Programmation du regard (suite)

Par Claude Bailblé

Pour une nou­velle approche de l’enseignement de la tech­nique du cinéma

Men­tion­née dès 1038 par Ibn al Hay­tam, la camé­ra oscu­ra est reprise à la Renais­sance ita­lienne. Consti­tuée d’une simple boîte noire avec des parois planes comme des tableaux, une face porte à l’intersection de ses dia­go­nales, un trou d’épingle, la face oppo­sée un verre dépo­li. Les rayons lumi­neux se pro­pagent en ligne droite à par­tir de l’ob­jet dans toutes les direc­tions, et pas seule­ment en direc­tion du trou d’épingle (sté­no­pé) où l’on vou­drait que s’en­gouffre l’ob­jet, alors que ne s’y met qu’une infime par­tie de son apparence.

La lumière qui pénètre par le sté­no­pé est évi­dem­ment très faible. Si l’on veut agran­dir le trou pour aug­men­ter la quan­ti­té de lumière, l’image perd de sa net­te­té au fur et à mesure quelle gagne en lumi­no­si­té. Se forment, en réa­li­té, un tas d’i­mages élé­men­taires non super­po­sées (autant qu’il y a de « trous élé­men­taires », de centre optique dans le trou élar­gi), dont l’ensemble forme du flou.

Pour obte­nir des images élé­men­taires super­po­sées, c’est-à-dire une image nette mais plus lumi­neuse, l’on fait conver­ger les rayons Issus d’un point de l’objet en un seul point image équi­valent par un sys­tème optique ad hoc : la len­tille mince bicon­vexe.

Pour l’œil, qui est aus­si une chambre noire, le trou (sté­no­pé) atteint quelques mil­li­mètres de dia­mètre : la pupille.

En réglant ce dia­mètre, l’œil règle la quan­ti­té de lumière qui pénètre vers la rétine. La net­te­té est réta­blie par une len­tille conver­gente : le cristallin.

Les rayons lumi­neux convergent alors vers une sur­face sen­sible (la rétine) pour y for­mer, ren­ver­sée, l’i­mage nette des objets.

Par l’op­tique géo­mé­trique, il est pos­sible de figu­rer la marche des rayons lumi­neux et d’analyser la for­ma­tion de l’i­mage sur une sur­face sensible.

 

V — LA LENTILLE MINCE-BICONVEXE

Dans un milieu homo­gène (l’air ou l’eau, etc.), le rayon lumi­neux fait une ligne droite. Mais au pas­sage de deux milieux trans­pa­rents, condui­sant dif­fé­rem­ment la lumière (par exemple l’air et l’eau), le rayon lumi­neux subit une réfraction.

Trem­pons un bâton dans la fon­taine, il nous appa­raît tor­du au contact de l’eau, même si notre rai­son le redresse…

Donc, au pas­sage de deux milieux condui­sant dif­fé­rem­ment la lumière, c’est-à-dire d’un dioptre, le rayon subit une réfrac­tion : c’est dire que son tra­jet s’in­cline d’un cer­tain angle par­fai­te­ment mesurable.

En mon­tant deux dioptres côte à côte, ou nez à nez, par exemple un dioptre air-verre, puis un dioptre verre-air, on forme un prisme. Le rayon lumi­neux est rabat­tu, deux fois réfrac­té dans le même sens.

En mon­tant deux prismes bout à bout, les rayons issus d’un objet sont deux fois rabat­tus de part et d’autre : ils convergent en un axe optique qui forme la base des deux prismes accolés.

Si les faces des deux prismes, au lieu d’être planes, sont polies et courbes uni­for­mé­ment, il s’agit d’une len­tille bicon­vexe. Les rayons convergent en un point situé sur l’axe optique du dispositif.

Cette len­tille mince bicon­vexe foca­lise les rayons issus de l’infini (par exemple le soleil) en un point appe­lé foyer de la lentille.

Expé­rience : pre­nez une loupe (len­tille épaisse bicon­vexe). Consta­tez que vous pou­vez rame­ner l’image du soleil en points de moins en moins confus. En dis­po­sant un papier à bonne dis­tance de la loupe, l’i­mage du soleil se réduit à un point brillant et, à la longue, le papier s’en­flamme, étant au « foyer » de la len­tille. La dis­tance de ce foyer à la len­tille s’ap­pelle la dis­tance focale.

Com­ment marchent des rayons dans une len­tille mince convergente ?

Quand les rayons ne pro­viennent pas de l’in­fi­ni, ils ne se rabattent plus à la dis­tance F. Issus d’un éloi­gne­ment P, les rayons forment une image au point à une dis­tance p’ de la len­tille, selon la loi de Descartes :

 (avec F dis­tance focale).

Si l’on ne déplace pas le plan focal, Il appa­raît une tache floue. Mettre au point, c’est refor­mer une image nette, en trans­for­mant la tache floue, le cercle de dif­fu­sion, en un point net, en un cercle de moindre confusion.

On recon­naît l’emphase de la conver­gence, encas­trée dans sa fai­blesse : la néces­saire mise au point, le réglage du plan d’accommodation.

Le cris­tal­lin est assi­mi­lable à une len­tille mince bicon­vexe de 15 mm de dis­tance focale.

De 6 mètres (punc­tum remo­tum) à l’in­fi­ni, la vision est nette sans accom­mo­da­tion. La pro­fon­deur est éva­luée par la convergence.

En deçà, il faut accom­mo­der pour réta­blir le point et conver­ger (si l’on ne veut pas lou­cher). Cette mise au point est pos­sible jusqu’à 15 cm (punc­tum proxi­mum). En deçà, c’est le flou, et le dédou­ble­ment non stéréoscopique.

Pour accom­mo­der, soit on déplace le cris­tal­lin vers l’avant (sur un appa­reil pho­to, on dépla­ce­rait la len­tille vers l’avant pour aug­men­ter p’), soit on aug­mente sa conver­gence : en bom­bant le cris­tal­lin, les rayons sont davan­tage rabat­tus, ce qui veut dire aus­si que la dis­tance focale dimi­nue d’autant.

Que se passe-t-il en fait ? Au repos, le cris­tal­lin est ten­du par des liga­ments. En se déten­dant, les liga­ments laissent le cris­tal­lin se bom­ber tan­dis que. par une légère pres­sion sur la paroi pos­té­rieure de l’œil, il est chas­sé vers l’avant.

Plus convergent, le cris­tal­lin ramène le point sur la rétine (p’ dimi­nue) à l’endroit que le désir choi­sit. Et cette mise au point est très rapide, ins­tan­ta­née : 5 diop­tries par seconde (avis aux assistants-opérateurs !).

Signa­lons que le degré de conver­gence d’une len­tille se mesure en diop­tries (soit l’in­verse de la dis­tance focale, mesu­rée en mètres) ; l’œil au repos fait 22 diop­tries, accom­mo­dé au plus près 30,5 d.

 

VI. L’ŒIL, LA LUMINOSITÉ

Les sources lumi­neuses émettent des rayons tous azi­muths. Ces rayons trans­portent de l’éner­gie qui se pro­page en ligne droite tant que le milieu de trans­mis­sion est trans­pa­rent et homogène.

La lumière visible n’est qu’une infime petite par­tie des radia­tions1 élec­tro-magné­tiques [de 0,39 μ à 0,75 μ]. Ces radia­tions sont aus­si des par­ti­cules vibrantes, appe­lées pho­tons : grains de lumière élé­men­taires, par­ti­cules ultra-microscopiques.

Une table de tra­vail qui reçoit un éclai­re­ment de 20 lux, c’est-à-dire de 0.1 W/m2, reçoit 25 mil­lions de pho­tons par mètre car­ré et par seconde. Une par­tie est réflé­chie tous azimuths.

Cette quan­ti­té de pho­tons est ce que l’œil repère en lumi­no­si­té. Et cet œil s’adapte à des écla­te­ments très variables.

Ain­si :

Le lux mesure l’in­ten­si­té lumi­neuse comme le mètre la lon­gueur, le kilo le poids, etc.

Il faut dire que les organes des sens com­priment les exci­ta­tions lumi­neuses, tac­tiles, gus­ta­tives, etc., pour les rame­ner à une échelle de sen­sa­tions phy­sio­lo­giques plus simples2, plus ramas­sées (obs­cur — sombre — gris — moyen — clair — lumi­neux — solaire — éblouis­sant ou encore : ff, f, mf, p, pp. etc.), ce que tra­duit l’approximative loi de Fech­ner : la sen­sa­tion (S) croît comme le loga­rithme de l’excitation (E) : S = log E.

Cette « loi » donne une idée de la façon dont un sti­mu­lus, une exci­ta­tion (lueur, son, odeur, froid, etc.), pure­ment phy­sique, se trouve reflé­tée (du point de vue de sa force, de son inten­si­té) par les organes, les sens en sen­sa­tion physiologique.

Qu’est-ce que cela veut dire loga­rithme ici ? 

En gros, que pour avoir la sen­sa­tion de 2 fois plus fort, il faut mul­ti­plier l’excitation par 100, de 3 fois moins fort, il faut la divi­ser par 1.000, etc. Inver­se­ment, en dou­blant la puis­sance lumi­neuse d’une ampoule (500 →1.000W), la sen­sa­tion est aug­men­tée seule­ment de 0.3 fois : (log 2 = 0,3 puisque 2 = 100,30)

 

Il s’en­suit que la vaste échelle des lumi­no­si­tés (1/108) est rame­née par l’inhibition logo­rith­mique à une palette plus souple de valeurs lumi­neuses3.

On ver­ra que les émul­sions pho­to­gra­phiques fonc­tionnent avec cette même com­pres­sion logo­rith­mique, mais dans une échelle restreinte.

Néan­moins, un réglage reste à faire pour l’œil quand il passe d’un envi­ron­ne­ment lumi­neux à un autre. Un sys­tème auto­ma­tique (arc réflexe) réa­lise cette adap­ta­tion : l’iris s’ouvre et se ferme comme un dia­phragme dosant en par­tie l’en­trée de la lumière.

Une paire de muscles anta­go­niques, les uns com­man­dés par l’acétycholine, les autres par la nora­dré­na­line, règle la dila­ta­tion pupillaire.

Lors d’une illu­mi­na­tion brève, la constric­tion appa­raît d’au­tant plus vite et se déve­loppe d’au­tant plus rapi­de­ment que le sti­mu­lus est intense. Si l’illu­mi­na­tion est pro­lon­gée, la constric­tion ini­tiale ne se main­tient pas : une rela­tive dila­ta­tion s’installe oscil­lant légè­re­ment autour d’une moyenne.

En pas­sant de la nuit à une pièce for­te­ment éclai­rée, la constric­tion se fait en moins d’une seconde, alors que l’on reste ébloui une dizaine de secondes : c’est le trou noir, céci­té brève d’origine corticale.

Inver­se­ment, quit­tant le plein soleil pour entrer dans une cave obs­cure, la dila­ta­tion se fait immé­dia­te­ment, mais l’adaptation à l’obscurité demande plus d’une minute.

« L'excès de lumière offusque l'œil et, pour le protéger, la faculté visuelle se garantit à la manière de qui ferme une partie de la fenêtre pour atténuer l'éclat excessif du soleil dans son habitation. »
L.d.V., p. 208.

C’est là qu’il faut extir­per une vieille idée reçue (notam­ment dans les manuels tech­niques de ciné­ma) selon laquelle l’i­ris régle­rait la quan­ti­té de lumière péné­trant dans l’œil. L’iris passe d’un dia­mètre maxi­mum de 7 mm à un dia­mètre mini­mum de 2,5 mm, ce qui veut dire que sa sur­face varie au maxi­mum de 6 fois, alors que l’éclairement qu’il reçoit peut varier de 100 mil­lions de fois 108.

C’est que l’adaptation de l’œil à la lumière est prin­ci­pa­le­ment réa­li­sée par la rétine elle-même avec un temps de latence dû à l’i­ner­tie élec­tro­chi­mique de son fonc­tion­ne­ment 4 (réglage dont rend compte la varia­tion de l’exposant n dans l’ex­pres­sion S = K3 En) : et secon­dai­re­ment par l’iris qui atté­nue le choc des varia­tions brusques (l’éblouissement) ou adapte, à l’intérieur d’un éclai­re­ment constant, les varia­tions légères qui peuvent s’y pro­duire 5.

 « Quand, dans l'air lumineux, l'œil regarde un endroit dans l'ombre, il lui paraîtra plus obscur qu'il n'est... Mais quand l'œil pénètre dans un endroit ombreux, l'obscurité de ce lieu semblera Immédiatement diminuer. - L.d.V., p. 236.

L’a­dap­ta­tion réti­nienne est longue (de l’ordre de la minute), alors que l’a­dap­ta­tion pupil­laire est ins­tan­ta­née (de l’ordre de la seconde). On ver­ra ulté­rieu­re­ment les rap­pro­che­ments que l’on pour­ra faire entre l’iris de l’œil et la chaîne des osse­lets de l’o­reille en abor­dant l’audition.

On ne peut donc éta­blir l’i­den­ti­té entre l’i­ris et le diaf de l’objectif pour cette rai­son que l’iris fait varier sa sur­face de 6 fois et le diaf de 256 fois (de f 1.4 à f/22).

Cor­ré­la­ti­ve­ment, la rétine peut s’adapter à des éclai­re­ments utiles variant de 0,1 lux à 100 000 lux (soit un rap­port de 10 6 ) et for­mer une image en moins d’un cin­quan­tième de seconde.

Tan­dis que l’é­mul­sion pho­to­gra­phique s’adapte à des éclai­re­ments variant en moyenne de 2 à 3 fois et à des lumi­nances variant de 1 à 102. Cette faible sou­plesse contraint à jouer sur le temps de pose (en pho­to) qui peut varier de plu­sieurs secondes au 1/1 000 de seconde (400 lux requis à F/2 pour une 125 ASA noir et blanc). La fai­blesse de la dyna­mique des pel­li­cules a contraint à une vaste échelle de diafs et plus encore à l’emploi d’é­mul­sions à sen­si­bi­li­tés dif­fé­rentes qui, assem­blées, ne couvrent qu’une petite par­tie de la sen­si­bi­li­té rétinienne.

« Tout corps qui meut rapidement semble teinter son parcours de sa propre couleur. »

« Si tu agites un tison enflammé, le cercle que tu lui fais tracer semblera un anneau de feu. Cela tient à ce que l'organe de perception agit plus rapidement que le jugement. »
L.d.V, p. 222.

ANNEXE : la rétine (rets-réseau-réti­cule-rétine-filet).

Le seuil de la vision, la sen­si­bi­li­té mini­male de l’œil, est de 0,45 X 1014 W/cm2, ce qui cor­res­pond à un quan­tum, à 1 pho­ton. Il suf­fit d’une molé­cule de pourpre réti­nien transformée

pour qu’un bâton­net (cel­lule élé­men­taire de la tapis­se­rie réti­nienne) four­nisse un poten­tiel de récep­teur, c’est-à-dire un signal quatre fois plus fort que son bruit de fond. Tou­te­fois, cette

grande sen­si­bi­li­té s’ob­tient par une accom­mo­da­tion tem­po­relle assez impor­tante6.

Le pourpre réti­nien (rho­dop­sine) éclai­ré effec­tue sa trans­for­ma­tion élec­tro­chi­mique en plus d’un cin­quan­tième de seconde, temps de la réma­nence7 de la per­sis­tance rétinienne.

La réac­tion est évi­dem­ment réver­sible : la rho­dop­sine modi­fiée est aus­si­tôt recom­po­sée par rap­port san­guin (enzyme) pour pou­voir à nou­veau recom­men­cer son cycle.

opsine + réti­nol 11 cls → réti­nol A, trans + 1 élec­tron rhodopsine

+ 1 photon

DECOMPOSITION

réti­nol A, trans + opsine → réti­nol 11 cis + opsine rhodopsine

+ réti­nol — Isomérase

RECOMPOSITION

La modi­fi­ca­tion géo­mé­trique et élec­tro­nique du pourpre (pas­sage du cis au trans) n’est pas sans rap­pe­ler la for­ma­tion d’une image latente et plus encore le fonc­tion­ne­ment des tubes vidéo, qui font et défont constam­ment l’image.

VII. — LA LENTILLE MINCE, LA PERSPECTIVE

La len­tille mince bi-convexe est trop simple, dit-on, pour pro­duire une bonne image ; elle pro­duit trop de dis­tor­sions, d’a­ber­ra­tions, sur­tout en péri­phé­rie. Et effec­ti­ve­ment, les objec­tifs des camé­ras com­portent 5 à 10 len­tilles. Or qu’est-ce que le cris­tal­lin, sinon une len­tille biconvexe ?

Ne pro­duit-elle pas une image très fine, très « piquée », du moins au centre ? (La qua­li­té sur les extrêmes bords étant beau­coup moins importante.)

Les opti­ciens disent qu’elle a un défaut, cette len­tille mince bicon­vexe : la cour­bure de champ… Par ce défaut, disent-ils, la len­tille mince ne forme une image accep­table qu’au centre, tout deve­nant flou sur les bords ; inver­se­ment, si l’on fait le point sur les bords, ça devient flou au centre… C’est qu’ils ramènent la for­ma­tion de toute image à une sur­face plane, alors que cette len­tille la ramène à une cou­pelle, à une cour­bure comme par exemple… le fond de l’œil.

La courbe C est le lieu de la meilleure image de l’ob­jet A B (qui ne doit pas être plan mais courbe, par la logique du centre optique O). Et ce lieu n’est pas un plan mais une posi­tion de sphère. Il s’en­suit que A’b” est net et A’b’ flou.

C’est à vou­loir rame­ner toute repré­sen­ta­tion à un plan, à une forme plate et non à une coupe, à une con/cavité (comme la camé­ra oscu­ra, le tableau du peintre et plus tard les plans films s’y emploient) que l’on a intro­duit cette dis­tor­sion dite « cou­bure de champ » 8.

Usant de plans-films pour des com­mo­di­tés méca­niques de défi­le­ment, le ciné­ma se dote d’ob­jec­tifs qui « rat­trapent » la cour­bure de champ. En la cor­ri­geant, d’autres défauts secon­daires appa­raissent qui doivent être effa­cés à leur tour : on arrive ain­si très vite à des objec­tifs de 10 len­tilles et plus.

En quoi cette cour­bure de champ inté­resse-t-elle la repré­sen­ta­tion cinématographique ?

« La perspective n'est rien d'autre que la vision d'un objet derrière un verre lisse et transparent, à la surface duquel pourront être marquées toutes les choses qui se trouvent derrière le verre : ces choses approchent le point de l'œil sous forme de diverses pyramides que le verre coupe. » L.d.V., Perspectives, p. 306.

Quels effets peut-on attendre de l’i­mage, par l’op­tique vouée à une coupe, repor­tée sur un plat9 ?

Soit 3 boules iden­tiques, situées à égale dis­tance d’un point (en l’occurrence le centre optique d’une lentille).

Les gran­deurs appa­rentes sont pro­por­tion­nelles à l’angle solide (α, β, γ) pour l’œil qui voit un arc (a”, b”, c”) — pour le plan de pro­jec­tion où l’on voit des seg­ments de tan­gentes (a’, b’, c’), elles sont pro­por­tion­nelles à la distance.

Ain­si « dans la pers­pet­ti­va occi­den­tale, par suite de la construc­tion pers­pec­ti­viste plane, les objets les plus éloi­gnés sur les côtés se trouvent élar­gis, tan­dis que dans la pers­pet­ti­va natu­rale, à cause des angles visuels qui tendent à dimi­nuer à mesure qu’on va vers le bord, les par­ties de la sur­face peinte, mur ou tableau, les plus éloi­gnées sur les côtés, se trouvent rétré­cies : il en résulte que ces deux pers­pec­tives se neu­tra­lisent l’une l’autre lorsque l’œil est exac­te­ment au centre de pro­jec­tion » (Panof­sky, p. 47, Ed. de Minuit).

Il y a donc une contra­dic­tion entre la pers­pec­tive natu­relle qui cherche à lier les gran­deurs aux angles visuels qui les sai­sissent et la pers­pec­tive arti­fi­cielle qui cherche à pro­mou­voir une construc­tion de la sur­face artis­tique com­mode et aisée, puis­qu’on ne peut dérou­ler une sur­face sphé­rique sur un plan, une feuille ou un film. Cette contra­dic­tion se résoud comme le montre Panof­sky, en se pla­çant à une bonne dis­tance et à une bonne hau­teur devant l’é­cran ou le tableau.

(L’é­cran de télé­vi­sion, à ses ori­gines, était bom­bé parce que pré­ci­sé­ment on ne savait faire que des ampoules à vide sphé­riques, la pers­pec­tive linéaire des films repas­sait en pers­pec­tive courbe inver­sée (convexe au lieu de concave) ce qui aug­men­tait la distorsion.)

Et, effec­ti­ve­ment, dans le cas le plus cou­rant des petits angles solides, et en met­tant les per­son­nages à dis­tance, les défor­ma­tions laté­rales n’entrent pas en jeu ; le spec­ta­teur conti­nue à jouir de l’i­mage, même quand il change sa posi­tion de regard.

Par contre, dans les grands angles solides, dans le cas d’une construc­tion à dis­tance courte, l’espace repré­sen­té semble englo­ber celui qui le regarde, en modi­fiant la sen­sa­tion même du volume et de la profondeur.

Autre­ment dit, au ciné­ma, avec les objec­tifs qui « voient » large, les images seront défor­mées, exa­gé­rées sur les bords 10. Inver­se­ment, avec les objec­tifs qui « voient » étroit, les dis­tor­sions seront réduites, comme on peut le démon­trer avec la trigonométrie.

 

On use­ra donc d’un objec­tif moyen, dont l’ou­ver­ture angu­laire sera d’une ving­taine de degrés, rame­nant cette dis­tor­sion à une valeur rai­son­nable, plau­sible et inaperçue.

Moyen, rai­son­nable — c’est trop — en véri­té, il nous faut des preuves. Sous quel angle for­cé et moyen faut-il pers­pi­cere le verre du peintre ? A quelle dis­tance faut-il donc pla­cer le film de I objec­tif pour for­mer cet angle normatif ?

 

VIII. — LE DISPOSITIF ANGULAIRE 

« Si l'œil est à mi-chemin du parcours de deux chevaux courant vers le but sur deux pistes parallèles, il aura l'impression qu'ils courent à la rencontre l'un de l'autre. Ce qui vient d'être énoncé tient a ce que les images des chevaux, qui s'impriment sur l'œil, se déplacent vers le milieu de la surface de la pupille. »
L.d.V.. p. 313.

A sup­po­ser que l’on accepte le « natu­ra­lisme » de la pers­pec­tive pho­to­gra­phique, sa plau­si­bi­li­té, il faut encore que le point de vue du spec­ta­teur qui regarde l’écran coïn­cide avec le point de vue adop­té par la camé­ra pour la construire : c’est-à-dire vision mono­cu­laire, à une cer­taine hau­teur, d’un cer­tain côté (azi­muth), à une cer­taine dis­tance (site), bref, sous le même angle de champ… Que reste-t-il de cette concor­dance au ciné­ma, où le point de vue de la camé­ra change constam­ment en azi­muth, gros­seur du « plan », ouver­ture angu­laire, alors que le spec­ta­teur voyage, immo­bile, dans son fauteuil ?

Reve­nons à l’œil 

Le champ visuel total s’ouvre sur un angle de 200°, le champ moyen détaillé sous 15 – 20° et la vision fine sur moins de 2°. Seuls les rayons cen­traux se forment avec une haute pré­ci­sion sur la tâche cen­trale de la rétine : la fovéa. C’est là que l’on sépare le mieux les détails : l’acuité atteint 2′ d’arc (1° = 60′) ce qui fait qu’à 30 cm on peut dis­tin­guer des détails de 1/10 de mil­li­mètre sur 3 ou 4 mm. Les cônes y sont très ser­rés (150.000 au mm2 dans 1° 66).

Autour de la fovéa, la macu­la, découpe un angle solide de 6°, ce qui fait 1,5 cm vu assez bien à 30 cm. Au-delà de 10°, la den­si­té des cônes tombe à 5.000. Mais ils sont relayés dès 2° par les bâton­nets qui atteignent leur maxi­mum à 18° (150.000 au mm2 , 70.000 au-delà de 60°).

Il s’ensuit que l’angle de champ utile réti­nien fait envi­ron une ving­taine de degrés car les 18° (du maxi­mum bâton­nets) marquent la fin du champ de vision détaillée, voire sa découpe.

En vision bino­cu­laire, on peut donc par­ler d’un angle utile de 18° ver­ti­cal et de 25° hori­zon­tal, angle cor­res­pon­dant à la conju­gai­son des deux yeux.

Cet angle déter­mine par rap­port à la focale du cris­tal­lin (15 mm) un « for­mat » prin­ci­pal de rétine (quelques mil­li­mètres carrés).

Inver­se­ment, pour un for­mat don­né, cet angle solide déter­mi­ne­rait une focale.

Ain­si, pour le même angle solide (μ) de 18° ver­ti­cal, le for­mat 16 mm (dont l’i­mage fait 10,2 mm x 7,4 mm) oblige à une focale de 25 mm11.

La dis­tance focale (du centre optique au foyer de la len­tille) pour un for­mat don­né ren­seigne donc immé­dia­te­ment sur l’ouver­ture angu­laire (μ) d’un objectif.

F (focale) =

Une appli­ca­tion Immédiate

Connais­sant le recul maxi­mum dont on dis­pose pour la camé­ra dans un décor, quelle focale uti­li­ser pour embras­ser d’un angle ( ) le champ hori­zon­tal souhaité ?

Pour un for­mat don­né, si l’on change de focale sans bou­ger de point de vue, l’i­mage très vaste au grand angle paraît gros­sir au télé, comme avec une paire de jumelles.

Mais il n’y a pas que le cadrage qui change ; l’angle des lignes de fuite vers le point géo­mé­tral varie aus­si car le champ de fuite n’est jamais autre chose que l’ouverture angu­laire de l’ob­jec­tif : c’est-à-dire la vitesse avec laquelle les gran­deurs images décroissent en pro­por­tion de la distance.

Au grand angle, la pro­fon­deur semble aug­men­ter puisque la taille des objets dimi­nue plus vite que la nor­male. Au télé­ob­jec­tif, au contraire, la pro­fon­deur se tasse puisque la taille des objets décroit moins vite qu’à l’ordinaire 12.

Corol­lai­re­ment, d’un point de vue ciné­tique, le grand angle aug­mente la vitesse appa­rente des mobiles se dépla­çant (sagi­ta­le­ment) dans la pro­fon­deur, dimi­nue la vitesse appa­rente (angu­laire) des mobiles se dépla­çant latéralement.

Le télé, par contre, donne l’impression de pié­ti­ne­ment dans la pro­fon­deur, alors qu’il accé­lère les mou­ve­ments angu­laires, les mou­ve­ments vus de profil.

Toutes ces modi­fi­ca­tions seront davan­tage res­sen­ties sur les bords de l’image qu’au centre, près de l’objectif qu’au loin.

Expé­rience. — Appro­chez un damier au ras de l’œil, et obser­vez au ralen­ti, sans défaire le point de fixa­tion du centre : vous ver­rez les lignes s’in­cur­ver dans les extrêmes.

En fait, ces défor­ma­tions passent habi­tuel­le­ment inaper­çues dans la péri­phé­rie du champ visuel parce que la vision y est indis­tincte13 et parce que l’on hypo­stase la vision cen­trale dans sa rec­ti­tude (avec 150.000 cônes/mm2 à l’appui) comme lieu scopique.

Nous avons vu en effet que la rétine péri­phé­rique se moque des formes, ne retient que les mou­ve­ments, les modi­fi­ca­tions de contexte, qui se trouvent par contré for­te­ment signa­lées à la conscience. (Dans les salles de ciné­ma, le champ péri­phé­rique, l’autour de l’écran, est plon­gé dans le noir pour éva­cuer ce qui bouge.)

Ce sont donc ces défor­ma­tions que le très grand angle fait appa­raître clai­re­ment, celles que Panof­sky note dans La pers­pec­tive comme forme sym­bo­lique (p. 49).

« Alors qu’en pro­jec­tion pers­pec­ti­viste plane, les lignes droites sont des droites, les mêmes droites sont per­çues par notre organe visuel comme des courbes à cour­bure convexe, en par­tant du centre de l’image », défor­ma­tions la plu­part du temps igno­rées ou refu­sées pour les rai­sons que j’in­di­quais plus haut.

Telle est donc l’importance du champ de fuite vers le point géo­mé­tral de l’ou­ver­ture angu­laire don­née par la focale. La pers­pec­tive peut être modi­fiée autour de la valeur moyenne

que donne la géo­mé­trie réti­nienne. Un rap­port dif­fé­rent s’ins­talle entre le pre­mier et l’ar­rière-plan (éloi­gne­ment ou rap­pro­che­ment abu­sif) ; la vitesse sagit­tale (ralen­tis­se­ment ou accé­lé­ra­tion) est réglable et pareille­ment les vitesses transversales.

La repré­sen­ta­tion des allures et des figures est donc modu­lable et avec elles la tem­po­ra­li­té même de leur dérou­le­ment. (Ques­tions que nous repré­ci­se­rons en abor­dant les mou­ve­ments de caméra.)

Faut-il jouer près ou loin de la caméra ?

« Parmi les choses égales, la plus éloignée semble moindre. » L.d.V.. p. 310.

Soient deux per­son­nages de même taille pla­cés à une dis­tance inégale. La dif­fé­rence de leurs dimen­sions appa­rentes s’accuse dans la mesure où ils sont proches ; leurs dimen­sions semblent dif­fé­rer, d’au­tant moins qu’ils sont loin de l’œil. (En gros plan, on recom­mande aux acteurs de jouer moins vite.)

“Par­mi les corps de mou­ve­ment égal, celui-là paraître plus rapide qui sera plus proche, et plus lent celui qui sera plus loin­tain.” — L.d.V., p. 234.

Ce qui est fil­mé de très près semble bou­ger plus vite. De sur­croît, le télé aug­mente les vitesses laté­rales, le grand angle, l’ef­fet de fuite ou de rap­pro­che­ment dans la dis­tance. C’est de la mise en scène. Vous voyez. Rata­ti­ner l’espace ou le dila­ter. Faire fuir les ombres plus vite que de cou­tume ou les ramas­ser sur un sur-place. Avec le grand angle aug­men­ter l’emphase de la conver­gence dans une sai­sie plus vaste des lieux, dans un plus-de-voir, avec plus-de-recul. Avec le télé, rame­ner l’emphase du rap­pro­che­ment 14. Bref, convo­quer dif­fé­rem­ment vers le non-convergent, plus ser­ré, le moins-de-voir, mais avec l’espace-off. mani­fes­té dans son illi­mi­té (grand angle, plan grand ensemble) ou son évic­tion (télé, gros plan). Prise de vues, concen­trée ou élar­gie, pro­fonde ou tas­sée, on ne peut igno­rer l’effet de focale, le dis­po­si­tif angu­laire au cinéma. 

Pour que le dis­po­si­tif fonc­tionne, il suf­fit que u ≤ w ; dès lors, par-là bas­cule sco­pique, par l’i­den­ti­fi­ca­tion au regard de la camé­ra, le spec­ta­teur vient occu­per en ∝’ la posi­tion vir­tuelle de viseur (sup­po­sé savoir, et si le dis­po­si­tif est bien réglé par ailleurs, il s’en fout plein la vue, sans être vu, avec ce léger fading qui lui fait même oublier qu’il regarde).

 

IX. PROFONDEUR DE CHAMP

« Décris les paysages avec le vent et l'eau, au lever et au coucher du soleil. »
L.d.V.. Paysage, p. 249. Gallimard. 1942.

Il faut bien repar­ler du point géo­mé­tral. La pré­sence d’un point de fuite, se confon­dant avec l’in­fi­ni­ment loin, situé au fond du pay­sage, trans­fi­gure l’i­mage. Dans les longs pano­ra­miques sur les mon­tagnes ita­liennes ( Fortini/Cani), c’est la réfé­rence pro­lon­gée à ce point géo­mé­tral qui amène le regard du spec­ta­teur à se confondre len­te­ment avec celui de la camé­ra, fas­ci­nant par son exac­ti­tude déployée sans trucage.

Ce point de fuite, issu de l’infini du ciel, nous regarde de loin, comme un œil divin, et c’est là sa force. De s’i­den­ti­fier à lui vient notre régal ; d’y voir une perte, infi­ni­ment loin vient notre contemplation.

Mais ce point-là n’est pas tou­jours au ciel ; à l’ho­ri­zon, il vient à l’é­qui­libre, notre égal, il vient à l’équilibre, notre égal, il épouse le point de vue d’un homme debout (camé­ra à l’é­paule). Des­cend-il sous l’ho­ri­zon que ce point nous regarde de la terre. Et la visée du spec­ta­teur prend le des­sus. L’ho­ri­zon­tale est la réfé­rence ter­restre, étale, dont l’oreille est maî­tresse. L’angle de plon­gée met en posi­tion divine, domi­nante, de sur­vol écra­sant, de sup­po­sé savoir. L’angle de contre-plon­gée met en posi­tion de cloué à terre, de bébé ram­pant, loin des bras de la mère et de son regard15.

Le point géo­mé­tral, tou­jours pré­sent, mais sous-jacent, ne fait pas tou­jours cause com­mune avec l’infini ou le ciel bleu.

Il peut être éli­dé par le décor, par des à‑plats, des murs, qui sec­tionnent les lignes de fuite et coupent l’i­dée de la dis­tance et du dehors. En inté­rieur, tout dépend donc de la pro­fon­deur du champ, de la pro­fon­deur des lieux.

La pro­fon­deur DU champ ce n’est pas la pro­fon­deur DE champ, affaire d’op­tique. On a cou­ram­ment don­né à l’ex­pres­sion « pro­fon­deur de champ « plu­sieurs sens qui se super­po­saient dans une cer­taine confusion.

La pro­fon­deur de champ, c’est et ce n’est que la capa­ci­té poten­tielle d’un objec­tif, d’un sys­tème optique, à repro­duire une image nette dans une cer­taine pro­fon­deur sagit­tale 16. La pro­fon­deur de champ, c’est la pro­fon­deur (d’une dis­tance x à une dis­tance y) dans laquelle la mise au point reste accep­table, dans les limites d’un début de flou 17.

Dès lors, la pro­fon­deur de champ vient modu­ler la pro­fon­deur du champ en pro­fon­deur de net­te­té sur laquelle on peut s’in­ter­ro­ger, en effet.

C’est que le flou intro­duit, comme le point géo­mé­tral, une dimen­sion nou­velle (et sou­vent impo­sée par l’op­tique elle-même) qui vient com­plé­ter le dis­po­si­tif. L’emphase de la conver­gence choît dans sa limite : la néces­si­té de faire le point, de choi­sir un plan d’accommodation plus ou moins épais. Par des astuces18, on peut obte­nir un cadre entiè­re­ment net, de l’avant-plan à l’arrière-plan. La mise en scène s’étale alors en pro­fon­deur, sur plu­sieurs niveaux, qui peuvent inter­agir entre eux, connec­tés ou non. De plus, l’absence du flou confère à l’Image une puis­sance excep­tion­nelle, une pos­ses­sion totale de l’espace.

Sou­vent, les condi­tions de tour­nage ne per­mettent pas d’obtenir la grande pro­fon­deur de champ. Dès lors, il faut faire avec le flou for­cé intro­duit par le sys­tème optique.

Ce fai­sant, le flou reste un élé­ment d’écriture qui entre dans l’image de deux manières : soit qu’il vienne de l’in­fi­ni et gagne l’i­mage jusqu’au pre­mier plan, qui reste net, soit qu’il vienne

du pre­mier plan et s’enfonce vers l’arrière-plan, qui reste lisible Ces deux manières peuvent coha­bi­ter et on doit s’accommoder d’une tranche d’espace nette, plus ou moins épaisse, sans pou­voir reje­ter ces flous hors de la conscience19.

Dans le flou par l’avant est intro­duite une rayure, une fai­blesse. Soit qu’on y voit une gêne, une inter­po­si­tion, du non don­né-à-voir, seule­ment à aper­ce­voir, sans pos­si­bi­li­té de déli­vrer la vue de son impuis­sance. Soit qu’on évince du champ un élé­ment inin­té­res­sant, en le mar­quant espace fron­tière de l’histoire. Soit encore qu’on pointe un nou­vel élé­ment, flou d’abord, et qui sera éclai­ré par la suite, après une attente. Dans tous les cas, un regard est rap­pe­lé, avec l’ac­com­mo­da­tion par­tielle ; du caché, du non-sai­si est don­né à voir, et le spec­ta­teur est des­sai­si de sa toute-puis­sance puisqu’il ne peut accom­mo­der par­des­sus cet autre regard prédécesseur.

Dans le flou par l’ar­rière, c’est d’a­bord le point géo­mé­tral qui est élu­dé, ou c’est un loin­tain mena­çant qui va nous être mon­tré après coup, ou encore c’est une dra­ma­ti­sa­tion des évé­ne­ments qui fait res­ser­rer l’at­ten­tion sur les per­son­nages en avant-plan, dans un décor deve­nu inutile ou gênant. Ce qui est dans le loin­tain est éli­mi­né, absor­bé, oublié de l’his­toire. La scène est sim­pli­fiée, réduite à l’essentiel.

Dans le flou par l’a­vant et par l’ar­rière, la scène est prise en sand­wich entre deux espaces et les héros se glissent dans une tranche d’histoire… Un en-dehors est mani­fes­té mais, en même temps, l’es­pace-off enva­hit le cadre.

Enfin, le flou peut se dépla­cer. La mise au point peut suivre un per­son­nage évo­luant dans la pro­fon­deur (par exemple, lors d’un pano­ra­mique). L’espace flou est donc for­te­ment noté comme espace-off (hors dié­gèse), ou encore la mise au point peut être dépla­cée pour décou­vrir une autre scène, que la grande pro­fon­deur de champ eût mon­trée d’un seul tenant : le point trac­té divise l’es­pace en plu­sieurs zones d’in­té­rêt sépa­rables ; il mime l’ac­com­mo­da­tion en acte, la trac­tion scopique.

 

X. LES OBJECTIFS

Ils sont fra­giles, rayables, craignent les chocs, les traces de doigt, les pous­sières. On les pro­tège par des capots métal­liques, appe­lés bou­chons d’objectifs. On les main­tient dans un état de pro­pre­té constante pour pré­ser­ver leurs qua­li­tés. On les essuie avec une poire à air.

La prin­ci­pale qua­li­té d’un objec­tif, c’est son pou­voir sépa­ra­teur, son « piqué ». Le nombre de traits qu’il peut sépa­rer en 1 mm sert de point de réfé­rence à cette mesure20. Il est évi­dem­ment inutile de sépa­rer des détails plus fins que le grain élé­men­taire de l’é­mul­sion photographique.

Une émul­sion pho­to-sen­sible (rapide) sépare 40 à 50 traits au mil­li­mètre. Une émul­sion lente dif­fé­ren­cie 90 à 100 traits au mil­li­mètre. Dans ce cas, un objec­tif qui sépare 200 traits au mil­li­mètre convient.

Cela veut dire que le point élé­men­taire don­né par l’ob­jec­tif est en réa­li­té un tout petit cercle (il n’y a pas de points infi­ni­ment petits, il n’y a que des cercles de diffusion).

Le cercle de moindre confu­sion, ce qu’on appelle le point, est de 25 . soit 0,025 mm dans le for­mat de 16 mm. Mais repor­té sur un écran de 1,20 m de base, avec un agran­dis­se­ment de 115 fois, ce point fait 3 mm de dia­mètre au minimum.

DIAPHRAGME

La lumière exté­rieure varie selon les sai­sons, les heures, l’état du ciel ; les émul­sions sont dif­fé­rem­ment sen­sibles, mais toutes ont une faible four­chette d’u­ti­li­sa­tion par rap­port è l’œil ; les objec­tifs, par ailleurs, sont plus ou moins trans­pa­rents. Il est donc néces­saire de régler, par un moyen simple et méca­nique, la quan­ti­té de lumière entrant dans la chambre noire. On use d’un iris à lamelles, pla­cé au centre optique de l’ob­jec­tif, le diaphragme.

La lumière qui entre est pro­por­tion­nelle à la sur­face utile de la len­tille. Lorsque le dia­mètre du dia­phragme approche celui de la len­tille fron­tale, la lumière passe au maxi­mum. Pour divi­ser la lumière par 2. il suf­fit donc de divi­ser le dia­mètre par V 2, puisque la sur­face utile variant avec le car­ré du dia­mètre, est divi­sée par 2 (√22 = 2). Il s’en­suit que les dia­mètres sont en pro­gres­sion géo­mé­trique de rai­son √2 (√2 = 1.414) — pure com­mo­di­té — 1 — 1.4 — 2 — 2.8 — 4 — 5,6 – 8 ‑11 – 16 — 22 , etc., on mul­ti­plie à chaque fois par v2, c’est-à-dire que. d’une gra­dua­tion à l’autre, la lumière entre 2 fois moins ou 2 fois plus.

L’ouverture du dia­phragme « n » est égale à la focale F, divi­sée par le dia­mètre de la pupille méca­nique, d [n = F/d]. Les diaph les plus ouverts font un petit chiffre (F/d) et les plus fer­més, les moins lumi­neux, font un grand chiffre 21.

En ouvrant d’un cran (par exemple de 5, 6 à 4), on fait entrer deux fois plus de lumière ; en fer­mant de 3 crans, on fait entrer 2 X 2 x 2 = 8 fois moins de lumière.

On remar­que­ra que les dia­phragmes fer­més donnent une meilleure image (plus piquée) que les dia­phragmes grands ouverts.

C’est que le petit trou réduit l’aberration sphé­rique, dis­tor­sion pro­duite par les rayons mar­gi­naux. C’est ce que toute optique ne fait pas conver­ger les rayons cen­traux au môme foyer que les rayons mar­gi­naux. En dia­phrag­mant, la sur­face de la len­tille se ramène en un centre = les rayons mar­gi­naux se trouvent éli­mi­nés d’autant.

Enfin ‚on dis­tin­gue­ra l’ou­ver­ture pho­to­mé­trique (T stop) de l’ou­ver­ture géo­mé­trique (f/stop). Mal­gré les trai­te­ments anti­re­flets, les len­tilles ne laissent pas pas­ser exac­te­ment autant de lumière que l’ou­ver­ture du dia­mètre pupil­laire le lais­se­rait supposer.

Il y a une perte de trans­mis­sion. L’ouverture pho­to­mé­trique sert à cal­cu­ler la lumi­no­si­té, l’ouverture géo­mé­trique à cal­cu­ler la pro­pa­ga­tion des rayons et notam­ment la pro­fon­deur de champ.

 

TIRAGE

Pour faire le point sur un per­son­nage qui se déplace, ou qui se rap­proche, il faut allon­ger la dis­tance qui sépare le centre optique du plan focal. On tire donc les len­tilles vers l’a­vant, puisque c’est plus facile que de recu­ler le film vers l’arrière.

 

On avance l’objectif en le fai­sant tour­ner sur une mon­ture héli­coï­dale. L’o­pé­ra­tion de dépla­ce­ment vers l’ouverture, le tirage, sera d’autant plus impor­tante que la focale est longue et que l’ob­jet est proche 22.

La dis­tance au sujet se mesure avec un déca­mètre à par­tir du plan film. Sou­vent on l’évalue sur le dépo­li du verre de visée, dis­po­sant d’une cer­taine lati­tude de point, d’une cer­taine marge.

 

PROFONDEUR DE CHAMP 

On dis­pose d’une lati­tude de point ∆ p’, telle que le cône des rayons se diri­geant vers un point image ne découpe pas sur l’é­mul­sion un cercle de confu­sion supé­rieure à une limite de net­te­té (en 16 mm = 0,025 mm)

∆ p’ = p’ ◌̅ (0, ouver­ture utile du diaphragme).

Cette lati­tude (moins grande sur les bords qu’au centre) s’ap­pelle la pro­fon­deur de point.

Il y a donc une limite pos­té­rieure de net­te­té A2 située à une dis­tance p2 de l’ob­jec­tif et une limite anté­rieure de net­te­té située à une dis­tance p1 de l’objectif, p3 — p1 donne la pro­fon­deur de champ exacte.

En repor­tage, on peut s’af­fran­chir du pro­blème de la mise au point, en réglant le tirage sur l’hyperfocale ; c’est d’ailleurs sur cette dis­tance par­ti­cu­lière que sont réglés les objec­tifs dépour­vus de bague de mise au point.

L’hy­per­fo­cale, c’est la dis­tance P pour laquelle P2 (limite pos­té­rieure de net­te­té) est à l’infini et pour laquelle P1 (limite anté­rieure de net­te­té) vaut la moi­tié de P.

De manière géné­rale, l’hyperfocale (p (H) se cal­cule ain­si : avec F, focale ; n. diaf ; Cc, cercle de confusion

Exemple : un objec­tif de 25 mm (en for­mat 16) ouvert à f/8 (Ce = 0,025 mm). 

 

La pro­fon­deur de champ s’étend alors de 1,56 m à l’infini.

La pro­fon­deur de champ se cal­cule faci­le­ment à par­tir de l’hyperfocale.

On y voit que la pro­fon­deur de champ aug­mente avec les courtes focales et dimi­nue avec les télé ; aug­mente quand on ferme le diaph, dimi­nue quand on l’ouvre, à cause de l’importance crois­sante des rayons mar­gi­naux ; aug­mente aus­si lors que la dis­tance de mise au point est grande, dimi­nue lorsqu’on la règle sur des objets rap­pro­chés. Sur cer­tains objec­tifs, on trouve une échelle gra­duée de la pro­fon­deur de champ.

PROFONDEUR DE POINT 

Très cri­tique pour les courtes focales, elle est l’i­mage de la pro­fon­deur de champ dans le plan émul­sion. Empi­ri­que­ment, elle vaut : 

Cette pro­fon­deur de point est très fine (de l’ordre du dixième de mil­li­mètre), aus­si le tirage méca­nique de l’ob­jec­tif doit-il être ajus­té avec pré­ci­sion (au besoin, on « recale » l’ob­jec­tif sur banc optique) et donc vis­sé ou mon­té cor­rec­te­ment sur le boî­tier. Aus­si bien le film doit res­ter par­fai­te­ment plat (pres­seurs bien réglés) et les file­tages en bon état.

En 16 mm, le tirage méca­nique est de 17,52 mm pour une mon­ture C.

 

CHAUD ET FROID 

Toutes les cou­leurs ne passent pas de la même manière à tra­vers les x len­tilles de l’ob­jec­tif. Cer­tains objec­tifs aug­mentent la trans­mis­sion dans les rouges (ils sont chauds) ou dans les bleus (ils deviennent froids).

 

ZOOM

Le zoom per­met de « s’approcher » ou de « s’é­loi­gner » vir­tuel­le­ment du sujet que l’on filme par la simple rota­tion d’une mani­velle. On déplace ain­si, par com­pen­sa­tion méca­nique, 2 ou 3 len­tilles de l’objectif, de manière à réa­li­ser simul­ta­né­ment la varia­tion de focale et la fixi­té de la mise au point. Un de ces deux mou­ve­ments n’est pas linéaire et doit être com­man­dé par une came syn­chro­ni­sée avec la plus haute précision.

Dans le cas du « 12 — 120 Angé­nieux », la dis­tance mini­male (p min) de mise au point est de 1,50 m.

L’ou­ver­ture angu­laire u passe de 450 au télé (120 mm) à 46° au grand angle (12 mm).

 

(à Suivre)

 

  1. La lumière est essen­tiel­le­ment un double champ (élec­trique, magné­tique) se dépla­çant per­pen­di­cu­lai­re­ment à l’axe du rayon. Elle trouve son ori­gine dans les trans­for­ma­tions éner­gé­tiques qui se pro­duisent dans les couches élec­tro­niques des atomes.
  2. Le seuil dif­fé­ren­tiel d’in­ten­si­té mesure la lumi­no­si­té mini­ma dont il faut s’écarter pour qu’un chan­ge­ment d’intensité soit per­cep­tible sur une plage lumi­neuse. Au clair de lune (éclai­re­ment 1/4 de lux) le seuil d’intensité est de 0,133. Au bureau (éclai­re­ment de 200 lux) il est de 0,018. Autre­ment dit. pour per­ce­voir une dif­fé­rence de contraste, 11 faut 13 % d’écart au clair de lune, 1 % au bureau, et 0,95 % en plein soleil. On ver­ra l’intérêt de cette ques­tion à pro­pos de l’étalonnage et de la lumi­nence moyenne d’un écran de cinéma.
  3. En réa­li­té pour l’œil, la loi de Fech­ner demande à être plus pré­cise : elle devient : S = K3 En rela­tion expo­nen­tielle dans laquelle l’exposant n dépend sur­tout du champ lumi­neux péri­phé­rique qui déter­mine l’état d’adaptation géné­rale de la rétine et varie de 0,3 à 3,0. L’étalonnage des films à une valeur moyenne de n n’est pas étran­ger au repos for­cé de l’œil devant l’écran.
  4. Qui doit modi­fier la vitesse de pom­page des ions sodium dans la mem­brane des

    bâton­nets.

  5. La condi­tion per­met­tra aus­si d’améliorer la qua­li­té de l’image réti­nienne en éli­mi­nant les rayons mar­gi­naux et en aug­men­tant la pro­fon­deur de champ (une simple len­tille conver­gente ne donne pas une bonne Image si elle n’est pas dia­phrag­mée).
  6. Varia­tions du seuil de vision en fonc­tion du séjour à l’obscurité.
  7. La durée de la réma­nence ^ 50′ de seconde Impo­se­ra la vitesse du ciné­ma­to­graphe 10 images/seconde.  
  8. Il y a d’autres aber­ra­tions intro­duites par les len­tilles conver­gentes, telles l’aberration de réfran­gi­bi­li­té : l’aberration sphé­rique. Cf. Infra. 
  9. Effec­ti­ve­ment, on dit “peindre un tableau”, “tour­ner un plan”… 
  10. A tel point que la socié­té Leitz fabrique un grand angle qui déforme peu dans les coins (« His­ta­gon » 8,5 mm) uti­li­sé par Yann le Mas­son, opé­ra­teur de J.-L. Comol­li dans La Cécil­la.
  11. Sui­vant la rela­tion tri­go­no­mé­trique : tg (u) =
    dans laquelle H ou V repré­sente les demi-for­mats et F la focale.
  12. A Hol­ly­wood, on tirait les por­traits au télé, ques­tion d’aplatir les nez ; de faire reve­nir men­tons trop fuyants, etc. 
  13. Indis­tincte â cause de l’a­ber­ra­tion sphé­rique d’une part, de la dimi­nu­tion du nombre de bâton­nets et de l’absence de cônes d’autre part.
  14. Bien « décou­pé » veut dire qui s’accorde à la logique dra­ma­tique, c’est-à-dire au point de visée divin de l’Autre. 
  15. En pho­to­gra­phie, par l’emploi d’une chambre noire défor­mable, il est pos­sible de rat­tra­per les défor­ma­tions pers­pec­tif­stes cau­sées par la vue plon­geante ou contre-plon­geante (défor­ma­tions que le cer­veau rat­trape mais que l’appareillage enre­gistre). Au ciné­ma, l’usage de la bas­cule et du décen­tre­ment est aujourd’hui encore tech­ni­que­ment impossible.
  16. Sagit­tale : devant soit, comme une flèche. 
  17. Flou, de fla­vus (latin), fâné, flé­tri. Terme tech­nique appa­ru en 1676.
  18. En usant du grand angle, de fortes lumières ou de pel­li­cules très sensibles
  19. Tranche où se res­serre la fiction
  20. Il existe une autre courbe de trans­fert de modu­la­tion, plus appro­priée à satis­faire un ingé­nieur qu’un cinéaste.
  21. On trouve ça étrange au début, parce qu’on asso­cie au plus grand nombre la plus grande lumière, et au plus petit la plus faible alors que le diaf est un quo­tient et non un mul­ti­pli­cande.
  22. Le tirage optique d’un objec­tif se cal­cule ainsi :

    T. tirage, D. dis­tance de mise au point, F. focale. Ex. : pour D = 3 mètres, F = 25 mm