musiciens.
Raymond Yana : Beaucoup d’entre eux souhaitent faire cette formation pour prolonger la passion qu’ils ont pour la musique, évidemment en se tournant vers la captation, la sonorisation ou l’enregistrement musique.
Franck Ernould : Mike, le SAE Institute était voici quelques années, surtout étiqueté « musique » studio, vu l’historique de la SAE. A présent, j’ai l’impression qu’on retrouve aussi tes élèves dans l’Audiovisuel. La formation s’est infléchie pour aller dans ce sens ?
Mike Brück : Le terme « School of Audio Engineering » a été abandonné voici dix ans, remplacé par le terme SAE Institute, plus général. Audio, c’était spécifiquement le studio, enregistrement et mixage. Depuis une dizaine d’années, on a rajouté des activités « multimédia ». J’en faisais déjà à Sydney en 1986, mais à l’époque, personne ne savait ce que signifiait ce mot…
L’image et le son vont ensemble. Le SAE Institute de Paris se trouve à la Plaine Saint-Denis, à quelques mètres des plateaux de télévision où sont tournées, justement, des émissions comme la Star Ac’, qu’on mentionnait tout à l’heure. Nous sommes voisins : la semaine dernière, Britney Spears était l’invitée et c’était assez mouvementé dehors ! Sans oublier Carla Bruni, qui est arrivée accompagnée d’une centaine de gendarmes, c’était très sympa… À proximité de chez nous, il y a aussi les studios de doublage Dubbing Brothers, où de plus en plus travaillent nos anciens étudiants. En fait, j’en croise souvent qui travaillent dans les EMGP, du télé-achat à Nagui…
Je suis d’accord avec ce qu’a dit Gilles Hugo : la technologie, ça fait peut-être 20%, mais, aujourd’hui, si on ne maîtrise pas parfaitement les raccourcis clavier de Pro Tools ou d’Avid, on est mort … Mais la qualité essentielle, c’est d’avoir un certain caractère. On voit de plus en plus de jeunes qui pensent qu’une casquette, les fringues et un Pro Tools à la maison, ça fait un grand producteur. Évidemment ce n’est pas vrai ! De toute façon, quand les étudiants me demandent quoi faire après l’école, je leur dis : « Si tu vas dans un studio qui ne fait que de la musique, fais attention ! Va plutôt là où il y a aussi de l’image ». Aujourd’hui, n’importe quelle chanson a besoin d’un clip — l’ingénieur du son est donc forcément confronté au monde de l’image. Synchronisation, terminologie du time code, c’est partout ! Nous avons d’anciens étudiants qui font des installations multimédia dans des supermarchés Leclerc, par exemple. Il n’y a pas que l’industrie du cinéma ou de la télévision !
Ce qu’on demande aux étudiants, c’est d’être le plus polyvalent possible. L’industrie ne s’arrête pas à la frontière franco-belge ou franco-allemande, le business de l’audio est international, le métier aussi. C’est pour ça qu’on demande à nos étudiants d’apprendre l’anglais. À partir d’un certain budget de production, tout le monde parle l’anglais !
Frank Ernould : L’anglais est vraiment la langue internationale de l’audio. Si on veut lire Mix, Sound on Sound, Pro Sound News, Installation, bref les revues qui comptent, il faut bien connaître la langue…
Mike Brück : L’image est partout. Il existe des centaines de chaînesde télé disponibles qu’il faut remplir 24 heures sur 24. Aujourd’hui, quelqu’un qui ne voudrait faire « que » du son, bonne chance ! Normalement, on se trouve tout de suite confronté à l’image, ce qui nécessite de savoir travailler en équipe. Là aussi, la personne qui s’enferme avec des centaines de pistes sur son Pro Tools aura tendance à se perdre. Plus que jamais — même si on a tout chez soi — travailler en équipe est extrêmement important. Sinon, ça n’avance pas !
Gilles Hugo : Je partage à 100% l’avis de Mike. Une chose très juste a été dite ce matin à plusieurs reprises : c’est la notion de « culture générale ». Les écoles de formation professionnelle ont eu tendance à négliger cet aspect pendant de nombreuses années, avant de se reprendre. Certaines écoles privées qui avaient des cycles de trois ans ont récemment rajouté à leur programme, ce qu’on va appeler une « année de remise à niveau ». Cette année supplémentaire offre un intérêt financier non négligeable pour l’école, mais elle est aussi très intéressante pour les étudiants, quel que soit le champ d’activité, spectacle vivant ou enregistré. Il est clair qu’une personne qui sonorise ou enregistre un débat, et qui ne comprend pas ce qui se dit, ne va sûrement pas anticiper l’ouverture du micro : elle ne suit pas, elle ne sait pas ce que les gens racontent, c’est une situation terrifiante. C’est un exemple symbolique, mais c’est exactement ça.
Dès que j’emploie des stagiaires, je leur demande s’ils lisent le journal, quelle radio ils ont écoutée la veille ou le matin, et très vite, j’arrive à savoir ce que la personne a dans la tête. C’est aussi important que le sens du travail en équipe qui est absolument fondamental. Très souvent, celui qui est embauché a su se faire accepter par l’équipe en place. Ce n’est pas le niveau technique qui est en jeu, mais celui qui va être un excellent compagnon pour les autres. Ce qui veut dire dans notre secteur : accessoirement, décharger le camion, et aider l’autre à tirer le câble s’il voit qu’il est parti avec le mauvais côté de la prise.
Il y a une uniformisation certaine des techniques, beaucoup plus que par le passé. Aujourd’hui, nous passons tous par la case « informatique », ce qui permet de faire plus de choses, mais qui est très formatée, beaucoup plus qu’avant. On voit donc arriver des personnes qui ont reçu, globalement, la même formation. Mais ce qui fait la différence, c’est tout le reste, tout ce qui n’a rien à voir avec le son.
Franck Ernould : Ce n’est pas toujours facile à détecter lors d’un examen d’entrée ou même pendant les études ! Nous étions vingt dans ma promotion à Louis Lumière, environ la moitié travaillent aujourd’hui dans le milieu du son, et occupent des postes très différents : l’un est Directeur marketing chez un grand importateur audio pro français, un autre est acousticien, un est au Planétarium, un autre sonorisateur, un autre à la SFP… Les dix élèves restants ont complètement disparu de la circulation. Ce phénomène existe-t-il encore aujourd’hui ? Est-ce un tri naturel, compte tenu de ce que nous venons d’évoquer ?
Claude Gazeau : Ils n’ont pas trouvé leur place, c’est évident. Il leur manquait sans doute l’étincelle et/ou la culture. L’aspect culturel est vraiment important, là j’abonde à 300% dans le sens de ce qui a été dit par Gilles et Mike.
Franck Ernould : Les écoles de son passent pour des établissements assez techniques, alors qu’en définitive, la technique a beau être indispensable, elle ne suffit pas…
Claude Gazeau : Je compare souvent l’ingénieur du son à l’instrumentiste qui doit lire une partition sans problème, et connaître son instrument sur le bout des doigts. C’est seulement après ces acquis qu’on peut parler d’interprétation. Le même principe est applicable à nos métiers. On interprète des bandes son, on interprète des situations humaines, on interprète en permanence.
Franck Ernould : On a aussi des cas d’élèves qui rêvent de faire du son en professionnel, parce que depuis l’âge de dix ou douze ans, ils ont un petit Cubase ou un Pro Tools à la maison, ils connaissent les menus par cœur et ils sont les champions des raccourcis clavier. Pour eux, tout le boulot est fait ! Ils vont dans une école en pensant qu’ils savent déjà tout…
Gilles Hugo : La technique en elle-même, ce n’est rien du tout. L’important, c’est ce qu’on en fait. Nous sommes tous allés dans des concerts sonorisés avec une console pourrie et deux vieilles enceintes, mais le groupe jouait bien, le sonorisateur était bon, on a pris énormément de plaisir. On a tous fréquenté des gros spectacles…j’ai fait une expérience épouvantable au Stade de France voici quelques semaines, avec Madonna. Le matériel déployé, c’était le Salon du son, mais au niveau du son, c’était le Salon de la douleur ! Totalement inaudible… En allant sur Internet, sur les blogs anglais ou allemands, on s’aperçoit que partout où Madonna est passée, le son est une catastrophe, avec des gens qui écrivent à Light & Motion pour récupérer l’argent de leurs billets. Ce n’était pas un problème de matériel, ni de compétences, mais un aspect beaucoup plus fondamental qui était en jeu : « Pour qui fait-on du son ? ». C’est à ce point précis que l’on rejoint l’artistique… Est-ce que la star du spectacle est le sonorisateur ? Certainement pas ! C’est la personne sur scène. Le sonorisateur, c’est la seule personne dans la salle qui soit payée. Il connaît déjà le spectacle. Ce serait donc très agréable qu’il ne mixe pas pour lui, mais pour le public, qui est moins bien placé que lui qui se trouve au milieu, à la bonne distance. Il peut faire de magnifiques effets stéréo, mais presque personne ne les percevra correctement. Il connaît tellement le spectacle qu’il sait les paroles par cœur, alors il les sous-mixe, au point que même si le chanteur s’arrêtait, il serait persuadé d’entendre encore les paroles.
Pour qui travaille le sonorisateur ? Pour ceux qui ont payé leur place, parfois très cher. S’il mixe Michèle Torr, il peut oublier de faire boum-boum avec les caissons de graves, ce n’est pas vraiment ce qui intéresse le public de cette chanteuse. En revanche, il aimerait bien comprendre les paroles et ressentir un peu d’émotion à ce qu’elle chante si divinement bien. S’il mixe Jennyfer ou un truc pour les gamins — qui ont déjà les oreilles agressées à partir de 60 décibels — c’est pas la peine d’essayer d’allumer le rouge en permanence, c’est hors sujet par rapport à ses clients et à l’artiste. Un sonorisateur, ou un ingénieur du son, c’est juste un passeur : il sert juste à transmettre ce qui a été créé ici, à des gens qui vont l’écouter là. Même si on ouvre la porte du plateau de la Star Ac’ — et chacun sait qu’on y travaille fort — passé la porte d’Aubervilliers plus personne n’entend. On a juste besoin d’un ingénieur du son dans un car qui fait la transmission. On a besoin du sonorisateur, parce que même si ça joue fort sur scène, on n’entend pas dans le fond de la salle. Notre travail consiste à comprendre ce qui est dit pour le transmettre aux autres, qui éprouveront à leur tour la même émotion. En anglais, il y a un terme fabuleux pour la sonorisation : c’est sound reinforcement. Le renforcement du son… Sound invention, c’est pas un métier, c’est autre chose.
Ce n’est pas l’ingénieur du son qu’on doit applaudir à la fin. C’est aussi valable dans l’Audiovisuel, c’est absolument flagrant, tout comme au cinéma, j’imagine.
Franck Ernould : Nathalie, ce que vient de dire Gilles Hugo se transpose-t-il au cinéma ?
Nathalie Vidal : Je rebondis sur ce que Claude Gazeau disait à propos de l’analogie avec l’instrumentiste, qui est évidente. J’ai basé mon apprentissage là-dessus. N’ayant pas énormément de formation scientifique et théorique derrière moi, je pense vraiment — et je le vérifie souvent aujourd’hui — que chaque film, chaque expérience, chaque travail est différent et c’est ce qui va enrichir les compétences, en comptant sur tous les ingrédients dont on a pu parler : la maîtrise technique et la capacité à appréhender un projet. C’est pour ça que pour en revenir aux formations, je pense que c’est la pratique qui est importante. J’ai vécu la FEMIS, et ce qui a été le plus formateur, c’est effectivement un accès à l’outil et une pratique maximale durant le temps de la scolarité. Outre tout ce que pouvait m’apporter la pédagogie, j’en faisais toujours plus, en utilisant le matériel de l’école. C’est grâce à cet apport que j’ai construit mon parcours. Et puis aussi, à l’école, on a encore droit à l’erreur… on peut expérimenter. Ensuite, on n’a plus le droit et on a plutôt intérêt à maîtriser l’outil. Il y a des recettes, des contingences techniques qu’il faut évidemment connaître, mais après il faut les adapter à un projet, à la demande d’une équipe, d’un metteur en scène, de gens qui sont passés avant nous et qui nous demandent d’apporter la solution, au mixage, du travail accompli par tous.
Franck Ernould : Les outils numériques actuels, par leur finesse, leur précision, la visualisation de la forme d’onde sonore à l’écran, ont vite fait de susciter une démarche purement technique. Si on ne suit pas son instinct, si on se laisse dominer par l’outil, tout peut déraper…
Nathalie Vidal : Il faut rester à l’écoute d’un film, d’un projet ou d’un concert, en comprendre les exigences, pour arriver à se dédouaner de l’outil — au même titre qu’un pianiste, s’il a du talent, donnera un beau concert sur un instrument un peu médiocre, mais au travers duquel il arrivera encore à s’exprimer.
C’est ce que j’ai appris et que j’essaie de faire passer dans les écoles ou j’interviens de temps en temps : de la pratique, au maximum.
Gilbert Pereira : Sur la technique et la manipulation de matériel, il y a de nombreux organismes de formation initiale qui font passer deux ans aux étudiants pour apprendre à gérer le matériel dont ils disposent. Ce n’est pas une formation, c’est très grave ! parce que les étudiants se forment sur un matériel refilé par le distributeur du coin, parfois ni ergonomique, ni professionnel, souvent d’une génération antérieure, et d’une approche un peu surprenante. Les étudiants, du coup, passent leur temps à gérer ce matériel, et naturellement, ils veulent transposer sa gestion dans un métier, or ça ne marche pas comme ça.
Il faut avoir compris ce que sont les principes, les moyens à utiliser pour faire ce qu’on nous demande. J’ai encore en mémoire un souvenir de Vaugirard, encore pire que vous tous : à l’exception d’un vieux Perfectone et d’une lectrice SaregNagra, on n’avait pas de matériel, ni de loueur, ni de Nagra.
Gilles Hugo : Il y a deux notions très importantes qui déterminent les différentes familles, et là, on balaye un spectre très large : la fréquence d’écoute et le lieu d’écoute.
Pour ce qui concerne la fréquence d’écoute : celui qui va à un spectacle l’écoutera une fois. Il connaît, il est déjà convaincu, il a payé pour venir, il partage ce plaisir avec d’autres, il y a des lumières sur scène, des effets, c’est un moment unique. Tout notre travail consiste à faire partager à la personne qui est dans la salle les émotions éprouvées sur scène. Le contraire de notre formation de départ.
Si en revanche, la fréquence d’écoute est multiple, parce qu’on est en train d’enregistrer un CD — quand ça existait encore — ou une émission sur DVD, — qu’on pourra visionner plusieurs fois ‑clairement, il ne faudra pas faire la même chose. Tout ce qu’on aurait laissé passer la première fois, comme aide à l’émotion, il faudra le retenir, ou filtrer. À la dix-septième écoute, l’éclat de rire du bassiste finira par énerver. Ça paraît anecdotique, mais c’est essentiel. Il faut aller contre-nature, se forcer à l’imprévu : Ce n’est pas comme ça qu’il faudrait faire, mais vas‑y vieux ! c’est « gros sabots », ça marche ! Dans les orchestres de bals d’autrefois, on disait « : C’est simple : les jerks, il faut les jouer deux fois plus vite, les slows, deux fois plus lentement. Dans le son, c’est exactement pareil. Plus le contenu est écouté, plus il faut affiner, prendre du temps. Dans les autres cas, il ne faut surtout pas faire ça.
Le lieu d’écoute a évidemment son importance. Au niveau des écoles — et pas seulement des écoles — il y a encore du travail à faire. Clairement, pour une partie de ces activités, on n’a aucun contrôle sur le lieu où le son travaillé va être entendu. À la télévision — je suis bien placé pour vous dire, c’est un problème majeur. Je pourrais vous faire écouter les sorties console de certaines émissions, je vous promets que c’est bien ! Mais à la télévision, je suis d’accord, c’est pas bien. C’est un vrai souci, car cela veut dire que l’ingénieur du son et les autres maillons de la chaîne doivent prendre un recul phénoménal par rapport à leur travail, et encore une fois, se forcer à travailler contre-nature.
Cela se traduit simplement en observant les jeunes stagiaires qui arrivent chez nous : je regarde les yeux du gars qui travaille. S’il est plongé en permanence sur la console, j’ai un gros problème. Je sens qu’on va avoir de gros ennuis.
Mais quand on fait de la variété, s’il a les yeux dans les yeux du chanteur, qu’il regarde les pieds des gens bouger en rythme, s’il a compris que l’important est ce que « l’auditeur », son public ressent : c’est gagné ! C’est valable aussi en télévision pour le mixeur qui tient compte du son mono du téléviseur, et qui regarde bien son image pour garder une relation crédible avec le son. C’est l’histoire de l’ingénieur du son qui commence à régler le son de la grosse-caisse avant que le groupe ait commencé à répéter. Le bon ingénieur du son quitte sa console quelques minutes pour aller s’asseoir dans la salle écouter les gars jouer, puis revient à la console en connaissance de cause.
C’est à contrario de ce que l’on peut apprendre au départ, quand un élève est vraiment féru de technique, et va se plonger d’abord dans les menus, pour savoir ce qu’il peut faire dans la sixième couche de faders, avec le 24ème compresseur. On a vite fait de lui expliquer que de toute façon, dans la réalité, il n’aura jamais le temps d’arriver au 24ème, qu’il n’y aura qu’une répétition, et qu’elle sera toujours trop courte. Le conseil à lui donner : « Fais simple ! ».
Public 1 : Je voudrais développer un aspect intéressant. Je me souviens de mon passage à l’école Louis Lumière, où j’ai effectivement beaucoup appris grâce à mes professeurs et aux stages mais aussi par les autres élèves. Nous étions dix huit élèves dans ma promotion, venant d’horizons différents. Durant les années d’apprentissage, nous n’avons jamais cessé d’échanger entre nous. J’ai beaucoup appris sur le rock, la musique, et le cinéma. Je remercie mes camarades — c’était pour moi au moins 30 ou 40% de l’intérêt de la formation que de me retrouver avec des gens de mon âge, qui partageaient ma passion et des intérêts communs.
Claude Gazeau : Je ne sais pas si tous le savent, mais l’école Louis Lumière, ce n’est pas seulement une formation aux métiers du son, mais aussi à l’image – à la prise de vue, etc. Comme de nombreux exercices sont transversaux, nous avons la chance — par rapport à d’autres écoles — de pouvoir fabriquer, entre nous, des films complets. Le côté humain est primordial dans les équipes de tournage, nous l’apprenons tous !
Public 2 : Je suis chef d’entreprise, je prends pas mal de jeunes en formation dans le cadre de contrats de professionnalisation, et je me pose une question concernant les formations du son. Il existe environ une vingtaine d’écoles de son — peut-être davantage — qui forment chacune une vingtaine d’étudiants par an. Ça fait quatre cents étudiants à l’année, quatre mille en dix ans. Beaucoup de ceux qui sortent des écoles ne trouvent pas de travail. N’y‑a-t-il pas là un problème, non pas du côté des ingénieurs du son mais des formations et des écoles ? Franck Ernould se plaignait de ne pas retrouver dix des anciens élèves de sa promotion. Que va-t-on dire de toutes les autres écoles, plus ou moins sérieuses d’après ce que j’ai compris… Avant de proposer des formations, il faudrait peut-être savoir s’il y a des métiers à la clé…
Franck Ernould : Je suis allé chercher des chiffres sur le site www.observatoire-av.fr. Au total, on compte en France 529 cursus de formations dans l’Audiovisuel, de tous niveaux. Ces cursus correspondent à 839 offres de formation, proposées au sein de 381 organismes de formation, publics ou privés, sur l’ensemble du territoire : 69% sont privés, 25% sont des universités, l’Éducation nationale en propose 3%. Dans les autres pays de l’Union Européenne, il a été recensé, globalement, 98 formations…
Gilbert Pereira : Et pratiquement aucune formation intermédiaire… C’est-à-dire qu’on vise toujours le poste que l’on considère comme l’élite, mais jamais en dessous. Ce qui fait que nos métiers n’ont pas mis en pratique — bien que les financements soient considérables — la formation continue, tout au long de la vie. C’est ça qui est essentiel…
Cette formation, je l’ai vécue sur le tas. En sortant de l’école Vaugirard, on intégrait des entreprises comme Télé-Europe — parce que c’était la plus importante à l’époque — et l’on travaillait en compagnonnage. Par la suite, on intégrait des équipes de long métrage, ou autres. Peu à peu, on gravissait tous les échelons. Aujourd’hui, c’est extrêmement difficile, quand on met dans la tête des étudiants, des « apprenants », qu’ils vont tout de suite être chefs.
Christophe Massie, dans le public [cf. intervenant table ronde N° 1] : Nous avions parlé entre nous, lors des réunions de préparation de ces tables rondes, de l’avalanche des BTS Audiovisuel, dans toutes les collectivités territoriales. Je pense que même la Basse Thiérache possède son BTS audiovisuel ! Ce qui fait fantasmer, bien sûr, toutes les familles, et tous les élus. Un jour, une région m’appelle : « Est-ce que vous n’avez pas envie de développer un Pôle d’Industries Techniques chez nous ? » Il faut arrêter ! Il faut que les collectivités territoriales arrêtent sur la formation, je le dis de façon très officielle.
Deuxième chose : les cursus. La découverte que l’alternance stagiaire/élève une semaine sur deux est super compliquée à gérer pour nous, les entreprises audiovisuelles. Il faut nous écouter…
Enfin, troisième chose : les BTS montage. C’est quoi, le montage ? Nous recevons, à Télétota, des dizaines de CV de personnes qui sortent de formation, et qui nous disent : « On veut faire du montage ! ». Mais ça ne veut rien dire, en soi…
Laure Arto : La plupart du temps, il y a une mauvaise connaissance des différents postes du métier…
Christophe Massie : Les cursus existent ; le problème est qu’on se retrouve face à des « formateurs » qui les proposent à des milliers de personnes, en certifiant : « Vous allez faire un BTS montage. » Je trouve qu’il y a là un manque de responsabilité de la part de ces formateurs, ils ne savent pas ce que c’est, et ils forment des gens à un métier qu’ils ne maîtrisent pas.
Laure Arto : Dans les écoles, je côtoie pas mal de jeunes étudiants. Pas plus tard qu’hier, j’ai eu une conversation avec un jeune homme qui voulait avoir des conseils d’orientation pour une formation. En discutant avec lui, je me suis aperçue qu’il ne savait même pas lui-même ce qu’il voulait faire ! Il me semble que le problème est là : les postes sont très spécifiques, les tâches bien découpées dans la post-production son, mais les jeunes sont dans l’ignorance quand ils rentrent dans les écoles — et leur formation n’est pas suffisante. D’où l’importance des stages, et l’importance de travailler sur la charnière formation, marché du travail. Pour moi, c’est le coup de l’entonnoir : il existe beaucoup plus de formations qu’il ne faut pour satisfaire le marché du travail.
De plus « ingénieur du son », ce n’est pas un diplôme en soi. C’est un terme qui n’est pas reconnu par la commission des titres. On n’est pas recruté en envoyant son CV quand on sort de l’école, ça ne fonctionne pas comme ça dans nos métiers. On travaille beaucoup avec le statut d’intermittent du spectacle. On doit faire son trou ce qui veut dire être sur le terrain, donner de son temps, s’investir. Ce n’est pas du tout un métier classique, il faut vraiment être motivé. Je pense qu’il y a des étudiants dans la salle. Si j’ai un conseil à leur donner, c’est de sortir du lot, s’armer de patience, choisir la bonne direction, définir précisément ses envies, en somme ne pas travailler dans le flou ! Dans nos métiers, on n’aime pas forcément ceux qui disent savoir tout faire, on pense qu’ils ne travaillent pas de manière précise.
Franck Ernould : Il faut être passionné, mais savoir sortir de chez soi !
Laure Arto : Je voulais faire aussi une remarque sur la maîtrise de l’outil. Évidemment, il faut savoir dépasser l’outil, satisfaire les exigences artistiques du réalisateur, bien comprendre comment ça se passe dans une équipe de travail. Ce sont des choses qui ne s’apprennent pas à l’école. Je reviens sur l’importance des stages, les rapports de travail entre les personnes, qui décide de quoi… Il y a beaucoup de psychologie, donc, faites des stages !
Public 3 : Bonjour. Je suis une nouvelle/ancienne élève de l’école Louis Lumière… Actuellement, je cherche un emploi. Je voudrais revenir sur les stages, justement. En sortant de l’école, je n’étais pas tellement fixée au niveau des postes, le milieu étant extrêmement vaste. Je ne savais pas si je voulais travailler dans la musique ou dans le cinéma. J’ai alors fait beaucoup de stages, du bénévolat, j’ai fait partie de pas mal d’associations. Dans la plupart des stages que j’ai faits, honnêtement, je n’ai rien appris, ce n’était pas de l’observation, c’était juste pour remplacer gratuitement quelqu’un — qui aurait dû être payé pour ça. J’étais lâchée devant le Pro Tools ou autre machine, je travaillais dans le speed, quatorze heures par jour. Il est impossible d’apprendre quelque chose dans ces conditions !
Laure Arto : C’est vrai, il y a un moment où il faut savoir faire le tri. J’ai fait plusieurs stages en entreprise, dans des studios de musique, où l’on nous considère juste bon à faire le café. Dans ces cas-là, il faut savoir dire : Stop ! je vais chercher ailleurs. Ne pas perdre son temps, multiplier les candidatures, les CV, se déplacer, aller dans les entreprises, ne pas se contenter d’envoyer une lettre sans aller voir…
Public 3 : Autre problème : le statut ! Un certain temps après être sorti de l’école, on n’est officiellement plus en formation, donc on ne peut plus faire l’objet d’une convention de stage. Là qu’est-ce qu’on fait ? On est coincé !
Gilbert Pereira : La clé, dans ces situations-là, c’est le réseau des anciens élèves… On entre souvent dans nos métiers par les réseaux. On l’a tous fait, on en est tous passés par là : commencer à travailler et continuer à apprendre.
Public 4 : Je m’appelle Denis Mercier. Je voulais juste aborder un thème qui n’a pas été traité : la formation continue. Vous dites que les technologies changent très vite, que le métier évolue… La formation initiale est un aspect, mais largement blindé par rapport à ce qui existait il y a 20/25 ans. Mais la formation continue ? Allez par curiosité à l’AFDAS, regardez les propositions de stages, et vous comprendrez qu’il y a un vrai problème. Je pense qu’on pourrait alléger la formation initiale, si, derrière, la formation continue existait vraiment pour ceux qui ont déjà du boulot et qui risquent de le perdre parce qu’ils n’ont pas évolué, ou par inertie.
Sinon, j’aurais bien voulu que Nathalie Vidal nous parle de son expérience à l’ESAV de Marrakech, parce que c’est une autre option de formation, dont on pourrait peut-être s’inspirer en France ?
Gilles Hugo : Je veux bien compléter cette intervention sur la formation continue. Il se trouve que je suis aussi membre du Conseil d’Administration d’organismes de formation continue. Il y a un problème important qui se pose : la non-reconnaissance par les ASSEDIC des heures de cours donnés par un intermittent. Un artiste a le droit de donner un certain nombre d’heures de cours et de les compter dans ses heures travaillées d’artiste, ce qui n’est pas le cas pour un technicien. Ce qui veut dire qu’on se prive du savoir d’une grande partie des techniciens qui sont, en règle générale, au top niveau. Si une nouvelle console de mixage de sonorisation sort, elle sera en tournée, bien avant d’être disponible commercialement ou dans une école, où le prof lui-même pourra apprendre à s’en servir avant de former ses élèves dessus.
Je ne reviendrai pas sur l’aspect « qualité » des profs d’école… On peut évidemment être un mauvais footballeur et un excellent entraîneur ! En revanche, sur les toutes dernières techniques, clairement, ce sont les intermittents qui travaillent qui les découvrent, et si on ne peut pas en disposer dans les cours, on se prive d’éléments importants. Dans ma boîte, j’assure des TP de sonorisation pour quelques écoles, et évidemment, on triche ! Ce qui, en tant que Président d’un syndicat d’employeurs et membre d’un certain nombre d’organismes sociaux, me gêne énormément. C’est un des combats qu’on va essayer de mener, d’obtenir au moins la possibilité pour un technicien de donner un certain nombre d’heures de formation. C’est important, parce c’est le lien direct du métier avec ceux qui apprennent. C’est fondamental, car on ne peut pas laisser passer des incohérences comme celles-là. « Je suis un élève, je fais des trucs, mais je n’arrive pas à entrer dans le métier, tout en y étant un peu. Si je veux me former, je me retrouve à l’école, avec des gens qui ne sont pas du métier ».
Le métier n’est pas uniquement intermittent. On garde l’espoir qu’avec la convention collective, on va pouvoir revenir à des emplois plus stables, en tout cas différents, mais la compétence vient souvent des intermittents, et c’est un vrai souci.
Nathalie Vidal : Je fais un petit aparté sur l’ESAV, pour faire plaisir à Denis Mercier… Ça se passe au Maroc, c’est l’École Supérieure des Arts Visuels, à Marrakech, créée pour des étudiants marocains et africains de tous horizons sociaux et culturels. L’école essaie, entre autres, de constituer un vrai panel de techniciens qui pourraient travailler au Maroc, pour le cinéma marocain.
J’ai eu l’occasion d’intervenir dans cette école — qui en est à sa troisième promotion entrante cette année — auprès d’étudiants en option son. En 2007, j’y suis allée trois semaines, et comme je l’évoquais tout à l’heure, ça fait partie de mes activités occasionnelles au même titre que mes interventions à la FEMIS. C’est très agréable de se retrouver avec des étudiants, ça permet de faire le point : de comprendre où l’on en est soi-même, comment on va formuler des choses, qu’on n’a pas forcément besoin de formuler au quotidien…
Que ce soit à la FEMIS, à l’ESAV ou à Louis Lumière, il est primordial de faire appel — lors des formations — à des gens qui vont venir parler de leur expérience, et faire bénéficier les étudiants de leur savoir-faire.
Franck Ernould : Raymond, c’est aussi votre cas au BTS de Boulogne-Billancourt, j’imagine que vous faites venir des intermittents pour enseigner ?
Raymond Yana : Oui, bien sûr, avec la réserve indiquée tout à l’heure. Nous, on ne peut pas tricher, puisque l’Éducation nationale ne peut pas prendre de libertés par rapport à ces questions de contrats. Évidemment, des professionnels interviennent régulièrement chez nous, mais ils savent que ces heures ne seront pas prises en compte pour les calculs relatifs à leur statut d’intermittent. Pour l’enseignement professionnel, nous avons des contractuels : des professionnels qui acceptent — pendant un, deux ou trois ans — de consacrer leur temps à la formation chez nous. Nous devenons leur employeur principal, ils sont en CDD, salariés, mais ils ont toute liberté de pratiquer leur activité professionnelle à côté, notamment pendant les vacances scolaires.
Je voudrais signaler à Monsieur Massie que le nombre de BTS publics, sur tout le territoire, pour l’option son — à laquelle tous les BTS Audiovisuel ne forment pas — est de quatorze établissements en France, avec une moyenne de dix étudiants par promotion.
À propos du nombre important d’étudiants formés, et de dossiers d’inscription reçus, posons-nous la question : « Pourquoi y a‑t-il autant de gens qui veulent pratiquer ce métier ? ». Il est évident que l’enseignement public, qui est gratuit, ne peut pas absorber à lui seul toutes ces demandes. Et s’il n’y a pas plus d’établissements préparant au BTS Audiovisuel, c’est qu’à l’origine de la fabrication des référentiels des BTS, il y a eu pendant un an, une étude menée avec les professionnels, pour déterminer les programmes. Ça a lieu tous les cinq ans. Le nombre des BTS est limité volontairement par les différents rectorats pour ne pas encombrer les marchés de l’emploi. Ensuite, il existe toute une offre d’écoles privées, qui ont le droit d’exister, de monter des formations, etc. Mais côté enseignement public, on compte cent vingt à cent quarante diplômés « BTS son » qui sortent par an, pas plus.
Public 5 : Je m’appelle Gisèle Clark, Rédactrice en chef et propriétaire du magazine professionnel Réalisa-Son. Quand j’entends un thème comme « Quel marché du travail ? » je suis très contente. J’ai pris l’option de créer un magazine qui ne parle que de son, ce qui est une option très risquée quand on constate que les studios d’enregistrement ferment les uns après les autres… Je suis donc amenée, au quotidien, à explorer d’autres voies.