Bonjour,
J’ai appris que votre compagnie offrait sur ses vols des pâtisseries « vanilla halva » produites par la firme israélienne Achva, dans une usine établie dans une colonie, localisée en territoire palestinien occupé, dans la zone industrielle de Barkan (voy. les informations données à ce sujet par l’ONG israélienne « Whoprofits ».
Les colonies israéliennes sont installées en violation du droit international (4e Convention de Genève, article 49 – voir l’avis de la Cour internationale de justice relative à la construction du Mur, 9 juillet 2004) et le développement d’activités économiques dans ces colonies s’inscrit directement dans le maintien de cette situation illégale et se font au détriment des possibilités de développement de l’économie palestinienne, comme le constatent de nombreux rapports internationaux. C’est ce que constatait très clairement
Informée de ce fait, votre compagnie avait fort justement décidé de cesser de distribuer ce produit, afin de ne pas contribuer à la promotion d’une activité économique illégale. Toutefois, cédant à la pression du gouvernement israélien, vous êtes revenu sur cette décision, l’estimant même fautive et contrevenant à une politique de neutralité. Or, c’est au contraire l’offre et la poursuite de l’offre de ces produits en provenance des colonies israéliennes qui enfreignent à la fois des normes juridiques, éthiques et de neutralité.
1. Les colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international : hormis par Israël, ce point n’est contesté par aucun Etat. Il est établi par de nombreuses résolution des Nations Unies, émanant tant du Conseil de sécurité que de l’Assemblée générale. Dans sa résolution 465 (1980), le Conseil a qualifié « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les territoires occupés » de « violation flagrante » du droit international. C’est la position officielle constante de l’Union européenne et de ses Etat membres, y compris la Belgique. Dans son avis du 9 juillet 2004 concernant le Mur, la Cour internationale de Justice a encore confirmé le fait que « que les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international ». En particulier, l’installation des colonies viole l’article 49 § 6 de la 4e Convention de Genève. Ce fait est également constitutif de crime de guerre au regard du Statut de la Cour pénale internationale.
2. Il est dument établi que la société Halva est installée dans une colonie israélienne. Cette société s’est installée dans une colonie dans le cadre d’une politique d’incitation du gouvernement israélien, qui offre des conditions préférentielles sur le plan fiscal et financier aux sociétés s’implantant en Territoire palestinien occupé. Il n’est pas contestable que le commerce et les activités économiques menées par les colonies sont un élément qui renforce et pérennise la colonisation du Territoire palestinien, et que cette colonisation constitue le principal obstacle à la paix et au développement économique des Palestiniens. Le choix de s’associer à Halva, loin d’être un choix neutre, vient donc apporter une certaine caution à l’un des aspects les plus contestables de la politique israélienne. Dans une résolution adoptée en mars 2016 (avec l’appui de tous les Etats de l’UE), le Conseil des droits de l’homme de l’ONU se déclarait « préoccupé par les activités économiques qui permettent l’extension et la consolidation des colonies, et conscient que les conditions de culture et de production des produits provenant des colonies impliquent la violation des normes juridiques applicables, notamment l’exploitation des ressources naturelles du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et demandant à tous les États de respecter leurs obligations légales à cet égard ».
3. Il ne vous est aucunement demandé de « boycotter » un produit et encore moins Israël, mais de vous conformer à certaines obligations de droit international et normes éthiques. Il vous incombe donc de vous abstenir de promouvoir un produit spécifique, dont les conditions de production renvoient à une politique de colonisation illégale. En décidant délibérément et en pleine connaissance de cause de continuer à proposer des produits en provenance des colonies, vous faites un choix politique, en faveur de la « normalisation » de la colonisation et du développement économique des colonies illégales. Les entreprises commerciales doivent veiller à ce que leur politique prenne pleinement en compte leur impact sur le respect des droits de l’homme, même à l’étranger. Les Nations Unies ont récemment adopté des « principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » (2011) qui soulignent la responsabilité des entreprises dans le respect de ceux-ci, ce qui implique notamment d’éviter « d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités » (http://www.business-humanrights.org/UNGuidingPrinciplesP…/fr). A cet égard, le Conseil des droits de l’homme, dans sa résolution précitée rappelait « les risques d’ordre financier et juridique et en matière d’image, y compris la possibilité que soit engagée la responsabilité des personnes morales impliquées dans des violations flagrantes des droits de l’homme et des atteintes aux droits de la personne, qu’implique le fait d’être associés à des activités de colonisation, y compris par le biais de transactions financières, d’investissements, d’achats, de marchés publics, de prêts et par la prestation de services, et d’autres activités économiques et financières dans les colonies de peuplement israéliennes, ou au bénéfice de celles-ci ». Le Conseil souligne encore que les entreprises doivent prendre les mesures nécessaires pour « éviter l’impact néfaste de [s]es activités sur les droits de l’homme et d’éviter de contribuer à l’implantation ou au maintien de colonies israéliennes ou à l’exploitation des ressources naturelles du territoire palestinien occupé ».
4. Dans votre communication, vous indiquez que le produit était correctement étiqueté. Les informations données à cet égard ne sont guère précises. L’étiquetage est-il bien conforme aux exigences de la législation européenne qui recommande l’indication « Produit de Cisjordanie (colonie israélienne) » ? Les passagers sont-ils dument informés de cette provenance particulière ? Et en toute hypothèse, l’offre d’un produit dont les conditions de production sont illégales et qui contribuent à une situation contraire au droit international est en elle-même problématique tant au regard des normes juridiques que des considérations éthiques.
La décision de continuer à promouvoir les produits Halva est donc extrêmement préoccupante, tant du point de vue juridique que de celui de l’image de Brussels Airlines, qui risque d’apparaître comme une entreprise indifférente aux droits de l’homme et comme un soutien de la politique de colonisation du gouvernement israélien.
Très cordialement
François Dubuisson
Professeur de droit international ULB
Source de l’article : ABP