Quand les images prennent position par Georges Didi-Huberman
Quand les images prennent position par Georges… par centrepompidou
Dans un monde où les images prolifèrent en tous sens et où leurs valeurs d’usage nous laissent si souvent désorientés — entre la propagande la plus vulgaire et l’ésotérisme le plus inapprochable, entre une fonction d’écran et la possibilité même de déchirer cet écran —, il semble nécessaire de revisiter certaines pratiques où l’acte d’image a véritablement pu rimer avec l’activité critique et le travail de la pensée. On voudrait s’interroger, en somme, sur les conditions d’une possible politique de l’imagination.
Cet essai, le premier d’une série intitulée L’Œil de l’histoire, tente d’analyser les procédures concrètes et les choix théoriques inhérents à la réflexion de Bertolt Brecht sur la guerre, réflexion menée entre 1933 et 1955 par un poète exilé, errant, constamment soucieux de comprendre une histoire dont il aura, jusqu’à un certain point, subi la terreur. Dans son Journal de travail comme dans son étrange atlas d’images intitulé ABC de la guerre, Brecht a découpé, collé, remonté et commenté un grand nombre de documents visuels ou de reportages photographiques ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. On découvrira comment cette connaissance par les montages fait office d’alternative au savoir historique standard, révélant dans sa composition poétique — qui est aussi décomposition, tout montage étant d’abord le démontage d’une forme antérieure — un grand nombre de motifs inaperçus, de symptômes, de relations transversales aux événements. On découvrira ainsi, dans ces montages brechtiens, un lieu de croisement exemplaire de l’exigence historique, de l’engagement politique et de la dimension esthétique.
On verra enfin comment Walter Benjamin — qui a été, en son temps, le meilleur commentateur de Brecht — déplace subtilement les prises de parti de son ami dramaturge pour nous enseigner comment les images peuvent se construire en prises de position.