À Bruxelles, un accord qui ne fait que prolonger l’agonie de l’euro

Nos gouvernements ont sacrifié la croissance et l’indépendance de l’Europe sur l’autel d’un fétiche désigné Euro.

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Par Jacques Sapir, 28 octobre 2011, Direc­teur d’études à l’EHESS et direc­teur du CEMI-EHESS

L’accord réa­li­sé cette nuit ne fera que pro­lon­ger l’agonie de l’Euro car il ne règle aucun des pro­blèmes struc­tu­rels qui ont conduit à la crise de la dette. Mais, en plus, il com­pro­met très sérieu­se­ment l’indépendance éco­no­mique de l’Europe et son futur à moyen terme. C’est en fait le pire accord envi­sa­geable, et un échec eût été en fin de compte préférable.

HUIT MESURES ACTÉES

Si nous repre­nons les mesures qui ont été actées nous avons :

Une réduc­tion par­tielle de la dette mais ne tou­chant que celle déte­nue par les banques. Autre­ment dit c’est 100 mil­liards qui ont été annu­lés et non 180 (50% de 360 mil­liards). Cela ne repré­sente que 27,8%. La réa­li­té est très dif­fé­rente de ce qu’en dit la presse. Cela ramè­ne­ra la dette grecque à 120% en 2012, ce qui est certes appré­ciable mais très insuf­fi­sant pour sor­tir le pays du drame dans lequel il est plongé.

Le FESF va se trans­for­mer en « fonds de garan­tie » mais sur les 440 mil­liards du FESF, seuls 270 mil­liards sont actuel­le­ment « libres ». Comme il faut gar­der une réserve c’est très pro­ba­ble­ment 200 mil­liards qui ser­vi­ront à garan­tir à 20% les nou­veaux emprunts émis par les pays en dif­fi­cul­tés. Cela repré­sente une capa­ci­té de 1000 mil­liards d’emprunts (200 / 0,2). C’est très insuf­fi­sant. Bar­ro­so avait décla­ré qu’il fal­lait 2200 mil­liards et mes cal­culs don­naient 1750 mil­liards pour les besoins de la Grèce (avant restruc­tu­ra­tion) du Por­tu­gal et de l’Espagne. Cet aspect de l’accord manque tota­le­ment de crédibilité.

La reca­pi­ta­li­sa­tion des banques est esti­mée à 110 mil­liards. Mais, l’agence ban­caire euro­péenne (EBA) esti­mait ce matin la reca­pi­ta­li­sa­tion à 147 mil­liards (37 de plus). De plus, c’est sans comp­ter l’impact du relè­ve­ment des réserves sur les cré­dits (le core Tier 1) de 7% à 9% qui devra être effec­tif en juin 2012. Il fau­dra en réa­li­té 200 mil­liards au bas mot, et sans doute plus (260 mil­liards semblent un chiffre cré­dible). Tout ceci va pro­vo­quer une contrac­tion des cré­dits (« cre­dit crunch ») impor­tante en Europe et contri­buer à nous plon­ger en réces­sion. Mais, en sus, ceci impo­se­ra une nou­velle contri­bu­tion aux bud­gets des États, qui aura pour effet de faire perdre à la France son AAA !

L’appel aux émer­gents (Chine, Bré­sil, Rus­sie) pour qu’ils contri­buent via des fonds spé­ciaux (les Spe­cial Vehicles) est une idée très dan­ge­reuse car elle va enle­ver toute marge de manoeuvre vis à vis de la Chine et secon­dai­re­ment du Bré­sil. On conçoit que ces pays aient un inté­rêt à un Euro fort (1,40 USD et plus) mais pas les Euro­péens. La Rus­sie ne bou­ge­ra pas (ou alors sym­bo­li­que­ment) comme j’ai pu le consta­ter moi-même lors d’une mis­sion auprès du gou­ver­ne­ment russe en sep­tembre dernier.

L’engagement de Ber­lus­co­ni à remettre de l’ordre en Ita­lie est de pure forme compte tenu des désac­cords dans son gou­ver­ne­ment. Sans crois­sance (et elle ne peut avoir lieu avec le plan d’austérité voté par le même Ber­lus­co­ni) la dette ita­lienne va conti­nuer à croître.

La demande faite à l’Espagne de « résoudre » son pro­blème de chô­mage est une sinistre plai­san­te­rie dans le contexte des plans d’austérité qui ont été exi­gés de ce pays.

L’implication du FMI est accrue, ce qui veut dire que l’oeil de Washing­ton nous sur­veille­ra un peu plus… L’Europe abdique ici son « indépendance ».

La BCE va cepen­dant conti­nuer à rache­ter de la dette sur le mar­ché secon­daire, mais ceci va limi­ter et non empê­cher la spéculation.

LES PIÈTRES CONCLUSIONS QUE L’ON PEUT EN TIRER…

Au vu de tout cela on peut d’ores et déjà tirer quelques conclusions :

Les mar­chés, après une eupho­rie pas­sa­gère (car on est pas­sé très près de l’échec total) vont com­prendre que ce plan ne résout rien. La spé­cu­la­tion va donc reprendre dès la semaine pro­chaine dès que les mar­chés auront pris la mesure de la dis­tance entre ce qui est pro­po­sé dans l’accord et ce qui serait nécessaire.

Les pays euro­péens se sont mis sous la hou­lette de l’Allemagne et la pro­bable tutelle de la Chine. C’est une double catas­trophe qui signe en défi­ni­tive l’arrêt de mort de l’Euro. En fer­mant la porte à la seule solu­tion qui res­tait encore et qui était une moné­ti­sa­tion glo­bale de la dette (soit direc­te­ment par la BCE soit par le couple BCE-FESF), la zone Euro se condamne à terme. En recher­chant un « appui » auprès de la Chine, elle s’interdit par avance toute mesure pro­tec­tion­niste (même Cohn-Ben­dit l’a remar­qué.…) et devient un « mar­ché » et de moins en moins une zone de pro­duc­tion. Ceci signe l’arrêt de mort de toute mesure visant à endi­guer le flot de désindustrialisation.

Cet accord met fin à l’illusion que l’Euro consti­tuait de quelque manière que ce soit une affir­ma­tion de l’indépendance de l’Europe et une pro­tec­tion de cette dernière.

Pour ces trois rai­sons, on peut consi­dé­rer que cet accord est pire qu’un constat d’échec, qui eût pu débou­cher sur une négo­cia­tion concer­tée de dis­so­lu­tion de la zone Euro et qui aurait eu l’intérêt de faire la démons­tra­tion des incon­sé­quences de la posi­tion alle­mande, mais qui aurait pré­ser­vé les capa­ci­tés d’indépendance des pays et de l’Europe.

Les consé­quences de cet accord par­tiel seront très néga­tives. Pour un répit de quelques mois, sans doute pas plus de six mois, on condamne les pays à de nou­velles vagues d’austérité ce qui, com­bi­né avec le « cre­dit crunch » qui se pro­dui­ra au début de 2012, plon­ge­ra la zone Euro dans une forte réces­sion et peut-être une dépres­sion. Les effets seront sen­sibles dès le pre­mier tri­mestre de 2012, et ils obli­ge­ront le gou­ver­ne­ment fran­çais à sur-enché­rir dans l’austérité, pro­vo­quant une mon­tée du chô­mage impor­tante. Le coût pour les Fran­çais de cet accord ne ces­se­ra de monter.

Poli­ti­que­ment, on voit guère ce que Nico­las Sar­ko­zy pour­rait gagner en cré­di­bi­li­té d’un accord où il est pas­sé sous les fourches cau­dines de l’Allemagne en atten­dant celles de la Chine. Ce thème sera exploi­té, soyons-en sûrs, par Marine Le Pen avec une redou­table effi­ca­ci­té. Il importe de ne pas lui lais­ser l’exclusivité de ce combat.

La seule solu­tion, désor­mais, réside dans une sor­tie de l’euro, qu’elle soit négo­ciée ou non.

Source : Article publié sur le site de Marianne