Témoignage de Ricardo Márquez, fondateur de Catia TV et témoin fidèle des événements qui ont eu lieu à Caracas les 11, 12, 13 et 14 avril 2002.
Tout le monde se souvient du coup d’État qu’il y a eu au Venezuela contre le gouvernement du président Hugo Chávez Frías, qui n’a duré que 47 heures mais qui a provoqué un bain de sang au Venezuela.
Il est vraiment difficile de parler de ces jours-là sans que des souvenirs avec beaucoup de douleur nous reviennent, mais aussi avec beaucoup de joie et de nostalgie, car nous avons pu faire partie des millions de Vénézuéliens qui ont contribué avec un grain de sable pour sauver le fil constitutionnel, pour maintenir la stabilité, la paix et la démocratie au Venezuela. Malgré le peu de temps passé par le Commandant Hugo Chávez à la tête de la République, nous pouvions déjà voir qu’il entamait un processus avec un gouvernement qui avait compris que les choses devaient changer radicalement, visant à prendre en charge la société vénézuélienne, à essayer de résoudre toutes ces années de pauvreté et de misère auxquelles la Quatrième République nous avait conduits.
Hugo Chávez a osé dire à l’oligarchie nationale et internationale que le Venezuela était un pays libre et souverain et qu’à partir de ce moment (février 1999) le destin de cette patrie serait entre les mains du gouvernement et du peuple vénézuélien et non du gouvernement étasunien. Je crois que c’était un élément fondamental pour que toutes les oligarchies et les bourgeoisies de ce continent se replient et conspirent pour mettre fin à la démocratie participative naissante de ce pays.
Voici mon analyse du pourquoi d’un coup d’État contre le président Hugo Chávez et la révolution bolivarienne.
J’étais un jeune homme du quartier Simón Rodríguez au Manicomio, de la paroisse municipale de La Pastora à Caracas, un simple militant, une personne engagée pour son pays, qui a fondé avec d’autres personnes la Maison de la Culture Simón Rodríguez du Manicomio et le Ciné Club Manicomio. Nous avions réussi dans les premiers mois et années de la Révolution Bolivarienne à participer à l’Assemblée Constituante et à y proposer la nécessité de créer des médias communautaires au Venezuela, ce que nous avons obtenus.
Ensuite, nous avons fait entendre notre voix dans la création de la toute nouvelle loi sur les télécommunications, y compris un article qui, conformément à la nouvelle Constitution, permettait aux communautés organisées de fonder des médias communautaires, en utilisant le spectre hertzien national, un privilège uniquement accordé jusqu’alors à la bourgeoisie vénézuélienne.
Parallèlement à cette lutte, nous avons fondé la télévision communautaire de l’Ouest, Catia TV, avec son slogan perçu comme une attaque directe contre le système dominant : Ne regardez pas la télévision, faites-la ! Accompagné d’une forme de production de contenus directement entre les mains du peuple, avec la formation des ECPAI (Equipes Communautaires de Production Audiovisuelle Indépendante). Grâce aux articles de la nouvelle Loi des Télécommunications, nous avons proposé à CONATEL (Commission nationale des télécommunications) dirigée à ce moment-là par le lieutenant Diosdado Cabello, nous remplissons les conditions de la loi, habitants d’un quartier appelé El Manicomio. Nous avons réussi à inviter le président de la République le 30 mars 2001 à 10 heures du matin pour inaugurer notre petite installation de télévision au cinquième étage de l’hôpital Jesús Yerena de Lídice et de là, pour la première fois dans l’histoire du Venezuela, émettre un signal de télévision communautaire avec l’autorisation HSF-00001 et sa concession respective octroyée par CONATEL pour opérer sur le canal 25-UHF pour tout l’ouest de la ville, le signal de Catia Tv.
Il était logique de soupçonner ou du moins d’avoir l’intuition que les ennemis du peuple (la bourgeoisie nationale et internationale) ne resteraient pas immobiles et qu’ils feraient tout leur possible pour mettre fin à la révolution bolivarienne, puisqu’elle était un très mauvais exemple pour le reste du continent. C’est notre expérience dans ces premières années de révolution, car si nous écoutons les paysans, les ouvriers, les débiteurs hypothécaires etc, nous saurons que la tentative de coup d’état était une mort annoncée depuis belle lurette.
Nous étions totalement engagés dans la défense et le soutien du gouvernement du commandant Chávez, déjà le 9 avril de cette année 2002 nous avons vu que ce qui se préparait était un coup d’état, il était évident comment toutes les forces et les facteurs de pouvoir dans le pays encerclaient le gouvernement, les médias étaient précisément l’arme principale des fascistes.
C’étaient des moments de beaucoup, beaucoup d’adrénaline, des moments de grande passion, il y a beaucoup d’anecdotes à raconter. Je me souviens très bien qu’à l’époque, lorsque la mobilisation et l’agitation de l’opposition ont commencé dans la capitale, les membres de Catia TV et d’ECPAI étaient dans les rues avec les gens, filmant tout ce qui se passait.
Je me souviens que le 10 avril, vers 14 heures, nous étions à un rassemblement devant le siège de la vice-présidence de la République, sur l’avenue Urdaneta, et soudain Diosdado, qui était le vice-président, est sorti et nous nous sommes immédiatement approchés de lui pour lui dire : “Vice-président, un coup d’État est imminent, ils nous assiègent, qu’allons-nous faire ?”. Et je me souviens qu’il a répondu sèchement et sans hésitation : “Nous sommes conscients de cela, mon frère, nous essayons d’éviter une effusion de sang mais ils sont sourds, ils ne veulent pas entendre les gens qui soutiennent le commandant Chavez, ils essaient de nous renverser mais ils ne réussiront pas parce que nous ne sommes pas seuls, nous comptons sur vous.” Pour moi, c’était impressionnant, ce n’était plus seulement une hypothèse, un soupçon, non, c’était réel, le vice-président du pays nous confirmait là, auprès de Catia TV, que le plan de coup d’État était en cours et qu’ils essayaient, en tant que gouvernement sous forte pression, d’éviter un bain de sang.
Personnellement, quand j’ai entendu le camarade Diosdado nous répondre avec une telle sincérité, une grande humilité et en nous regardant dans les yeux, j’ai réalisé que nos vies étaient en danger, le moment était venu de tout donner pour le Venezuela, pour le peuple, pour les générations futures. Alors, nous sommes restés sur place, ce jour-là jusqu’à 11 heures ou 12 heures du soir, entre le palais présidentiel Miraflores et la vice-présidence, beaucoup de Vénézuéliens y étaient rassemblés, tous ces jours-là, pour soutenir notre gouvernement et notre président.
Je voudrais mentionner ici quelque chose de très important, c’est qu’il faut reconnaître que le peuple vénézuélien, sur tout le territoire national, est devenu un héros anonyme, à cette époque il savait quoi faire et le faisait bien, par intuition ou par sagesse populaire, par l’engagement qu’il ressentait avec son pays et avec le commandant Chávez. Rien n’était prévu, chaque Vénézuélien, savait ce qu’il devait faire, savait comment se comporter, savait où aller, et je pense que c’est quelque chose de fondamental, parce que cela démonte aussi un certain nombre de faux héros qui n’ont joué aucun rôle de premier plan avec le peuple dans les rues, mais qui se sont vantés devant le pays, le gouvernement et le parti, en disant sans vergogne qu’ils ont fait ceci, cela, l’autre chose, et ce n’est pas vrai.
À l’époque, beaucoup de personnes qui ont fait des choses cruciales et sont restées anonymes à ce jour, elles n’ont pas été des vedettes publiques, elles n’ont pas utilisé ce qui était à l’époque des tâches d’engagement pour la patrie, pour obtenir une position quelconque, mais des personnes qui sont très discrètes et qui continuent à se battre et à lutter pour la construction de la patrie rêvée. Mais ma plus grande reconnaissance va aux morts, à nos morts, parce qu’ils étaient nombreux, à leurs familles, héritiers de vrais héros, qui méritent qu’on se souvienne d’eux chaque année, mais pas dans l’abstrait, mais avec leurs noms, prénoms, des photos. Toutes ces personnes ont donné leur vie pour tout un pays et devraient être à une place d’honneur de la Patrie, dans mon cas personnel, je ne suis pas satisfait de la reconnaissance offerte jusqu’à présent à ces martyrs. En partant du fait que les responsables de leur mort sont libres, qu’ils n’ont pas payé pour les crimes commis et dans certains cas ont bénéficié du pardon de leur culpabilité, ils ont été acquittés sans être condamnés pour que quelques mois et années plus tard ils puissent revenir conspirer et revenir arracher la vie de patriotes vénézuéliens, cela mérite une profonde réflexion et une rectification de la part de nos dirigeants.
Je me souviens que chaque jour, entre 18 et 19 heures, la Mesa de la Unidad Democrática (coalition de l’opposition) tenait une conférence de presse qui se transformait en une chaîne nationale de l’opposition, puisque tous les médias privés de radio et de télévision relayaient avec obéissance et militantisme. Ils y informaient des victoires obtenues ce jour-là et annonçaient au compte-gouttes les plans du lendemain. Ce jour-là, le 10 avril, ils ont annoncé une mobilisation depuis l’est de Caracas jusqu’au siège de Petróleos de Venezuela à Chuao et que, selon eux, ils allaient s’y concentrer à la fin de la marche.
Ce 11 avril, très tôt le matin, nous sommes descendus dans la rue armés de caméras et de microphones, je me souviens des camarades Wilfredo Vázquez, Blanca Eekhout, Mónica Gil, Gabriela Fuentes, Iris et Gladys Castillo, Miguel et Richard López, Efrén Aguirre, Maite et Betzabeth Moreno, Gerson Maldonado, Ligia Luque, Erika Farias, Leafar Guevara, Sandra Cortez, parmi beaucoup d’autres camarades, nous étions à Catia TV. Le point de concentration était le palais présidentiel de Miraflores.
Nous avions tous peur de la bataille, le fait que nous quittions nos maisons et que nous ne savions pas à quelle heure nous allions revenir, ni même si nous allions revenir, parce que nous risquions le tout pour tout, sans même être ministres, conseillers, députés, sans être des fonctionnaires, il y avait chez nous un engagement moral, il y avait un engagement envers le pays, envers la révolution, envers la Constitution, envers le président Chávez, le leader qui a touché notre amour le plus profond pour la patrie.
Ce jour-là, le 11 avril, nous avons installé un point de concentration sur l’avenue Baralt, tout près du Puente Llaguno (situé à environ 200 mètres du palais de Miraflores), il s’agissait d’un petit auvent où les gens passaient et exprimaient leur opinion sur ce qui se passait dans le pays. Vers 11h30 du matin, une rumeur circulait selon laquelle l’opposition appelait à une marche depuis Chuao (quartiers chics) pour se rendre au palais Miraflores, nous savions que cela entraînerait une grande confrontation entre Vénézuéliens et que cette mêlée ferait de nombreux morts.
Beaucoup d’idées ont rapidement émergé chez les gens, entre autres que nous devions nous différencier de l’opposition en nouant un drapeau tricolore sur un de nos bras, les femmes ont sorti leur rouge à lèvres et nous ont dessiné des lignes rouges sur nos visages et il y a eu d’autres idées du genre. Tous ceux qui étaient là étaient préparés pour le combat, ce que nous n’avions jamais imaginé c’est que ces bandits avaient chirurgicalement placé des snipers sur les toits des hôtels et de certains bâtiments autour de Miraflores et de l’avenue Baralt, et ont commencé à tirer sur les gens. Ils ont commencé à assassiner des Vénézuéliens du côté de l’opposition et du côté des Chavistes, afin d’enflammer définitivement la haine des deux forces en présence.
L’image, apparue dans plusieurs documentaires au Venezuela et dans le monde entier, d’une personne montée sur le toit d’un immeuble de l’avenue Baralt, derrière le ministère des Finances, d’une personne courant d’un côté à l’autre et pointant du doigt, a été prise par une caméra de Catia TV. La vérité est qu’à 2 heures de l’après-midi, toutes les personnes présentes de Paguita à Marrón et de Puente Llaguno à Capitolio étaient en état de guerre.
La mission de la police métropolitaine avait pour objectif d’ouvrir la voie à feu et à sang parmi les Chavistes afin que l’opposition puisse atteindre le palais de Miraflores, n’a été exécutée qu’à moitié. Là, le peuple vénézuélien est devenu gigantesque et a stoïquement résisté aux assauts de la police métropolitaine, des snipers du ciel et des médias du monde entier qui ont tiré sans pitié, les premières balles assassines et les derniers mensonges et calomnies pour tenter de briser moralement un peuple qui refusait de se rendre.
De cet épisode cruel de notre histoire récente, je dis “ce fut une bataille importante, je crois qu’il faut écrire cet exploit du 11 avril 2002 comme une bataille de plus parmi celles dont on se souvient dans notre histoire patriotique, comme la bataille de Carabobo, la bataille d’Angostura, la bataille navale du Lac Maracaibo, des batailles qui nous ont permis de nous libérer du joug espagnol. Mais la bataille du 11 avril 2002 est l’une des grandes batailles modernes qui nous a libérés du joug gringo, la bataille de Caracas, c’est la bataille pour la Paix, parce que l’opposition venait assoiffé de sang, ils voulaient assassiner, tuer.
Nous avons également vu les visages des traîtres de très près, je me souviens des généraux Camacho Kairus, Belisario Landis et Pogioli qui sortaient du bâtiment de la vice-présidence, de ces 3 officiers, un seul était loyal, Belisario Landis, les deux autres se sont avérés être des traîtres et des vassaux des gringos.
Dans la rue, vers 16h, il y avait déjà une rumeur qui circulait que Venezolana de Televisión (la chaine gouvernementale) était assiégée à Los Ruices et que le soutien des forces chavistes était nécessaire pour empêcher que VTV soit retirée de l’antenne. Plusieurs camarades sont allés essayer d’empêcher ce qui était déjà un fait, VTV a cessé d’émettre au début de la nuit, celui qui était chargé d’envoyer la Garde nationale pour garder VTV était le général Kairuz (Alberto Camacho Kairuz avait affirmé que Chavez avait « abandonné ses fonctions »).
Ceux d’entre nous qui étaient dans les rues à cette époque avaient une vision totalement différente de ce qui était rapporté au pays, des camarades qui étaient à la maison nous racontaient par des textos ou des appels sur téléphone portable ce que les médias disaient, c’était l’inverse de ce que nous vivions, puisqu’il n’y avait pas de WhatsApp, il n’y avait pas de Telegram, pas d’appels vidéo.
Lorsque la nouvelle a commencé à se répandre que les chavistes massacraient l’opposition dans le centre de Caracas, nous n’avions pas compris d’où venait cette information puisque nous ramassions nos blessés et nos morts à l’Avenue Baralt, de Puente Llaguno et des environs du Palais Miraflores. Parce que n’importe quel de nos camarades tombait d’une balle dans la tête, dans la poitrine, dans l’épaule ou dans l’estomac sans savoir d’où venaient ces tirs, c’était vraiment quelque chose de trop confus, quelque chose d’inexplicable à ce moment-là. C’est ce que le camarade Ángel Palacios a très bien saisi dans son documentaire “Claves de una masacre”, car une chose c’est de le vivre ou d’y être, autre chose est de pouvoir s’asseoir et de regarder un matériel comme celui-ci, où étape par étape et minute par minute, le moment exact est reconstitué afin que vous puissiez vous placer parmi ces images et contraster la façon dont les médias ont monté le mensonge pour justifier le coup d’État.
Je me souviens qu’un membre de ma famille dans l’État de Táchira m’a appelé indigné pour me dire que les Chavistes tuent les opposants au gouvernement dans le centre de Caracas, je lui ai dit que j’étais sur place, à l’avenue Baralt et que c’était un mensonge, qu’au contraire, c’est eux qui tuent, ils nous tirent dessus avec des tireurs d’élite. Bien sûr il ne m’a pas cru, il m’a dit que non, que c’était nous parce qu’il regardait ça en direct à la télévision. Par évidence, c’était la partie fondamentale du plan, c’était leur boulot que de confondre la population vénézuélienne, de la faire penser d’une manière totalement différente et de la provoquer pour qu’elle nous juge immédiatement. De cette façon ils ont fait d’une pierre deux coups, ils ont justifié le coup d’état et ils ont éliminé la base chaviste, en nous accusant d’être des assassins.
La camarade Blanca Eekhout, lors d’une réunion que nous avons eue quelques jours auparavant à Catia TV, nous a dit : “Je sais que nous avons du sang dans les veines et que nous voulons défendre ce pays, même avec nos dents si nécessaire, bien sûr nous allons nous battre, mais pas avec nos mains, mais avec la vérité, n’oubliez pas que notre objectif principal est d’enregistrer audiovisuellement ce qui se passe, c’est ce qui nous permettra de dire au monde la réalité de ce qui se passe ici au Venezuela”. Des mots que je n’oublierai jamais parce qu’ils étaient totalement vrais, parce que nous ne pouvions pas abandonner la caméra, non, notre devoir était d’être là, de nous garder en sécurité pour vivre et de pouvoir garder très bien ces bandes où nous enregistrions la vérité de ce qui se passait dans le pays. À cette époque, j’ai compris qu’il était très important de maintenir Catia TV en vie, de l’empêcher de disparaître, même si nous devrions nous battre dans la clandestinité.
Vers 8 heures du soir, le camarade Elías Jaua est monté sur une estrade qui se trouvait dans le palais Miraflores et a dit à la foule qui était encore là que le président Chávez nous demandait de rentrer chez nous, s’il vous plaît, que cela avait été une journée de longue bataille et de longue attente, que nous devions rentrer chez nous, que la nuit tombait, qu’il était dangereux de rester dans les rues, qu’à ce moment-là il n’y avait pas de communication, Radio Nacional de Venezuela et Venezolana de Televisión étaient déjà hors antenne.
Nous avions des enregistrements des minutes cruciales de ce qui s’était passé, mais nous n’avions pas les moyens ou les réseaux pour envoyer ces informations. Nous avions été informés que le 5e étage de l’hôpital Lídice avait été investi par la police métropolitaine, nous n’avions pas les médias électroniques afin de pouvoir démasquer la vérité de ce qui se passait, de ce qu’ils nous faisaient en tant que peuple et nation, c’était terrible d’être au secret à ce moment-là depuis un média communautaire.
Après avoir écouté Elías Jaua et avec la rumeur qu’ils allaient bombarder le Palais si le Commandant ne se rendait pas, nous avons décidé d’aller à l’hôpital Lídice et de vérifier si la Police était toujours là, sinon, de commencer à démonter la station de télévision parce que nous savions que la répression la plus brutale allait arriver, nous avions en tête ce qui s’était passé au Chili en 1973.
Heureusement, nous avions gagné l’affection, le respect et l’amitié de nombreux travailleurs. À notre arrivée, une infirmière et un collègue concierge nous ont accompagnés au cinquième étage et nous ont informés que la police métropolitaine était venue nous chercher. Le concierge a cherché un autre collègue et ils nous ont aidés à sortir le serveur, un monteur, l’émetteur et d’autres choses essentielles pour mettre la station de télévision à l’antenne depuis un autre endroit sûr. Ces travailleurs de l’hôpital nous ont également conseillé de faire attention parce qu’ils allaient nous chercher et nous mettre en prison, “ils peuvent vous tuer, faites attention”, cette solidarité que nous avons ressentie cette nuit du 11 avril a été une force énorme, cer nous n’étions pas seuls. Les travailleurs de l’hôpital savaient que nous avions mis en place une station de télévision communautaire là-bas avec beaucoup d’efforts pour montrer même des choses de l’hôpital lui-même, de la communauté de Catia, qui est étroitement liée à l’hôpital de Lídice, ces travailleurs étaient solidaires avec nous, avec notre cause, ce souvenir est très agréable, je l’ai encore très présent aujourd’hui.
À l’aube, après une longue et angoissante nuit, le coup d’État était consommé. Le président Chavez ayant été arrêté et le gouvernement démobilisé, les médias ont assiégé les Chavistes et montré avec crudité la persécution et la détention arbitraire des dirigeants et camarades des mouvements sociaux. Nous, parmi les personnes en colère, frustrées, tristes et effrayées, sommes descendus dans la rue à midi. Je me souviens que juste au moment où Pedro Carmona se proclamait président dans le palais de Miraflores, nous marchions le long de l’Av. Urdaneta. Ils étaient sûrs d’avoir le contrôle total et absolu du pouvoir, quand nous sommes retournés dans le quartier et que nous avons trouvé les gens en colère qui nous demandaient ce que nous allions faire, qu’il fallait libérer Chávez, je me souviens que les messages ont commencé à arriver par textos appelant à un concert de casseroles ce 12 avril à 8 heures du soir. Je ne sais pas comment c’était dans d’autres endroits, mais entre La Pastora, Catia et 23 de Enero, c’était le bruit le plus assourdissant que nous ayons ressenti jusqu’alors. Pour moi c’était la clé, c’était le déclencheur qui nous a dit intuitivement que nous sommes nombreux et que nous sommes des putains de Chavistes !
Le 13 avril, nous nous sommes réveillés enhardis, nous avons commencé à communiquer et à sentir qu’il était possible de revenir. La première étape a été de sortir et de passer des coups de fil pour empêcher les pillages dans notre secteur, mais lorsque nous avons ressenti un fort soutien et une consternation pour ce qui s’était passé, nous avons décidé vers 14 heures d’aller à Miraflores pour voir ce qui se passait. Un colonel nommé Morao nous a dit que les gardes d’honneur soutenait Chavez et que nous devions amener les gens au palais pour qu’ils agissent et qu’ils nous soutiendraient. Wilfredo a filmé cela avec la caméra Hi8 qu’il portait sur lui.
Je me souviens que nous allions à Catia et juste sur l’avenue Sucre, à l’entrée de Manicomio, il y avait un type avec un camion qui vendait des bananes avec un haut-parleur, nous nous sommes approchés de lui et lui avons montré la vidéo de Miraflores où le colonel Morao nous dit d’emmener les gens au palais parce qu’ils ont soutenu Chavez, ce type s’est excité et a commencé à hurler dans son haut-parleur “Allons à Miraflores ! Nous devons sauver Chávez ! C’est un coup d’état ! Les militaires du palais soutiennent le comandante ! Allons tous à Miraflores ! Allons à Miraflores, mais mange d’abord ta tranche de banane ! Prends tes bananes, mange vite et va à Miraflores, madame, sauvons Chávez !”
C’était beau la conjonction des héros champions d’une reprise officielle impeccable où personne n’a été oublié et où chacun a fait sien le slogan “Sauvons Chavez” qui était la tâche à accomplir par tous. Je me souviens aussi que nous sommes allés à une agence de tiercé très connue à proximité parce que c’était un samedi et qu’il aurait plein de gens, ‑du délire‑, je viens de réaliser qu’au milieu d’un coup d’État il y avait des courses de chevaux et une foule qui jouait, et nous avons montré la même vidéo de Miraflores… Certains s’étaient excités, d’autres ont juste montré de l’intérêt mais personne n’a franchi le pas, ils ne nous ont pas arrêtés comme nous l’attendions.
Vers 19 heures, j’ai commencé à voir et à recevoir des salutations de nombreux joueurs de tiercé du Lídice, Manicomio. À la fin des courses des cheveaux, du 23 de enero et Propatria ils sont allés à Miraflores , c’est vraiment pittoresque et très drôle notre peuple et notre société, mais c’est de ça qu’est fait un pays. Nous avons continué à montrer la vidéo mais nous avons décidé de nous séparer, nous avons donc envoyé quelques amis à moto pour montrer l’enregistrement à des points stratégiques de la ville et d’autres sont allés chercher un camion et un amplificateur audio pour l’amener à Miraflores, il était vital d’avoir une scène et un son pour l’agitation.
A 16 heures nous étions déjà installés à Miraflores avec un camion comme scène et du son pour maintenir la foule en liesse, de ce “camion de la dignité” nous coordonnions tous les camarades, Marcos Ford, Oscar Acosta, Carlos Caña, Argenis Márquez, Wilfredo Vásquez, Oscar Negrin, Arévalo Gil. Un capitaine de la garde d’honneur nous a informés qu’il y avait une possibilité qu’il y ait encore des snipers qui pourraient attaquer le rassemblement. Nous avons décidé de prendre le risque et nous sommes restés dans une vraie et réelle union civique-militaire. La moitié du monde est passée par ce camion pour parler à la foule, des ministres, des députés, des maires, des artistes, des conseillers, des vice-ministres, des généraux,des soldats, des évangéliques, des prêtres, des ivrognes, des cercles bolivariens, des chauffeurs, des commerçants, des femmes, des étudiants, des coopératives, parmi beaucoup d’autres, il y avait des gens qui venaient à pied de Guarenas, Guatire La Guaira, il y avait des gens pieds nus, des affamés, des gens humbles, de la classe moyenne, etc. Tout un peuple qui a ressenti le goût d’une victoire éclatante contre le plus puissant de la moitié du monde qui avait osé s’en prendre au peuple de Bolivar.
Ce jour-là, parmi toutes les choses que j’ai dites, il y en a deux que je n’oublierai jamais : quand j’ai lu le fax qu’on m’avait envoyé avec la lettre écrite de la main du commandant Chavez disant qu’il n’avait pas démissionné et quand j’ai signalé que le signal de VTV était de nouveau sur les ondes, c’était vraiment une joie sublime, je me suis senti comme un vrai héros de ma patrie. Je me souviens également que le président actuel, Nicolas Maduro, qui était à l’époque membre du Congrès, est arrivé avec Cilia Flores, également membre du Congrès, et qu’ils ont parlé à la foule depuis ce camion. Il y avait des milliers de papiers de nombreuses personnes qui voulaient dire au monde et faire savoir à tout le monde que leurs secteurs, quartiers, paroisses, municipalités, groupes, mouvements, etc. étaient là pour soutenir la Révolution et Chávez.
Après minuit, lorsque les hélicoptères sont arrivés avec le Comandante Hugo Chávez, l’euphorie et la joie ont envahi le palais et ses environs. Larmes, rires, soupirs, bénédictions, une accumulation d’émotions de victoire populaire. Et après le discours, lorsque le commandant est sorti au balcon de Miraflores pour saluer, le peuple a spontanément crié le slogan le ad hoc : “Preparen el café que Chávez no se fue” (“Préparez le café, Chávez n’est pas parti”).
Ainsi s’est terminée cette semaine où il y a eu 3 présidents, un coup d’État qui n’a duré que 47 heures, beaucoup de morts et un peuple qui, dans l’union civique-militaire, a vaincu toutes les oligarchies de ce continent et au-delà, a vaincu les gringos qui, par essence, étaient les commanditaires du coup d’État, a vaincu une direction militaire antipatriotique et servile aux intérêts étrangers, elle a vaincu toutes les canailles des médias nationaux et internationaux qui ont été vaincus aux pieds du bouche à oreille et du glorieux peuple vénézuélien et enfin elle a vaincu le capitalisme mondial qui a parié sur un coup d’état pour essayer de continuer à piller les richesses d’un pays plein de héros et de libérateurs.