On ne parlera désormais plus de « dictature » du général Augusto Pinochet, qui prit le pouvoir au Chili lors d’un coup d’Etat, le 11 septembre 1973, et ne le quitta que dix-sept années plus tard. On préfèrera le terme de « régime militaire ».
C’est le sens de la modification des manuels scolaires que vient d’exiger le ministère de l’éducation chilien. M. Harald Beyer, titulaire du maroquin, a présenté la décision comme « technique », tout en précisant qu’il ne voyait aucune difficulté, de son côté, à décrire la « période Pinochet » comme une dictature.
Il n’en reste pas moins que la mesure a été critiquée par l’opposition, les mouvements de défense des droits de l’homme ainsi que certains secteurs de la droite représentée au gouvernement (notamment le parti du président Sebastián Piñera, Rénovation nationale [RN]).
De son côté, l’Union démocrate indépendante (UDI) — principale force politique de la coalition au pouvoir — ne masque pas sa satisfaction : la mesure s’inscrit en droite ligne de son projet de réhabilitation historique du général Pinochet, officiellement responsable de plus de 3 000 disparitions ou exécutions et de la torture de plus de 28 000 personnes [[Lire Franck Gaudichaud, « La dictature du général Pinochet devant la justice à Paris », La valise diplomatique, 8 décembre 2010.]]. A la fin du mois de novembre, M. Cristian Labbé, membre de l’UDI et maire de la commune de Providencia — où l’on peut se promener le long d’une avenue baptisée « 11-Septembre » — a ainsi organisé une cérémonie en hommage à M. Miguel Krassnoff, un ancien dirigeant de la Direction nationale du renseignement (DINA, la police politique de la dictature), condamné à cent quarante-sept ans de prison pour enlèvement, assassinat et torture.
Différents secteurs de la droite suggèrent, à travers les médias privés (qui leur sont proches), qu’il est désormais temps de « tourner la page », de ne plus « vivre dans le passé ». Mais reconnaître la nature de la dictature chilienne — et la condamnation de ceux qui s’en sont rendus coupables — empêche-t-il vraiment de préparer l’avenir ?
Si les Cristian Labbé restent rares, l’héritage Pinochet pèse dans la vie politique et sociale chilienne, ne serait-ce qu’au travers de la Constitution de 1980 que le pays lui doit [[Lire « En finir (vraiment) avec l’ère Pinochet », La valise diplomatique, 24 août 2011.]]. C’est l’une des raisons de la mobilisation étudiante qui a récemment secoué le Chili [[Lire Hervé Kempf, « Au Chili, le printemps des étudiants » (aperçu), Le Monde diplomatique, octobre 2011.]].
Victor de La Fuente
Source : LMD