Argentine : « Cristina Fernandez, progressisme et cacerolazos »

Entre­tien avec l’économiste mar­xiste Clau­dio Katz, qui tire un bilan cri­tique et nuan­cé du Kirch­ne­risme et per­met ain­si de démon­ter un cer­tain nombre de mythes sur l’Argentine actuelle et la poli­tique menée par son gouvernement.

katz.pngL’analyse des gou­ver­ne­ments pro­gres­sistes ou natio­na­listes-popu­laires lati­no-amé­ri­cains reste un sujet de débat et de contro­verse, aus­si bien au sein des gauches que des ana­lystes poli­tiques. En Argen­tine, les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs du pré­sident Nes­tor Kirch­ner puis de sa com­pagne, Cris­ti­na Fer­nan­dez, font l’objet de nom­breux débats, cer­tains y voyant un authen­tique gou­ver­ne­ment de chan­ge­ment social et de résis­tance à l’impérialisme, d’autres — au contraire — décrivent un exé­cu­tif néo­pe­ro­niste de res­tau­ra­tion de l’ordre capi­ta­liste, suite à la grande crise de 2001, et fina­le­ment de conten­tion des luttes sociales. 

Sur quels axes idéo­lo­giques et stra­té­giques s’appuie le pro­jet des Kirch­ner au bout de 10 ans de pré­sence à la pré­si­dence de l’Argentine ?

Le Kirchnerisme[[Nestor Kirch­ner (1950 – 2010) a pré­si­dé l’Argentine de 2003 à 2007, il était l’époux de Cris­ti­na Fer­nan­dez (1953-…) qui a été élue pré­si­dente de la Répu­blique argen­tine en 2007. Elle a été réélue en 2011 avec 54% des voix.]] a émer­gé dans le scé­na­rio créé par la rébel­lion de 2001. Pen­dant ses pre­mières années, il s’est appli­qué à res­tau­rer l’état et le sys­tème poli­tique tra­di­tion­nel mena­cé par le sou­lè­ve­ment popu­laire. Mais il a remis sur pied le pou­voir des pri­vi­lé­giés, en octroyant d’importantes conces­sions démo­cra­tiques et sociales à la majeure par­tie de la population.

Pen­dant la reprise éco­no­mique qui a sui­vi l’écroulement préa­lable, il a obte­nu la recon­nais­sance de l’establishment et a sus­ci­té la sym­pa­thie popu­laire. Le conflit avec les pro­duc­teurs de soja a inau­gu­ré la séquence sui­vante de chocs avec la droite, de ten­sions avec le mou­ve­ment syn­di­cal et d’indéfinitions stratégiques.

Le gou­ver­ne­ment est res­té tiraillé par des groupes capi­ta­listes concen­trés — qui exigent la vali­da­tion de leurs pro­fits éle­vés avec la rigueur et la répres­sion — et un très actif mou­ve­ment social qui mani­feste à tra­vers des grèves et des piquets. Face à ce dilemme, l’oscillation gou­ver­ne­men­tale a prédominé.

Au cours des der­niers mois, il y eut la « loi anti­ter­ro­riste », le « Pro­jet X » d’espionnage, la pour­suite en jus­tice de mili­tants, des attaques pré­si­den­tielles envers les ensei­gnants, des agres­sions à l’INDEC, des salaires péna­li­sés par l’impôt sur les reve­nus et une loi sur les risques au tra­vail des­si­née par l’UIA.

Mais dans le même temps les pro­cès contre les mili­taires de la dic­ta­ture pour les crimes qu’ils ont com­mis (avec condam­na­tion à per­pé­tui­té pour Astiz et les condam­na­tions pour le mas­sacre de Tre­lew) se sont mul­ti­pliés, il y a eu des amé­lio­ra­tions avec les orga­ni­sa­tions pari­taires et on a obte­nu des avan­cées juri­diques, comme le mariage homo­sexuel ou le vote à 16 ans. La plainte concer­nant les Malouines a été relan­cée avec des stra­té­gies de sou­tien lati­no-amé­ri­cain, aux cotés d’une poli­tique exté­rieure anti-put­schiste (Para­guay, Hon­du­ras) et de négo­cia­tions avec l’Iran, qui irritent les États-Unis.

Ces va-et-vient ont créé une forte pola­ri­sa­tion entre ceux qui sou­lignent la pré­émi­nence d’un « pro­jet natio­nal et popu­laire » et ceux qui dénoncent la dis­si­mu­la­tion rhé­to­rique de la « conti­nui­té néo­li­bé­rale ». Je crois que les deux qua­li­fi­ca­tions sont erro­nées. Le Kirch­ne­risme est une variante des gou­ver­ne­ments de centre-gauche qui sont appa­rus en Amé­rique du Sud et se trouve sur un ter­rain sem­blable à Lula-Dilma.

Il fait par­tie d’un axe de pré­si­dents actuel­le­ment dits « pro­gres­sistes » et pré­cé­dem­ment vus comme de « tièdes social-démo­crates ». Ils récu­pèrent cer­taines marges d’autonomie sou­ve­raine et en même tem­po­risent avec les mou­ve­ments sociaux, sans modi­fier de façon struc­tu­relle les trans­for­ma­tions régres­sives que le néo­li­bé­ra­lisme a introduites.

Ce sont des gou­ver­ne­ments éloi­gnés de la droite répres­sive, libre-échan­giste et pro-nord-amé­ri­caine (Piñe­ra, Cal­de­ron ou Uribe) et éloi­gnés de l’anti-impérialisme radi­cal (Cha­vez, Evo). Pour carac­té­ri­ser ces gou­ver­ne­ments, il faut gar­der les caté­go­ries basiques de l’ordonnancement poli­tique, en dif­fé­ren­ciant la gauche, la droite et le centre. Dans le cas contraire, la bous­sole s’affole et plus per­sonne ne sait où il se trouve.

Le Kirch­ne­risme, il faut aus­si l’évaluer en fonc­tion de l’histoire natio­nale et ici la com­pa­rai­son s’avère incon­tour­nable avec d’autres expé­riences du jus­ti­cia­lisme. Je crois qu’il y a cer­taines res­sem­blances avec le pre­mier péro­nisme, pas seule­ment dans la gra­vi­ta­tion de lea­der­ship pré­si­den­tiel. Il y a aus­si des paral­lèles dans la pré­sence d’un contexte inter­na­tio­nal favo­rable, qui est uti­li­sé pour finan­cer cer­taines amé­lio­ra­tions sociales. La dif­fé­rence prin­ci­pale réside dans l’éloignement du mou­ve­ment ouvrier, puisque le Kirch­ne­risme a cher­ché la divi­sion de la vieille colonne ver­té­brale du PJ. Avec la trans­ver­sa­li­té et le Cris­ti­nisme, il a été essayé de rem­pla­cer le péro­nisme tra­di­tion­nel par une coa­li­tion avec les sec­teurs de la classe moyenne. Ils reprennent l’esprit alfon­si­niste de la réno­va­tion cafie­riste, essayée avant le menemisme.

Quels para­digmes de la poli­tique argen­tine ont été modi­fiés pen­dant cette ges­tion de presque dix ans et quels autres demeurent en vigueur ? Les conti­nui­tés ou les rup­tures se dis­tinguent elles par rap­port aux ges­tions précédentes ?

On a enre­gis­tré un grand chan­ge­ment poli­tique et géné­ra­tion­nel qui est deve­nu visible pen­dant la com­mé­mo­ra­tion du bicen­te­naire. La com­bi­nai­son de la poli­ti­sa­tion de la jeu­nesse, de la démo­cra­ti­sa­tion et de la conscience lati­no-amé­ri­ca­niste a créé un sce­na­rio très dif­fé­rent de celui en vigueur pen­dant les périodes d’illusions consti­tu­tion­na­listes (Alfon­sin), de dés­illu­sion (Mene­misme) et d’angoisse col­lec­tive (Alliance).

Mais le cadre poli­tique demeure en ébul­li­tion sans cris­tal­li­sa­tion nette. Per­sonne ne sait si le vieux bipar­tisme renaî­tra ou si pré­vau­dront les forces en ges­ta­tion. Il y a une finale ouverte qui dépen­dra de cer­tains dénoue­ments (par exemple la re-réélec­tion). Jusqu’à pré­sent une situa­tion inter­mé­diaire pré­do­mine. Les vieilles réfé­rences poli­tiques contes­tées pen­dant l’explosion de 2001 (« qu’ils s’en aillent tous »), n’ont pas été balayées, on n’a pas enre­gis­tré le chan­ge­ment de régime obser­vé au Vene­zue­la, en Équa­teur et en Boli­vie. Le vieux péro­nisme n’a pas non plus été res­tau­ré, à l’image de la recons­ti­tu­tion que nous avons vue avec le PRI Mexicain.

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Quels sont les pro­blèmes que n’a jamais pu résoudre le kir­cher­nisme et quels sont les autres qu’il n’a jamais eu envie de résoudre ?

Comme Cris­ti­na idéa­lise le capi­ta­lisme elle ne pour­ra jamais résoudre les pro­blèmes de l’Argentine. Ce sys­tème ne per­met pas le cercle ver­tueux du bien-être, du déve­lop­pe­ment et de l’équité qu’ils ima­ginent au gou­ver­ne­ment. Et aucun fonc­tion­naire ne pro­meut d’autres alter­na­tives, dans la pers­pec­tive par exemple d’avancer vers le socia­lisme du XXIe siècle.

Les limites de l’orientation actuelle néo-déve­lop­pe­men­tiste affleurent sur de nom­breux ter­rains. La trac­tion de l’économie par la consom­ma­tion aux dépens de l’investissement, la sub­sti­tu­tion des pri­va­ti­sa­tions par la régu­la­tion éta­tique et le favo­ri­tisme envers des groupes du sec­teur agri­cul­ture-indus­triel (au lieu des finan­ciers) génèrent de nou­velles ten­sions. Les groupes accé­lèrent l’inflation pour main­te­nir la ren­ta­bi­li­té, les capi­taux s’enfuient pour diver­si­fier les inves­tis­se­ments et le dés­équi­libre fis­cal s’aggrave par l’absence de réformes fis­cales progressives.

Tous les pro­blèmes struc­tu­raux per­sistent, à com­men­cer par la dépen­dance crois­sante d’une mono­cul­ture qui s’étend avec la défo­res­ta­tion et les agro-toxiques. La méga-indus­trie minière détruit des cultures tra­di­tion­nelles sans géné­rer d’emploi et le pro­fil extrac­tif s’est aggra­vé par la perte de l’autosuffisance pétro­lière. Le modèle a ren­for­cé une logique capi­ta­liste à haute ren­ta­bi­li­té immé­diate et à faible déve­lop­pe­ment pro­duc­tif. Par-des­sus le mar­ché, on a cher­ché à récréer une bour­geoi­sie natio­nale avec des sub­ven­tions éta­tiques, qui génèrent du gas­pillage sans rem­pla­cer l’absence d’investissement privé.

Dans beau­coup de sec­teurs on fait réfé­rence au pro­jet comme exemple du « moindre mal », en contre­point à l’émergence d’une oppo­si­tion d’extrême-droite. Quelle est votre opi­nion sur ce point de vue ?

Avant tout il semble indis­pen­sable de recon­naître que cette oppo­si­tion de droite existe et se bat contre le gou­ver­ne­ment. Ce n’est pas un fan­tasme créé par le récit offi­ciel et cela requiert des rejets expli­cites et indis­cu­tables. Ce qui a com­men­cé avec des demandes autour de la de sécu­ri­té (Blum­berg) et les exi­gences d’appropriation de la rente agraire (exploi­tants de soja) a gagné d’autres ter­rains à la cha­leur d’un esprit de revanche idéo­lo­gique bien auto­ri­taire (gorille). Leurs demandes sont sti­mu­lées par les grands médias, qui tiennent actuel­le­ment un rôle idéo­lo­gique sem­blable à celui joué par l’Église dans le passé.

La droite ne met pas en cause les insuf­fi­sances de la « loi des médias » (insuf­fi­sance quant à la créa­tion d’un sec­teur sans but lucra­tif, la crois­sance de groupes néfastes pri­vés proche de la majo­ri­té), mais en revanche ses aspects démo­cra­tiques (limite de la concen­tra­tion). C’est pour­quoi elle déploie une pres­sion bru­tale pour blo­quer l’application de cette règle. Les cace­ro­la­zos ont la même signi­fi­ca­tion. Ils expriment les reven­di­ca­tions de groupes conser­va­teurs pri­vi­lé­giés très éloi­gnés de la classe moyenne. Il est inad­mis­sible d’ignorer le sens réac­tion­naire qu’ont les cam­pagnes de ce secteur.

Le pro­gres­sisme K a jus­te­ment sur­gi comme une réac­tion défen­sive face à cette vague régres­sive et a gagné en auto­ri­té avec ses dénon­cia­tions. Mais il sup­pose à tord qu’il y a seule­ment deux groupes et pro­pose d’opter pour le « moindre mal », oubliant que cette rési­gna­tion conduit tou­jours à l’acceptation des plus grands malheurs.

Ceux qui s’alignent incon­di­tion­nel­le­ment avec le gou­ver­ne­ment ferment les yeux devant une autre variante de la droite, qui est pré­sente dans l’éventail des alliances offi­cielles (gou­ver­neurs, maires, bureau­cra­tie syn­di­cale). Ils oublient le sen­tier conser­va­teur que tend à emprun­ter le péro­nisme, devant des conjonc­tures éco­no­miques défa­vo­rables ou des défis de radi­ca­li­sa­tion popu­laire. Mais le plus pro­blé­ma­tique du pro­gres­sisme K est le silence face à des mesures offi­cielles régres­sives (loi anti­ter­ro­riste, méga-indus­trie minière, sur les risques au tra­vail). Là, il confirme son manque d’autonomie dans les moments critiques.

La grande par­tie des sec­teurs qui ont rejoint le modèle de ges­tion, bien qu’ils recon­naissent des défauts et des failles, affirment qu’ « il n’y a rien à la gauche » de ce gou­ver­ne­ment. Quelle réflexion mérite cette appréciation ?cacerolazo.jpg

Cette impres­sion pro­vient d’une don­née vraie : l’alignement fré­quent avec l’establishment qui a pré­va­lu dans le centre-gauche anti‑K, depuis la conver­gence avec la Socié­té Rurale et la for­ma­tion du « Groupe A ». Ils conti­nuent d’accompagner le pro­gramme que construit le jour­nal Cla­rin, avec des regards contem­pla­tifs envers les cace­ro­la­zos, la soli­da­ri­té avec les reven­di­ca­tions sala­riales des gen­darmes répres­seurs et des clins d’œil aux cam­pagnes contre la « cha­vi­sa­tion de CFK ». Ils semblent répé­ter les pos­tures assu­mées par l’Union Démocratique[[En Argen­tine, l’Union Démo­cra­tique fut une alliance élec­to­rale réa­li­sée en 1945 entre la social-démo­crate Union Civique Radi­cale (UCR), le Par­ti Socia­liste, le Par­ti Com­mu­niste et la Démo­cra­tie Pro­gres­siste. Aux élec­tions du 24 février 1946, elle a sou­te­nu le ticket pré­si­den­tiel for­mée par les radi­caux José P. Tam­bo­ri­ni et Enrique Mos­ca. L’Union Démo­cra­tique qui s’est pré­sen­tée contre le ticket Perón-Qui­ja­no, avait adop­té une atti­tude stric­te­ment anti­pé­ro­niste, fut dis­soute après avoir été bat­tue sans appel.]] en face de Perón.

Cette atti­tude se fonde sur les iden­ti­fi­ca­tions erro­nées du gou­ver­ne­ment avec le néo­li­bé­ra­lisme. Il est obser­vé comme « l’ennemi prin­ci­pal » à affron­ter avec les alliées de l’UCR et de la Coa­li­tion Civique[[La Coa­li­tion civique (CC) fut une coa­li­tion poli­tique argen­tine libé­rale et cen­triste, fon­dée en avril 2007 pour lan­cer la can­di­da­ture à la pré­si­den­tielle d’Elisa Car­rió, qui arri­va deuxième au scru­tin de 2007, der­rière sa rivale Cris­ti­na Kirch­ner.]]. La bêtise d’une telle stra­té­gie saute aux yeux et explique le désordre qui émerge dans ce domaine, chaque fois que le gou­ver­ne­ment adopte une mesure pro­gres­sive (expro­pria­tion par­tielle d’YPF)

Il est tota­le­ment faux de sup­po­ser qu’un gou­ver­ne­ment éven­tuel de Bin­ner[[ Hermes Juan Bin­ner, né le 5 juin 1943, méde­cin et homme poli­tique argen­tin. Il fut gou­ver­neur de la pro­vince de San­ta Fe entre 2007 et 2011. Il est en 2007 le pre­mier socia­liste élu gou­ver­neur d’une pro­vince en Argen­tine. Le 23 octobre 2011, il est can­di­dat lors de l’élection pré­si­den­tielle d’Argentine, pour le « Frente Amplio Pro­gre­sis­ta ». Deuxième du scru­tin de 2011 der­rière la pré­si­dente sor­tante Cris­ti­na Kirch­ner, il obtient 16,87 % des voix.]]-UCR se trou­ve­rait à gauche du pou­voir actuel. Cette coa­li­tion a déjà don­né des preuves plus que suf­fi­santes de fidé­li­té à l’establishment du soja et repro­dui­rait le sché­ma man­qué de l’Alliance[[La Alian­za por el Tra­ba­jo, la Jus­ti­cia y la Edu­ca­ción, plus connue sim­ple­ment comme L’Allianza. Fut une coa­li­tion poli­tique entre l’Union Civi­ca Radi­cal (UCR) y le « Frente País Soli­da­rio », for­mée en 1997 en Argen­tine, qui a gagné les élec­tions de 1999 et a été dis­soute dans la fou­lée de la rébel­lion popu­laire du 20 décembre 2001.]].kirchner_mural_peron.jpg

L’idéalisation de Lula-Dil­ma, (ou Taba­ré-Mugi­ca) comme modèles de dépas­se­ment pro­gres­siste du Cris­ti­nisme génère le même mal au cœur. Ces admi­nis­tra­tions sont saluées par les groupes domi­nants pour leur atti­tude ami­cale envers les banques et pour leur refus de d’implanter des mesures démocratisantes.

Après avoir rai­son­né en termes libé­raux d’institutionnalité — en oppo­sant le « popu­lisme » offi­ciel au cre­do d’un répu­bli­ca­nisme de l’opposition, le centre-gauche anti‑K remet à flot la vieille dupli­ci­té du radi­ca­lisme, dont les valeurs consti­tu­tion­nelles ont tou­jours caché le clien­té­lisme, les « tenan­cier » de sec­tion et la par­ti­to­cra­tie. Avec ces fon­de­ments on a tis­sé la Consti­tu­tion néo­li­bé­rale du Pacte de Oli­vas qui est défen­du main­te­nant comme un texte consa­cré de la démocratie.

Pour­quoi la gauche orga­nique ou dis­per­sée n’a pas su / n’a pas pu orga­ni­ser une alter­na­tive réelle et visible pen­dant les dix ans du kirchnerisme ?

Il y a eu une réelle oppor­tu­ni­té pour cette construc­tion en 2001 et dans les pre­mières années du Kirch­ner­nisme. Elle a échoué par le dog­ma­tisme d’un camp et le mirage auto­no­miste de l’autre. Dans le pre­mier groupe, les incom­pré­hen­sions répé­tées sur les temps et les alliances requises pour obte­nir une inser­tion mas­sive au sein des tra­vailleurs ont émer­gé. Dans le deuxième groupe il y a eu un manque de consi­dé­ra­tion du ter­rain élec­to­ral, qui fut un champ de bataille cen­tral dans tous les pays de l’Amérique du Sud.

Ensuite ils ont pris des pos­tures erro­nées face aux affron­te­ments du gou­ver­ne­ment avec la droite. La neu­tra­li­té a fré­quem­ment pré­do­mi­né, comme si la « 125 » ou la « loi des médias » repré­sen­taient des conflits inter-bour­geois, sans aucun effet sur les majo­ri­tés popu­laires. Cette céci­té a sem­blé se cal­mer face à l’étatisation des AFJP, mais a recom­men­cé à émer­ger devant l’expropriation d’YPF. En construi­sant un monde à l’envers, cer­tains ont vu des repri­va­ti­sa­tions où il y a eu des natio­na­li­sa­tions, et du pillage là où une récu­pé­ra­tion a été com­men­cée. C’est la myo­pie que Trots­ky n’a pas eue eu face à Laza­ro Car­de­nas dans le Mexique des années 1930.

Au lieu de recon­naître la com­plexi­té du Kirch­ne­risme, il a été vu à plu­sieurs reprises comme un « régime fini », ou sur le point de s’effondrer par l’impact de la crise mon­diale. Ces pré­sages ne sus­citent pas beau­coup d’intérêt, par­mi un public ennuyé par tant d’années de pré­vi­sions apo­ca­lyp­tiques de Carrió.

Il existe dans la gauche une sérieuse dif­fi­cul­té pour qua­li­fier l’actuel gou­ver­ne­ment, qui est défi­ni d’habitude dans des termes géné­riques comme « capi­ta­liste » (tous le sont) ou comme « bona­par­tiste ». Cette der­nière mise en ques­tion de l’arbitrage pré­si­den­tiel est énon­cée dans des termes conver­gents, avec les cam­pagnes libé­rales en vogue contre le popu­lisme et le cau­dillisme. Ce qu’ils devraient éclair­cir, c’est si le bona­par­tisme en vogue pré­sente un pro­fil réac­tion­naire (comme Louis Bona­parte) ou pro­gres­siste (comme Laza­ro Cardenas).

L’appui d’organisations de la gauche à la can­di­da­ture insi­gni­fiante de Orlan­do Chi­ri­no à l’élection véné­zué­lienne confirme l’incapacité de ce sec­teur, à jouer pour lui-même un rôle émi­nent. Dans la même ligne, s’inscrit, le rejet de la coa­li­tion SYRIZA en Grèce. La vieille gauche est com­ba­tive et gagne des adhé­sions par son cou­rage, mais elle est tota­le­ment inca­pable de pro­je­ter cette sym­pa­thie vers une construc­tion réelle.

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Sur quels axes la gauche devrait-elle éta­blir un modèle alter­na­tif au gou­ver­ne­ment ? Est-ce fai­sable à court ou moyen terme ?

L’opportunité est tou­jours ouverte puisque la gauche conserve sa force dans le mou­ve­ment syn­di­cal, estu­dian­tin et social. Dans la mesure où le Cris­ti­nisme est une construc­tion incer­taine, il y a des grandes pos­si­bi­li­tés d’avancer dans le déve­lop­pe­ment d’une alter­na­tive. Mais il semble indis­pen­sable de batailler par un dépas­se­ment du gou­ver­ne­ment par la gauche, mais cet objec­tif ne sera pas atteint en adop­tant des pos­tures neutres du type « nous nous oppo­sons aux K et aux anti‑K ».

La nou­velle gauche pour­rait occu­per la place vacante, si elle réus­sit se caler avec le rythme de déve­lop­pe­ment requis pour for­ger une alter­na­tive. Et là il s’avère déci­sif de trou­ver le che­min pour se pro­je­ter au plan poli­tique, en éta­blis­sant des alliances claires avec les espaces qui peuvent ras­sem­bler un élec­to­rat. L’objectif doit être de gagner de l’ascendant pour un pro­jet popu­laire de por­tée anti­ca­pi­ta­liste, en sachant que les échéances de cette construc­tion sont impré­vi­sibles. Nous vivons dans un pays de grandes sur­prises et de virages inattendus.

Revis­ta Sudes­ta­da, Bue­nos Aires, décembre 2012

Tra­duit de l’espagnol pour El Cor­reo par : Estelle et Car­los Debia­si, tra­duc­tion revue par Eric Tous­saint pour www.cadtm.org

Source de l’ar­ticle : contre­temps


Notes