« Le cinéma et la télévision associent l’Arabe soit à la débauche, soit à une malhonnêteté sanguinaire. Il apparaît sous la forme d’un dégénéré hypersexué, assez intelligent, il est vrai, pour tramer des intrigues tortueuses, mais essentiellement sadique, traître, bas. Marchand d’esclaves, conducteur de chameaux, trafiquant, ruffian haut en couleur, voilà quelques-uns des rôles traditionnels des Arabes au cinéma. On peut voir le chef arabe (chef de maraudeurs, de pirates, d’insurgés “indigènes”) grogner en direction de ses prisonniers, le héros occidental et la blonde jeune fille (l’un et l’autre pétris de santé): “Mes hommes vont vous tuer, mais ils veulent d’abord s’amuser.” En parlant, il fait une grimage suggestive : c’est cette image dégradée du cheikh de Valentino qui est en circulation. Les bandes d’actualité et les photographies de presse montrent toujours les Arabes en grand nombre : rien d’individuel, pas de caractéristique personnelle, la plupart des images représentent la rage et la misère de la masse ou des gestes irrationnels (donc désespérément excentriques). Derrière toutes ces images se cache la menace du jihad.
Conséquence : la crainte que les musulmans (ou les Arabes) ne s’emparent du monde. Régulièrement sont publiés des livres et des articles traitant de l’islam et des Arabes, qui ne différent en rien des virulentes polémiques anti-islamiques du Moyen Age ou de la Renaissance. Sur ce seul groupe ethnique ou religieux ont peut dire ou écrire pratiquement n’importe quoi, sans se heurter à la moindre objection ou à la moindre protestation…»
Edward Said (1980), L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident
(trad. Catherine Malamoud), Seuil 2005