paru dans CQFD n°95 (décembre 2011), par Gilles Lucas
« Les mesures en cause révèlent un non-respect des valeurs essentielles inscrites dans la Charte européenne, notamment la dignité humaine, dont la nature et l’ampleur vont au-delà des violations ordinaires de la Charte. » La Commission européenne des droits sociaux n’a pas mâché ses mots pour décrire, le 10 novembre 2011, l’attitude de la France vis-à-vis des Roms. Qu’importe ! A Marseille, les attaques et les violences policières contre ces « Européens » continuent.
C’est la fin de la journée, en ce 22 novembre, et les Roms, qui ont sillonné les rues de la capitale phocéenne à la recherche de quelques objets dans les poubelles, se reposent et trient leurs marchandises dans leur campement de fortune. Cela fait un certain temps qu’une dizaine de familles s’est installée sur ce terrain attenant à l’Église Saint-Martin d’Arenc, bâtiment condamné à la destruction par les bulldozers d’Euroméditerranée.
Il est 19h30 lorsque trois policiers, deux hommes et une femme, surgissent. « On peut facilement les reconnaître. Le gros et le grand sont les plus dangereux, dit Brishen [[Les prénoms ont été évidemment changés.]], c’est ce dernier qui, au marché de Noailles, au centre-ville, nous donne des coups de pied quand il nous rencontre. » Et Hugo de poursuivre : « Ces deux-là nous bloquent quand ils nous croisent dans la rue et détruisent les poussettes avec lesquelles nous transportons ce qu’on trouve dans les poubelles ». Selon les témoignages, ce soir-là, donc, c’est le gros qui se montre le premier. Dans une main son arme de service et dans l’autre une gazeuse avec laquelle il asperge immédiatement l’espace. Les trois pandores se mettent alors à hurler « Allez, dégagez ! ».
Un quatrième policier resté jusqu’alors dans la voiture rejoint ses collègues pour participer à l’arrosage de gaz tout le monde, l’intérieur des tentes et, après les avoir éventrés, des sacs de nourriture afin de les rendre impropres à la consommation. Yoshka reprend : « Ils ont commencé avec des couteaux à couper et à déchirer les tentes dans lesquelles des enfants dormaient. Puis ils s’en sont pris aux poussettes tout en continuant à nous gazer, souvent à quelques centimètres des yeux. » Côté policier, l’ambiance est plutôt bonne : « Ils nous traitaient de “merde”. Ils se moquaient de nous. Le grand et la femme riaient », rapporte Zoran. Les enfants, eux, hurlent, pleurent. Un homme est violemment poussé à terre par un des pandores. Brishen reprend : « Un d’entre nous a été frappé au visage. Il a couru vers le portail qui fait trois mètres de haut. Le gros policier lui a donné un coup de pied en haut de la jambe puis l’a attrapé par l’épaule. Il est tombé. » On apprendra plus tard que cet homme s’est cassé le col du fémur.
Pour les agresseurs, après quinze longues minutes de déchaînement, c’est l’heure du départ. « Ce n’était pas la première fois que la police venait. Ils nous disaient que si nous nettoyions tout et restions tranquilles, nous n’aurions pas de problèmes. Ils nous prévenaient de ne pas entrer dans l’église car elle risque de s’effondrer. Mais à chaque fois que le gros venait, lui, il nous frappait et cassait notre matériel », raconte Zoran. Il poursuit : « Les quatre policiers qui nous ont agressés ce soir-là étaient déjà venus. Ils sont toujours ensemble. Depuis deux mois, ils viennent tous les mardis soir. » Alors que les cris et les pleurs des femmes et des enfants résonnent dans les rues de ce quartier désert, des habitants d’immeubles voisins s’alarment. Ce sont eux qui vont appeler les secours. Les pompiers arrivent, et la police aussi… Yoshka : « Un de ces policiers a vu l’homme blessé qui était à terre. Puis il s’est rendu compte de ce qui venait de se passer, de la nourriture écrasée, des tentes déchirées, des gens paniqués, des enfants qui suffoquaient. Il a décidé de rester avec nous pendant plus d’une demi-heure pour être sûr que ses collègues qui avaient fait cela ne reviennent pas… » Problème : si enquête des services sur les actes de ses représentants de l’État il y a, elle risque de s’avérer extrêmement complexe pour mettre des noms sur les agresseurs. Ils sont quatre. L’un est gros et quasi chauve. L’autre est grand. La femme est blonde. Le dernier, moins décidé que ses collègues, semble être le chauffeur de la voiture sérigraphiée avec laquelle cette équipe est arrivée. La date est le 22 novembre. Il était entre 19h30 et 20 heures.
Cette expédition a eu lieu dans le troisième arrondissement de Marseille. On peut imaginer aisément que des communications radio ont été échangées, et même que, peut-être, un registre compile les dates, les heures et les noms des agents et leurs secteurs d’intervention. En fait, avec tous ces éléments, rien de vraiment concret pour pouvoir incriminer nominativement ces agresseurs en uniforme… Et si, par malheur, ils venaient à être confondus, ils risqueraient de terribles sanctions d’une sévérité exemplaire… allant de l’avertissement jusqu’au blâme ! Toujours est-il que, pour l’heure, aucun déplacement du ministre de l’Intérieur sur les lieux où vient de se dérouler « cet acte inadmissible qui appelle à la plus totale sévérité » n’est encore annoncé.
En attendant, l’association Résistances Tsiganes a décidé de soutenir la plainte qu’une des victimes a l’intention de déposer, afin de donner du poids à la parole d’un Rom qui, comme on le sait, ne vaut pas grand-chose face à un uniforme.