Les 26èmes Etats généraux du film documentaire de Lussas, qui se sont déroulés du 17 au 23 août 2014 à Lussas, petit village d’Ardêche, ont une fois de plus été un lieu de réflexion collective sur le monde. “Notre début de siècle est particulièrement tourmenté et bouleversé, à la fois promesse de possibles et menace de replis et d’obscurantisme. Les rapports de force, de pouvoir et d’inégalité attisent les conflits mais aiguisent aussi les résistances”, écrivaient ses directeurs artistiques Pascale Paulat et Christophe Postic. C’est dans cette tension que s’inscrivaient les films sélectionnés et ce remarquable festival-rencontre qui a tenu à donner cette année encore une grande visibilité au combat des intermittents.
Signe des temps, la subvention européenne Média imposant maintenant 70 % d’œuvres européennes, Lussas y a renoncé et a dû fermer une salle de projection : de nombreuses séances devaient refouler ceux qui ne pouvaient entrer et les films n’étaient plus rediffusés. Le programme Afrique, qui présentait depuis douze ans une dizaine de films de réalisateurs africains, a cette année cédé la place à une programmation “Tenk !” issue du réseau Docmonde, élargissement du système Africadoc (résidences d’écriture puis rencontres pour coproductions nord-sud + diffuseurs permettant l’accès aux aides du CNC et donc aux films de se faire, charte de bonne conduite) à un ambitieux réseau mondial qui marie le Caucase et la Caraïbe, l’Océan indien et l’Afrique, l’Asie et l’Europe… Tour d’horizon des problématiques africaines dans les différentes sélections.
Débrouille et fraternité
“Le socle de notre culture, c’est la fraternité”. C’est un orateur des pauvres qui le dit, un orateur mis en scène par le Malgache Nantenaina Lova dans Ady Gasy car, comme le précise un insert en début de film : “Certains se la pètent avec leurs mallettes et leurs leçons d’économie, mais nos orateurs les attendent de pied ferme ici”. Un orateur, à Madagascar, fait partie d’un spectacle populaire : il s’excuse de ne pas être plus sage et introduit quelques idées simples. Dans Ady Gasy, ce sera une femme car le groupe de musiciens qui tourne de village en village propose une vision nouvelle : prendre conscience de sa propre force. Elle réside dans la débrouille et dans la solidarité. Le titre du film veut effectivement dire “à la façon malgache”, une expression très usitée dans la Grande île quand on veut parler de comment on se débrouille dans telle ou telle situation ou réparation. La débrouille, c’est ce savoir-faire de la récupération et du recyclage qui fonde toute économie parallèle. De multiples exemples émaillent le film, assez éloquents pour montrer qu’avec presque rien (titre du work in progress du film présentée à Lussas en 2013), on fabrique et répare tout.
Quant à la solidarité, c’est “ce qui nous unit” dit l’oratrice, et cela commence par la tendresse de ces enfants qui dansent dans la pluie tandis que les musiciens tentent de retrouver l’âme qui faisait la grandeur de ce peuple alors qu’aujourd’hui domine la recherche de l’avoir… Effectivement, “on ne vient pas à bout d’un barrage sans s’entraider”, mais c’est davantage de survie que nous parle Nantenaina Lova : les mille et une façons de conjurer la misère n’assurent qu’un bien petit minimum vital. Pourtant, si son propos est essentiel, c’est qu’il dépasse l’économique pour montrer que cette débrouille permet certes de rester debout, mais qu’elle s’inscrit surtout dans la fraternité qui restaure au dur quotidien ce pan d’humanité, elle qui donne sens à la résistance et fonde le combat pour la survie. C’est alors que ces énergies déployées, ces impressionnants savoir-faire issus de l’expérience accumulée, cet engagement d’un groupe de musiciens pour consolider les valeurs qui fondent la communauté se conjuguent pour redonner courage, de même que ce film qui trouve là une des fonctions essentielles du cinéma documentaire.
Il tomberait à plat s’il n’apportait pas cette beauté qui émeut et motive : sensibilité pour les proverbes que ces gens cherchent sans cesse à mobiliser pour appuyer leur propos et communiquer, angles de prise de vue et cadre permettant aux êtres d’apparaître dans tout leur éclat, humour découlant de la spontanéité et de la sincérité des séquences où le réel réserve toujours des surprises, montage subtil, au rythme d’un roadmovie alignant les découvertes mais prenant le temps de l’escale et de la rencontre, connivence et empathie avec les personnes filmées… Ce documentaire ne cache jamais son jeu et c’est aussi là que se situe sa force, mais s’il s’impose naturellement, c’est aussi et sans doute surtout parce que sa forme correspond à son propos, que son existence tient elle aussi de la débrouille qu’il décrit et qu’il puise sa détermination dans ce qu’il défend avec une belle intensité.
Encourager l’unité et la fraternité, c’est aussi le programme de Sani Magori dans Koukan Kourcia, les médiatrices. Comme la troupe musicale d’Ady Gasy, il croit à la force d’un concert pour encourager la paix. Après tout, les chanteurs ne se sont-ils pas régulièrement unis en des shows hypermédiatisés pour réclamer la paix au Vietnam ou la libération de Mandela ? Alors que sa ville de Dagouéraoura est déchirée par les émeutes des jeunes qui se soulèvent violemment contre le pouvoir local, il mobilise à nouveau la chanteuse Zabaya Hussey, cette vieille diva qu’il avait déjà emmenée dans Koukan Kourcia, le cri de la tourterelle jusqu’à Abidjan pour encourager les Nigériens à rentrer dans un pays exsangue de ses forces vives. A nouveau sollicitée, cette vielle femme édentée qui improvise toujours ses textes accepte malgré la fatigue de l’âge le défi de ce dernier combat. Mais sa voix ne touche que les vieilles générations : avec elle, il rend visite à d’autres chanteuses susceptibles d’être écoutées des plus jeunes. Et voilà que le couple Sani-Zabaya nous emmène jusqu’à Konni pour proposer à Zara Dibissou de participer, et même à Kano au Nigeria pour débaucher Fati Niger aux accents musicaux plus modernes. A ces divas s’ajoutera celle de Dagouéraoura : Maïga Hamsou Garba et les chœurs de son groupe Anshuwa.
Mais que peut changer le chant de ces quatre femmes déterminées et hautes en couleurs ? Avant cette campagne d’embauche, Sani Magori a pris soin d’aller voir les protagonistes des conflits : le leader des jeunes, les vieux sages, le chef de canton. Celui-ci, dont l’autorité est légitimée par une mise en scène de cinéma aux costumes flamboyants (sans que le réalisateur ne l’ait demandé), a le discours progressiste mais ne semble pas le mettre en pratique. Clairement, les femmes le pousseront par leur chant à demander pardon, ce qui n’était pas gagné d’avance. C’est ainsi que ce film étonnant, qui témoigne d’un retournement historique et l’inscrit dans la mémoire, est lui-même issu d’une démarche de paix, et provient ainsi de la confiance de ces gens magnifiques dans la force de leur détermination. Il tire bien sûr son actualité de la question dont on voit aujourd’hui si fortement l’importance après les révolutions arabes : quel ordre politique peut sauvegarder les acquis de la révolution ? Les jeunes ont manifesté, cassé ce qu’il fallait pour se faire entendre, vient maintenant la question de la réconciliation pour progresser.
Tous sont d’accord sur le fait qu’on ne peut progresser que dans l’unité et la quiétude, sans condamner les jeunes qui se sont révoltés : après le temps de la révolution vient le temps des chefs. Même le représentant des jeunes le confirme, qui demande le soutien des anciens. Et là s’affirme ce que cette culture a cultivé à travers les siècles : le progrès dépend de l’aptitude du chef à écouter son peuple. Les jeunes seront là pour le lui rappeler si besoin est ! Ce film éminemment politique s’inscrit ainsi dans une pratique consensuelle qui ne remet jamais en cause la hiérarchie ou la légitimité du pouvoir et insiste au contraire sur le respect des valeurs qui ont fondé l’ordre ancien. Les divas sont des griottes qui osent mettre les points sur les “i” pour que cet ordre fonctionne. Le film converge vers leur concert en pleine brousse où la poussière le dispute à un chaos que le cinéaste, dépassé par le succès de l’opération qui a amené dix fois plus de monde que prévu, peine à maîtriser pour en tirer des images. De même que le chef de canton n’attendra pas la fin pour leur répondre, bouleversant la prévision de tournage. Mais c’est dans cette inscription dans la résistance du réel que ce film trouve son impressionnant impact. Son montage efficace appuie par son épure et sa structure ce qu’il veut faire passer, laissant de côté tout ce qui serait superflu ou trop explicatif. Sani Magori apparaît souvent à l’image car il est à la fois initiateur et initié : il induit un mouvement de réconciliation mais progresse lui aussi dans sa compréhension des rapports de force, ce que montre avec brio le film lorsqu’il rend visite aux différents protagonistes du conflit. La présence de la caméra est déterminante et il est rare qu’un film agisse ainsi sur le réel, a fortiori tourné par de jeunes réalisateurs, sachant que cela apparaît de plus en plus à travers l’émergence du documentaire : la conscience que les images tournées seront vues partout oblige à revoir ses comportements. On voyait cela très nettement par exemple dans le deuxième film d’Alassane Diago, La Vie n’est pas immobile, où la résistance de femmes jusque-là méprisées fut largement soutenue par le tournage du film.
Sans la fraternité et la débrouille, les pêcheurs du bidonville de Katanga à Lomé ne s’en tireraient pas : ils ont beau tirer à force de muscles leurs lourds filets, la pêche est maigre. Ils sont dès lors à l’affût de tout plan, fut-il illégal comme le trafic d’essence, leur permettant de ramener trois sous à la maison mais aussi de se procurer la drogue qu’ils fument ensemble pour accepter la rudesse du quotidien. Dans Les Hustlers, Egome Amah se met au service de leur parole et de la restauration de leur image. Considérés comme des brigands, ils se sont donné un nom qui veut dire “débrouillards” mais que certains traduisent par “arnaqueurs”. Autour de quatre personnages, ce sont des tranches de vie que nous propose Egome Amah, sans autre prétention que de nous aider à percevoir combien derrière des rejetés peuvent se cacher des humains en recherche de dignité.
Le film suit quatre personnages mais il manque à cette plongée dans le réel un fil qui structure le film et développe une vision. C’est par contre la force de El Gort du Tunisien Hamza Ouni, montré en séance spéciale : deux jeunes coincés dans un boulot de survie (la revente de balles de foin) qui finissent par désespérer, au point d’accomplir le pire. En 87 minutes, on a le temps de les accompagner dans leur quotidien, de les entendre se tourmenter, d’écouter leur rêve d’émigration, leur sexualité refoulée, leurs échanges avec le réalisateur qui doute de son entreprise. Car ce film est tourné sur six années qui encadrent la révolution : on voit les deux jeunes vieillir. Cette expérience à la Boyhood (Richard Linklater, 2014, qui suit une famille durant douze ans) fait sortir ce documentaire du simple constat : le temps qui passe est celui de la grande Histoire, celle d’un pays qui a développé un espoir et a été déçu.
Le cadre, entre intuition et intention
Mais ce qui fait la qualité de ces films est aussi la juste distance avec laquelle ils approchent le réel. Un intéressant séminaire — “le cadre, entre intuition et intention” — invitait sur deux jours quatre réalisateurs à cet approfondissement technique du regard. Comment respecter ceux que l’on filme, et les spectateurs qui vont les regarder ? Dans Mirages (2008, cf. [article n°8134]), Olivier Dury avait refusé de tricher : il voulait que le spectateur ressente la distance qui le séparait réellement des migrants qui s’entassent sur le camion en plein désert, et filmait donc avec l’équivalent d’un 50 mm avec une focale fixe : pas d’effet, pas de zoom. Ainsi la caméra est là, à hauteur d’homme, sans se cacher.
Ne pas être trop proche pour voir les gestes, pour percevoir le décor environnant, c’était également le programme de Marie-Violaine Brincard dans Au nom du Père, de tous, du ciel (2010, cf. [article n°9381]), magnifique portrait de cinq paysans hutus ayant sauvé des Tutsis en 1994 au Rwanda, où Olivier Dury était le chef opérateur. Eviter les fioritures, privilégier le plan fixe où un mouvement peut éventuellement être organisé plutôt que de jouer des mouvements d’appareils, ne pas choisir le plus beau, filmer des lieux qui prolongent le propos sans l’illustrer, trouver le cadre qui manifeste les émotions et la sensibilité que l’on ressent… Cela donne une matinée entière de tournage pour arriver à filmer dans l’intensité de son souvenir Joséphine qui marche sur la route à pas pressés : avec les moyens du bord, un travelling-voiture dont l’imperfection renforce l’impression recherchée.
Car on ne filme pas le réel mais l’idée qu’on en a : pour ce travelling, Marie-Violaine Brincard avait en tête ceux de Les Harmonies Werkmeister (Béla Tarr, 2001) ou de Rashomon (Akira Kurosawa, 1950) ! Ces références cinéphiles sont-elles des placages ethnocentriques ? La recherche d’un cadre qui respecte le sujet ne dépasse-t-il pas la différence culturelle ? Il est avant tout affaire de morale, qui se résume dans la mise en valeur de la dignité des personnes. C’est alors que le cadre n’enferme pas la vision : “Les cadres qui m’inspirent, notait Marie-Violaine Brincard dans le catalogue, sont ceux qui travaillent à la fois les sens, la réflexion et l’émotion tout en laissant à celui qui les regarde la possibilité de s’en échapper que ce soit dans le hors-champ ou dans son propre imaginaire”.
Au nom du père, du ciel, de tous par docnetfilms
Au nom du père, du ciel, de tous par docnetfilms
Ainsi, dans le dernier film de Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury, Si j’existe, je ne suis pas un autre (2013), plongée dans une classe d’insertion à Bondy en Seine Saint-Denis, c’est la place de la réalisatrice qui a déterminé celle de la caméra : au sein des élèves, en pleine classe, où elle avait déjà passé six mois en compagnie du groupe, à raison de trois jours par semaine. La caméra est sur trépied, en focale fixe 50 mm qui ne rapproche ni n’éloigne, donc proche de la vision humaine. Un élève porte le micro-cravate mais peut sortir du champ : on l’entendra sans qu’il soit à l’image, dans le brouhaha général. A l’inverse de la caméra mobile, à l’épaule, du cinéma direct, ce procédé très installé tourne le dos à la sociologie pour aborder le réel sous un autre angle : profs et élèves sont dans le même cadre, rien n’est soutiré, tout est capté dans le souci de considérer les êtres humains comme des énigmes dont on s’approche pour sonder le mystère. Et comme il est difficile de s’installer ainsi dans une classe, même devenue familière, le film se concentre sur la préparation du spectacle de fin d’année, tandis que l’isolement progressif des élèves dans le cadre témoigne de l’absentéisme grandissant et de la lutte des profs pour maintenir l’activité.
Si j’existe, je ne suis pas un autre d’Olivier… par Cinema_du_Reel
On retrouve là la démarche de Nicolas Philibert dans La Moindre des choses (1997, 105′), tourné à la clinique psychiatrique de La Borde : plutôt que de planter une caméra voyeuse, il a préféré suivre les préparatifs d’une pièce de théâtre. Le hasard sera, comme le disait Agnès Varda, “notre meilleur assistant”. Mais cela implique un dispositif, “piège à attraper le hasard” selon l’expression d’André Labarthe : “La mise en scène sert à exterminer l’intention, car l’ennemi, c’est l’intention”. On est donc là dans le contraire d’un cinéma de la maîtrise. L’éthique du cadre, indiquait Philibert, est de ne pas tout montrer : “en ne désignant pas qui est schizophrène et qui est soignant, cette question passe à l’arrière-plan”. Et le spectateur peut tous les voir sur un plan d’égalité.
Il est étonnant que Benoît Dervaux, célèbre chef opérateur des Frères Dardenne, auteur d’un autre film remarquable sur un lieu de psychothérapie institutionnelle, La Devinière (2000, 90′), qui semblait en accord avec tout ce qui vient d’être dit, se contredise à ce point dans son film coréalisé avec André Versaille Rwanda, la vie après — paroles de mères (2014, 70′). Pour cette commande de la télévision belge réalisée en étroite collaboration avec l’association rwandaise Sevota qui soutient les mères violées durant l’Itsembabwoko et leurs enfants, Dervaux a adopté une distance fixe de la caméra pour filmer les terribles témoignages des femmes, mais, armé d’une oreillette de traduction, il a zoomé pour se rapprocher dans les moments de plus forte émotion. “La douleur n’est pas une star : pas de gros plans !”, s’écriait Godard dans ses Histoires de cinéma. Interrogé sur ce point, Dervaux répondit qu’il fallait éviter la fatigue d’un plan large sur la durée… Est-ce le poids de la commande télévisée qui gomme ainsi la distance qui l’on voudrait voir accompagner la cruelle souffrance de ces femmes ? L’émotion est très vive, à la mesure de l’effroi généré par les récits. Les enfants atteignent l’âge de conscience et doivent assumer leur origine… Le récit des femmes montre à quel point le viol est une arme de guerre, comme Nous sommes nombreuses (Moussa Touré, 2003) ou Un amour pendant la guerre (Osvalde Lewat, 2005) l’avaient déjà évoqué. Plus encore, durant le génocide, des bataillons de violeurs séropositifs avaient pour mission de contaminer les Tutsis…
Dispositif et distanciation
Ainsi le dispositif peut-il aussi restreindre le propos ou lui nuire. C’est le cas de La Souffrance est une école de sagesse d’Ariane Astrid Atodji qui part retrouver sa famille paternelle au Bénin, son père n’y étant plus jamais retourné depuis son installation au Cameroun quarante ans plus tôt. Qu’il n’y soit même pas revenu pour la mort de sa mère laisse planer l’existence d’un secret qui ne sera dévoilé qu’à la fin des 72 longues minutes de ce film qui ne parvient pas à nous concerner. Sans doute cela tient-il à ce dispositif de retrouvailles jouées devant la caméra comme si elle n’était pas là, de pleurs montrés sans discrétion, d’une avalanche de détails qui ne construisent pas un récit…
La division de l’écran en trois, systématisée dans Mare Mater de Patrick Zachmann (2013, 52′) implique lui aussi un effet de distanciation difficile à franchir. En général, une image est animée tandis que les deux autres sont fixes. Zachmann va à la rencontre du vécu de sa mère, Juive sépharade qui a quitté l’Algérie pour se marier à un Juif ashkénaze de Belleville. Le film s’ouvre à tous ceux qui ne disent pas au revoir à leur mère de peur de renoncer, les clandestins confrontés à la dureté, ceux qui comme sa mère détruisent les photos pour oublier…
Les plans aériens de Soufiane Adel dans Go Forth (2014, 62′) où la banlieue est vue de très haut (d’un drone) sur une musique tragique jouent eux aussi une étonnante distance, avant de céder la place à deux dispositifs également digressifs : sa grand-mère assise frontalement sur un large sofa et des images 8 mm tournées par son père lorsqu’il était inspecteur général de l’Education nationale en Afrique noire. “La colonisation continue-t-elle en banlieue ?” “Je me suis dit que ces images pourraient parler de moi”. Cela donne un gros mélange dont la diversité peine à construire une vision mais ne manque pas d’intérêt, tant on sent que dans ces visions aériennes ou décalées se joue une réappropriation sous un angle différent, en rupture avec les images dominantes. Démarrant sur les vidéos du mariage du réalisateur au bled, le film ouvre ainsi à un voyage en arrière dans le temps et l’espace. Un chant suggère que “le tissage de la fraternité est dénoué”. Car c’est bien ce rapprochement entre le vécu des banlieues et l’Histoire coloniale qui est recherché pour conclure sur le désir d’émancipation sociale que manifestait la guerre d’Algérie et qui est encore à l’œuvre.
GO FORTH de Soufiane Adel — Compétition… par Cinema_du_Reel
De la distance, il en faut pour évoquer la mort. C’est ce que réussissent Hélène Crouzillat et Laetitia Tura dans Les Messagers : l’absence, les sépultures sont délicatement évoquées tandis que les récits des migrants qui n’ont rien à perdre sont confrontés aux considérations techniques de la Guardia Civil sur les dispositifs de triple enceinte empêchant les migrants d’entrer à Melilla. Les messagers sont ceux qui prennent en charge la mémoire de ceux qui disparaissent dans la frontière. Dans cette abnégation, malgré tout, parce qu’il ne faut pas perdre espoir, un message de fraternité.
Les messagers de Laëtitia Tura et Hélène… par Cinema_du_Reel
Source de l’article : africultures
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