Le crime des pays arabo-musulmans envers l’Afrique noire

Étude sur la traite arabo-musulmane des Noirs par Tidiane N'Diaye : Le douloureux chapitre de la déportation des Africains en terres d'Islam, est comparable à un génocide.

Nous savons aujourd’­hui que les misères, la pau­vre­té, la longue stag­na­tion démo­gra­phique et les retards de déve­lop­pe­ment actuels du conti­nent noir, ne sont pas le seul fait des consé­quences du com­merce tri­an­gu­laire, comme bien des per­sonnes se l’i­ma­ginent, loin de là. Bien qu’il n’existe pas de degrés dans l’hor­reur ni de mono­pole de la cruau­té, l’on peut sou­te­nir sans risques de se trom­per, que le com­merce négrier et les expé­di­tions guer­rières pro­vo­quées par les Ara­bo-musul­mans, furent pour l’A­frique noire et tout au long des siècles, bien plus dévas­ta­teurs que la traite transatlantique.

Le dou­lou­reux cha­pitre de la dépor­ta­tion des Afri­cains en terres d’Is­lam, est com­pa­rable à un géno­cide. Cette dépor­ta­tion ne s’est pas seule­ment limi­tée à la pri­va­tion de liber­té et au tra­vail for­cé. Elle fut aus­si — et dans une large mesure — une véri­table entre­prise pro­gram­mée de ce que l’on pour­rait qua­li­fier “d’ex­tinc­tion eth­nique par cas­tra­tion.” Sur le sujet, bien des écrits témoignent des trai­te­ments abo­mi­nables que les Ara­bo-musul­mans réser­vaient aux cap­tifs afri­cains et aus­si, de leur solide mépris envers les peuples du bilad as-Sudan (le Pays des Noirs.) Ain­si et à ce pro­pos, l’his­to­rien Ibn-Khal­dum énonce : “les seuls peuples à accep­ter l’es­cla­vage sont les nègres, en rai­son d’un degré infé­rieur d’hu­ma­ni­té, leur place étant plus proche du stade ani­mal”, juge­ment qui se passe de commentaires. 

article_11158_7_0.jpgBien des peuples afri­cains s’é­taient pour­tant conver­tis à l’Is­lam, notam­ment depuis l’ar­ri­vée des Almo­ra­vides. Cette conver­sion ne les pré­ser­vait nul­le­ment de l’é­tat de “proie”, en dépit de leur sta­tut d’ “étran­gers” et de “récents conver­tis.” Car si la loi isla­mique ne revêt aucune forme de dis­cri­mi­na­tion liée à ce qu’il fal­lait bien nom­mer “la race” à l’é­poque, les Arabes pren­dront leurs aises avec l’es­prit du texte.

C’est ain­si que le Maro­cain Ahmed al-Wan­cha­ri­si décré­tait que “seul un incroyant peut être réduit en escla­vage… Mais s’il y a un doute sur la date à laquelle un homme est deve­nu esclave et s’est conver­ti à l’Is­lam, on ne peut remettre en ques­tion sa vente ou sa pos­ses­sion.” Il ajoute que “la conver­sion à l’Is­lam ne conduit pas for­cé­ment à la libé­ra­tion car l’es­cla­vage est une humi­lia­tion due à l’in­croyance pré­sente ou pas­sée.” Argu­ment que repren­dront à leur compte les “Sol­dats du Christ” dans le Nou­veau Monde à pro­pos des peuples à peau brû­lée qui sans doute étaient “trop cuits dans la matrice” (Ibn al Faqi.) Selon al-Wan­cha­ri­si, et d’autres encore, c’est au maître qu’il incom­bait de déci­der s’il sou­hai­tait ou non éman­ci­per son esclave. L’in­ter­pré­ta­tion des textes sacrés lais­sait libre cours à ceux qui en avaient jugé de déci­der du sort des musul­mans africains.

Mais pour­quoi cet impé­rieux besoin d’es­claves dans le monde arabe ? Et pour quel usage ? Nom­breux furent les esclaves affec­tés à la sur­veillance des harems. Ceux-là, comme bien d’autres par­mi les plus jeunes, subis­saient au préa­lable le sup­plice de la cas­tra­tion pour des rai­sons aisé­ment ima­gi­nables. La plu­part, cepen­dant, étaient affec­tés aux tâches domes­tiques ou bien incor­po­rés dans de véri­tables corps d’ar­mée. Les adultes mâles “entiers” étaient employés aux tra­vaux domes­tiques et guer­riers, dans les mines de sel et d’or, voire dans les pro­prié­tés agri­coles. Quant aux “femelles”, les harems en étaient rem­plis, tout au moins pour les plus belles. Celles dépour­vues de charmes rejoi­gnaient le trou­peau des gar­diennes de trou­peaux et de “bonnes à tout faire” et cela, quelle que fût leur ori­gine eth­nique, il faut le préciser.

Il est un fait, depuis des temps fort anciens, les eunuques étaient den­rée recher­chée dans le monde arabe. Il y eut d’a­bord les jeunes Slaves (Euro­péens) emme­nés de force en Espagne pour y subir l’am­pu­ta­tion les pri­vant de leur viri­li­té. La loi cora­nique inter­di­sant aux vrais croyants de pra­ti­quer en per­sonne l’o­pé­ra­tion, celle-ci était l’a­pa­nage d’un “peuple cou­sin” c’est-à-dire les juifs. Ensuite, ce fut au tour des gar­çons du conti­nent noir de subir la même atteinte. Leurs chances de sur­vie étaient minimes, la mort empor­tant de 70 à 80 % des “patients”, un véri­table géno­cide. Aus­si, s’il existe bien des des­cen­dants de Noirs en terres ara­bo-musul­manes, ceux-là sont une excep­tion. Ils doivent leur exis­tence au désir des anciens maîtres, d’aug­men­ter leur “chep­tel” à bon compte et dans des buts essen­tiel­le­ment pratiques.

Bes­tia­li­sa­tion et mutilation

Dès les débuts de la traite orien­tale, les Ara­bo-musul­mans avaient déci­dé de cas­trer les Noirs, pour empê­cher qu’ils ne fassent souche. Ces mal­heu­reux étaient sou­mis à de ter­ribles contraintes, pour évi­ter qu’ils ne s’in­tègrent en implan­tant une des­cen­dance dans cette région du monde. Sur le sujet, les com­men­taires d’une rare bru­ta­li­té des Mille et une Nuits témoignent des trai­te­ments abo­mi­nables que les Arabes réser­vaient aux cap­tifs afri­cains, dans leurs socié­tés escla­va­gistes, cruelles et par­ti­cu­liè­re­ment mépri­santes pour les Noirs. Sur l’ex­ploi­ta­tion sans ver­gogne des peuples afri­cains dès le XVIIe siècle — exploi­ta­tion moti­vée par des rai­sons essen­tiel­le­ment éco­no­miques et de “salu­bri­té” — les Euro­péens, bien après Venise et Byzance, Por­tu­gais et Anglais en tête sui­vis de près par les Fran­çais et les Espa­gnols, ont allé­gre­ment rem­pla­cé les pré­da­teurs ara­bo-musul­mans en fait de chasse aux esclaves et de com­merce ad hoc : c’est la traite atlan­tique, de sinistre mémoire.

article_11158_5_0.jpgTou­te­fois, comme l’a sou­li­gné Fer­nand Brau­del, la traite négrière n’a pas été une inven­tion dia­bo­lique de l’Eu­rope. C’est bien les Ara­bo-musul­mans qui en sont à l’o­ri­gine et l’ont pra­ti­qué en grand. Si la traite atlan­tique a duré de 1660 à 1790 envi­ron, les Ara­bo-musul­mans ont raz­zié les peuples noirs du VIIe au XXe siècle. Et du VIIe au XVIe siècle, pen­dant près de mille ans, ils ont même été les seuls à pra­ti­quer la traite négrière. Aus­si, la stag­na­tion démo­gra­phique, les misères, la pau­vre­té et les retards de déve­lop­pe­ment actuels du conti­nent noir, ne sont pas le seul fait des consé­quences du com­merce tri­an­gu­laire, comme bien des per­sonnes se l’i­ma­ginent, loin de là.

De même que si des guerres tri­bales et de san­glantes repré­sailles eurent lieu tout au long des siècles, entre tri­bus voire entre eth­nies afri­caines, tout cela res­tait modeste à bien des égards, jus­qu’à l’ar­ri­vée des “visi­teurs” ara­bo-musul­mans. Les his­to­riens, dans leur immense majo­ri­té, sont for­mels : bien avant l’Is­lam, la traite orien­tale, qui s’est d’a­bord exer­cée à l’en­contre des Slaves (Euro­péens : on parle de huit à dix mil­lions de vic­times) a fini par tabler sur la faci­li­té, en se repor­tant sur les peuples du conti­nent noir. Peuples que les Ara­bo-musul­mans consi­dé­raient comme étant naïfs et dépour­vus de moyens de défense effi­caces. Et s’il y eut de grands mou­ve­ments abo­li­tion­nistes en Occi­dent lors de la traite atlan­tique, on ne trouve nulles traces d’i­ni­tia­tives équi­va­lentes dans le monde ara­bo-musul­man. Quant aux chiffres de cette traite orien­tale que nous ver­rons plus loin — du moins ceux par­ve­nus jus­qu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de rela­tions écrites au contraire des atlan­tistes — sont effarants.

L’his­to­rien anglais Regi­nald Cou­pland avance que le “total des Afri­cains impor­tés aucours des siècles doit être pro­di­gieux”, ce que sou­tiennent bien des auteurs qui ne peuvent être sus­pec­tés de par­ti pris. Le Jihad (la guerre sainte contre les incroyants) aidant, Arabes, Turcs, Per­sans et négriers du Magh­reb ont sai­gné “à blanc” le conti­nent noir, et ce pen­dant plus de treize siècles. L’ex­pan­sion arabe était com­pa­rée par Ibn Khal­doum : “à des sen­ti­nelles n’é­par­gnant même pas les forêts.” Ce savant arabe assu­rait que ses com­pa­triotes, tels des Atti­la, semaient la ruine et la déso­la­tion par­tout où ils pas­saient, depuis la terre des Noirs jus­qu’aux bords de la Médi­ter­ra­née. Avec l’ar­ri­vée des Arabes les tech­niques des “col­lectes guer­rières” en Afrique furent pro­gres­si­ve­ment très étu­diées et bien huilées.

article_11158_4_0.jpgCe com­merce de chair entre cer­tains monarques et les chas­seurs d’hommes devien­dra flo­ris­sant. Tout un ramas­sis de cour­tiers et d’in­ter­mé­diaires, pour le compte de quelques roi­te­lets cupides ven­dait sans ver­gogne aux Arabes, les pri­son­niers dont ils tiraient un bon prix. L’homme pour ses pareils étant alors consi­dé­ré “bonne mar­chan­dise”, sur­tout quand l’ap­pât du gain ou le désir de ven­geance meu­blait les esprits. L’une de ces “tech­niques de chasse” consis­tait à ceci : après avoir encer­clé un vil­lage en pleine nuit, les guet­teurs éli­mi­nés, un meneur pous­sait un cri afin que ses com­plices allument leurs torches. Les vil­la­geois sur­pris dans leur som­meil étaient mis hors d’é­tat de se défendre, les hommes et les femmes âgées mas­sa­crées ; le reste était gar­rot­té en vue du futur et long tra­jet. Ceux qui avaient réus­si à s’en­fuir étaient pour­chas­sés par les molosses dres­sés à la chasse à l’homme.

Il arri­vait que des fugi­tifs se réfu­gient dans la savane, à laquelle les tra­fi­quants met­taient le feu pour les débus­quer. Ensuite pour les res­ca­pés com­men­çait la longue marche vers la côte ou l’A­frique du Nord, à tra­vers le désert impi­toyable. Les pertes esti­mées à envi­ron 20 % du “chep­tel”, étaient inévi­tables. La pro­gres­sion des cara­vanes de cap­tifs à tra­vers cet océan de sable durait par­fois des mois. Ima­gi­nons leurs condi­tions de sur­vie, les adultes mâles “accou­plés” à l’aide d’une fourche de bois et rete­nus par un col­lier de fer (qui à la longue creu­sait les chairs) au cours de leur inter­mi­nable et dur tra­jet. Le froid des nuits, la cha­leur des jours, la faim, les injures et le fouet, les maladies…

L’ex­plo­ra­teur Nat­chi­gal nous en rap­porte un témoi­gnage poi­gnant dans un style baroque :

Les pauvres enfants des pays noirs semblent ren­con­trer la mort ici à la der­nière étape d’un long, déses­pé­rant et pénible voyage. Le long tra­jet accom­pli avec une nour­ri­ture insuf­fi­sante et une eau rare, le contraste entre d’une part les riches res­sources natu­relles et l’at­mo­sphère humide de leur patrie, et d’autre part l’air sec et ané­miant du désert, les fatigues et les pri­va­tions impo­sées par leurs maîtres et par les cir­cons­tances dans les­quelles ils se trouvent, ont peu à peu rui­né leur jeune force. Le sou­ve­nir de la patrie dis­pa­rue en che­min, la crainte d’un futur incon­nu, le voyage inter­mi­nable sous les coups, la faim, la soif et l’é­pui­se­ment mor­tel, ont para­ly­sé leurs der­nières facul­tés de résis­tance. Si les pauvres créa­tures manquent de forces pour se lever et mar­cher de nou­veau, elles sont tout sim­ple­ment aban­don­nées, et leur esprit s’é­teint len­te­ment sous l’ef­fet des­truc­teur des rayons du soleil, de la faim et de la soif…

Pre­mier dépeu­ple­ment d’un continent

Après le pas­sage des négriers arabes, Stan­ley pré­ten­dra que dans cer­taines régions d’A­frique, il ne sub­sis­tait guère plus de 1 % de la popu­la­tion. “Le sang noir ruis­selle vers le nord, l’é­qua­teur sent le cadavre”, écrit éga­le­ment le célèbre explo­ra­teur. À l’ar­ri­vée enfin, la “mar­chan­dise” était offerte aux ama­teurs dans les mar­chés pré­vus à cet effet. Voyons ce qu’en dit un témoin euro­péen qui assis­ta à ces ventes d’esclaves :

Il y a deux ou trois rues près le dit Can­cal­li (quar­tier du Caire), où se vendent les pauvres esclaves, où j’en ay vu plus de quatre cents pour un coup, la plu­part des­quels sont noirs : qu’ils dérobent sur les fron­tières du Pretre-Jan ?

article_11158_8_0.jpgIls les font ran­ger par ordre contre la muraille tous nuds, les mains liées par der­rières, afin qu’on les puisse mieux contem­pler, et voir s’ils ont quelque défec­tuo­si­té, et avant que de les mener au mar­ché, ils les font aller au bain, leur peignent et tressent les che­veux assés mignar­de­ment, pour les mieux vendre, leur mettent bra­ce­lets et anneaux aux bras, et aux jambes, des pen­dants aux oreilles, aux doigts et au bout des tresses de leurs che­veux ; et de ceste façon sont menés au mar­ché, et magui­gnon­dés comme che­vaux. Les filles à la dif­fé­rence des gar­çons, ont seule­ment un petit linge au tour pour cou­vrir leurs par­ties hon­teuses : là est per­mis à cha­cun de les visi­ter et manier devant et der­rière, de les faire mar­cher et cou­rir, par­ler et chan­ter, regar­der aux dents, sen­tir si leur haleine n’est point puante : et comme on est prest de faire mar­ché, si c’est une fille, ils la retirent seule­ment un peu à l’é­cart, qu’ils couvrent d’un grand drap, où elle est ample­ment visi­tée en pré­sence de l’a­che­teur par des matrones à ce com­mises pour cognoistre si elle est pucelle. Cela estant, elle vaut davantage.

Arri­vés en terres ara­bo-musul­manes, les cap­tifs afri­cains allaient se révol­ter. En Méso­po­ta­mie, fut dépor­tée une masse consi­dé­rable de cap­tifs noirs. Ces hommes appe­lés Zends étaient ori­gi­naires pour la plu­part d’A­frique orien­tale. Ils étaient affec­tés à la construc­tion de villes comme Bag­dad et Bas­ra. Ceci dans le vaste cadre d’un tra­fic qui allait pros­pé­rer pen­dant plus d’un mil­lé­naire. Les Zends consi­dé­rés comme des sous-hommes par les Arabes, avaient la répu­ta­tion, une fois réduits en escla­vage, de se satis­faire assez rapi­de­ment de leur sort, donc par­ti­cu­liè­re­ment des­ti­nés au servage.

Ain­si, l’es­sor de la traite trans­sa­ha­rienne et orien­tale fut aus­si insé­pa­rable de celui du racisme. Depuis la nuit des temps, c’est un moyen simple et bas­se­ment effi­cace pour nier la digni­té humaine de ceux que l’on vou­drait asser­vir. Les Arabes employaient le mot Zendj dans une nuance péjo­ra­tive et mépri­sante : “Affa­mé”, disaient-ils, “le Zendj vole ; ras­sa­sié, le Zendj viole.” Dans ce pays les Noirs étaient affec­tés aux tâches les plus rebu­tantes. Par­qués sur leur lieu de tra­vail dans des condi­tions misé­rables, ils per­ce­vaient pour toute nour­ri­ture quelques poi­gnées de semoule et des dattes. Les Afri­cains lais­se­ront écla­ter leur haine avec l’ob­jec­tif de détruire Bag­dad, la cité sym­bole de tous les vices. Armés de simples gour­dins ou de houes et for­més en petites bandes, ils se sou­le­vèrent dès l’an 689. Cette pre­mière insur­rec­tion se pro­dui­sit au cours du gou­ver­ne­ment de Khâ­lid ibn ‘Abdal­lah, suc­ces­seur de Mus‘ab ibn al-Zubayr.

Les révol­tés qui s’é­taient orga­ni­sés avaient réus­si par la suite, à se pro­cu­rer des armes. Ils se for­ti­fièrent dans des camps ins­tal­lés à des endroits inac­ces­sibles. Et à par­tir de ces dif­fé­rents points, ils lan­çaient des raids. Un grand nombre d’embuscades et de batailles tour­ne­ront à leur avan­tage. Ils réus­sirent par la suite à s’emparer de prin­ci­pales villes du bas Irak et du Khû­zis­tân comme al-Ubul­la, Abbâ­dân, Bas­ra, Wâsit, Djub­ba, Ahwâz etc. Les troupes abbas­sides allaient tou­te­fois réus­sir à réoc­cu­per sans mal, toutes ces villes que les Zends avaient prises, pillées puis aban­don­nées. Les Zends seront fina­le­ment vain­cus, les pri­son­niers remis en escla­vage ou déca­pi­tés et leurs cadavres pen­dus au gibet. Ceci ne les dis­sua­de­ra pas de fomen­ter une seconde révolte mieux orga­ni­sée. Cette insur­rec­tion eut lieu cinq ans plus tard, en 694.

Elle semble avoir été plus impor­tante que la pre­mière, et sur­tout mieux pré­pa­rée. Cette fois, les Zends furent rejoints par d’autres Noirs déser­teurs des armées du calife, des esclaves gar­diens de trou­peaux venus du Sind en Inde et aus­si d’autres ori­gi­naires de l’in­té­rieur du conti­nent afri­cain. Les insur­gés infli­gèrent dans un pre­mier temps, une lourde défaite à l’ar­mée du calife venue de Bag­dad, avant d’être bat­tus. Les armées arabes furent néan­moins obli­gées de s’y prendre à deux fois pour les écra­ser. Quant à la troi­sième révolte des Zends, elle est la plus connue et la plus impor­tante. Elle secoua très for­te­ment le bas Irak et le Khû­zis­tân, cau­sant des dégâts maté­riels énormes et des cen­taines de mil­liers de morts voire plus de deux mil­lions selon cer­taines sources.

La révolte des dam­nés de la terre

C’est le 7 sep­tembre 869, que sous les ordres d’un chef cha­ris­ma­tique, Ali Ben Moham­med sur­nom­mé Sâhib al-Zandj qui veut dire le“Maître des Zends” que les Afri­cains se sou­le­vèrent. L’homme était d’o­ri­gines assez obs­cures — mais avait visi­ble­ment pu appro­cher les classes diri­geantes de son époque. Il était éga­le­ment un poète talen­tueux, ins­truit, ver­sé dans les sciences occultes et socia­le­ment enga­gé dans des actions d’aide auprès des enfants. Il leur appre­nait à lire et à se fami­lia­ri­ser avec des matières comme la gram­maire et l’as­tro­no­mie. Ali Ben Moham­med avait déjà fomen­té plu­sieurs sou­lè­ve­ments dans d’autres régions du pays, avant de réus­sir, à la tête des Zends, la plus grande insur­rec­tion d’es­claves de l’his­toire du monde musul­man. En fait la période était favo­rable à l’ex­pan­sion et à la réus­site pour les insurgés.

article_11158_3_0.jpgLe pou­voir cen­tral n’é­tait pas en mesure, pour des rai­sons inté­rieures et exté­rieures, de les com­battre effi­ca­ce­ment. Bag­dad la capi­tale était livrée à une indes­crip­tible anar­chie, après le meurtre du calife al-Muta­wa­ki. Les offi­ciers turcs de la garde pré­to­rienne avaient impo­sé à sa suite, entre 870 et 874, quatre califes sans réel pou­voir et entiè­re­ment à leur mer­ci. Dans de nom­breuses pro­vinces, les popu­la­tions pauvres et sou­vent affa­mées défiaient épi­so­di­que­ment l’au­to­ri­té des gou­ver­neurs. Quant aux régions situées sur les hauts pla­teaux du Kur­dis­tan, sur les fars, au sud de l’I­ran et le Sind au bord du golf d’O­man, elles s’é­taient tout sim­ple­ment décla­rées indé­pen­dantes du cali­fat et diri­gées par la dynas­tie de Ya qab al-Saf­fas (863 – 902.)

Il faut dire aus­si que la zone des marais du Bas-Irak, appe­lée le Khû­zis­tân, était presque impé­né­trable. Ses nom­breux canaux en inter­di­saient l’ac­cès à de gros bâti­ments capables de trans­por­ter des troupes. Cette région offrait éga­le­ment des refuges aux révol­tés, qui pou­vaient appa­raître aus­si faci­le­ment qu’ils décro­chaient devant un adver­saire dérou­té. Ali Ben Moham­med n’é­tait pas Zendj, mais allié pro­vi­den­tiel des Afri­cains. C’é­tait un chef arabe qui récla­mait l’é­ga­li­té de tous les hommes, sans dis­tinc­tion de cou­leur. Cet ancien esclave blanc avait long­temps fra­ter­ni­sé avec des asser­vis de toutes ori­gines. C’est donc sous son com­man­de­ment, que les Zends se sou­le­vèrent à nou­veau lors de ce que la mémoire arabe retient comme étant la ter­rible guerre des Zends. Ils vont piller de nom­breuses villes, mas­sa­crer les habi­tants et mettre en déroute les troupes envoyées pour com­battre l’insurrection.

Une forte armée par­tie de Bag­dad sous le com­man­de­ment du géné­ral Abu Man­sur, fut taillée en pièces par les Afri­cains. Ces der­niers vont éga­le­ment battre et mettre en fuite les quatre mille hommes de l’ar­mée com­man­dée par le géné­ral turc Abu Hilal. Un mil­lier de ses sol­dats sera mas­sa­cré tan­dis que de nom­breux pri­son­niers rame­nés par les Zends seront à leur tour, mis à mort. Les insur­gés s’emparèrent de 24 navires de haute mer qui remon­taient vers Bas­ra. Cette révolte avait fini par être popu­laire. Les Zends réus­sirent à gagner la sym­pa­thie de nom­breux pay­sans libres et même de pèle­rins de pas­sage. Après s’être affran­chis, ils orga­ni­sèrent un embryon d’É­tat avec une admi­nis­tra­tion et des tri­bu­naux. Dans cette nou­velle enti­té auto­nome, ils appli­quaient la loi du talion aux Arabes vain­cus et aux sol­dats turcs, qui étaient réduits en escla­vage et objet de trafic.

Les Zends atta­que­ront par sur­prise et feront tom­ber Bas­ra, sur trois fronts, le ven­dre­di 7 sep­tembre 871 à l’heure de la prière. Ils fixèrent ensuite leur capi­tale dans la ville proche de Al-Muh­ta­ra, siège de leur com­man­de­ment mili­taire et admi­nis­tra­tif. Soli­de­ment ins­tal­lés, ils frap­pèrent leur propre mon­naie, orga­ni­saient leur État tout en essayant, de nouer des rela­tions diplo­ma­tiques avec d’autres mou­ve­ments contem­po­rains comme ceux des Kar­mates de Ham­dân Kar­mat, et des Saf­fâ­rides de Ya‘kûb ibn al-Layth. Les Zends tien­dront pen­dant près de qua­torze ans, avant d’être écra­sés en 883, par une coa­li­tion de troupes envoyées par les califes locaux. Car ils étaient deve­nus entre-temps, la prin­ci­pale pré­oc­cu­pa­tion du cali­fat de Bag­dad. Celui-ci déci­de­ra d’a­gir métho­di­que­ment, net­toyant tout sur son pas­sage pour obli­ger les Zends à s’en­fer­mer dans la région des canaux.

Ils y subi­ront ensuite, un long siège diri­gé par al-Muwaf­fak et son fils, Abû l‘Abbâs (le futur calife, al-Mu‘tadid.) Mal­gré une résis­tance achar­née pen­dant plus de deux ans de siège, l’ar­deur des com­bat­tants afri­cains devait pro­gres­si­ve­ment retom­ber. Car Ali Ben Moham­med qui s’é­tait pro­cla­mé Mah­di, des­cen­dant du pro­phète, avait fini par mettre en place des struc­tures très hié­rar­chi­sées et par­ti­cu­liè­re­ment inéga­li­taires. Rom­pant avec les prin­cipes qu’il affi­chait au départ de leur aven­ture, Ali Ben Moham­med fai­sait des Noirs les prin­ci­pales vic­times relé­guées au bas de l’é­chelle sociale. En fait, jus­qu’à l’a­bo­li­tion totale de l’es­cla­vage au XXe siècle, dans les pays cen­traux de l’Is­lam même affran­chis, jamais un Noir ne s’é­le­vait au-des­sus du niveau le plus bas de ces sociétés.

Certes de nom­breux fils ou petit-fils de concu­bines noires, se sont illus­trés à la tête d’ar­mées arabes voire même du pre­mier cali­fat, comme Omar et Amr Ibn al As, conqué­rant de l’É­gypte. Et le célèbre eunuque nubien Abû’l-Musk Kafur, devint régent d’É­gypte au Xe siècle. Mais pour illus­trer le mépris qu’il ins­pi­rait à ses com­pa­triotes, le grand poète arabe Al Muta­nab­bi lui dédia cette satire injurieuse :

Pour qu’un esclave per­vers assas­sine son maître

Ou le tra­hisse, faut-il le for­mer en Égypte ?

Là-bas, l’eu­nuque est deve­nu le chef d’es­claves en cavale,

L’homme libre est asser­vi ; on obéit à l’esclave.

L’es­clave n’est pas un frère pour l’homme libre et pieux

Même s’il est né dans des habits d’homme libre.

N’a­chète pas un esclave sans ache­ter une trique

Car les esclaves sont infects et bons à rien.

Jamais je n’au­rais pen­sé vivre pour voir le jour

Où un chien me ferait du mal et en serait loué

Pas plus que je n’i­ma­gi­nais voir disparaître

Les hommes dignes de ce nom

Et sub­sis­ter l’i­mage du père de la générosité

Et voir ce nègre avec sa lèvre per­cée de chameau

Obéi par ces lâches mercenaires.

Qui a jamais ensei­gné la noblesse à ce nègre eunuque ?

Sa paren­tèle “blanche” ou ses royaux ancêtres ?

Ou son oreille qui saigne dans les mains du négrier,

Ou sa valeur, car pour deux sous on le rejetterait ?

Il faut l’ex­cu­ser compte tenu de toute bassesse -

Mais une excuse est par­fois un reproche -

Et s’il en est ain­si parce que les éta­lons blancs

Sont inca­pables de noblesse, alors que dire

D’eu­nuques noirs ?

Et le poète d’ajouter

Celui qui vous tient par sa parole ne res­semble pas à celui qui vous tient dans sa prison -

La mor­ta­li­té de l’es­clave noir est limi­tée par son sexe puant et ses dents.

Et si tu as des doutes sur sa per­sonne et sa condition

Vois quelle est sa race.

Celui qui est mon­té trop haut pour son mérite ne peut pour autant s’ar­ra­cher à ses origines.

article_11158_2_0.jpgEn Irak aus­si mal­gré ses prin­cipes éga­li­taires affi­chés au début de l’in­sur­rec­tion, Ali Ben Moham­med — sans doute ani­mé du même mépris à l’en­contre des Noirs — fera que dans son orga­ni­sa­tion sociale, les richesses et les titres soient réser­vés à ses seuls com­pa­gnons blancs. Ceci explique que les Zends finirent par ne plus savoir, pour­quoi ils se bat­taient. Tan­dis qu’en face, les troupes adverses accueillaient les déser­teurs à bras ouverts, avec hon­neur en les com­blant de cadeaux à la vue des assié­gés. Et pour saper encore plus le moral des com­bat­tants, ils pous­saient vers leurs défenses, des embar­ca­tions rem­plies de têtes de leurs com­pa­gnons tués. Fina­le­ment, au terme de nom­breux assauts des forces coa­li­sées, Ali Ben Moham­med le chef des Zends, fut tué.

Tout son État-major et ses offi­ciers seront éga­le­ment tués ou faits pri­son­niers et trans­fé­rés à Bag­dad où ils seront déca­pi­tés deux ans plus tard. La plu­part des résis­tants afri­cains pré­fé­re­ront la mort les armes à la main plu­tôt que la red­di­tion. Beau­coup de ceux qui furent pris vivants, seront égor­gés un par un, tan­dis que d’autres subi­ront d’a­troces sup­plices. Cepen­dant, al-Muf­fa­waq frère du calife al-Muta­mid qui avait si long­temps com­bat­tu les Zends, déci­da de gra­cier beau­coup d’entre eux qu’il incor­po­re­ra dans les armées du calife, ren­dant ain­si hom­mage à la bra­voure et à la com­ba­ti­vi­té des Afri­cains. En fait contrai­re­ment aux thèses de cer­tains auteurs, cette guerre des Zends ne fut nul­le­ment une cas­cade d’af­fron­te­ments obs­curs mal connus et sans dates. Ce sur­saut des esclaves contre l’as­ser­vis­se­ment, durant qua­torze longues années, entre 869 et 883, aura fait en terre d’is­lam selon les his­to­riens arabes, entre 500 000 et 2 mil­lions de victimes.

Le résul­tat de ce conflit meur­trier fut la dis­pa­ri­tion des chan­tiers qui avaient vu le mar­tyre des esclaves noirs, avec l’a­ban­don des entre­prises de des­sa­lage des terres du marais. Et après cela il n’y eut presque plus jamais de culture de la canne à sucre dans cette région. En fait l’es­cla­vage pro­duc­tif des Afri­cains dans ce pays fut au demeu­rant un désastre. Quant aux dif­fé­rentes révoltes des Zends, elles auront son­né le glas d’une manière géné­rale, à l’ex­ploi­ta­tion mas­sive de la main-d’œuvre noire dans le monde arabe. Ces révoltes res­tent éga­le­ment dans la mémoire arabe, comme les évé­ne­ments majeurs ayant sérieu­se­ment ébran­lé les fon­de­ments mêmes de ce qui res­tait de l’empire de Méso­po­ta­mie et mar­qué le début de son déclin, bien avant le coup de grâce, qui sera por­té par les enva­his­seurs mon­gols au XIIIe siècle.

Pour ce qui est de cette traite en direc­tion des pays ara­bo-musul­mans, elle fut la plus longue de l’his­toire car faut-il le rap­pe­ler, l’A­ra­bie Saou­dite et la Mau­ri­ta­nie n’ont “offi­ciel­le­ment” abo­li l’es­cla­vage qu’en 1962 pour le pre­mier pays et en 1980 pour le second, long­temps après la Tuni­sie et l’Al­gé­rie (1846) et les pays d’Eu­rope. On peut sou­te­nir que le com­merce négrier et les expé­di­tions guer­rières des Ara­bo-musul­mans, furent pour l’A­frique noire et tout au long des siècles, bien plus dévas­ta­teurs que la traite atlan­tique. Dans la traite trans­sa­ha­rienne et orien­tale, les Arabes des­ti­naient la plu­part des femmes noires aux harems et cas­traient les hommes comme nous l’a­vons vu, par des pro­cé­dés très rudi­men­taires qui cau­saient une mor­ta­li­té consi­dé­rable. Leurs pos­si­bi­li­tés de se repro­duire étaient ain­si annihilées.

article_11158_1_0.jpgPour les sur­vi­vants, tous ceux qui, ayant atteint un cer­tain âge, étaient mis à mort comme bouches inutiles. Ain­si, en dépit des masses énormes de popu­la­tions impor­tées, seule une mino­ri­té de dépor­tés afri­cains, a pu se per­pé­trer dans le monde musul­man. Ce qui explique que les des­cen­dants d’es­claves afri­cains ont presque tous dis­pa­ru sans lais­ser de traces. Ils sont aujourd’­hui presque inexis­tants en Orient. Il est cer­tain que la pra­tique géné­ra­li­sée de la cas­tra­tion, en est l’un des prin­ci­paux fac­teurs. Quant aux condi­tions de vie de la majo­ri­té des sur­vi­vants, un voya­geur anglais rap­porte qu’elles “étaient tel­le­ment éprou­vantes, que cinq à six ans suf­fi­saient pour sup­pri­mer une géné­ra­tion entière d’es­claves. Il fal­lait à nou­veau refaire le plein.” Un tel géno­cide, chose curieuse, très nom­breux sont ceux qui sou­hai­te­raient le voir recou­vert à jamais du voile de l’ou­bli, sou­vent au nom d’une cer­taine soli­da­ri­té reli­gieuse voire politique.

Rai­son pour laquelle, la plu­part des his­to­riens afri­cains ou autres, ont res­treint le champ de leurs recherches sur les traites négrières à celle pra­ti­quée par les nations occi­den­tales. Notre pro­pos n’a rien de mora­li­sa­teur, car com­ment com­pa­rer ce qui fut, compte tenu des men­ta­li­tés et des sen­si­bi­li­tés de l’é­poque, avec notre pré­sent. Le sou­hait est que les géné­ra­tions futures soient infor­mées de l’an­té­rio­ri­té et de la dimen­sion de la traite trans­sa­ha­rienne et orien­tale. Et que les nations ara­bo-musul­manes se penchent enfin sur cette sinistre page de leur his­toire, assument leur res­pon­sa­bi­li­té pleine, entière et pro­noncent un jour leur aggior­na­men­to comme les autres et c’est cela aus­si, l’Histoire.

Tidiane N’Diaye

Cet article est publié dans afri­cul­tures en par­te­na­riat avec Cultures Sud

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À l’oc­ca­sion du lan­ce­ment d’un mou­ve­ment, pour ame­ner les pays ara­bo-musul­mans à recon­naître, comme la France l’a fait, leurs res­pon­sa­bi­li­tés dans l’es­cla­vage des peuples noirs, un ras­sem­ble­ment aura lieu devant l’am­bas­sade du Maroc le 2 décembre 2012, à l’i­ni­tia­tive de la Fon­da­tion du Mémo­rial de la Traite des Noirs.

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