Constitution islandaise : une révolution pour les Islandais ?

La révision constitutionnelle entamée sur l’île aux volcans a-t-elle été à la hauteur des superlatifs employés pour la qualifier ?

par Eric Eymard, Le 28 octobre 2011

Source blog : vivre en Islande

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Indé­pen­dance et sou­ve­rai­ne­té natio­nale, mora­li­té et inté­gri­té poli­tique, res­pect des droits de l’homme, pré­ser­va­tion des res­sources natu­relles, paix et coopé­ra­tion inter­na­tio­nale… Il y a quelques semaines, abor­dant les grands enjeux natio­naux, le conseil consti­tu­tion­nel (Stjórn­la­garáð) a remis ses 9 cha­pitres de recom­man­da­tions au Par­le­ment (Althing). Celui-ci devrait les exa­mi­ner dans le cou­rant du mois. Pro­ba­ble­ment sou­mis à un réfé­ren­dum popu­laire (c’est en tout cas le sou­hait des membres de la com­mis­sion), les 114 articles rédi­gés rem­pla­ce­ront peut-être les 79 articles de l’actuelle Consti­tu­tion, octroyée par le Dane­mark en 1874 et très légè­re­ment modi­fiée lors de l’indépendance de l’île en 1944. 

Les pre­mières consul­ta­tions publiques orga­ni­sées par le gou­ver­ne­ment de Jóhan­na Sigurðardót­tir prennent place en 2009, sous l’impulsion de col­lec­tifs popu­laires indé­pen­dants du pou­voir qui sou­haitent créer les condi­tions d’une socié­té plus juste et plus probe. Les moda­li­tés de dési­gna­tion des can­di­dats à l’Assemblée Consti­tuante issues de ces pre­mières tables rondes démarrent quant à elles l’année der­nière. Contrai­re­ment à ce qui a été sou­vent écrit, cette révi­sion consti­tu­tion­nelle était pré­vue de fort longue date. Et si la crise finan­cière de 2008 a bel et bien accé­lé­ré sa mise en place, son ori­gine est moins direc­te­ment le fait de « la rue », d’un ras-le-bol géné­ra­li­sé ou d’une quel­conque « révo­lu­tion des cas­se­roles », que la consé­quence d’une exi­gence poli­tique ; celle d’un par­ti d’opposition (le Par­ti du Pro­grès) qui avait condi­tion­né son sou­tien à la coa­li­tion Gauche-Verts de 2009 à ce chan­ge­ment de constitution.

Les 25 membres de l’Assemblée sont élus en novembre 2010. En rai­son du très court laps de temps concé­dé aux can­di­dats (3 semaines) pour faire cam­pagne, le démar­rage est timide. Mais la fer­veur popu­laire ne va-t-elle pas bien­tôt se mani­fes­ter lorsqu’il s’agira de suivre l’avancement des tra­vaux de l’assemblée sur la Toile ? De nom­breux médias n’ont-ils pas évo­qué une démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive exploi­tant le net plus ultra de la moder­ni­té vir­tuelle pour favo­ri­ser l’expression popu­laire ? Les ser­veurs infor­ma­tiques des Face­book, Twit­ter, You­tube et autre Fli­ckr par­vien­dront-ils à accueillir les vagues inces­santes de com­men­taires et de pro­po­si­tions que ne vont pas man­quer d’adresser des dizaines de mil­liers d’islandais enthou­siastes atten­dant fébri­le­ment que les 25 « sages » exploitent leurs sou­haits de chan­ger leur île, avant peut-être de révo­lu­tion­ner le monde ?

_ « Un pro­ces­sus inédit qui pour­rait pré­fi­gu­rer la démo­cra­tie de demain »

(Télé­ra­ma — 23/06/11)

« 25 citoyens ordi­naires élus pour rédi­ger une nou­velle constitution »

(cyberpresse.ca — 30/11/10)

« L’Is­lande fait sa révo­lu­tion : élec­tion d’une consti­tuante. Scoop ! »

(politique-actu.com)

« Révo­lu­tion citoyenne en Islande »

(LePoint.fr — 4/10/11)

Un « évé­ne­ment peut-être plus consi­dé­rable que la nuit du 4 août 1789 »
(parisseveille.info / décembre 2010)

Et en effet, depuis plu­sieurs mois, de nom­breux médias rendent compte de ce pro­jet de nou­velle consti­tu­tion sous l’angle de l’événement pla­né­taire, voire inter-stel­laire, après un silence pro­lon­gé (voire défi­ni­tif pour cer­tains : le Figa­ro) qu’une blo­go­sphère enga­gée a ver­te­ment dénoncée.

Le fait est qu’en théo­rie, la mise en place d’une Assem­blée consti­tuante (1) appa­raît comme une solu­tion apte à redon­ner au peuple un pou­voir démo­cra­tique dont s’est empa­ré l’exécutif. La démo­cra­tie « doit per­mettre l’ex­pres­sion des enjeux poli­tiques et sociaux fon­da­men­taux » écri­vait André Bel­lon au sujet de la France dans Le Monde du 5 juillet der­nier. Pour l’ex-président de la Com­mis­sion des Affaires Étran­gères de notre Assem­blée Natio­nale « l’é­lec­tion d’une Assem­blée consti­tuante » serait une « solu­tion paci­fique » sus­cep­tible de com­bler « le déca­lage entre élec­teurs et élus (…) deve­nu une source grave de ten­sions » dans l’hexagone et offri­rait l’opportunité d’en « finir (…) avec des ins­ti­tu­tions de plus en plus hors-sol et (de) refon­der la vie poli­tique sur les enjeux de fond qui pré­oc­cupent les Fran­çais ».

Dans un mail que j’ai reçu début août, l’un des membres élus du Conseil consti­tu­tion­nel islan­dais se féli­cite lui aus­si des résul­tats obte­nus grâce au dis­po­si­tif mis en place.


« Nous avons obte­nu un consen­sus et approu­vé le pro­jet consti­tu­tion­nel à l’unanimité. Un exploit rare quelles que soient les cir­cons­tances, oui, mais par­ti­cu­liè­re­ment en rai­son de la nature des réformes consti­tu­tion­nelles que nous pro­po­sons et qui sont radi­cales à de nom­breux égards » écrit Thor­val­dur Gyl­fa­son, dans un mes­sage adres­sé spon­ta­né­ment à une ving­taine de jour­na­listes. « Notre pro­jet met l’accent sur la néces­si­té de trou­ver des moyens de contrôle et d’équilibre entre les trois branches de notre sys­tème de gou­ver­ne­ment, mais aus­si entre les concepts de pou­voir et de res­pon­sa­bi­li­té. Il insiste sur les notions de trans­pa­rence, d’équité, de pro­tec­tion de l’environnement et d’exploitation effi­cace et équi­table de nos res­sources natu­relles. Il vise à éra­di­quer la cor­rup­tion et le secret (etc) ».

Tout porte donc à pen­ser qu’un tel sys­tème, parce qu’il ten­drait à s’inscrire dans un pro­ces­sus démo­cra­tique qui pri­vi­lé­gie le « gou­ver­ne­ment du peuple, par le peuple, pour le peuple », pour­rait modi­fier cet art de gou­ver­ner qui, selon Vol­taire, consis­tait « à prendre le plus d’argent pos­sible à une caté­go­rie de citoyens afin de l’offrir à une autre ».

Le pro­ces­sus mis en place en Islande et les résul­tats obte­nus ont-ils été conformes à ce que nous a décrit un grand nombre de médias inter­na­tio­naux et à la hau­teur des enjeux évoqués ? 

Une par­ti­ci­pa­tion infé­rieure à 36%.

Moins de quatre Islan­dais sur 10 se sont dépla­cés pour élire les repré­sen­tants de l’Assemblée Consti­tuante. Jamais l’implication autoch­tone n’avait été aus­si basse lors des scru­tins pas­sés, qui enre­gistrent en moyenne une par­ti­ci­pa­tion de 90%. Peut-on rai­son­na­ble­ment assi­mi­ler ce dés­in­té­rêt fac­tuel à une « réin­ven­tion de la démo­cra­tie » (2) ? Et com­ment expli­quer un tel tapage média­tique pour une élec­tion qui a mobi­li­sé l’équivalent de la popu­la­tion d’une ville de la taille d’Aulnay-sous-bois ?

« Mais enfin ! Il s’agit d’une e‑révolution par­ti­ci­pa­tive ; c’est la démo­cra­tie de demain nom d’une source d’eau chaude ! » hur­le­ront peut-être quelques anti-capi­ta­listes exta­tiques les­tés du dis­cer­ne­ment d’un trou­peau de mou­tons confon­dant les retom­bées cen­drées d’Ey­jaf­jal­la­jö­kull avec l’impressionnante brume autom­nale des Fjords de l’Est.

Pour Ragn­hil­dur Hel­gadót­tir, une si faible par­ti­ci­pa­tion « pose des pro­blèmes éthiques ». Cette pro­fes­seur de Droit de l’Université de Reyk­ja­vik ajoute que la déci­sion du Par­le­ment de pas­ser outre l’annulation de l’élection par la Cour Suprême en jan­vier der­nier n’était pas non plus « idéale » ; qu’il y ait eu ou non matière à polé­mi­quer à pro­pos des rai­sons invo­quées par les neuf juges. « Ces indi­vi­dus ont été choi­sis par Althin­gi » et non par le peuple ; pour cette rai­son, le scru­tin n’était pas démo­cra­tique explique l’enseignante, qui assume son formalisme. 

D’autres, en France, ont publié au sujet de cette annu­la­tion une ana­lyse dif­fé­rente : « ces tenants de l’ordre éta­bli avaient pré­tex­té de cer­taines irré­gu­la­ri­tés dans le pro­ces­sus élec­to­ral, comme la hau­teur de la cloi­son en car­ton qui sépa­rait chaque iso­loir, comme le fait que le bul­le­tin ne pou­vait être plié en deux, autant de détails qui ne pou­vaient pas influer sur le résul­tat du scru­tin. Il s’a­git donc bien d’une ten­ta­tive de désta­bi­li­sa­tion du pro­ces­sus consti­tuant venant des ins­ti­tu­tions objet des réformes » a‑t-on pu lire sur le site du Par­ti de Gauche le 27 jan­vier der­nier. La rigueur de la démons­tra­tion laisse pantois.

3600 com­men­taires et 370 sug­ges­tions.

En l’espace d’environ 3 mois et tous réseaux confon­dus. Voi­là la tra­duc­tion chif­frée de cette effer­ves­cence consti­tu­tion­nelle qui nous a été dépeinte. Rame­nés à la popu­la­tion de l’île (318.000), ces 3600 com­men­taires témoignent d’un « réel engoue­ment » qui a lar­ge­ment dépas­sé… 1,1% ! Quant aux 370 pro­po­si­tions qui rendent compte de la par­ti­ci­pa­tion active des islan­dais, elle repré­sente plus de… 0,1%. Ne convien­drait-il pas d’évoquer une « révo­lu­tion par­ti­ci­pa­tive en per­di­tion », comme le titrait Rue89 en février dernier ? 

Les islan­dais se sont mon­trés bien plus indif­fé­rents à ce scru­tin que ce que plu­sieurs médias ont vou­lu nous faire croire. Soit. Les 25 élus étaient-ils au moins les dignes repré­sen­tants du peuple ? Pos­tiers, maçons, fer­miers, chô­meurs, cui­si­niers, ven­deurs… Ces « citoyens ordi­naires » ont-il été au moins conviés au grand ban­quet du pou­voir afin de peau­fi­ner un nou­veau menu ten­dant vers une socié­té plus appétissante ? 

La plu­part des 25 membres du Stjórn­la­garáð sont des lea­ders d’opinion.

Avo­cats, jour­na­listes, pro­fes­seurs et uni­ver­si­taires, diri­geants d’entreprise… l’assemblée élue compte une très grande majo­ri­té de per­son­na­li­tés dont la noto­rié­té et les res­pon­sa­bi­li­tés publiques pré­sentes ou pas­sées sont avé­rées. Peut-on dès lors consi­dé­rer ce comi­té comme repré­sen­ta­tif de la popu­la­tion de l’île ? Et l’Islandais moyen n’étant pas né de la der­nière érup­tion vol­ca­nique, fal­lait-il s’attendre à un plus grand inté­rêt de sa part en lui ser­vant une assem­blée aus­si sélective ?

Can­di­dat ayant rem­por­té le plus grand nombre de suf­frages lors de l’élection, Thor­val­dur Gyl­fa­son a par exemple un par­cours riche d’expériences hété­ro­clites. Eco­no­miste au FMI, consul­tant pour la Banque cen­trale d’Islande (et même pres­sen­ti un temps pour la diri­ger), membre ou patron d’un cer­tain nombre d’organisations et d’entreprises diverses et variées (par­mi les­quelles un fonds d’investissement au début des années 90), par­ti­san d’un prompt rem­bour­se­ment de la dette Ice­save (3), contrai­re­ment à ce qu’une majo­ri­té d’Islandais a sou­hai­tée lors de 2 réfé­ren­dums, on peine à ran­ger ce frère d’un ancien ministre et fils d’un autre, dans le camps des « simples citoyens ».

Quelques rapides recherches rendent compte de l’implication poli­tique, entre­pre­na­riale ou média­tique pas­sée de la grande majo­ri­té des autres membres, pré­sen­tés dans les médias comme de modestes étu­diants, de simples pro­fes­seurs, de dis­crets repré­sen­tants de l’église, etc. 

Le « mathé­ma­ti­cien » Thor­kell Hel­ga­son a ain­si occu­pé plu­sieurs fonc­tions dans dif­fé­rents minis­tères ; l’autre « mathé­ma­ti­cien » Pawel Bar­tos­zek a été un chro­ni­queur régu­lier pour Frét­ta­blaðið, can­di­dat mal­heu­reux aux élec­tions muni­ci­pales de 2010 pour le Par­ti de l’Indépendance (for­ma­tion conser­va­trice au pou­voir pen­dant près d’un demi-siècle) et il est aujourd’hui membre sup­pléant du Conseil pour les trans­ports et l’environnement de la ville de Reyk­ja­vik ; le « méde­cin » Katrín Fjeld­sted s’est dépen­sée sans comp­ter pour de nom­breuses ins­ti­tu­tions (au conseil muni­ci­pal de la capi­tale Islan­daise, comme patronne du Comi­té Per­ma­nent des Méde­cins Euro­péens, au Par­le­ment Islan­dais, aux Affaires étran­gères…); etc.

Mais la mise en scène d’une e‑démocratie conduite par les notables et les élites de la nation aurait-elle eu un écho com­pa­rable ? Autant parier sur la légi­ti­mi­té d’une Révo­lu­tion Fran­çaise orches­trée par Louis XVI et ses ministres.

« Com­pa­rée à ceux qui étaient connus du grand public en rai­son de leurs acti­vi­tés, la majo­ri­té des can­di­dats à l’é­lec­tion était des néo­phytes tota­le­ment incon­nus » confirme Guð­mun­dur Guð­laug­sson qui s’é­tait lui aus­si pré­sen­té. « En rai­son du court laps de temps qui leur a été lais­sé pour faire cam­pagne, ils n’a­vaient aucune chance de faire connaître leur pro­gramme » ajoute cet ancien Maire.

Autant dire que toutes les condi­tions n’étaient pas réunies pour favo­ri­ser ce « pro­ces­sus popu­laire de refon­da­tion répu­bli­caine » décrit par les plus optimistes. 

Dépense dis­pen­dieuse et inutile pour cer­tains au regard de la situa­tion éco­no­mique du pays, manque de confiance pour d’autres (quant aux béné­fices tan­gibles de la révi­sion, dans la réelle volon­té des par­le­men­taires de chan­ger le « sys­tème »)… De nom­breuses hypo­thèses ont été émises pour expli­quer cette désaf­fec­tion mas­sive. Les plus cré­dibles tiennent sans doute à plu­sieurs para­mètres, qui, cor­ré­lés, auront frei­né l’émergence des « can­di­dat-citoyens » et émous­sé l’implication des islan­dais : plus de 520 pré­ten­dants en lice ; une média­ti­sa­tion des pos­tu­lants réduite à peau de cha­grin et dont se sont plaints cer­tains can­di­dats ; un sys­tème de scru­tin certes équi­table mais com­plexe et inédit en Islande (4) ; trois semaines pour per­mettre aux élec­teurs de faire leur choix avant de voter ; et ultime rai­son non moins impor­tante : le lob­bying effi­cace de ceux qui n’a­vaient pas vrai­ment inté­rêt à voir cer­tains chan­ge­ments être mis en place.

La volon­té poli­tique existait-elle ?

Y‑a-t-il eu une véri­table inten­tion d’impliquer « l’islandais moyen » dans une modi­fi­ca­tion struc­tu­relle de l’Etat enga­geant dura­ble­ment l’avenir du pays ? Les ins­tances diri­geantes de l’Islande pou­vaient-elles tota­le­ment se désen­ga­ger de cette révi­sion de la consti­tu­tion dans une période de grave crise éco­no­mique et sociale et dans un contexte de forte défiance des pou­voirs poli­tique, média­tique et finan­cier ? Pou­vaient-elles dans le même temps confier sem­blable mis­sion à des citoyens pas­sa­ble­ment et à juste titre mécon­tents, n’étant pas des spé­cia­listes des rouages et du fonc­tion­ne­ment juri­diques de leurs ins­ti­tu­tions et pré­su­més capables de confondre enjeux natio­naux et desi­de­ra­ta per­son­nels (cer­tains ont entre autre sug­gé­ré la gra­tui­té de la bière !) ?

Réelle volon­té ou non, les moda­li­tés pra­tiques de mise en place du dis­po­si­tif consti­tuant paraissent aujourd’hui d’autant plus dis­cu­tables que les résul­tats obte­nus ont tran­ché sin­gu­liè­re­ment avec les objec­tifs fixés et les super­la­tifs employés pour qua­li­fier cette pré­ten­due « e‑révolution ».

De là à sup­po­ser que tout aurait été fait pour que l’émergence du citoyen-can­di­dat lamb­da soit sinon impos­sible en tout cas aus­si peu effi­ciente que pos­sible… De là à pen­ser que ce tar­dif mais impres­sion­nant relais média­tique soit le fruit juteux d’une stra­té­gie de rela­tion publique mûrie en hauts lieux… De là à ima­gi­ner que cer­tains auraient pu vou­loir faire capo­ter cette révi­sion consti­tu­tion­nelle… Il y a un pré­ci­pice de quelques cen­ti­mètres que Ser­gueï Bub­ka fran­chi­rait sans sa perche.

Le Par­ti de l’Indépendance, enne­mi dési­gné de la révision.

Les avis selon les­quels le Par­ti de l’Indépendance (Sjálf­stæðis­flok­kur) se serait effor­cé de décré­di­bi­li­ser ce scru­tin ne relève pour­tant pas que d’un mau­vais scé­na­rio de poli­tique-fic­tion. Bien au contraire. « Le Sjálf­stæðis­flok­kur a fait tout son pos­sible pour dis­cré­di­ter l’é­lec­tion et empê­cher les débats » explique Ólöf Pétursdót­tir. « Les gens qui ont été choi­sis sont à prio­ri fiables mais on leur met, ain­si qu’au gou­ver­ne­ment de Sainte Johan­na, des bâtons dans les roues — il faut abso­lu­ment créer un pré­cé­dent — fon­der une nou­velle consti­tu­tion » pour­suit cette tra­duc­trice Islan­daise ins­tal­lée en Bretagne.

Une opi­nion par­ta­gée par d’autres per­sonnes inter­ro­gées, qui jugent que l’essentiel était d’avoir des gens com­pé­tents au sein du Comi­té de façon à maxi­mi­ser les chances d’un chan­ge­ment effec­tif, rapide et pro­fond de la socié­té. « Le conte­nu (de la Consti­tu­tion) on pour­ra le révi­ser plus tard » conclue Ólöf en souriant. 

Pour Kjar­tan Jóns­son, can­di­dat à l’élection de l’Assemblée Consti­tuante en novembre 2010, les membres du Par­ti de l’Indépendance « ont pris l’habitude d’être au pou­voir et entendent, à l’instar de l’ancien Pre­mier Ministre David Odd­sson (5), s’opposer à tout ce qui est pro­po­sé ou mis en place par l’actuel gou­ver­ne­ment de gauche ». Pour ce pro­fes­seur d’Islandais, les hommes et les femmes de cette for­ma­tion « ont des liens étroits avec ceux ayant des inté­rêts impor­tants à pré­ser­ver, comme les pro­prié­taires des quo­tas de pêche » (6). A l’opposé, « des hommes comme Gyl­fa­son (membre élu de l’Assemblée NDLR) ont cri­ti­qué durant des années les pro­ces­sus qui ont conduit à la crise finan­cière ain­si que l’organisation et la répar­ti­tion du pou­voir en Islande ; ils ont su aus­si abor­der les chan­ge­ments que beau­coup vou­laient voir mis en place » note Kjartan. 

Le sys­tème élec­to­ral choi­si avait indé­nia­ble­ment des failles impor­tantes que les adeptes des e‑démocraties nova­trices et autres scru­tins par­ti­ci­pa­tifs révo­lu­tion­naires ont mal­en­con­treu­se­ment occul­tés. Et contrai­re­ment à ce que les mêmes ont affir­mé, le « citoyen ordi­naire » n’a pas été au coeur du pro­ces­sus déve­lop­pé ; les membres dési­gnés font bel et bien par­tie des élites de la nation Islan­daise. En revanche, pour les per­sonnes sol­li­ci­tées, la com­plexi­té et les défauts du scru­tin n’auront été qu’un moindre mal si tant est que les réponses atten­dues figurent dans la nou­velle consti­tu­tion. Quant aux 25 « consti­tuants » ayant été choi­sis, de l’avis de Kjar­tan Jóns­son, ils seraient « bons pour le job » et n’auraient sur­tout « aucun rap­port avec le gou­ver­ne­ment ou le Par­le­ment ». Une condi­tion néces­saire et suf­fi­sante qui paraît faire l’unanimité par­mi ceux qui attendent des chan­ge­ments aus­si prompts que radicaux. 

Les réfé­ren­dums Ice­save n’auraient jamais été mis en place.

Mais alors le pro­jet de nou­velle consti­tu­tion livré au Par­le­ment en juillet der­nier a‑t-il répon­du aux aspi­ra­tions des islan­dais et aux pré-requis d’une démo­cra­tie digne de ce nom ? Selon Ragn­hil­dur Hel­gadót­tir, « il est encore trop tôt pour dire » si cette révi­sion était une bonne chose. L’enseignante en Droit estime que l’ancienne consti­tu­tion devait être sim­pli­fiée afin d’être plus acces­sible, mais qu’elle n’a jamais « enten­du de rai­sons convain­cantes » jus­ti­fiant cette révi­sion. Elle ajoute mal­gré tout « qu’il y a de bonnes choses (dans la nou­velle consti­tu­tion) mais aus­si des choses à retra­vailler encore ». Une posi­tion qui ravi­ra nos amis Nor­mands et par­ta­gée par la plu­part des per­sonnes interrogées.
Reste qu’il serait un peu long de faire ici une syn­thèse des 114 articles rédi­gés. Sur de nom­breux sujets, les « 25 » ont fixé le cadre géné­ral et des objec­tifs ambi­tieux sans pour autant déter­mi­ner les moyens et les moda­li­tés de leur mise en oeuvre, au risque de lais­ser libre cours à l’imagination fer­tile du légis­la­teur. Par­mi les chan­ge­ments les plus « révo­lu­tion­naires », citons la volon­té des consti­tuants d’impliquer davan­tage les citoyens dans les pro­ces­sus d’élaboration et de vote des lois au Par­le­ment (articles 65 et 66), ou encore la limi­ta­tion de la durée des fonc­tions du Pré­sident et des Ministres (articles 79 et 86), qui devrait émous­ser les vel­léi­tés d’enracinement de certains. 

Sur quelques autres thèmes sen­sibles, l’indécision pré­vaut. Sépa­ra­tion de l’église et de l’Etat (l’église évan­gé­lique luthé­rienne est aujourd’hui reli­gion d’Etat) ? Charge au Par­le­ment de tran­cher (article 19). Concer­nant la pro­tec­tion de la terre et des res­sources natu­relles de l’île (articles 33 et 34), les textes se contentent de confir­mer leur inces­si­bi­li­té (uni­que­ment lorsqu’elles ne sont pas la pro­prié­té d’une per­sonne pri­vée), mais laisse à nou­veau le soin à la Loi de déci­der la « durée rai­son­nable » d’octroi d’éventuels per­mis d’utilisation des­dites res­sources. Autant dire que l’homme d’affaires Chi­nois qui s’est récem­ment révé­lé enthou­siaste à l’idée d’installer un com­plexe tou­ris­tique sur l’île ne devrait pas trop avoir à se plaindre de cette révi­sion constitutionnelle. 

Enfin, avec l’article 67, qui sti­pule que le recours au réfé­ren­dum ne pour­ra être envi­sa­gé lorsqu’il est ques­tion du bud­get de l’Etat, des taxes… Et des affaires inter­na­tio­nales, les « consti­tuants » ont de fait exclu du champs de la déci­sion popu­laire les sujets qui pou­vaient frei­ner l’exercice du pou­voir ou ralen­tir les cir­cuits de déci­sion. Autre­ment dit, si cette consti­tu­tion avait vu le jour il y a deux ans, les deux réfé­ren­dum Ice­save n’auraient jamais été mis en place. Et les islan­dais n’auraient jamais pu mani­fes­ter leur oppo­si­tion aux moda­li­tés de rem­bour­se­ment de la dette due à la Grande-Bre­tagne et aux Pays-Bas. S’a­gis­sant de l’adhé­sion de l’Is­lande à l’UE, sujet ô com­bien polé­mique ici, l’ar­ticle en ques­tion per­met­trait-il une consul­ta­tion popu­laire ? La ques­tion pour­rait bien se poser aussi.

Pro­ces­sus révo­lu­tion­naire ou pas, suf­frage 100% citoyen ou non, il faut sou­hai­ter que les pro­fonds chan­ge­ments vou­lus par les islan­dais*, y com­pris par la majo­ri­té silen­cieuse, et aux­quelles s’opposent une petite mais puis­sante oli­gar­chie insu­laire, puissent abou­tir. En revanche, n’en déplaisent à ceux qui, pour des moti­va­tions mys­té­rieuses (pro­sé­ly­tisme ? Mar­ke­ting ? Pro­pa­gande ?), ont sou­hai­té tra­ves­tir la réa­li­té plu­tôt que de décryp­ter l’Histoire, les trans­for­ma­tions enga­gées en Islande n’en sont encore qu’à leurs bal­bu­tie­ments. Les pré­sen­ta­tions eupho­riques, les dithy­rambes enflam­mées, les alté­ra­tions enthou­siastes de la situa­tion de l’île n’y chan­ge­ront rien. Les mots n’ont déci­dé­ment pas le pou­voir que cer­tains entendent leur prêter. 

* Selon Thor­val­dur Gyl­fa­son un son­dage publié en sep­tembre der­nier aurait révé­lé que 75% des islan­dais sou­hai­te­raient que le pro­jet consti­tu­tion­nel pré­sen­té soit sou­mis à la popu­la­tion par réfé­ren­dum sans modi­fi­ca­tion du Parlement.

Notes

(1) Deve­nu Conseil consti­tu­tion­nel février suite à l’annulation de la Cour Suprême pour quelques vices de forme sus­cep­tibles de nuire à la confi­den­tia­li­té du scrutin

(2) http://www.cadtm.org/Quand-l-Islande-reinvente-la http://www.parisseveille.info/quand-l-islande-reinvente-la,2643.html

(3) Ice­save : du nom de cette filiale défunte de Land­sban­ki qui a englou­ti quelques mil­liards d’euros récla­més aujourd’hui par la Grande-Bre­tagne et les Pays-Bas.

(4) Assi­mi­lé à un mode de repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle qui offre une meilleure équi­té qu’un suf­frage majo­ri­taire à deux tours, le « vote unique trans­fé­rable » est uti­li­sé dans moins d’une dizaine de pays à tra­vers le monde (Irlande, le Cana­da, l’Australie, etc.).

(5) David Odd­sson a été l’un des arti­sans de la libé­ra­li­sa­tion du sys­tème finan­cier Islan­dais ; dési­gné Pre­mier Ministre à plu­sieurs reprises, Gou­ver­neur de la Banque Cen­trale d’Islande, il a été accu­sé en avril 2010 « d’extrême négli­gence » dans le rap­port d’enquête publié par le SIC suite à l’effondrement du sys­tème finan­cier Islan­dais. Depuis sep­tembre 2009, il est rédac­teur en chef du quo­ti­dien Morgunblaðið.

(6) Mis en place au début des années 90 les Quo­tas Indi­vi­duels Trans­fé­rables (QIT) sont deve­nus de véri­tables « pro­duits finan­ciers » déte­nus par quelques gros arma­teurs et pêche­ries qui « louent » et vendent leurs quo­tas dans une optique spéculative.

Cha­leu­reux remer­cie­ments à Ólöf Pétursdót­tir, Kjar­tan Jóns­son, Ragn­hil­dur Hel­gadót­tir, Ragnar F. Ólaf­sson, Guð­mun­dur Guð­laug­sson, Ester Auður Elíasdót­tir, Eva Leplat Sigurðs­son et Ber­glind Mar­go Trygg­va­son Þor­vald­sdót­tir pour leurs expli­ca­tions et leurs com­men­taires, sans les­quels cette enquête n’au­rait bien évi­dem­ment jamais vu le jour.