Bruxelles, le 20 septembre 2022
Sabrina El Bakkali et Ouassim Toumi en 2017, Mawda Shawry en 2018, Mehdi Bouda en 2019 et Adil Charrot en 2020. Quatre décès en quatre ans. L’un des points communs entre toutes ces personnes, outre le fait qu’elles ont des origines étrangères, est qu’elles ont perdu la vie lors de courses-poursuites avec les forces de police. Selon la Ligue des droits humains, la multiplication de ce type de faits doit pousser la police à la réflexion. Quand il n’existe pas de danger pour autrui, ces courses-poursuites doivent être interdites ou au minimum mieux encadrées.
Sabrina et Ouassim
Ce mercredi, la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles doit statuer sur les suites à donner à la plainte des familles de Sabrina et Ouassim. Le 9 mai 2017, les deux jeunes Bruxellois perdaient la vie à la suite d’une course-poursuite avec la police. Ils circulaient en moto, la police les poursuivait parce qu’ils n’auraient pas respecté les limitations de vitesse. Une voiture de police leur fera barrage à la sortie du tunnel Bailli. En février 2022, trois policiers ont été inculpés.
“Le recours à la force doit être absolument nécessaire”
Selon la Ligue des droits humains, la multiplication de ces courses-poursuites élude plusieurs principes fondamentaux : d’une part, la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit à la vie et d’autre part, l’article 37 de la loi sur la fonction de police prévoit que tout recours à la force doit être “raisonnable et proportionné à l’objectif poursuivi”.
Ces deux dispositions soulignent que les services de police, lorsqu’ils décident de procéder à une interpellation, doivent respecter un principe de proportionnalité : le recours à la force doit être absolument nécessaire. Cela signifie que, s’il existe un risque de porter atteinte à la vie de la personne poursuivie, la police doit effectuer une balance d’intérêt et se poser notamment la question suivante : la mise en danger de la vie de l’individu est-elle justifiée pour procéder à l’intervention ? Autrement dit : est-ce que lancer une course-poursuite à vive allure dans les rues de la ville ou pour procéder à l’arrestation de personnes non-armées et soupçonnées d’infractions relativement mineures est nécessaire ?
La Cour européenne des droits de l’homme a déjà répondu à cette question : un équilibre doit exister entre le but et les moyens employés dans la poursuite de celui-ci. La Cour considère que le but légitime d’effectuer une arrestation régulière ne peut justifier de mettre en danger des vies humaines qu’en cas de nécessité absolue. Donc, en principe, il ne peut y avoir pareille nécessité lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif.
Critères clairs et formation adéquate
La Cour a également ajouté d’autres éléments qui pourraient inspirer les autorités belges. Ainsi, dans un arrêt de 2004 contre la Grèce qui concernait une poursuite de police lors de laquelle le requérant, qui avait brûlé un feu rouge, avait été gravement blessé par un tir, la Cour a jugé que le droit grec n’avait pas offert aux policiers des critères clairs sur le recours à la force dans ce cas de figure. Elle a ajouté que, inévitablement, les policiers qui avaient poursuivi et arrêté le requérant avaient pu agir avec une grande autonomie et prendre des initiatives inconsidérées, ce qui n’eût probablement pas été le cas s’ils avaient bénéficié d’une formation et d’instructions adéquates.
Force est de constater qu’en Belgique, les services de police disposent de lignes de conduite dans le cadre de la poursuite et de l’interception de véhicules mais comme le souligne le Comité P, il existe encore une série de recommandations qui ne sont pas mises en œuvre.
Obligation d’enquête
Par ailleurs, en cas d’intervention controversée de la police, la Cour impose aux autorités d’établir les circonstances dans lesquelles s’est déroulée l’intervention au regard du volet procédural des articles 2 et 3 de la Convention. Cette obligation d’enquête diligente doit mettre en lumière les circonstances de l’intervention, déterminer si l’usage de la violence était justifié et servir de base pour des sanctions éventuelles contre les policiers.
En outre, lorsque le litige prend place dans un contexte global caractérisé par des faits de violence et d’intolérance à l’égard d’une minorité, la Cour attend des autorités une réponse avec un degré davantage élevé, lorsque celles-ci exécutent leur obligation de moyen d’enquête.
Courses-poursuites à mieux encadrer voire à interdire
Quoi qu’il en soit, la Ligue des droits humains estime que lorsqu’il n’y a pas de danger direct pour autrui, et a fortiori lorsque le véhicule est identifié ou identifiable, les courses-poursuites devraient être strictement encadrées, voire interdites. Le fait de fuir la police ne peut en effet pas être une raison suffisante pour prendre le risque de porter atteinte au droit à la vie des individus.