Vidéos LGBT en mode restreint sur YouTube

Par Carole Bélingard / France Télévisions

Vidéos LGBT en “mode res­treint” sur You­Tube : “C’est écœu­rant”, dénonce un youtubeur

La pla­te­forme a déci­dé de pas­ser en “mode res­treint” de nom­breuses vidéos liées aux les­biennes, gays, bisexuels et trans­genres (LGBT). Des you­tu­beurs s’of­fusquent de cette mesure. Fran­cein­fo les a interrogés.

Je ne com­prends pas, je ne suis pas une chaîne d’en­ver­gure et il n’y a rien de cho­quant dans mes vidéos”, assure Brice à fran­cein­fo. Le jeune you­tu­beur est conster­né. Il s’est aper­çu que You­Tube a pla­cé une grande par­tie des vidéos de sa chaîne, “Le Jour­nal de Brice”, en “mode res­treint”, depuis dimanche 19 mars. Ce mode peut être acti­vé par chaque inter­naute via un onglet situé en bas de n’im­porte quelle page You­Tube. Dès lors, des conte­nus jugés “inap­pro­priés” par You­Tube sont auto­ma­ti­que­ment bloqués.

Mais qu’est-ce qui choque autant la firme amé­ri­caine ? Brice est pho­to­graphe, il a créé sa chaîne You­Tube en 2015. Dans sa pre­mière vidéo mise en ligne, il évoque son coming-out. Il raconte très sim­ple­ment, et avec humour, com­ment il a appris à ses parents qu’il était gay. Dans sa chute, il s’a­dresse à des poten­tiels parents : “Aimez vos enfants comme ils sont”. Cette vidéo fait par­tie des conte­nus cen­su­rés. Elle n’est donc visible que si le “mode res­treint” est désac­ti­vé, tout comme quinze autres vidéos de sa chaîne. Seuls deux conte­nus ont échap­pé au tri opé­ré par You­Tube, l’un sur des conseils coif­fures et l’autre sur une recette de cup­cake. Et Brice est loin d’être le seul dans ce cas.
You­Tube au cœur d’une polémique

You­Tube a pla­cé “en mode res­treint” de très nom­breuses vidéos éma­nant de chaînes de you­tu­beurs LGBT. Depuis, la polé­mique enfle. “Honte à vous You­Tube”, s’est écrié Cole Led­ford, un you­tu­beur amé­ri­cain. Par­mi les vidéos désor­mais indis­po­nibles quand le “mode res­treint” est acti­vé, on trouve notam­ment l’interview de l’ac­trice et chan­teuse amé­ri­caine Aria­na Grande où elle donne des conseils aux vic­times d’homophobie, ou encore le clip Same Love, de Mac­k­le­more et Ryan Lewis, sor­ti en 2012, qui prône la tolé­rance, note 20 Minutes.

Face aux nom­breuses cri­tiques, You­Tube s’est expli­qué sur Twit­ter : “L’ob­jec­tif du ‘mode res­treint’ est de fil­trer les conte­nus pour adultes pour les uti­li­sa­teurs les plus jeunes qui sou­haitent une expé­rience limi­tée. Les vidéos LGBT sont dis­po­nibles dans le ‘mode res­treint’, mais les vidéos qui traitent de sujets plus sen­sibles peuvent ne pas l’être. Nous regret­tons toute confu­sion que cela a pu cau­ser.

“LGBT est for­cé­ment asso­cié à sexualité”

Pour Tris­tan Lopin, c’est une pre­mière aus­si. Ce you­tu­beur n’a jamais eu de pro­blèmes avec ses pro­duc­tions. Le tren­te­naire est humo­riste, il a d’ailleurs lan­cé son propre one-man-show. Sur les réseaux sociaux, une de ses vidéos sur les oppo­sants au mariage pour tous a par­ti­cu­liè­re­ment cir­cu­lé. Il démonte, avec humour, les argu­ments des par­ti­sans de la Manif pour tous. Mais ce conte­nu dis­pa­raît lors­qu’on active le “mode res­treint”. Il en va de même de ses autres sketchs, comme celui sur l’at­tente “insup­por­table” d’un tex­to, ou encore celui où il dénonce le har­cè­le­ment de rue vécue par une de ses copines. Autant de conte­nus jugés indé­si­rables par YouTube.

Dans mes vidéos, il n’y a aucune image sexuelle, je fais tou­jours atten­tion à ne pas être vul­gaire, explique-t-il à fran­cein­fo. Je trouve ça hor­rible, c’est ter­rible. En même temps, cela ne m’é­tonne pas. Avant, c’é­tait comme ça avec les maga­zines LGBT, ils étaient clas­sés dans la caté­go­rie adulte parce que LGBT est for­cé­ment asso­cié à sexua­li­té.

Un constat par­ta­gé par Andrew Grey. La chaîne du you­tu­beur d’à peine 23 ans compte près de 20 000 abon­ne­ments. Cer­taines de ses vidéos abordent fran­che­ment la sexua­li­té. Elles sont d’ailleurs clai­re­ment iden­ti­fiées, il a même créé sa chaîne “Par­lons cul”. Il parle de manière directe et sans filtre de ques­tions sexuelles. Mais le jeune homme se désole de voir que même des vidéos n’a­bor­dant pas la sexua­li­té se retrouvent cen­su­rées. C’est le cas de celle où il parle de ses séries pré­fé­rées, d’une autre où il fait lire à sa mère ses tex­tos, ou d’une où il répond “aux ques­tions chiantes” que l’on pose aux gays.

“You­Tube assi­mile les conte­nus LGBT à la sexua­li­té. Pour eux, LGBT égale for­cé­ment sexe. Moi je pète un plomb en voyant des choses comme ça.”

Andrew Grey à franceinfo

Andrew Grey a d’ailleurs posé une vidéo sur You­Tube pour dénon­cer ce qu’il appelle des “délires homo­phobes” de la plateforme.

Un double dis­cours de YouTube

Nico et Arthus sont, depuis dix ans, sur les réseaux sociaux. Les pro­blé­ma­tiques d’i­mages cen­su­rées sur les réseaux sociaux, ils connaissent. Les deux hommes ont une ligne de sous-vête­ments, qu’ils qua­li­fient de “sexy”. Dans leurs vidéos, for­cé­ment, il y a de la nudi­té et ils savent que cer­taines images ne passent pas les filtres. Ils l’ac­ceptent. Mais quand ils ont créé leur chaîne You­Tube, il y a un an, ils ont dû faire face à un défer­le­ment de remarques homo­phobes dans les com­men­taires. “C’est très violent ce qu’il se passe sur You­Tube, plus qu’ailleurs, témoigne pour fran­cein­fo Nico­las. Pour autant, You­Tube n’a pas fait preuve d’une grande réac­ti­vi­té. Alors, quand ils ont consta­té que la grande majo­ri­té de leurs vidéos avaient bas­cu­lé en “mode res­treint”, la nou­velle a du mal à pas­ser. Sur­tout que cer­taines de leurs vidéos sont très banales. Si cer­taines abordent fran­che­ment la sexua­li­té et pro­diguent des conseils, d’autres évoquent leurs voyages ou leur vie de couple. Pour­tant, toutes ces vidéos sont, elles aus­si, invi­sibles en “mode restreint”.

Là You Tube passe les vidéos LGBT en mode res­treint, mais quand nous on se prend des remarques homo­phobes, qui tombent sous le coup de la loi, avec des pseu­do­nymes comme Hit­ler et Mus­so­li­ni, You­Tube met du temps à les sup­pri­mer.

Nico­las à franceinfo

Pour Nico et Arthus, c’est vrai­ment deux poids deux mesures. “C’est écœu­rant, pour­suit Nico. On est seul face à cette vio­lence. En gros, You­Tube nous dit de faire une vidéo, ça leur fait un conte­nu en plus. Avec le ‘mode res­treint’, c’est pareil. A part faire une vidéo pour dénon­cer, il n’y a pas grand-chose à faire. Après si les gros you­tu­beurs amé­ri­cains s’y mettent, cela peut chan­ger les choses. Nous, en France, on est seule­ment une poignée.”

Et pour l’ins­tant, les expli­ca­tions de la firme amé­ri­caine n’ont pas vrai­ment convain­cu les prin­ci­paux concer­nés. “Le fait qu’ils s’ex­cusent, on s’en fiche. On veut des actes, lance Andrew Grey. Ce qu’ils ont fait, c’est un coup de cou­teau dans le dos.” Le you­tu­beur dénonce éga­le­ment le double dis­cours de la pla­te­forme de vidéos. “You­Tube explique qu’elle est fière de mettre en avant la com­mu­nau­té LGBT. Mais faire des choses comme ça, c’est contra­dic­toire et inco­hé­rent. C’est vouer les you­tu­bers LGBT à l’é­chec”, détaille-t-il.

Quit­ter YouTube ?

Alors, quelles peuvent être réel­le­ment les consé­quences d’une telle mesure ? “Ce mode res­treint péna­lise vrai­ment la crois­sance de la chaîne, estime Nico­las. Et après, si on n’est pas dans l’al­go­rithme de You­Tube, les gens ne vont pas nous trou­ver. On attend deux ans et si on voit qu’il ne se passe rien, on arrê­te­ra You­Tube”.

De son côté, Andrew Grey assure qu’à cause du “mode res­treint”, il a per­du 70% de ses conte­nus. “Déjà qu’on a du mal à gagner notre vie, cela ne va pas aider. Après le mode res­treint est peu uti­li­sé, nuance-t-il. J’ai éga­le­ment la chance d’a­voir une com­mu­nau­té qui me suit. C’est trop tôt pour le moment pour voir quel impact cela pour­rait avoir. C’est donc pré­ma­tu­ré de par­tir de You­Tube.

Si You­Tube est aujourd’­hui poin­té du doigt, les autres réseaux sociaux ne sont pas tou­jours en reste. “Notre page a déjà été sup­pri­mée sur Face­book, se sou­vient Nico. Au final, on a contac­té 220 per­sonnes chez Face­book. Une seule nous a répon­du. Au bout d’un mois et demi, notre page a été réta­blie. C’é­tait mira­cu­leux.