Interdite de séjour dans l’espace Schengen. Aminata Traoré parle de la déconvenue

Aminata Traoré, la militante altermondialiste malienne, n’a pas eu son visa Schengen, sur instruction de la France à tous les pays de l’espace Schengen.

Ceux qui voyaient dans la pré­si­dence d’Hollande la fin de la Fran­ça­frique ou une poli­tique afri­caine de la France plus équi­table, peuvent enfin se faire à la cruelle évi­dence de la real­po­li­tik. Ami­na­ta Trao­ré, la mili­tante alter­mon­dia­liste malienne, n’a pas eu son visa Schen­gen, sur ins­truc­tion de la France à tous les pays de l’espace Schengen.

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Ami­na­ta Trao­ré paie­rait-elle cash sa prise de posi­tion auda­cieuse, contre l’intervention fran­çaise au Mali, qui selon elle cache­rait à peine de gros inté­rêts miniers et géos­tra­té­giques au Mali et dans la sous région ?

La France n’a pas d’amis elle n’a que des inté­rêts disait le Géné­ral De Gaule, et les inté­rêts eux, s’accommodent très mal de toutes voix discordantes.

L’ancienne ministre de la culture malienne et porte-flam­bleau du « Non à l’intervention mili­taire étran­gère au Mali » livre à came­roon­voice son sen­ti­ment après cette déconvenue

Came­roon­voice : Nous avons appris avec stu­pé­fac­tion que les auto­ri­tés fran­çaises ont refu­sé de vous accor­der un visa d’entrée en France pour par­ti­ci­per à une réunion publique le 22 avril der­nier. Pou­vez vous nous confir­mer cette information ?

Ami­na­ta Trao­ré : En fait, j’ai été invi­tée par Die Linke, un par­ti de gauche alle­mand, et des mili­tants fran­çais. Je devais faire un tour à Ber­lin et par la suite don­ner une confé­rence à Paris et Lille. J’avais un visa de cir­cu­la­tion de 4 ans de l’espace Schen­gen qui a expi­ré au mois de Février.

Quand je me suis ren­due à l’ambassade d’Allemagne pour sol­li­ci­ter un droit d’entrée dans l’espace Schen­gen, ils m’ont accor­dé un visa de trois jours uni­que­ment pour leur pays en me noti­fiant que la France a don­né des ins­truc­tions pour qu’aucun pays de l’espace Schen­gen ne m’accorde de visa.

Il y avait donc une inter­dic­tion de cir­cu­la­tion dans l’espace Schen­gen vous concer­nant, dont vous igno­riez tota­le­ment l’existence ?

Non non, on ne me l’avait pas noti­fié avant, c’est à la faveur de ce voyage que je l’ai su. J’ai été auto­ri­sée à aller en Alle­magne et à reve­nir au Mali direc­te­ment sans fou­ler le sol de l’espace Schen­gen mis à part l’ Alle­magne. Je ne sais pas si c’était une excep­tion alle­mande, ou si les autres pays de l’espace Schen­gen pour­ront m’accorder la même « faveur ».

Ma liber­té de cir­cu­ler est main­te­nant res­treinte. Les consu­lats euro­péens échangent entre-eux, des listes de per­sonæ-non-gra­ta, et les dis­po­si­tions changent selon la gra­vi­té du délit entre guille­mets. En ce qui me concerne, je ne sais pas ce que l’on me reproche. Dans mon cas, j’ai eu la chance d’avoir cette ouver­ture de la part de l’Allemagne, mon com­pa­triote Oumar Mari­ko( Secré­taire géné­ral du SADI, Ndlr), lui il n’a pas pu voya­ger du tout.

Vos prises de posi­tion contre l’intervention mili­taire des forces étran­gères au Mali et notam­ment celle de la France ne seraient pas la cause de cette interdiction ?

Cer­tai­ne­ment, sinon je ne com­prends pas pour­quoi, la France et sur­tout les membres de ce gou­ver­ne­ment de gauche, qui m’ont reçu et qui me connaissent par­fai­te­ment le feraient. En prin­cipe, nous par­ta­geons les même idées.

Sauf que, la France consi­dère son inter­ven­tion au Mali comme une réus­site poli­tique et mili­taire, c’est le Pre­mier ministre Jean-Marc Ayrault qui l’a dit et ce suc­cess sto­ry de leur point de vue exige cer­tai­ne­ment un ver­rouillage, qu’il n’ y ait pas de cri­tiques, puisque l’unanimité leur réus­sit si bien ! Vous vous sou­ve­nez bien que toutes les réso­lu­tions concer­nant cette guerre ont été adop­tées à l’unanimité au Conseil de sécu­ri­té des Nations Unies, et avant-hier ( mar­di 23 avril Ndlr) ils viennent aus­si de voter à l’ una­ni­mi­té à l’ Assem­blée natio­nale et au Sénat fran­çais pour la pro­lon­ga­tion de l’Opération Ser­val au Mali.

Le pou­voir poli­tique a chan­gé de main en France voi­là bien­tôt un an et on peut consta­ter pour le déplo­rer avec cette opé­ra­tion que la poli­tique afri­caine de la France, demeure tou­jours la même.

Elle demeure inchan­gée et il ne nous le cache pas. Le Géné­ral De Gaulle l’a dit : « la France n’a pas d’amis mais des inté­rêts ». Peut-être c’est nous qui nous fai­sons des illu­sions, Fran­çois Hol­lande l’a d’ailleurs répé­té récem­ment en par­lant dos­sier Cen­tra­fri­cain quand Fran­çois Bozi­zé l’appelait à l’aide. Il lui a fait savoir que la France défen­dait ses inté­rêts et ses ressortissants.

Nous l’apprenons peut-être à nos dépens, parce qu’on se disait aus­si que les temps ont chan­gé et puisqu’ils sont confron­tés aux mêmes dif­fi­cul­tés que nous, liées au même envi­ron­ne­ment éco­no­mique inter­na­tio­nal, avec les ques­tions d’aide, de chô­mage de pau­vre­té etc. Mais à la lumière de ce qui se passe, il y a une grille de lec­ture qui s’applique à l’Afrique, on est consi­dé­ré comme des pays en faillite, pas de d’états, pas d’ armées, ils peuvent faire la pluie et le beau temps et ne tolèrent pas de voix discordantes.

Ils ne tolèrent pas de voix dis­cor­dantes, pour­tant ils se clament chantre de la liber­té de la d’expression. Peut-on inter­pré­ter cette inter­dic­tion de ter­ri­toire comme une entrave à la liber­té d’expression, puisque vous avez un point de vue discordant ?

Oui ! Pour­tant moi je n’ ai pas chan­gé, tout ceux qui me suivent depuis savent que j’ai pas chan­gé de dis­cours ceux sont les mêmes idées que je véhi­cule. Je ne m’attaque à per­sonne, je condamne tout sim­ple­ment un sys­tème éco­no­mique mon­dial cynique et la guerre fait par­ti de ce système.

Aujourd’hui la mili­ta­ri­sa­tion pour le contrôle des res­sources de l’Afrique fait par­ti de l’agenda. C’est ce que j’ai dit et c’est ce qu’ eux mêmes ils recon­naissent !!! Alors moi malienne, pour­quoi je n’ai pas le droit de poser ce regard sur les réa­li­tés de mon pays en guerre !!!

Com­ment envi­sa­gez-vous l’avenir du Mali et de la sous-région suite à cette inter­ven­tion mili­taire fran­çaise appuyée par des troupes africaines ?

Je pense que les troupes afri­caines sont mises à contri­bu­tion, et comme je l’ai déjà dit dans mon mani­feste ce n’est pas notre guerre, nous sommes entrés dans une phase de la glo­ba­li­sa­tion qui implique la diplo­ma­tie éco­no­mi­co-offen­sive et la militarisarisation.

Mais seule­ment, Al Qai­da est une réa­li­té et en même temps une aubaine, elle per­met aux diri­geants Afri­cains qui ont mal géré de dire main­te­nant que la prio­ri­té c’est la lutte contre le ter­ro­risme et aux puis­sance étran­gères de dire fai­sons cause com­mune lut­tons d’abord contre le terrorisme.

Et moi je dis que le véri­table ter­ro­risme c’est la misère, c’est les injus­tices, parce que je sais qu ’une bonne par­tie des com­bat­tants des dji­ha­distes sont avant tout, des jeunes déses­pé­rés sans bou­lot, ils n’ont pas de visas et se font recru­ter à la fois par les nar­co­tra­fi­quants et les dji­ha­distes. C’est cette réa­li­té qu’il nous faut regar­der main­te­nant de près.

Quelles leçons devrons nous tirer de la situa­tion au Mali et de ce qui vous arrive à vous ?

Je sou­haite que les Maliens et les Afri­cains s’ouvrent gran­de­ment les yeux et les oreilles et se disent qu’en réa­li­té, il n’y a pas un cas malien. Ce qui se passe aujourd’hui au Mali est l’illustration d’une nou­velle étape de la poli­tique de main­mise sur les res­sources du conti­nent, notam­ment les res­sources éner­gé­tiques, sans les­quelles la sor­tie de crise, la crois­sance et la com­pé­ti­ti­vi­té ne sont pas envi­sa­geables par l’Occident.

Au lieu de jouer cartes sur table et chan­ger les règles du jeu on pré­fère, nous écrire un autre his­toire, nous humi­lier, nous culpa­bi­li­ser. Avec tout ce qui se passe je consi­dère que le Mali est humi­lié, il y a donc aucune rai­son d’en ajou­ter en gar­dant le silence et c’est ce que tout le monde fait, et les occi­den­taux le savent pertinemment.

Rai­son pour laquelle, je me réjouis aujourd’hui de ce sou­tien inter­na­tio­nal parce qu’il y a énor­mé­ment de gens qui ne com­prennent pas, quelque soit la dif­fé­rence de lec­ture qu’un tel trai­te­ment me soit réser­vé. C’est donc une nou­velle phase de la déco­lo­ni­sa­tion de l ’Afrique. Il nous appar­tient main­te­nant à nous mêmes de voir ou sont les véri­tables défis.

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La rédac­tion de cameroonvoice

http://cameroonvoice.com/news/news.rcv?id=10646

NB. L’intégralité de l’entretien sera dif­fu­sée à l’émission “Antenne Libre”, ce Same­di 27 Avril 2013, 14h/16 à Mont­réal / New York, 19h à Doua­la, 18h à Bama­ko, sur la radio

Source : http://www.legrandsoir.info/interdite-de-sejour-dans-l-espace-schengen-aminata-traore-parle-de-la-deconvenue.html

Pho­tos : Ami­na­ta Trao­ré sur le stand de Sur­vie au FSM de Tunis il y a quelques semaines.