Que s’est-il passé ?
Le 23 juin les habitants du Royaume-Uni ont été invités à participer à un referendum sur le maintien de leur pays au sein de l’Union Européenne. Cette consultation était en effet une promesse de campagne du Premier Ministre conservateur, David Cameron, lui-même pourtant favorable au maintien, afin d’apaiser les voix « pro-Brexit » au sein de son parti. Avec une participation importante de 72,2%, c’est finalement le camp du Brexit qui a remporté la majorité avec plus de dix-sept-millions de suffrages soit environ 52%.
Qui a voté le Brexit ?
À en croire la presse et les médias, on se demande ce qui peut bien leur passer par la tête. En ne s’informant qu’à travers les JT de RTL ou les articles du Vif, on s’arrache les cheveux en se demandant qui sont donc ces horribles gueux qui ont rejeté l’UE, en refusant la paix et la prospérité qu’elle offrait ? À bord de l’Eurostar, où nos journalistes vont recueillir des opinions ô combien représentatives, les Anglais en costume-cravate présents ne comprennent pas non plus… Ce ne sont parait-il ni les Ecossais, ni les Londoniens, ni les jeunes, ni les Nord-Irlandais…
Qui sont donc ces rustres imbéciles, qui ont voté pour ce qui amènera à n’en pas douter un « cataclysme » et un « tremblement de terre » ? Lorsque l’on écoute nos responsables politiques et journalistiques, on se demande même si ce n’est pas plutôt le système solaire que quittera bientôt le Royaume-Uni.
Moment touchant s’il en est, politiciens et éditorialistes font connaissance avec le peuple. Mais analysons donc cela plus sérieusement.
Au niveau sociologique tout d’abord, fut-ce réellement un vote « jeunes contre vieux » ? En analysant les chiffres réels, il est possible de constater que si le Brexit était en effet minoritaire chez les plus jeunes, c’est bien l’abstention qui domine chez ces derniers (avec 64% pour les 18 – 24 ans notamment). Une abstention de plus des deux tiers des jeunes du pays. Un manque de conscience politique qui signe à la fois un désintérêt pour une sortie, mais également une absence totale de volonté de défendre l’Union Européenne telle qu’elle est.
L’argument selon lequel « les jeunes auraient subi un Brexit alors qu’ils désiraient ardemment le Remain » étant donc factuellement faux, il est au passage intéressant de noter qu’il a permis à une journaliste du Monde de proposer de « retirer le permis de voter aux vieux ». Les défenseurs de la démocratie apprécieront. Intéressant également de constater que si aujourd’hui, à l’unisson, médias et responsables politiques clament la lucidité des jeunes, rien n’est dit de semblable lors du referendum grec où les jeunes soutenaient massivement le « OXI » défendu par Tsipras en 2015 ou lors du NON de 2005 en France, où les jeunes avaient majoritairement refusé le Traité Constitutionnel Européen (alors soutenu par les plus de 60 ans). Le OXI des Grecs comme le NON des Français avaient à l’époque été naturellement niés par les institutions européennes, et condamnés et démolis par tout éditocrate sérieux (et servile).
Le deuxième déterminant fondamental dans le vote a été la catégorie sociale. Toutes régions confondues, les ouvriers, employés, retraités et chômeurs ont massivement voté pour le Brexit. Dans le même temps les cadres et professions libérales ont soutenu le Remain.
Touchées par les politiques d’austérité et la crise économique, les couches populaires ont signifié un net refus des politiques européennes qu’elles jugent antidémocratiques et déconnectées des besoins et préoccupations de la population. Malheureusement, la simultanéité entre l’augmentation de l’immigration d’une part, et d’autre part la pression sur les salaires et l’emploi induite par la crise, et les politiques d’austérité a permis à l’extrême-droite de poser les migrants comme responsables de la paupérisation.
Enfin, la dernière grille d’analyse possible est celle de l’ethnie. La campagne a été menée et surtout perçue dans une certaine mesure comme un referendum sur l’immigration, et donc inévitablement comme une confrontation ‘racisme vs antiracisme’. Les groupes visés par les propagandes racistes étaient essentiellement ceux de l’Europe de l’Est et du Moyen-Orient. Malgré cela, l’essentiel des populations « d’origine étrangère » au R‑U ont soutenu le Remain, probablement par crainte d’un retour de ballon xénophobe et d’une prise du pouvoir par l’extrême-droite ultérieurement. Cependant, un quart des noirs et un tiers des asiatiques ont tout de même voté pour le Brexit.
Le Brexit a donc été largement soutenu par les populations les plus précaires, les bastions ouvriers et les allocataires sociaux. Les jeunes ont proportionnellement moins soutenu le Brexit, et ce sont massivement abstenus. Les populations plus privilégiées, en particulier à Londres, ont soutenu le Remain.
Pourquoi voter pour le Brexit ?
Le choix des articles partagés par les différents titres de presse au sujet du Brexit est très révélateur. Des témoignages de « brexiteurs repentis », des articles expliquant que les votes étaient motivés par des raisons absurdes, que les Britanniques ont massivement cherché sur Google ce qu’était l’UE le lendemain du referendum etc. Tout ce choix éditorial montre clairement une croisade menée par la majorité des médias contre le Brexit. Des médias qui ne se sont pas émus plus que ça lors de l’accord UE-Turquie se découvrent chevaliers des droits des migrants en critiquant avec mépris le résultat du vote.
Ensuite, on nous apprend que si les partisans du « Remain » ont voté par amour de l’Europe et de l’entente entre les peuples, ceux du « Brexit » ont eux choisi le camp de la peur, du racisme et du nationalisme. Au regard de ce qu’on annonce maintenant aux Britanniques comme châtiment de l’UE lors des négociations à venir, comme de la réponse enragée des marchés, il est évident que la peur pesait dans les deux camps, y compris celui du Remain.
Le vote du Brexit ne se composait pas uniquement de personnes comme Nigel Farage (leader de UKIP, extrême-droite) ou Boris Johnson (ex-maire de Londres et membre du parti conservateur) aux sentiments manifestement xénophobes, mais également de nombreux syndicats (comme le RMT des transports ou le BFAWU de l’industrie alimentaire), partis de gauche (Socialist Workers Party, Socialist Party, Communist Party) ou encore intellectuels comme Tariq Ali, que l’on peut difficilement taxer de racistes. La campagne du « Lexit » (contraction de Brexit et Left , pour souligner la frange de la gauche soutenant la sortie de l’UE) a en effet été invisibilisée dans les médias britanniques avant le vote, comme dans tous les autres après l’annonce des résultats. Tout ce que l’on voit, c’est le triste spectacle des Farage ou Lepen triompher de leur « victoire ».
Si la question de l’immigration a sans doute été un facteur important dans la campagne, on entend peu parler chez nous d’un autre point tout aussi important lors du vote qui a été celui du NHS (National Health Service). Celui-ci est ces dernières années peu à peu asphyxié et privatisé pour des raisons budgétaires, alors qu’il constitue pour l’écrasante majorité des citoyens du R‑U un fleuron national de médecine accessible et de qualité. Il était en effet possible de voir de nombreux posters dans les rues ou clips sur les écrans annonçant que l’argent versé chaque semaine à l’UE par le pays (environ 350 millions de livres) pourrait être utilisé à financer le NHS. Naturellement un des représentants de la campagne du « Leave » a dû reconnaitre qu’il s’agissait en réalité d’un chiffre inexact et qu’il ne serait pas possible d’utiliser immédiatement cet argent de la sorte, mais il est capital de noter que beaucoup ont soutenu le Brexit notamment pour sauver leurs soins de santé, menacés par l’austérité budgétaire du gouvernement.
La raison pour laquelle les antiracistes habituels (politiciens sociaux-démocrates et philosophes mous en tête) ne sont pas audibles pour l’essentiel des couches populaires est qu’ils jouent essentiellement sur un point de vue moral, l’égalité et l’amour entre tous, et non sur une base matérielle, comme le font les partis ‘anti-immigration’ et xénophobes, c’est-à-dire la pauvreté croissante. Tant qu’il ne restera qu’un antiracisme moral, de salon, incapable de voir les causes sociales profondes, il sera incapable d’influer l’opinion des couches populaires.
Malheureusement une pédagogie expliquant que les vrais responsables sont les financiers qui ont provoqué la crise ou les gouvernements qui choisissent volontairement l’austérité à tous niveaux n’a pas été suffisamment soufflée par la gauche syndicale, associative ou politique.
Cependant, un sondage majeur apporte que la première raison (49%) invoquée par les supporters du Brexit était que « les décisions au sujet du R‑U devraient être prises au R‑U », alors que la question du contrôle des frontières n’atteint que 33%.
De même, on constate dans les sondages des jours précédant et suivant le referendum, le principal parti d’extrême-droite (UKIP) ne dépasse que péniblement les 16 – 18%. Alors que 52% de la population vote pour le Brexit, réduire celui-ci à un soutien à l’extrême-droite est absolument malhonnête et inexact.
Ce vote a donc été le symptôme sans doute pour une part d’une xénophobie marquée, mais également d’une volonté nette de rompre avec la politique européenne, vécue comme une humiliation par des larges franges de la population, qui se sent –à juste titre- méprisée et niée par les technocrates européens successifs.
Que signifie l’Europe ?
Pour beaucoup de gens, en particulier les étudiants, l’Europe semble synonyme de coopération entre pays, de progrès, d’échanges, de mixité de cultures. À l’école, on dessine le drapeau européen et le soir on peut aller à une fête sur la Grand-Place de Bruxelles pour fêter l’adhésion de tel ou tel état. Il faut une argumentation longue et acharnée pour réussir à retirer ce sentiment subjectif profondément ancré chez beaucoup sur ce qu’est le « projet européen ». Toutefois, même si on peut défendre (nous y viendrons plus bas) l’UE telle qu’elle est ou telle qu’on la voudrait, il est évident que la Suisse n’est pas moins européenne que nous, que nous ne sommes pas en guerre avec l’Islande et même en collaboration économique paisible, ou encore que l’on peut voyager librement en Norvège ou y faire des échanges universitaires.
Assimiler Union Européenne et tout ce qui peut exister comme collaboration ou relations positives entre pays participe à l’impossibilité de poser sereinement la question de l’appartenance à l’UE ou de l’intérêt de sa construction.
La décision du peuple du R‑U n’est pas isolée. Elle fait suite à un grand nombre de refus par referendums. Comme le dit l’économiste et sociologue Frédéric Lordon « dès qu’il y a un referendum sur l’Union Européenne, c’est pas difficile, l’Union l’a dans le baba. C’est immanquable. Évidemment à chaque fois on s’assoit dessus mais bon ». Si un certain enthousiasme était présent au début et a poussé certains referendums vers le OUI, cela fait 15 ans que les divers projets européens sont majoritairement refusés comme en Suède en 2003 pour l’euro, en France et aux Pays-Bas en 2005 avec le TCE, le Traité de Lisbonne en 2008 en Irlande ou encore récemment en 2015 en Grèce avec le plan de la Troïka.
S’il y a un si grand décalage entre ce qu’expriment concrètement les gens quand on leur demande leur avis, et l’apparente unité vers le progrès et les lendemains qui chantent annoncés par politiques et journalistes, il est intéressant de s’intéresser à ce qu’a réellement été l’UE pour les citoyens.
Ce que l’Union Européenne a été
L’Union Européenne, particulièrement au travers d’institutions telles que la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne, a servi jusqu’à présent de courroie de transmission d’une politique ostensiblement néolibérale. Il était possible d’en deviner les prémisses à travers le principe même de la première étape de l’UE, puisqu’en effet la création d’un grand Marché Commun est l’objet principal de la Communauté Economique Européenne institué par le Traité de Rome en 1957. Si le pronostic pouvait en réalité déjà être deviné à l’époque, les faits sont aujourd’hui lourdement parlants et il faut être aveugle pour ne pas les voir.
Les différentes institutions européennes ont en effet entrainé des politiques d’austérité brutale dans tous les pays, provoqué des privatisations de nombreux services publics et une libéralisation accrue dans tous les secteurs. Sociétés de chemins de fer, de télécommunication, système de soins de santé, service postal… presque tous les services publics ont été soumis d’une manière ou d’une autre aux décisions de l’UE. Il en va de même pour les politiques dites de flexibilisation de l’emploi (à savoir le détricotage complet du code du travail) mises en œuvre à travers par exemple la Loi Peeters en Belgique ou la Loi El Khomri en France du gouvernement socialiste. Les politiques d’austérité sont responsables de la paupérisation des classes moyennes et ont engendré une précarisation grandissante des couches populaires, un chômage de masse, une augmentation généralisée des inégalités et une diminution de l’accessibilité à la santé et à l’éducation.
Bien sûr, dans chaque pays, des forces patronales et politiques auraient aimé implémenter ce type de programmes même sans l’existence de l’UE, mais dans chaque contestation, à chaque fois que des politiques aussi impopulaires et irrationnelles que l’austérité étaient appliquées, le pouvoir politique local avait bon dos de répondre que ce n’est « pas sa faute, mais celle de l’Europe ». Ce transfert de souveraineté permet à de nombreux partis politiques de se dédouaner honteusement de toute responsabilité, et s’illustre notamment par le fait que dans la plupart des parlements nationaux, les trois quarts des votes portent sur l’aval d’une décision déjà prise au niveau européen.
Nationalement se décline donc le projet politico-économique de la Commission Européenne : la destruction des services publics, la mise en concurrence des travailleurs de toute l’Europe et des décisions prises de manière obscure par des institutions non-élues.
Comme exprimé dans les colonnes du Jacobin Mag : « La classe des travailleurs et les pauvres ont compris très clairement les choses : dans le capitalisme contemporain, les corps transnationaux, comme l’Union Européenne, sont dépourvues de leviers de contrôle démocratique, et deviennent un terrain naturel pour les grandes entreprises. En revanche, les états nationaux fournissent un champ dans lequel il est possible de se battre pour certains droits basiques ou revendications ».
Dans le même ordre des choses, le fameux et impopulaire accord de libre-échange ‘TTIP’ est négocié et rédigé en grande partie par la Commission Européenne. Sans mandat de programme électoral ni réel contrôle démocratique, le TTIP est porté par la Commission Européenne, et ainsi protégé des contestations de tous bords qu’il entraine inévitablement ‑agriculteurs, ONG, syndicat, monde académique…
Sur le plan diplomatique et international, l’Europe est vantée comme permettant de renforcer « notre » position, face à un monde où toutes les puissances sont en rivalité. La promesse de devenir un « contrepoids » à la politique agressive et militariste des USA est également régulièrement faite. Qu’en a‑t-il été ? La plupart du temps l’UE a été incapable de parler d’une même voix, et le reste du temps elle a suivi la position atlantiste des Etats-Unis. Ceci l’a notamment amené à soutenir les coups d’états au Venezuela en 2002 ou au Brésil actuellement, à mener de profondes sanctions économiques envers la Russie (alors même que cela allait à l’encontre des intérêts immédiats des entreprises, en particulier agricoles, exportant vers la Russie) dans le cadre de la crise ukrainienne et enfin à nouer une alliance notable avec la Turquie pourtant clairement engagée sur la pente autoritaire. Cette dernière alliance s’est notamment soldée par le fameux accord UE-Turquie sur l’immigration, unanimement conspué par le monde associatif, qui viole éhontément tout droit humain et constitue notamment la raison du récent refus de Médecins Sans Frontières de recevoir des subsides européens.
Il est d’ailleurs important de noter que les États-Unis, à travers le Président B. Obama en déplacement à Londres, se sont prononcés pour le maintien du R‑U dans l’UE. Si l’UE permettait de constituer une quelconque balance à l’hégémonie des USA, ceux-ci soutiendraient-ils aussi activement l’UE ? La diplomatie et la politique ne laissent hélas pas de place à tant de naïveté.
De même, quoiqu’on en pense, toute politique diplomatique pacifiste (c’est-à-dire divergente de l’OTAN actuelle) est impossible à cause de l’article 42 du TUE qui place l’OTAN au-dessus de la politique européenne en matière de défense.
Enfin, l’Europe s’est révélée être une organisation totalement antidémocratique. Lorsque des consultations populaires ont lieu, les résultats sont bafoués. Le Traité Constitutionnel Européen refusé par referendum en France et aux Pays-Bas a finalement été renommé (sans en changer une virgule) Traité de Lisbonne, et son approbation n’a été soumise qu’aux votes parlementaires. Des traités imposés aux populations et des directives décidées dans les couloirs de Bruxelles par des technocrates non-élus et déconnectés de toute réalité ont abouti à ce qu’aujourd’hui une majorité d’européens, dont les britanniques, se sentent « laissés de côté ». Comment pourrait-il en être autrement ?
À travers les directives, pactes et traités créés par l’UE, la marge politique des gouvernements nationaux est réduite à la rhétorique et, au mieux, au timing d’implémentation des politiques austéritaires. Il faut se rendre compte de la violence que les contraintes européennes représentent sur un pays. Cela signifie très concrètement que l’essentiel de la direction politique et économique d’un pays est déjà prise, quoique disent les prochaines élections ! Un gouvernement qui respecte les différents diktats européens sera forcé au sens le plus coercitif du terme à continuer les privatisations et libéralisations, à démanteler peu à peu les protections sociales de son pays et à favoriser la mise en concurrence et la victoire du marché au sein du continent.
Ainsi donc des subsides aux chantiers navals en Croatie ont dû être arrêtés, et avec eux des dizaines de milliers d’emplois perdus. Les chemins de fer au Royaume-Uni ont été privatisés sous Mme Thatcher, et les prix ayant depuis explosé et l’offre réduite, une majorité de citoyens souhaitent la renationalisation. De même, le NHS (service de santé) est en voie de privatisation.
S’il venait un jour un gouvernement souhaitant, chose folle, respecter le désir des citoyens et remettre dans le giron public les chemins de fer et les soins de santé, il ne pourrait pas ! Cela serait purement et simplement illégal au regard des institutions européennes ! Inutile de rappeler le cas tristement symbolique de la Grèce, où un pays entier s’est vu dévasté par une politique d’austérité dont il ne voulait pas, et où un gouvernement largement et démocratiquement élu ne pouvait qu’appliquer dans les plus petits détails ce qu’autorisait gracieusement la Troïka.
Il est primordial que toutes les personnes qui localement se battent, à raison, contre l’austérité, se rendent compte que l’Europe et ses institutions interdisent radicalement toute politique progressiste.
Mais l’Union Européenne est-elle toujours si négative ?
La vie en général, et la politique en particulier sont très réfractaires à des qualifications définitives et sans nuance. Il serait idiot de nier que, de manière très ponctuelle et circonscrite, des dispositions européennes aient pu apporter des choses positives. Cela a pu s’illustrer dans certaines réglementations commerciales ou directives de protection de la biodiversité.
Mais la vie et la politique nécessitent également au plus haut point le sens de la rationalité et de la réalité. Les grands chantiers et défis de notre temps ne laissent pas place à l’erreur. La société occidentale se fracture, le modèle social de chaque pays est peu à peu détruit, la pauvreté atteint des records alors que les services publics sont détruits ou vendus. Le monde est plus militarisé que jamais, la classe moyenne se réduit pendant que les inégalités sont chaque jour plus abyssales. À travers des accords de libre-échange comme le TTIP, les multinationales et le secteur bancaire et financier accroissent leur domination politique déjà flagrante. Tout cela est en face de nous, et l’UE en est un des gardiens.
Mais pourrions-nous faire autre chose de l’UE ?
Comme le dit l’adage, en théorie tout est possible. De fait, les différents traités, directives, lois ou règlements peuvent être modifiés. Mais comment ? Les Traités, pour être amendés ou instaurés, doivent recevoir l’aval de tous les parlements nationaux (et parfois également régionaux, comme en Belgique) des états membres, ainsi que celui du Parlement Européen.
S’il y a une unanimité touchante de tous les gouvernements européens pour l’austérité, il est difficile d’imaginer sérieusement tout ce beau monde se convertir en défenseur d’une politique sociale et progressiste du jour au lendemain. Il faudrait donc, par la voie électorale, que les forces anti-austérité obtiennent la majorité partout. Les socialistes européens sont chaque jour plus englués de responsabilité dans l’instauration de l’austérité (comme on le voit avec l’exclusion des chômeurs sous Di Rupo ou la Loi Travail en France), les écologistes ne sont qu’occasionnellement opposés à celle-ci (soutien à la Loi Travail en France, soutien au Traité de Lisbonne à peu près partout…), et la gauche radicale ne rassemble que 6,9% des sièges au Parlement Européen.
Comment imaginer rationnellement obtenir la majorité au niveau européen dans un délai acceptable ? Comment espérer garder indéfiniment la confiance des couches populaires face à une austérité imposée par en-haut ?
Pendant que les organisations et personnes qui veulent « changer l’Europe » discourent, les gens souffrent. Les patients ont de moins en moins accès aux soins, des millions de familles connaissent le chômage chronique, les services publics sont saccagés, la misère grandit. Si un gouvernement anti-austérité arrive dans un état-membre (comme cela parait plausible en Grèce ou au Portugal), il est asphyxié et sa marge d’action annihilée. Que doivent donc faire les vrais démocrates en pareilles circonstances ?
Se donner pour objectif de ‘changer l’UE’ c’est en réalité renvoyer aux calendes grecques tout changement réel. Pendant ce temps, seule l’extrême-droite pourra être perçue comme la force politique désirant le changement. Racisme et nationalisme se renforceront au fur-et-à-mesure que la gauche sera délaissée par les couches populaires.
Il est primordial de mener une campagne politique proactive et pédagogique. Lors du referendum grec sur le plan d’austérité de la Troïka, le gouvernement Syriza de Tsipras soutenait, à juste titre, le NON (OXI). Mais il était en cela rejoint par des groupes d’extrême-droite des plus vils comme Aube Dorée.
Cette apparente promiscuité ne doit pas paralyser la gauche. L’extrême-droite revendique la souveraineté nationale et la sortie de l’UE ? Grand bien lui fasse ! Elle n’en fera rien de significatif. Les forces réactionnaires ne feront qu’appliquer une autre austérité, une politique raciste à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, et continueront scrupuleusement les manœuvres antisyndicales, la destruction des services publics et ne résorberont en aucun cas le fossé des inégalités sociales de nos pays.
Le meilleur moyen de battre l’extrême-droite, c’est de ne pas les laisser occuper le terrain du changement. Au sein de l’UE, seules des évolutions soit minimalistes soit utopiques à moyen-terme sont possibles. Autre chose doit être proposé, et c’est vers cette altérité que se tourneront peu à peu toutes les victimes de la crise et de l’austérité. Il est regrettable pour les forces progressistes de persister dans une construction européenne dévastatrice, et d’ainsi offrir à l’extrême-droite seule la voie de sortie de l’UE.
Une sortie des institutions européennes comme de l’euro sera payée par les couches les plus pauvres si elle est opérée par la droite, extrême ou non. Mais il faut arrêter l’hystérie propagandiste actuelle d’écroulement du monde si un pays ose sortir de l’euro ou de l’UE. Des économistes très sérieux comme le Prix Nobel Stiglitz prédisent au contraire qu’au plus tôt un pays quittera l’euro, au mieux il s’en portera.
Si une telle sortie est envisagée, elle doit être faite par les organisations qui défendent réellement les travailleurs et la justice sociale, et pour envisager de mener un tel projet et qu’elle permette un réel changement social, il faut que les forces progressistes soient conscientes de leur rôle et de l’importance de combattre dès maintenant l’Union Européenne.
La sortie de l’UE n’est pas une fin en soi, mais uniquement un moyen, une condition nécessaire mais pas suffisante, du changement. Le camp progressiste a en face de lui cette responsabilité colossale.
Nicolas Pierre, étudiant en médecine
Autres sources
http://www.rtbf.be/info/monde/europe/detail_brexit-au-portugal-des-voix-s-elevent-en-faveur-de-la-tenue-d-un-referendum-sur-l-ue?id=9337756&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share
https://en.wikipedia.org/wiki/United_Kingdom_European_Union_membership_referendum,_2016#Economists
http://blog.mondediplo.net/2015 – 06-29-L-euro-ou-la-haine-de-la-democratie
http://blog.mondediplo.net/2015 – 07-18-La-gauche-et-l-euro-liquider-reconstruire
http://morningstaronline.co.uk/a‑82ab-Blaming-the-old-for-the-EU-referendum-result-is-not-only-wrong,-its-offensive#.V4N9u_mLTIX
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/06/LAMBERT/55725#nb6
http://blog.mondediplo.net/2016 – 07-06-Post-referendum-oligarchie-triste