Deux ans après la signature des accords de paix, entre le gouvernement et la guérilla FARC-EP, 600 prisonniers politiques amnistiés sont toujours enfermés dans les prisons colombiennes et plus de 80 ex-guérilleros ont été assassinés.
Depuis maintenant presque 3 mois, la Colombie renoue avec la droite ultra-conservatrice. Elu à une courte majorité et n’ayant pas su rassembler toute la droite derrière lui de manière unanime malgré un programme clair, le nouveau président Iván Duque Márquez a eu du mal à créer une majorité parlementaire. Face à lui, une coalition progressiste qui a réuni presque 9 millions de voix, récoltant le fruit des accords de paix signés entre l’Etat colombien et l’ex-guérilla FARC-EP.
Même s’il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur les lignes directrices du nouveau gouvernement, deux constatations peuvent déjà être faites. Tout d’abord la Colombie reste un fer de lance des Etats-Unis dans la région. En attestent son appartenance à l’OTAN et son entrée à l’OCDE. La Colombie a été le premier pays à dénoncer le gouvernement vénézuélien de Maduro pour crime contre l’humanité auprès de la Cour Pénal Internationale et s’est dite prête à participer à une intervention militaire au Venezuela. Parallèlement, la Colombie s’est retirée de l’Union des Nations Sud-Américaines, UNASUR, créée en 2008 à l’initiative de l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez, pour renforcer l’Organisation des États Américains, l’OEA.
Ensuite, le nouveau gouvernement colombien, tout comme son prédécesseur, n’avait qu’un objectif avec ces accords de paix : la démobilisation de la guérilla des FARC-EP. Mais pas seulement. Il s’agit aussi de détruire l’idéal politique associé à la guérilla. Si on peut regretter la naïveté des dirigeants des FARC-EP à rendre les armes quelques temps à peine après la signature des accords sans que le gouvernement n’ait montré aucun signe de bonne volonté dans leur exécution, force est de constater que ce n’était pas suffisant. L’Etat colombien a sorti tout l’arsenal de combat pour faire disparaitre les FARC.
Deux ans après la signature des accords, 600 prisonniers politiques amnistiés sont toujours enfermés dans les prisons colombiennes et plus de 80 ex-guérilleros ont été assassinés. Le nouveau parti FARC assiste à sa division. Le principal auteur des accords, Jesús Santrich est en cellule d’isolement, menacé d’extradition aux Etats-Unis, suite à un montage juridique grotesque. La juridiction spéciale pour la paix, la JEP, créée pour rendre possible la paix, rencontre chaque jour un nouvel obstacle dans l’exécution de ses tâches. M. Martinez, procureur général de la nation, n’a de cesse de tout mettre en œuvre pour empêcher que cette cour fasse son travail. Après avoir mis sous tutelle plusieurs fonctionnaires accusés de partialité, M. Martinez, a ordonné la confiscation des documents confidentiels de la JEP et a organisé une perquisition de ses bureaux. Nouvel entrave à son fonctionnement, le manque de ressources financières. Des 372 milles millions de pesos nécessaires au bon fonctionnement de la cour en 2019, seuls 280 milles millions ont été budgétisés par le nouveau gouvernement. Ivan Marquez, chef des négociateurs des FARC-EP à la Havane, n’est pas loin d’être le prochain dans le viseur de M. Martinez. Craignant pour sa sécurité, Ivan Marquez doit se cacher. Dans sa lettre à la commission du Sénat pour la paix, il dénonce la « trahison de la paix ».
Le choix du gouvernement est donc celui de la guerre, sous toutes ses coutures. Alors qu’on s’attendait à ce que la fin du conflit armé conduise à une diminution du budget de l’Etat alloué à la défense, celui-ci se maintient à 13 % du budget total avec un investissement à hauteur de 33 % de l’investissement total de l’Etat. Cet argent ne participera pas à la construction de la justice sociale, seule garante de la construction de la paix. De la réforme rurale intégrale qui devait s’articuler avec les programmes de substitution volontaire, rien ne s’est encore vu dans les campagnes colombiennes, sinon les assassinats de leaders sociaux, impunis pour 75 %. Au contraire même, la culture de la coca a plus que doublé cette année. Les fumigations au glyphosate et les bombardements ont repris dans plusieurs régions et les déplacements forcés touchent près des dizaines de milliers de familles.
Le manque de sécurité et de garantie a contribué à créer des tensions et des divisions au sein du parti FARC. Ivan Marquez n’est pas le seul à prendre une distance certaine face au secteur dominant du parti (son groupe parlementaire). Une dizaine de cadres dirigeants n’ont pas pris part à la dernière réunion de la direction nationale, en guise de protestation. Deux dirigeants historiques de l’organisation, anciens membres du secrétariat de l’Etat-major de l’ex-guérilla FARC-EP, Joaquin Gomez et Bertulfo Alvarez, s’en sont expliqués dans une lettre accusant certains dirigeants du parti FARC de « défendre l’ordre bourgeois », de faire des accords avec ces mêmes multinationales qui étaient ennemies auparavant, finalement de se détourner du programme historique des FARC-EP.
Face à cette nouvelle guerre contre toute forme d’insurgence, la guérilla historique, vieille de plus de 70 ans d’expérience, est désarmée. Mais il restait à s’assurer que personne ne reprenne le flambeau parmi les mécontents. C’est à ça qu’œuvre entre autre le gouvernement de Iván Duque. Parce que si certains ont choisi la voix du congrès dans un pays ayant toujours montré sa nature ultra-violente, d’autres en ont choisi une autre…
Jasmine Petry, présidente de l’association ARLAC
Carlos Lozada, sénateur du parti FARC, octobre 2018, le 02/10/2018, El Tiempo : “Mal haría yo en salir a decir que no hay condiciones ni garantías y estar sentado en la sala de prensa del Senado dirigiéndome en una rueda de prensa, eso sería contradecirme” (Difficile de dire qu’il n’y a pas de garanties et être assis ici)