Programme pédagogique Son

Par Claude Bailblé

Docu­ment de 1995

Des méthodes d’enseignement théo­rique  et pra­tique  du son

ORIENTATION :

La Femis forme des artistes/techniciens du son. Elle se dif­fé­ren­cie de Louis Lumière qui pré­pare aux dif­fé­rents métiers du son, sur des bases tech­niques appro­fon­dies. L’é­cole consi­dère que les tech­niques  se posent non du point de vue de l’in­gé­nieur, mais depuis celui de l’in­ter­prète, et se spé­cia­lise dans le son ciné­ma (et vidéo), cou­plé à l’image.

Cette for­ma­tion exige un recru­te­ment ad’­hoc, et une péda­go­gie fon­dée sur les pra­tiques directes, les pra­tiques indi­rectes et la théo­rie. De sorte que l’é­tu­diant en fin de sco­la­ri­té est à même d’in­té­grer la pro­fes­sion en tant qu’as­sis­tant, et ce fai­sant, apte à se déployer ulté­rieu­re­ment comme cadre artis­tique et tech­nique du cinéma.

 

1/ Les pra­tiques directes s’ac­croissent tout au long des années de sco­la­ri­té pour culmi­ner en stage et mémoire dans le troi­sième cycle. Il s’a­git, après le tronc com­mun de maî­tri­ser les pro­cé­dures ins­tru­men­tales de cap­ta­tion (perche et modu­la­tion), de mon­tage (mon­tage son et sons d’ap­points) d’en­re­gis­tre­ment musi­cal (musique de film) et de mixage (fic­tion ou docu­men­taire). Et aus­si bien d’ac­qué­rir par des exer­cices pro­gres­sifs et variés les réflexes et les capa­ci­tés de déci­sions requises en temps réel sur le terrain.

Ces dif­fé­rentes pra­tiques ins­tru­men­tales s’ap­puient sur une connais­sance des tech­no­lo­gies et des outils, (la chaîne enre­gis­tre­ment — mon­tage- syn­chro­ni­sa­tion — mixage — repro­duc­tion) mais aus­si sur les prin­cipes élec­tro­niques de leur fonc­tion­ne­ment, sur le trai­te­ment et la mesure des signaux qui les traversent.

Des élé­ments d’élec­tro­nique, de théo­rie du signal, d’in­for­ma­tique appli­quée sont donc abordés.

 

2/ Les pra­tiques indi­rectes consistent à ana­ly­ser les œuvres (exem­plaires et diverses) sous la double visée du spec­ta­teur et du fabri­cant. Les savoir-faire seront exa­mi­nés à par­tir des « résul­tats » obte­nus sur les écrans visuels et sonores. Ceci oblige à une mise en rap­port des effets esthé­tiques et des inten­tions artis­tiques, sans laquelle l’a­na­lyse reste cloi­son­née, inopérante.

Cette arti­cu­la­tion sup­pose une lec­ture effi­cace, à savoir un sens audi­tif aigu, fon­dé sur la dif­fé­ren­cia­tion et l’ac­com­mo­da­tion rapide de l’ouïe, l’a­dap­ta­tion inces­sante de l’é­coute aux dif­fé­rents para­mètres « allant-deve­nant ». D’où la psy­cho-acous­tique.

Seul un entraî­ne­ment fré­quent à l’é­coute active per­met la sai­sie du maté­riau sonore dans tous ses com­po­sants, et aus­si bien la carac­té­ri­sa­tion des formes sonores engen­drées dans la durée.

A ce niveau la théo­rie musi­cale apporte ses concepts (formes, timbre, rythmes, varia­tions, répé­ti­tions, etc.) et éclaire uti­le­ment la construc­tion de la bande son.

Cepen­dant la mise en regard d’une bande image néces­site aus­si une ana­lyse scé­no­gra­phique plus géné­rale, audi­to-visuelle, une lec­ture de la dra­ma­tur­gie et des registres d’in­ter­ven­tion des phé­no­mènes sonores ( voix, texte et geste vocal, silences , effets , ambiances , musique) .

Le son éner­gé­tise l’i­mage, le son tra­vaille la mémoire audi­tive et dia­logue avec la mémoire visuelle. S’en sou­ve­nir lors du décou­page des films. Le décor sonore énonce un lieu scé­nique et com­plète le décor visuel, contri­bue à l’étendue.

 

3/ La théo­rie donne a ces dif­fé­rentes approches un sou­tien concep­tuel impor­tant mais incom­plet. Les savoir-dire ne recouvrent pas tous les savoir-faire, tant s’en faut. Néan­moins, aus­si incom­plète soit-elle, confron­tée à la pra­tique, la théo­rie four­nit un cadre de com­pré­hen­sion à de nom­breuses démarches.

L’i­ma­ge­rie audi­tive ins­tan­ta­né­ment se dédouble ; elle ren­voie aus­si bien à la cause du son (geste ou jeu d’ac­teur, geste vocal même) qu’à l’ob­jet-source (timbre du maté­riau émis­sif ; empreinte vocale). Après iden­ti­fi­ca­tion de l’agent éner­gé­tique, l’é­vé­ne­ment se trouve « colo­ri­sé » par le maté­riau sonore, le timbre fait retour sur la cause et lui donne une tona­li­té, un grain, une qua­li­té sen­sible propre aux impres­sions auditives.

L’ap­pel­la­tion in/off ne concerne que le dis­po­si­tif de sai­sie et de pro­jec­tion. En fait le lieu scé­nique est d’a­bord com­po­sé comme un tableau sonore (les fonds, l’am­biance ; les objets rap­pro­chés, les acces­soires, les sons adven­tices ; les per­son­nages, les voix) et que ce tableau est ensuite reca­dré par une image partielle.Il se trouve qu’en fabri­ca­tion, le che­mi­ne­ment inverse (on cadre l’i­mage en pre­mier, on ajoute des sons, un décor) a appau­vri consi­dé­ra­ble­ment la scé­no­gra­phie audi­tive, impen­sée dans l’a­vant-coup, fai­ble­ment rat­tra­pée dans l’après-coup.

Les étu­diants sont invi­tés à se pro­me­ner en écou­tant, à enre­gis­trer les sons, comme d’autres se déplacent en pho­to­gra­phiant, l’œil aux aguets. En outre la fré­quen­ta­tion des salles de concert et l’écoute musi­cale, par­ti­tion en main, est for­te­ment recommandée.

 

PROGRAMME  DEPARTEMENT SON

Le second cycle (A & B) du dépar­te­ment ouvre sur la for­ma­tion spé­ci­fique aux métiers du son.

L’en­sei­gne­ment s’y déve­loppe en trois directions :

-la for­ma­tion théo­rique (tech­no­lo­gie et sciences appli­quées, esthétique)

-la for­ma­tion pra­tique (exer­cices ins­tru­men­taux, tant en vidéo qu’en film)

-la pra­tique indi­recte (ana­lyses d’œuvres et écoutes critiques)

 

L’en­sei­gne­ment théo­rique  s’ap­puie sur l’a­cous­tique (phy­sique, phy­sio­lo­gique, archi­tec­tu­rale et musi­cale), l’élec­troa­cous­tique et les tech­no­lo­gies audio­fré­quences, l’élec­tro­nique appli­quée ; l’es­sen­tiel des notions scien­ti­fiques per­met­tant de pra­ti­quer — à bon escient — est abor­dé. Les outils sont étu­diés en effet du point de vue de l’in­ter­prète et non du point de vue de l’ingénieur.

D’autres cours théo­riques abordent la psy­choa­cous­tique (pour mieux dif­fé­ren­cier les capa­ci­tés du sys­tème audi­tif), le dis­po­si­tif de res­ti­tu­tion audio­vi­suel (ses inci­dences sur la prise de son ou le mixage), et aus­si bien les registres de la bande son, l’es­thé­tique du son ciné­ma (l’é­tude du maté­riau et des formes sonores en pré­sence de l’i­mage). L’approche du musi­cal contri­bue aus­si pour beau­coup à la concep­tion et à la créa­tion de bandes-son orga­ni­sées comme une par­ti­tion sonore.

La pra­tique  occupe une bonne part de l’ac­ti­vi­té péda­go­gique, nécessairement.

Les pro­cé­dures ins­tru­men­tales sont déve­lop­pées dans une série de tra­vaux pra­tiques (exer­cices docu­men­taire ou fic­tion). La réflexion et le com­men­taire appro­priés accom­pagnent les étapes suc­ces­sives de la mise en œuvre.

Concep­tion, repé­rages, pré­pa­ra­tion, tra­vail à la perche, sons seuls, mon­tage son, et mixage sont plu­sieurs fois éprou­vés. Les tra­vaux pra­tiques sont — il faut peut-être le redire — le lieu pri­vi­lé­gié de l’ap­pren­tis­sage professionnel :

-des cor­ré­la­tions nom­breuses et répé­tées entre gestes ins­tru­men­taux et résul­tats d’écoute.

-le déve­lop­pe­ment du sens audi­tif et de la struc­tu­ra­tion per­cep­tive, de la dif­fé­ren­cia­tion du sonore.

-l’é­va­lua­tion de l’é­cart ou de l’a­dé­qua­tion entre l’in­ten­tion ini­tiale et le résul­tat effectif.

-le retour cri­tique sur les erreurs et les moyens d’y remédier.

Par la répé­ti­tion, la reprise, les essais suc­ces­sifs, l’é­tu­diant acquiert cer­tains auto­ma­tismes indis­pen­sables qui laissent la pen­sée libre pour la créa­tion et l’ex­pres­sion sonores. Il s’a­git d’un “tra­vel­ling” qui va des fausses dif­fi­cul­tés, faci­le­ment sur­mon­tables, aux vraies déci­sions, à la fois artis­tiques et tech­niques, plus dif­fi­ciles à maîtriser.

Dans cette approche, le com­men­taire expli­ca­tif est indis­pen­sable. La pra­tique com­men­tée est  donc extrê­me­ment pré­cieuse, car elle concerne un tra­vail hau­te­ment mémo­ri­sé par l’é­tu­diant, tra­vail qui a déjà été l’ob­jet d’une éla­bo­ra­tion impor­tante, de prises en compte par­fois hypo­thé­tiques, par­fois contra­dic­toires et de déci­sions incom­plè­te­ment assurées.

Ain­si les “cro­quis-doc”, les docu­men­taires Béta [ou DV-Cam], les fic­tions 35 seront com­men­tés (à plu­sieurs voix) aus­si bien dans les phases de pré­pa­ra­tion ou de tour­nage, que dans celles du mon­tage ou du mixage. Mais ce com­men­taire ne devra pas empié­ter sur la liber­té d’ex­pé­ri­men­ter, d’af­fir­mer une per­son­na­li­té et devra res­ter le plus sou­vent d’ordre pédagogique.

Chaque exer­cice pra­tique est pré­cé­dé d’une ini­tia­tion spé­ci­fique aux maté­riels uti­li­sés (Nagra, régies vidéo, perche, Pro-tools, Avid, audi­to­rium, …etc..)

De nom­breux exer­cices trans­ver­saux — plan séquence (EP7), situa­tions tech­ni­que­ment dif­fi­ciles (EP10), tru­cages optiques et sonores (EP 13), mon­tage son” (Inter­mez­zo”), re-créa­tion d’une bande son (“Cadavres exquis”) ..etc — per­mettent de mieux sai­sir le pro­ces­sus de fabri­ca­tion du son dans l’en­semble des contraintes de pro­duc­tion, tout en pré­pa­rant au tra­vail pro­fes­sion­nel en équipe.

Cer­tains tra­vaux pra­tiques res­tent spé­ci­fiques à la for­ma­tion du dépar­te­ment son : sté­réo­pho­nie, échan­tillon­nage, Dol­by, MIDI, métro­lo­gie, prise de son ani­ma­lière, report optique, etc..

Enfin l’a­na­lyse d’oeuvres (qu’elles soient musi­cales ou ciné­ma­to­gra­phiques) faci­lite l’ap­pré­hen­sion des enjeux artis­tiques, la com­pré­hen­sion des registres et des formes sonores. Ana­lyse glo­bale ou détaillée, elle met au clair cer­tains méca­nismes de la récep­tion des films, mêlant émo­tions esthé­tiques et émo­tions narratives.

En outre, elle ouvre à la dis­cus­sion, à la for­mu­la­tion des moyens appro­priés à leur mise en œuvre, à la chaîne des déci­sions. Comme telle, c’est une pra­tique indirecte.

 

Petite biblio­gra­phie indicative

(réac­tua­li­sée…)

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