Robocop (2014)

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La cible première du film d’origine, c’était la privatisation des services publics. Cette charge contre la marchandisation des services publics a été oubliée dans le scénario du remake.

avis-robocop-2014-jose-padilha-L-7Iu_K3.jpg« Quand on n’a plus de héros, on les fabrique », dit l’affiche fran­çaise[Dans la ver­sion anglo­phone, le slo­gan est « Crime has a new ene­my ».]] de ce nou­veau Robo­cop. Et quand on n’a plus d’idées, on reprend les vieux scé­na­rios, disent les taquins. [Ma théo­rie du remake va plus loin : depuis quinze ans, quand un film, notam­ment de science-fic­tion, véhi­cule un conte­nu poli­tique déran­geant, on le neu­tra­lise en le « reboo­tant », en le refai­sant, ou en lui don­nant une suite qui affa­dit ou décale son propos.

J’attendais donc ce remake au tour­nant. Le Robo­cop de Paul Verhoe­ven, sor­ti en 1987[[Je n’ai tou­jours pas fait d’article sur le Robo­cop de 1987, ni sur ses remakes cyber­punks et réac­tion­naires scé­na­ri­sés par Frank Mil­ler, ni sur les télé­films et la série qui en sont issues. Je vais essayer de m’y employer dans les jours à venir. La série m’intéresse pour son per­son­nage d’intelligence arti­fi­cielle, mais c’est une autre his­toire.]], était émi­nem­ment poli­tique. La cible pre­mière du film d’origine, c’était la pri­va­ti­sa­tion des ser­vices publics : une socié­té ten­ta­cu­laire, l’Omni Consu­mer pro­ducts (OCP, qui devient Omni­Corp dans le remake), s’était vue peu à peu confier des domaines tels que la san­té ou la sécu­ri­té, dont la ville de Détroit, en faillite (bien vu !), cher­chait à se déchar­ger. L’OCP pré­ten­dait rendre ren­tables des domaines éco­no­miques qui échappent théo­ri­que­ment à la quête de pro­fit finan­cier, et ce au prix d’une ges­tion « moderne », enten­dez com­mer­ciale, agres­sive, cen­trée sur les coups média­tiques et sur la des­truc­tion d’emplois — des robots sont construits pour rem­pla­cer les poli­ciers humains, et Alex Mur­phy (Robo­cop), le seul de ces robots à être par­tiel­le­ment humain, n’est pas un indi­vi­du libre, il est la pro­prié­té de l’OCP qui loue ses ser­vices à la ville de Detroit.

Je ne suis pas vrai­ment sur­pris de consta­ter que cette charge contre la mar­chan­di­sa­tion des ser­vices publics a été oubliée dans le scé­na­rio du remake, bien que (ou parce que) le sujet n’a rien per­du de son actua­li­té. Mal­gré cet esca­mo­tage, la nou­velle ver­sion de Robo­cop n’est pas tota­le­ment exempte de pro­pos poli­tique. La réa­li­sa­tion du film est due à José Padil­ha, auteur bré­si­lien connu pour des films por­teurs d’un pro­pos social forts, tels que Tro­pa de Elite et Secrets of the tribe. Il semble qu’il ait eu peu de marge de manœuvre pen­dant la réa­li­sa­tion du film et en soit plus le tech­ni­cien que l’auteur, d’autant que le scé­na­rio n’est pas de lui. J’ai lu quelque part qu’il avait dû renon­cer à neuf de ses idées sur dix.

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Pat Novak, tech­no­phile télé­vi­suel aux argu­ments plus que fal­la­cieux. Le dis­po­si­tif de l’émission, où Novak fait un stand-up d’évangéliste qui, avec des gestes, fait appa­raître des cartes, des vidéos, des inter­lo­cu­teurs, etc., est assez intéressant.

Nous avons ici deux « méchants » prin­ci­paux : Ray­mond Sel­lars (Michael Kea­ton), entre­pre­neur intui­tif, rusé, et tout à fait dénué de mora­li­té, qui dirige la socié­té Omni­Corp, et Pat Novak (Samuel L. Jack­son), ani­ma­teur d’une émis­sion de télé­vi­sion qui semble essen­tiel­le­ment des­ti­née à récla­mer la sup­pres­sion d’une loi due à un séna­teur nom­mé Drey­fuss, loi qui empêche l’utilisation de drones et de robots sur le ter­ri­toire des États-Unis. Contrai­re­ment à l’Omni Consu­mer Pro­ducts, qui cou­vrait un vaste champ d’activités, la socié­té Omni­Corp ne s’occupe que de fabri­ca­tion d’automates ou de pro­thèses robo­ti­sées, à usage médi­cal mais aus­si et sur­tout mili­taire et poli­cier. Les États-Unis lui achètent des robots char­gés d’assurer le main­tien de l’ordre dans les pays qui se trouvent sous sa « pro­tec­tion » — tel que l’Iran[[Au pas­sage, la ville de Téhé­ran en 2028 (l’année à laquelle se déroule l’action) est une énième cari­ca­ture d’un Moyen-orient déser­tique où les oppo­sants à l’impérialisme amé­ri­cain ne connaissent pas de meilleur moyen de lutte que de se cein­tu­rer d’explosifs pour com­mettre des atten­tats-sui­cides déses­pé­rés, à la manière de zom­bies de jeu vidéo ou de lem­mings.]]. Le tech­no-évan­gé­liste Pat Novak est d’une mal­hon­nê­te­té crasse, empê­chant ses invi­tés de finir leurs phrases lorsqu’il n’est pas d’accord avec eux, ou maniant le sophisme avec art : si des ira­niens s’attaquent aux drones qui régentent leur vie, c’est la preuve qu’il faut construire tou­jours plus de robots. On regret­te­ra que les moti­va­tions de l’animateur de télé­vi­sion ne soient pas exposées.

Une chose à la fois juste et ter­ri­fiante dans ses impli­ca­tions que dit un mili­taire, au cours d’une inter­view par Pat Novak, c’est que si les guerres du Viêt Nam, d’Irak ou d’Afghanistan ont fini par être condam­nées par l’opinion publique amé­ri­caine, c’est parce qu’elles ont fait des vic­times amé­ri­caines. Donc si les sol­dats sont rem­pla­cés par des drones tueurs, les guerres exté­rieures deviennent sup­por­tables pour ceux qui se trouvent à des mil­liers de kilo­mètres, et elles peuvent donc durer indéfiniment.

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Les rues de Téhé­ran, paci­fiées par les drones États-Uniens.

Cette cri­tique de l’impérialisme amé­ri­cain consti­tue le volet le plus enga­gé du film, mais elle n’est sans doute plus vrai­ment sub­ver­sive en 2014, puisque cela fait quelques années déjà qu’Hollywood fait le bilan de l’idéologie va-t-en-guerre de George Bush, au pro­fit d’une idéo­lo­gie post-bushiste assez per­verse, en ce sens qu’elle n’essaie même plus d’imposer la mytho­lo­gie des « good guys » qui enva­hissent des pays loin­tains pour défendre de grandes valeurs uni­ver­selles, mais pré­sente son acti­vi­té d’ingérence inter­na­tio­nale et de contrôle (sinon d’occupation) des ter­ri­toires « paci­fiés » comme une qua­si obli­ga­tion (il faut bien finir le tra­vail) et une rou­tine pro­fi­table (il faut bien défendre les inté­rêts éco­no­miques du pays), dont le pré­texte et les méthodes se limitent à ce que dit la pré­si­dente des États-Unis dans le film Iron Sky, lorsqu’on lui reproche ses men­songes : « That’s what we do ».

Dans ce nou­veau Robo­Cop, les expé­riences inter­dites par la loi sont réa­li­sées en Chine[La Chine de Robo­cop est assez drôle par le téles­co­page de deux cli­chés, puisqu’on y voit une usine immense, avec des mil­liers d’employés qui portent un même uni­forme, ce qui rap­pelle l’excellent docu­men­taire [Manu­fac­tu­red Land­scapes, mais de l’autre côté du mur de l’usine, on trouve des rizières pit­to­resques à perte de vue…]], ce qui rap­pel­le­ra bien enten­du tous les exemples de délo­ca­li­sa­tion des acti­vi­tés illé­gales des États-Unis à Guan­ta­na­mo, dans les pays euro­péens de l’Otan, etc., mais aus­si les pra­tiques actuelles des mul­ti­na­tio­nales qui placent les emplois ici, la recherche là, l’argent ailleurs, et ajustent leur mora­li­té aux lois propres à chaque région du monde.

En me fiant aux fic­tions qu’ils pro­duisent, les États-Unis me semblent donc être entrés dans une phase de renon­ce­ment à l’illusion de leurs prin­cipes moraux : le post-bushisme ne serait pas une forme de péni­tence, d’auto-flagellation, mais serait l’acceptation d’un rôle plus que dou­teux que ne jus­ti­fie, au mieux, que la peur du reste du monde, et au pire, le contrôle éco­no­mique des matières pre­mières qui lui sont vitales.

Le Robo­cop de 1987 cher­chait à défi­nir l’humain en l’opposant à une machine bien plus ter­rible que l’exosquelette du poli­cier-cyborg qui donne son titre au film. Cette machine odieuse, c’était bien la socié­té OCP, avec son avi­di­té, son immo­ra­li­té, le pou­voir que lui confèrent l’argent et les contrats juri­diques, qui l’autorisaient à trans­for­mer une per­sonne en pan­tin sans mémoire, et pour­tant tor­tu­ré par le sou­ve­nir de sen­sa­tions oubliées et la quête de son iden­ti­té. Il n’y avait pas de réel hap­py-end dans l’ancien Robo­Cop. On se rap­pel­le­ra en effet qu’à la toute fin du récit, le cyborg, entra­vé par une direc­tive gra­vée dans le sili­cium qui lui inter­dit de por­ter pré­ju­dice à ses pro­prié­taires, s’avère inca­pable de châ­tier le « méchant » direc­teur géné­ral d’OCP, Dick Jones. Le pré­sident de la socié­té, que l’on ne connaît que sous le sur­nom de « The old man », règle alors la ques­tion en licen­ciant son sous-fifre Dick Jones sur un jeu de mot macabre : « you’re fired ! ». Robo­Cop remer­cie alors « The old man » et tue Dick Jones. En appa­rence, il a été libé­ré de son impos­si­bi­li­té de por­ter atteinte à Dick Jones. En réa­li­té, il est deve­nu le meur­trier de cet homme, pour le compte du pré­sident d’une socié­té dont il ne cesse de res­ter la pro­prié­té, sinon l’esclave, d’autant que ses fonc­tions vitales dépendent de la main­te­nance dont OCP se charge. Le direc­teur est sup­pri­mé, l’image de l’Omni Consu­mer Pro­duct est sau­vée, son pré­sident ne sera pas inquié­té et pour­ra conti­nuer à rêver de la construc­tion de Del­ta City, ver­sion « moderne » d’une ville de Détroit débar­ras­sée de ses ser­vices publics.

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À gauche, Den­nett Nor­ton, le scien­ti­fique qui est par­ve­nu à créer Robo­Cop…. La pure­té de ses inten­tions est mon­trée par la cou­leur bleu métal­li­sée de l’exosquelette de Robo­Cop, qui sera ensuite chan­gée pour du noir.

Dans le remake, ce ne sont pas les diri­geants d’OmniCorp qui sont pro­té­gés, mais tous les por­teurs d’un bra­ce­let émet­teur d’un signal qui leur confère l’immunité. Seule­ment voi­là, le direc­teur de la socié­té, Ray­mond Sel­lars, qui porte un de ces bra­ce­lets, est tel­le­ment odieux qu’Alex Mur­phy finit par trou­ver la force de pas­ser outre son pro­gramme et par­vient à la tuer. Phi­lo­so­phie trou­blante : l’humanité d’Alex Mur­phy a triom­phé de son « moi » robo­tique, car il est capable de tuer.

Que le fait d’assassiner quelqu’un soit un hap­py-end n’est pas une sur­prise totale venant d’un block­bus­ter hol­ly­woo­dien, où les « gen­tils » se recon­naissent sou­vent pré­ci­sé­ment au fait qu’ils tuent les « méchants », mais le scé­na­rio, en affir­mant que la volon­té d’Alex Mur­phy finit par triom­pher de son alié­na­tion tech­no­lo­gique, tombe sym­bo­li­que­ment dans le mythe ultra-libé­ral qui nie la puis­sance des oppres­sions (sauf fis­cales !) et affirme qu’il suf­fit de vou­loir pour pouvoir.

Or si l’on réca­pi­tule le scé­na­rio, Alex Mur­phy ne pos­sède plus de corps, ses sen­ti­ments peuvent être contrô­lés par l’ajustement de ses niveaux hor­mo­naux depuis une tablette numé­rique, sa vie de famille s’annonce plus que dif­fi­cile, et il n’y a donc pas vrai­ment de rai­son qu’il renonce au pro­fond déses­poir qui l’a sai­si lorsqu’il a vu pour la pre­mière fois, hors de son armure, ce qui res­tait réel­le­ment de l’homme qu’il avait été autre­fois. Il avait alors deman­dé à ne plus vivre.

Quelques gags sont bien­ve­nus, comme celui de la cou­leur de Robo­cop. Tout d’abord créé en ver­sion gris-bleu métal­li­sé, comme dans le film de 1987, il est ensuite rha­billé en noir, ce qui le rend plus inquié­tant, parce que Sel­lars, le diri­geant d’OmniCorp, jugeait le gris (et quelques détails tels que des gyro­phares sur les épaules) trop pué­rils. Je vois ici un clin d’œil à la manie hol­ly­woo­dienne de confé­rer une noir­ceur psy­cho­lo­gique arti­fi­cielle à ses super-héros en assom­bris­sant leurs cos­tumes à chaque « reboot » : Bat­man, Super­man, Spi­der­man… À la toute fin du film, Robo­Cop reprend la cou­leur qu’il avait dans le film d’origine. La bande ori­gi­nale ne manque pas d’humour elle aus­si, elle reprend le thème musi­cal de Robo­Cop et lui asso­cié des chan­sons assez diverses : Fly Me to the Moon de SIna­tra, If only I had a heart, tiré du Magi­cien d’Oz, et I fought the law, des Clash.

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Le maire de Détroit – que l’on voit à peine pas­ser ici, preuve que la poli­tique a per­du la par­tie et que les pré­dic­tions de Verhoe­ven sur l’extension de l’empire du pri­vé étaient justes ? – pré­sente Robo­Cop à la foule. On lit des pan­cartes oppo­sées aux robots : « People need jobs, not robots ».

Que pen­ser de ce film ? Ce n’est cer­tai­ne­ment pas le remake récent le plus inin­té­res­sant. Il est plu­tôt bien réa­li­sé et l’acteur (Joel Kin­na­man) par­vient à inter­pré­ter un per­son­nage aux sen­ti­ments com­plexes et variables, du père de famille sen­ti­men­tal à l’automate en pas­sant par le jus­ti­cier ven­geur. La plu­part des autres per­son­nages me semblent insuf­fi­sam­ment déve­lop­pés, par exemple la chef de la police, ou encore Jack, l’équipier d’Alex Mur­phy, inter­prê­té par Michael K. Williams, l’excellent Omar de la série The Wire. Le scien­ti­fique Den­nett Nor­ton (Gary Old­man) per­son­ni­fie une science pleine de bonnes inten­tions, qui signe un pacte avec le diable mais cherche mal­gré tout à répa­rer ses méfaits : le cli­ché est ancien, mais il fonc­tionne toujours.
Le degré de vio­lence de ce Robo­Cop est bien infé­rieur à celui du pre­mier film, où Alex Mur­phy se voyait lon­gue­ment tor­tu­ré dans une scène dont, comme spec­ta­teur, je garde un sou­ve­nir pénible. L’humour, aus­si, est bien plus dis­cret. Le film est au fond assez sage, mais cer­tai­ne­ment pas com­plè­te­ment raté.

Article publié dans : le der­nier des blogs