Le bipartisme qui s’alterne au pouvoir depuis la fin de la dictature est fort affaibli par une succession de luttes sociales victorieuses et l’irruption de nouvelles initiatives populaires qui mettent en pratique de nouvelles façons de faire de la politique.
Alors que l’Espagne vit une crise humanitaire sans précédent, le mouvement social subit une répression constante d’un régime qui a peur du changement et protège ses intérêts. Le bipartisme qui s’alterne au pouvoir depuis la fin de la dictature est fort affaibli par une succession de luttes sociales victorieuses et l’irruption de nouvelles initiatives populaires qui mettent en pratique de nouvelles façons de faire de la politique. A n’en pas douter, l’Espagne entre dans une nouvelle phase de mobilisation qui augure de possibles changements politiques importants.
Excellent dossier rédigé par Par Jérôme Duval, membre du CADTM — Espagne.
1. Crise humanitaire en Espagne : Un contexte propice à l’indignation
« Une situation pré-révolutionnaire éclate, annonçait Lénine, lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus, et ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas. »
En Espagne, sous un gouvernement du Parti Populaire (PP) teinté d’une extrême droite[Du fait de l’amnistie à la fin de la dictature, de nombreux anciens franquistes occupent encore de hauts postes de l’Administration. A la différence d’autres pays européens, la composition de l’espace politique espagnol avec la présence d’une frange d’extrême-droite au sein du PP rend difficile l’émergence d’un parti s’affirmant ouvertement comme tel. Notons cependant, la dernière initiative allant dans ce sens avec la création du parti Vox, à la droite du PP, qui en seulement quatre mois d’existence (exactement comme Podemos) a capté 244.929 voix. Ce résultat montre qu’on ne peut écarter une rapide recomposition de la droite et rend difficile tout pronostic à ce sujet. Xavier Casals, La extrema derecha en España después del 25‑M, El Diario.es, 16/06/2014. http://www.eldiario.es/agendapublica/nueva-politica/extrema-derecha-Espana-despues_0_271573547.html]] monarchiste liée à l’Opus Dei, la dette poursuit son cours ascendant frôlant les 100% du PIB. L’austérité continue de frapper alors que la fraude fiscale des plus aisés supprime 80 milliards d’euros des recettes de l’État chaque année.[[Chiffres avancés par le rapport du syndicat des techniciens du Ministère des Finances (Gestha) : [La economía sumergida pasa factura, janvier 2014.]] Les mesures antisociales aux conséquences incalculables imposées par les créanciers empêchent toute vie digne et condamne la population à la misère dans un pays où l’on parle déjà de malnutrition infantile, où des enfants à jeun s’évanouissent sur les bancs d’école ; un pays où l’on compte près de 6 millions de chômeurs dont une grande partie ne reçoit aucune aide ; où le nombre de foyers dont tous les membres actifs sont au chômage a été multiplié par quatre en cinq ans et est passé de 380 000 en 2006 (2,6%) à plus de 1 million 900 000 en 2013 (11%)[[Encuesta de Población Activa, EPA, deuxième trimestre 2014. et Raúl Navas, Reforma laboral, precarización y ofensiva del capital, 03.09.2014. ]] ; où une personne sur quatre vit dans la pauvreté et trois millions survivent dans l’extrême pauvreté avec moins de 307 euros par mois, soit le double de celles et ceux qui étaient dans cette situation au début de la crise en 2008[[En 2012, selon les révélations du huitième rapport d’Observation de la Réalité Sociale réalisé par Caritas Espagne, 3 millions de personnes, soit l’équivalent de 6,4% de la population espagnole, survivent dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire dire avec moins de 307 euros par mois. Cela représente le double de celles et ceux qui étaient dans cette situation au début de la crise en 2008. Caritas, VIII Informe del Observatorio de la Realidad Social pages 7 – 8. et rapport Memoria 2012]] ; où des centaines de milliers de familles sont expulsées de leurs logements pour ne plus pouvoir assumer une dette impayable qui les poursuit même après avoir été mis à la rue…
Obnubilé par sa pensée unique, le pouvoir en place tente de vendre un futur radieux où nous bénéficierions d’une croissance énergivore destructrice pour le plus grand bénéfice des grandes entreprises. Les médias nous vantent la sortie de la Troika, comme en Irlande ou au Portugal, alors même que les « hommes en noir » de la Troika, comme on les surnomme en Espagne, poursuivent leurs missions depuis les bureaux des ministères ou leurs hôtels de luxe, afin de contrôler les comptes publics et justifier leurs politiques de régression sociale[La dernière mission officielle date de début octobre 2014. [Los ‘hombres de negro’ vuelven a Madrid para examinar a la banca, El País, 5 octobre 2014]]. Dans la grande crise aux multiples facettes que nous traversons, seule une action populaire révolutionnaire serait à même de renverser la caste oligarchique en place pour enfin remettre les rênes du pouvoir au peuple, sans quoi les effets du capitalisme mortifère perdureront, au dépend de l’humain et son environnement.
Une « reprise » invisible pour les 99% de la population
« L’Espagne est l’unique pays de la zone euro pour lequel nous avons révisé à la hausse les prédictions de croissance, un pays où les réformes, le dur travail qui a été réalisé, les sacrifices faits par les gens sont en train de porter leurs fruits », clamait enthousiaste, Christine Lagarde à l’occasion des Rencontres annuelles du FMI début octobre 2014.[Amanda Mars, El País, 9 octobre 2014, Lagarde : [“Los sacrificios hechos por la gente en España están dando frutos”. La directrice du FMI est par ailleurs mise en examen dans l’affaire de corruption, dite affaire Tapie.]]
Suite à neuf trimestres de contraction, l’Espagne est sortie de la deuxième récession qu’elle a connue depuis le début de la crise[[Pour la première fois depuis 15 ans, l’Espagne est entrée en récession au 4ème trimestre 2008 et en est sortie au premier trimestre 2010, puis est à nouveau entrée dans une période récessive au troisième trimestre 2011. On dit qu’un pays entre en récession quand il accumule deux trimestres consécutifs de croissance négative.]]. En effet, suivant les normes macroéconomiques, le 1er janvier 2014 marque un changement de tendance suite à deux trimestres consécutifs de croissance : 0,1 % au troisième trimestre 2013 et 0,3 % au quatrième trimestre. Or, la supposée « reprise » tant vantée par le gouvernement reste invisible pour la grande majorité de la population. La pauvreté et le chômage atteignent des niveaux scandaleux : 5,6 millions de personnes, soit 24,5% de la population active sont sans emploi au deuxième trimestre 2014. Les dépenses dédiées aux allocations chômage diminuent drastiquement. Le nombre de chômeurs condamné à la misère parce qu’ils ne perçoivent aucune prestation est passé, depuis l’arrivée de Mariano Rajoy au gouvernement fin 2011, de 1,5 million de personnes à 1,9 million en juin dernier, soit une augmentation de 26%. Dans un contexte de hausse des tarifs des services de base (électricité, transports publics, eau…) et de baisses généralisées des aides sociales, ces chômeurs sans aucun revenu survivent grâce à la solidarité et au travail d’associations caritatives débordées par une telle affluence. Les jeunes diplômés vont chercher du travail ailleurs. Le solde migratoire (différence entre immigration et émigration) est devenu négatif depuis 2010 et pour la première fois la démographie décroit à cause de ce solde négatif accompagné d’une baisse de la natalité.
2. Espagne : Chaises musicales et corruption
Injustice et corruption
Pour l’année 2013, le Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ) relève 1 661 affaires en cours dans différents tribunaux espagnols pour des crimes liés à la corruption.[[Radiografía de la corrupción en España : cerca de 1.700 causas, más de 500 imputados y sólo una veintena en prisión, Europa Press, 20 avril 2014.]] Dans un contexte d’enchaînement ininterrompu de scandales, le PP croule sous les affaires de corruption. En établir la liste ici serait fastidieux. Mentionnons toutefois le cas de l’ex député du PP, Rafael Blasco, condamné en mai dernier à huit ans de prison pour malversation, délits de corruption, trafic d’influence, contrefaçon et détournement de fonds publics. Entre 6 et 9 millions d’euros de l’Aide publique au développement, initialement destinés à des projets de développement parmi lesquels un hôpital en Haïti après le tremblement de terre de 2010[[Voir la vidéo de promotion de l’hôpital]] ou des projets d’extraction d’eau au Nicaragua, ont été détournés. Par exemple, sur 1,8 million d’euros de projets au Nicaragua, seulement 43 000 euros sont arrivés à destination. Le reste, a entre autre servi à l’achat d’appartements à Valencia pour une valeur d’environ 1 million d’euros. Citons, par ailleurs, l’affaire de l’architecte valencien Calatrava qui a surfacturé des projets urbanistiques, tel le projet avorté de trois gratte-ciel pour lequel Calatrava a tout de même reçu 15 millions d’euros. Enfin, on ne peut éviter la macro affaire Gurtel de financement occulte du PP dans laquelle plus de 150 personnes sont accusées et dont seul l’ex trésorier du PP Luis Bárcenas est en prison. L’organisation de la visite du Pape en 2006 à Valence qui a été l’occasion de détournement de fonds publics importants est directement liée à l’affaire Gurtel et l’Opus Dei.
Le 9 septembre, le député PP au Parlement valencien David Serra, accusé dans l’affaire Gurtel, sera le neuvième parlementaire impliqué dans des cas de corruption à quitter son poste. Il en reste encore deux exerçant leur fonction dans les rangs du PP à Valence.[Ignacio Zafra, [Dimite David Serra, diputado autonómico del PP procesado en el ‘caso Gürtel’, El País, 09.09.14]] Capitale de la corruption, Valence n’est pas seule et sans toutefois atteindre le niveau de délabrement du PP, certes difficile à rivaliser, les autres partis ne sont pas épargnés. Citons par exemple, le cas emblématique de l’ex-président de Catalogne entre 1980 y 2003, Jordi Pujol i Soley du parti Convergencia y Unión (CiU) qui a confessé avoir dissimulé au Trésor Public durant 34 ans ses comptes dans les paradis fiscaux en Andorre et en Suisse. Enfin, l’affaire en cours des cartes bancaires de Caja Madrid devrait occasionner des dégâts importants auprès de banquiers et politiques : 86 administrateurs et dirigeants de Caja Madrid, dont l’ancien dirigeant du FMIRodrigo Rato, sont sous le coup d’une enquête pour avoir ainsi dépensé plus de 15 millions d’euros non déclarés, à des fins personnelles. Le chef de cabinet du ministère du budget, José María Buenaventura, un des bénéficiaires, a déjà démissionné début octobre après avoir pris connaissance du scandale… à suivre.
Chaises musicales. Les banquiers et PDG sont nos ministres et vice-versa
Partout en Europe, la connivence entre le pouvoir et le secteur bancaire capitaliste est omniprésente. Mario Draghi, ancien responsable de Goldman Sachs et consacré “personnalité de l’année” par le Financial Times en 2012[Le président de la BCE encourage les Etats à poursuivre leurs efforts, [Le Monde, 14.12.2012.]] , préside la Banque centrale européenne (BCE). En France, le nouveau ministre de l’économie et l’un des inspirateurs des coupes budgétaire de 50 milliards d’euros, Emmanuel Macron, est un ancien gérant à la Banque Rotschild. Il était ainsi devenu millionnaire en menant à bien en 2012 le rachat par Nestlé d’une filiale de Pfizer avant de devenir quelques semaines plus tard le Secrétaire général adjoint de l’Élysée et conseiller du président de la République sur les questions économiques et financières.[Grégory Raymond, Emmanuel Macron, [l’hémisphère droit de Hollande, nouveau ministre de l’Économie, 26/08/2014.]]
Dans le même registre en Espagne, avant de devenir ministre de l’économie, De Guindos a été conseiller de Lehman Brothers jusqu’à sa faillite. Miguel Arias Cañete, ancien ministre (PP) de l’agriculture sous les gouvernements d’Aznar et Rajoy, fervent défenseur du fracking et en lien étroit avec l’industrie pétrolière, a été désigné au poste de commissaire européen en charge de l’Action pour le Climat et la Politique énergétique au sein de la Commission européenne pilotée par le très libéral Jean-Claude Juncker. Sous pression et largement soupçonné de conflit d’intérêt, il s’est alors décidé à vendre les actions qu’il détenait de deux entreprises qu’il présidait, Petrolífera Dúcar SL et Petrologis Canaris SL pour une valeur qu’il estimait lui-même en 2011 à plus de 320 000 euros.[Information about Miguel Arias Cañate, 10 septembre 2014, [Ecologistas en Acción. ; Déclaration de Cañete, 29 novembre 2011.]] Mais les affaires restent entre de bonnes mains puisque son fils, Miguel Arias Domecq, siège toujours au Conseil d’administration de Ducar depuis le 7 octobre 2013.
Certains regretteront le décès du réactionnaire Emilio Botín de la banque Santander survenue le 10 septembre sous les hommages larmoyants des médias. Quoi de plus naturel quand on sait, par exemple, que Santander est actionnaire du groupe Prisa, lui-même propriétaire du journal El País – et du quotidien français Le Monde. Mais nous sommes beaucoup plus nombreux à regretter l’arrivée de sa fille Ana Patricia Botín pour lui succéder. Cet épisode constitue un nouvel exemple du travail de désinformation effectué par les médias commerciaux qui, sans le vouloir, alimentent l’audience de médias alternatifs vers lesquels se tournent de plus en plus de citoyens en quête d’impartialité dans le traitement de l’information. Même l’ex président de l’organe de supervision des marchés boursiers (la Comisión Nacional del Mercado de Valores, CNMV) Manuel Conthe, a reconnu une presse aux ordres : « … la presse espagnole a réalisé une couverture informative et élogieuse sur le banquier décédé tant excessive et servile que cela m’a paru “bananier” et incompatible avec l’idée d’une presse libre ». Il précise : « À quelques honorables exceptions près, la presse est dominée par de grands groupes d’entreprises et leurs bureaux de communication. Je l’avais déjà senti et manifesté quand j’étais président de la CNMV et, alors même que certains professionnels le niaient avec colère, cela reste une vérité incontournable. » [« …la prensa española ha hecho un despliegue informativo y encomiástico sobre el banquero fallecido tan desmesurado y servil que me ha parecido “bananero” e incompatible con la idea de una prensa libre. (…) Con honrosas excepciones, la prensa está dominada por los grandes grupos empresariales y sus gabinetes de comunicación. Ya lo percibí y manifesté cuando era presidente de la CNMV y aunque entonces algunos profesionales del sector lo negaron airados, sigue siendo una verdad como un templo. » Blog de Manuel Conthe, [Reflexiones a la muerte del Sr.Botín, 17/09/2014.]]
3. Espagne : Injustice, expulsions et apartheid sanitaire
L’impunité règne
Le principe de compétence universelle (« Justicia universal »), établissant la possibilité pour les Cours espagnoles d’être saisies d’affaires concernant des personnes de quelque nationalité que ce soit, en n’importe quel lieu y compris hors de l’Espagne, pour des crimes graves (violations de droits humains, terrorisme, crimes de guerre ou génocide), est remis en question par le gouvernement[Le premier exemple connu est sans doute l’inculpation et arrestation à Londres en 1998 du dictateur chilien Augusto Pinochet par le juge Baltasar Garzón.]]. La réforme approuvée en mars, retire toute compétence aux juges sur ces questions et permet d’archiver les affaires en cours, ouvrant la voie à l’impunité de responsables de crimes graves qui bénéficient déjà de la protection légale dans certains pays. Les délits en cours d’instruction, tels les cas de génocide au Guatemala (contre Efraín Ríos Montt et Carlos Mejía Víctores pour délits de génocide et tortures commis contre la population maya durant le conflit armé) et au Tibet ; les crimes de guerre à Gaza ; les tortures à Guantanamo ; l’assassinat en 2003 du cameraman espagnol de Telecinco, José Couso, par l’armée américaine en Irak ou encore la plainte contre Israël pour crime de guerre au sujet de la Flottille de la Liberté (l’assaut du commando israélien en mai 2010 s’était soldé par 9 morts), restent ainsi impunis et désormais classés sans suite. Les pressions des autorités chinoises ont semble-t-il constitué un motif déterminant dans l’élaboration de ce projet de loi. La Chine a d’ailleurs remercié chaleureusement le gouvernement espagnol pour mettre ainsi fin au mandat d’arrêt international de cinq ex-leaders chinois dont l’ex-président Jiang Zemin, impliqués dans l’affaire du génocide au Tibet.[[“Acogemos con agrado los esfuerzos del Gobierno y sus departamentos competentes. China y España tienen una tradición de amistad y apoyan las preocupaciones del otro”, [dijo hoy la portavoz del ministerio chino de Asuntos Exteriores Hua Chunying. 24/06/2014. Los crímenes que pueden quedar impunes con la reforma del PP para limitar la justicia universal, Público, 12/02/2014. http://www.publico.es/politica/5013… Pour la réforme, voir ici]]
Attaques capitalistes en temps de crise
« Agosticidad », est un terme espagnol pour désigner spécifiquement les contre-réformes adoptées au mois d’août afin d’éviter tout débat public et les réactions hostiles qu’elles pourraient susciter. Ce fut le cas de la réforme de l’article 135 de la Constitution qui donne la priorité absolue au remboursement de la dette lancée en août 2011 par le PSOE et approuvée sans référendum en septembre avec l’appuie du PP. De la même manière, la contre-réforme fiscale proposée discrètement en août dernier et qui devrait entrer en application en janvier 2015, va encore aggraver les inégalités.
En dépit d’une mobilisation exceptionnelle, les expulsions de logements se poursuivent à un rythme effréné. Depuis le début de la crise, des centaines de milliers de familles ont été expulsées de leurs logements, les condamnant à la marginalisation sociale permanente due au maintient de la dette hypothécaire malgré la perte du foyer.[Plataforma de Afectados por las Hipotecas, PAH. [Datos procedentes del Consejo General del Poder Judicial, 10-oct-2014.]] Rappelons que la législation espagnole ne permet pas d’annuler la dette de l’hypothèque en cédant son bien immobilier. Les familles expulsées sont donc toujours redevables de cette dette auprès de la banque créancière qui, de surcroît, bien souvent s’accapare l’appartement pour spéculer ou le revendre. Récemment, la Communauté de Madrid a vendu 3 000 logements sociaux aux fonds vautour Goldman Sachs – Azora. D’autre fonds comme Blackstone rachètent des appartements sans en informer leurs résidents et expulsent ceux qui ne peuvent plus payer.[Plataforma de Afectados por las Hipotecas, PAH. [Datos procedentes del Consejo General del Poder Judicial, 10-oct-2014]] Cependant, plus de 1 100 expulsions ont été paralysées depuis le début de la crise et près de 1 180 personnes ont pu retrouver un logement grâce à l’action de la coordination des affectés par l’hypothèque (Plataforma de Afectados por la Hipoteca, PAH)[Voir le site de la [PAH]].
Par ailleurs, la très controversée loi LOMCE sur l’éducation prend désormais en compte la notation en cours de religion dans tous les centres scolaires et renforce les établissements publics-privés (« concertados »).
Apartheid sanitaire
La nouvelle loi entrée en application dans les centres de santé et hôpitaux depuis le 1er septembre 2012 (Real Decreto Ley 16/2012) constitue un apartheid sanitaire qui excluent de couverture santé les plus de 26 ans qui n’ont pas cotisé à la Sécurité sociale et plus de 800 000 personnes immigrés sans papiers. Il sacrifie le concept d’universalité d’accès aux soins de santé et met en danger de nombreuses vies. Le 20 février 2013, Soledad Torrico, immigrée bolivienne, est décédée des complications d’une grippe après avoir passé 6 jours sans être reçue par le Service valencien de santé. Le 24 avril 2013, le jeune sénégalais Alpha Pam, de 28 ans, mourait chez lui d’une tuberculose après un périple de 6 mois durant lequel on lui a refusé à plusieurs occasions l’assistance de l’hôpital.[Gladys Martínez López, [Un año sin sanidad universal, Diagonal, 10/09/13.]] La célèbre revue scientifique The Lancet a déjà averti que les coupes budgétaires du gouvernement espagnol, pourraient avoir « de graves conséquences pour la santé de la population, spécialement en ce qui concerne la tuberculose et l’infection par le VIH ».[« Such changes could have serious consequences for population health, especially with regard to tuberculosis and HIV infections ». [Erosion of universal health coverage in Spain, The Lancet, 14 de diciembre de 2013.]] Comme le signale la Fédération des Associations pour la Défense de la Santé Publique, en seulement trois ans, 7,2 milliards d’euros ont été amputés du budget de la santé, et 53 000 personnes en moins travaillent dans le secteur. Pendant ce temps, comme le dit bien la coordination Yo sí sanidad universal, le secteur privé de la santé se convertit en un négoce prospère et réalise de juteux profits.[Olga Rodriguez, [Los recortes perjudican gravemente la salud.]]
4. Espagne : Peur du régime et répression du mouvement social
Restriction des libertés, impunité et répression des mouvements sociaux
Le chômage et les mesures antisociales d’austérité encouragent toujours plus de personnes à protester dans la rue. Selon les données du gouvernement, mentionnées dans un rapport Amnesty International[España el derecho a protestar amenazado, [Amnistía Internacional, 2014.]], il y a eu 14 700 manifestations dans toute l’Espagne en 2012. À Madrid il y en aurait eu 3 419 en 2012 et 4 354 en 2013. Pour faire face à la recrudescence des manifestations et doter la police de plus de pouvoirs pour sanctionner, le gouvernement a impulsé une nouvelle loi, dite de « sécurité citoyenne » (Seguridad Ciudadana, aussi appelée « loi bâillon », ley mordaza). Celle-ci remet en cause le droit à la liberté d’association et d’expression, à se réunir et manifester pacifiquement, droits pourtant consacrés dans les traités de droits humains dont l’Espagne est signataire, tel le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP). Le projet soulève l’indignation alors qu’il condamne les réunions ou manifestations, non communiquées, d’infractions ou délits graves s’ils se déroulent à proximité de lieux tels que le Parlement ou le Sénat ou encore dans des « installations dans lesquelles sont rendus des services basiques pour la communauté ». Les personnes organisant de tels événements sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 600 000 euros. Mais, plus généralement, les réunions ou manifestations non-communiquées dans les lieux de passage public sont sanctionnés par des amendes allant de 100 à 600 euros. De plus, l’utilisation non autorisée d’images de la police peut être sujet à des sanctions graves, ce qui encourage les abus et l’impunité, cela met en péril le travail de la presse – principalement alternative – pour alerter l’opinion sur la répression des mouvements sociaux. Contre l’avis d’une grande partie de la population et de tous les partis de l’opposition qui demandent son abrogation, le projet de loi est maintenu après avoir été débattu le 16 octobre au Parlement. Une coordination citoyenne de 70 organisations lance une campagne pour le retrait total du projet de loi.[La coordination [No somos delitos est composée de 70 organisations.]]
Alors que celle-ci n’est toujours pas mise en application et que les chiffres d’infractions pénales sont en baisse, des dizaines de milliers de personnes croulent sous les amendes. Plus de 1 000 activistes sont accusés et parfois sous le coup de centaines de demandes d’incarcérations. En 2014, plus de 40 procédures pénales sont prévues pour participation à des grèves. Mentionnons le cas d’Alfon, jeune de 22 ans, arrêté alors qu’il se dirigeait au piquet de grève de son quartier Vallecas à Madrid pour la grève générale européenne du 14 novembre 2012. Il sera le seul détenu ce jour là et restera 56 jours en « détention préventive », il risque encore 5 ans et demi de prison. De nombreuses démonstrations de solidarité internationale ont eu lieu et son procès, initialement prévu le 18 septembre, a finalement été reporté au 25 novembre. Carlos Cano et Carmen Bajo de Grenade, risquent 3 ans de prison et 3 655 euros d’amende pour avoir participé à un piquet de grève pendant la grève générale du 29 mars 2012. Lors d’un premier passage en prison, Carlos est devenu prisonnier politique le 14 juillet. Miguel et Isma sont restés plusieurs mois en prison préventive après avoir participé aux Marches de la Dignité le 22 mars 2014. Trois ans et cinq mois après les faits, 14 des 19 personnes inculpées suite à la manifestation du 15 mai 2011, prémices du mouvement 15M, sont condamnées à 74 années de prison au total.[Ter Garcia, La Fiscalía pide 74 años para los 14 detenidos en la manifestación que dio inicio al 15M,[ Diagonal, 02/10/2014.]]
Selon le rapport d’Amnesty International[España el derecho a protestar amenazado, Amnistía Internacional, 2014.]], 26 des 35 personnes détenues durant la manifestation « Rodea el Congreso » ont présenté une plainte le 20 décembre 2012, pour lésions, détention illégale, et torture. En effet, la violence du régime n’est pas seulement judiciaire, elle est aussi physique. Certaines personnes comme Ester Quintana ont perdu un œil par l’impact de balles en caoutchouc tirées par les Mossos D’Esquadra, la fameuse police de Barcelone. Iñaki, âgé de 19 ans, a perdu la vue sur un œil suite à l’impact du même projectile alors qu’il participait pacifiquement à la manifestation du 22 mars 2014 lors des spectaculaires Marches de la Dignité.[[Jérôme Duval, [Les Marches de la Dignité convergent sur Madrid, 24 mars 2014.]] Le même jour et dans les mêmes conditions, Gabriel, un jeune de 23 ans, a perdu un testicule.
“Aturem el Parlament” (Arrêtons le Parlement)
Barcelone, 15 juin 2011. Des milliers de personnes manifestent pour dénoncer l’approbation des « recortes » (coupes budgétaires) et un paquet de mesures –la loi Ómnibus– qui modifiait 80 lois d’un coup. Le Parlement de Catalogne est alors encerclé et des membres du gouvernement du Parti Converència i Unió (CiU) préfèrent venir en hélicoptère… Sans aucun doute, il s’agit d’une mobilisation historique qui dérange le pouvoir en place. Un procès a eu lieu contre 20 activistes. Le Parlement et la Generalitat de Catalogne ont déposé une plainte demandant 3 ans de prison et jusqu’à 150.000 euros d’amendes contre les accusés. Ils donnent ainsi suite à une accusation de Manos Limpias (mouvement fasciste qui se fait bizarrement appeler « syndicat » sans que personne ne conteste) réclamant 8 ans de prison aux manifestants. Le juge Eloy Velasco, ex directeur général de Justice au gouvernement valencien et lié à l’Opus Dei, affirme que l’intention de la manifestation n’était pas seulement d’exprimer un mécontentement mais bien empêcher les députés d’entrer au Parlement pour voter les budgets. (Tous les députés ont participé malgré tout à la session parlementaire comme prévu.) Cependant, 3 ans après les faits, 19 des 20 accusés ont été absouts, libérés de toute accusation (l’accusé restant écopera de 3 jours d’arrestation pour de la peinture sur une veste…). Ainsi, le Tribunal de Madrid (la Audiencia Nacional) place le droit à manifester au dessus du supposé danger souligné le jour des faits par la quasi totalité des médias.
Non seulement les nouvelles lois rétrogrades, les procès injustes et les violences physiques indignent une population déjà écœurée par la caste au pouvoir, entachée par une avalanche de scandales de corruptions, mais les réactions populaires sont souvent organisées avec plus ou moins de succès pour contrer ces attaques. L’Espagne entrerait-elle dans une période de rébellion populaire propice à un changement de régime ?
5. Espagne : Du 15M aux ’mareas’, une histoire populaire ponctuée de luttes
Dans un contexte de recul des droits sociaux, de répression violente du régime sous un gouvernement aux ordres des institutions financières internationales (OCDE, Commission européenne, FMI…), grossit une lame de fond d’un peuple indigné réclamant le changement. L’alternance bipartiste où la démocratie se résume au bulletin de vote pour que fondamentalement rien ne change, constitue un fléau à détruire afin d’œuvrer à l’émancipation populaire capable de générer une démocratie réelle sous contrôle citoyen.
Les quelques victoires récentes qui s’accumulent au prix de luttes exemplaires provoquent l’espérance d’un changement possible et imminent encourageant l’engagement. Or la mobilisation sociale en effervescence est un processus de création, d’échange et de construction de pensées critiques porteuses de changements. En l’espace de 3 ans, l’Espagne est passée de l’indignation débouchant sur des revendications profondes d’ordre général à la mise en place de structures fédératrices et programmatiques permettant de les appliquer. Cette évolution s’est opérée par l’apprentissage d’une nouvelle façon de faire de la politique, une pratique inédite dans ses formes et sa force.
L’histoire sociale est ponctuée de luttes
Quelques mois après le mouvement indigné (communément appelé 15M en Espagne pour la date historique du début du mouvement, le 15 mai 2011[L’appellation « mouvement indigné » est venue des médias insinuant une relation directe avec le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous.]]), le PP gagnait l’élection présidentielle de décembre 2011 donnant l’occasion aux détracteurs du mouvement social de le délégitimer en le mettant au défi de réaliser le changement politique « légalement » par les urnes. Par la suite, les places publiques se sont vidées, l’affluence aux assemblées s’est réduite au minimum, il semblait que la vague 15M refluait. Beaucoup ont dit que le mouvement était « mort » sans être parvenu à ses fins. C’était sous-estimer un mouvement inter-générationnel d’une telle ampleur, un mouvement qui a généré un changement de conscience collective sur la place publique en Espagne et ailleurs dans le monde. L’adhésion à une réelle démocratie (le pouvoir au peuple) et à la défense des droits sociaux bafoués y a fait consensus. Même après l’occupation des places, le 15M n’a jamais totalement disparu. Il a certes perdu en visibilité mais s’est dissous dans une multitude d’initiatives collectives : médias alternatifs, marchés de troc, banques de temps, potagers collectifs, coopératives… Différentes coordinations se sont mises en place, pour le droit au logement, pour une constituante, contre la répression, pour la nationalisation des banques, la défense de l’eau, pour un [Audit citoyen de la dette (PACD) … Des moments forts de mobilisations ont continué à ponctuer l’histoire sociale : en février 2012, le mouvement des collégiens de Lluis Vives (établissement central de Valencia), appelé aussi « printemps valencien », mobilise contre les coupes budgétaires dans l’éducation qui, durant tout l’hiver, les ont privés de chauffage dans les classes de cours[Grisleda Pinero, Jérôme Duval, Espagne.[ Le mouvement social exige des comptes, 14 avril 2012.]]; la marche noire, « Marcha Negra », qui a rassemblé des milliers de mineurs et leurs familles, venus à pied d’Asturie et León le 11 juillet 2012 devant le Ministère de l’Industrie à Madrid ; la manifestation du 25 septembre 2012, « Rodea el Congreso » organisée par la Coordination 25S ; La marche du 23 février 2013, 23F, date anniversaire de la tentative de coup d’État en 1981, dénonçant le coup d’État financier et les coupes budgétaires, etc.
Par ailleurs, ont émergé les « marées » (« Mareas » en espagnol) dont les manifestations sont reconnaissables par la couleur vestimentaire des manifestants : marée blanche pour les secteurs en lutte dans la santé connue pour sa lutte emblématique contre la privatisation de six hôpitaux à Madrid, verte pour l’éducation, rouge pour la science, bleue pour la défense de l’eau, noire pour la défense des conditions de travail des fonctionnaires et contre les coupes budgétaires ou encore violette pour le droit des femmes. Dès lors le mouvement social s’est structuré autour de revendications sectorielles. Il ne manquait plus qu’à unir ces forces puis les inciter à prendre le pouvoir…
L’effet Gamonal et les Marches de la dignité
En ce début d’année 2014, Gamonal, un quartier populaire de Burgos qui compte plus de 25 % de chômeurs, a réussi à stopper un projet urbanistique engageant des dépenses de plus de 8 millions d’euros pour la construction d’un boulevard et un parking payant. L’abandon du projet urbanistique imposé à un quartier aux besoins sociaux gigantesques est une victoire importante du mouvement social qui a été répercutée dans tout le pays contre le défaitisme ambiant, comme un antécédent de victoire possible. Cette lutte a considérablement motivé le mouvement social en démontrant qu’il pouvait gagner, du moins localement. On parle de « l’effet Gamonal » pour signifier son potentiel effet de contagion. Dès lors l’espoir ressuscité encourage la mobilisation. Le slogan « si se puede ! » (oui c’est possible !), devenu célèbre suite aux victoires de la PAH pour empêcher les expulsions de logement de près de 1200 personnes, s’est généralisé au sein de tous les rassemblements et luttes sociales du pays. Un nouveau pas de l’histoire des luttes sociales venait d’être franchi. En novembre 2014, de nouvelles mobilisations ont lieu à nouveau à Burgos, cette fois-ci convoquées par l’Assemblée contre la spéculation pour l’arrêt du projet de restauration des arènes engageant un budget de 5,6 millions d’euros.
Par la suite, de grandes mobilisations fédérant toutes ces marées humaines ont fait irruption, comme celles des Marches de la dignité réclamant du pain, du travail, un toit et la dignité (“pan, trabajo, techo y dignidad”) qui a réuni près d’un million de personnes venues de tout le territoire à Madrid le 22 mars 2014[[Marchas de la dignidad et Jérôme Duval, Les Marches de la Dignité convergent sur Madrid]]. Celles-ci ont constitué un succès de mobilisation radicale, d’implication territoriale étendue et unitaire via un processus venu d’en bas. C’est sans aucun doute une évolution qualitative importante et la coordination des Marches compte bien poursuivre les mobilisations notamment du 24 au 29 novembre 2014, par des actions et manifestations.
Par Jérôme Duval
Source de l’article : mondialisation
Notes