Le logement au Venezuela : droit ou marchandise ?

Quand Pierre Bourdieu rencontre Simon Bolivar...

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JESSE CHACON : LE LOGEMENT AU VENEZUELA : droit ou marchandise ?

same­di 11 juin 2011

Image_7-11.png La vaste Mis­sion Loge­ment Vene­zue­la récem­ment lan­cée par le gou­ver­ne­ment boli­va­rien, a sus­ci­té des réac­tions abon­dantes et diver­gentes dans la popu­la­tion. Alors que des cen­taines de mil­liers de citoyen(ne)s se sont ren­dus mas­si­ve­ment aux points d’inscription sur les places publiques, réaf­fir­mant leur par­ti­ci­pa­tion à cette mis­sion, la droite véné­zué­lienne parie sur l’échec de cette ini­tia­tive de poli­tique sociale du gouvernement.

Par­mi ses argu­ments, il y a “l’inviabilité” de cette mis­sion. C’est le même argu­ment qu’elle a uti­li­sé il y a une décen­nie contre les objec­tifs ambi­tieux de réduire la pau­vre­té, de garan­tir la san­té et l’éducation que pro­po­sait le pre­mier plan de déve­lop­pe­ment de la nation. Ceux-ci sont aujourd’hui des réa­li­tés pal­pables, vali­dées non seule­ment par le peuple véné­zué­lien comme prin­ci­pal béné­fi­ciaire mais aus­si par les orga­nismes inter­na­tio­naux de réfé­rence et par le cadre nor­ma­tif dans la pro­tec­tion de ces droits for­mé par l’ONU, l’UNESCO, l’Organisation Mon­diale de la San­té, entre autres.

Aujourd’hui, mal­gré le rejet de ces poli­tiques par l’opposition, la popu­la­tion opte avec enthou­siasme et espoir pour une stra­té­gie qui renoue avec l’obligation poli­tique et morale d’un état qui construit des garan­ties et prend sur lui la grande dette sociale que l’élite bour­geoise a tou­jours invisibilisée.

Le rêve social et cette espé­rance se reflètent dans notre enquête de mai 2011. 74.3 % des véné­zué­liens consi­dèrent que cette mis­sion contri­bue­ra à la solu­tion du pro­blème du loge­ment. Ce chiffre monte à mesure qu’on des­cend dans les classes sociales. Les chiffres vont de 78.4 % dans la classe D, à 76.9 % dans la classe E. La “mis­sion loge­ment” reçoit son plus grand appui par­mi les jeunes avec un taux de 79,9 %.

De la même manière 63.5 % de la popu­la­tion croit que le gou­ver­ne­ment res­pec­te­ra ses enga­ge­ments de construire ces loge­ments. Ces fortes attentes sont plus grandes dans la classe D (65,5 %), la classe E (70,1 %) et la jeu­nesse (66,9 %).

Ques­tion : pour­quoi l’opposition véné­zué­lienne com­met-elle de nou­veau l’erreur d’affronter une poli­tique qui appro­fon­dit la qua­li­té de vie de la population ?

Nous croyons que trois élé­ments expliquent cette réaction :

1. — La culture éga­li­taire va contre la logique cultu­relle de la dis­tinc­tion bour­geoise. L’opposition est l’expression poli­tique de cette élite qui pen­dant 50 ans au gou­ver­ne­ment a fait preuve d’avarice, acca­pa­rant la rente pétro­lière alors que les exclus ne trou­vaient pas d’espace dans la ville. Cette élite n’a pas construit un tis­su indus­triel capable d’absorber l’immense vague de migrants ruraux et n’a pas per­mis une appro­pria­tion ordon­née des espaces urbains par cette popu­la­tion émi­grée. La construc­tion sociale de l’espace a été le pro­duit de la lutte des habi­tants, qui a tour­né à leur désa­van­tage en les repous­sant dans les cor­dons de quar­tiers popu­laires et les a obli­gés à déve­lop­per des pro­ces­sus d’urbanisation en zone inapte et avec des maté­riels inadéquats.

La bour­geoi­sie a joui cultu­rel­le­ment de cette ségré­ga­tion et de cette dif­fé­ren­cia­tion car la dis­tinc­tion spa­tiale a éle­vé son sta­tut comme élite. C’est comme cela qu’ont sur­gi les “hau­teurs” pour les pauvres et les “col­lines” pour les riches. Ce fut sans aucun doute une inver­sion morale propre du capi­ta­lisme : se sen­tir bien quand on est dif­fé­rent et qu’on a plus, tan­dis que d’autres n’ont rien.

2. — L’inexistence dans le camp de l’opposition, d’un pro­gramme alter­na­tif poli­tique et social dif­fé­rent de la recette néo-libé­rale qui a été reje­tée par la mobi­li­sa­tion sociale de 1989, la mobi­li­sa­tion mili­taire de 1992 et par la mobi­li­sa­tion élec­to­rale de 1998. Faute de pro­gramme, l’opposition n’a pu que parier sur l’échec du pro­ces­sus boli­va­rien comme pos­si­bi­li­té de prendre le pou­voir pour des sec­teurs mépri­sés et poli­ti­que­ment exclus. A chaque fois cette stra­té­gie s’est révé­lée désas­treuse pour eux car les bases popu­laires ont trou­vé dans la pro­po­si­tion boli­va­rienne la digni­té his­to­rique qui leur a tou­jours été refusée.

3. — La poli­tique de créa­tion de garan­ties face au pro­blème du loge­ment qu’assume le gou­ver­ne­ment boli­va­rien, déstruc­ture le loge­ment comme mar­chan­dise, comme valeur d’échange et lui rend le sta­tut de valeur d’usage lié à “l’être” plus qu’à “l’avoir”. En défi­ni­tive, on brise la logique capi­ta­liste du loge­ment comme mar­chan­dise qui génère un excé­dent finan­cier. On trans­forme le loge­ment en un droit véri­ta­ble­ment réa­li­sable et réa­li­sé, un droit qui va au-delà du for­ma­lisme annon­cé dans la consti­tu­tion et dans la décla­ra­tion de Van­cou­ver, signée par l’Etat véné­zué­lien pour garan­tir le loge­ment comme droit.

On connaît bien la phrase “le droit au loge­ment ne peut être réa­li­sé que dans le socia­lisme”, phrase qui a été vue comme un simple slo­gan de l’orthodoxie mar­xiste ; cepen­dant on constate dans la réa­li­té sociale que la bour­geoi­sie immo­bi­lière est par nature une bour­geoi­sie pro­fon­dé­ment finan­cière, qui ne voit pas le loge­ment comme une néces­si­té sociale mais comme un négoce hau­te­ment lucratif.

Sa vora­ci­té n’a pas seule­ment conver­ti le loge­ment en un bien posi­tion­nable sur le mar­ché afin d’augmenter ses béné­fices, mais l’a condi­tion­né à des offres sophis­ti­quées qui ont engen­dré des pra­tiques usu­rières. La bour­geoi­sie a offert des cré­dits basées sur des for­mules d’intérêt mixte, sur des cré­dits indexés qui ont pillé les poches des véné­zué­liens. C’est dans la nou­velle socié­té qui se construit sur la base de cri­tères socia­listes que sont démon­tées ces pra­tiques d’usure, et qu’on a réus­si à pro­té­ger des mil­liers de débiteurs.

Ensuite les entre­prises finan­cières et immo­bi­lières ont for­cé des mil­liers de familles à subir l’escroquerie des pré­ventes, des ventes sur plans jamais concré­ti­sés, jamais remis. De nou­veau c’est la révo­lu­tion qui fut appe­lée à déman­te­ler ces escro­que­ries et à pro­té­ger les victimes.

Toute cette impul­sion poli­tique qui situe le loge­ment sur le plan du droit social, en lui reti­rant son signe mer­can­tile, va requé­rir un haut niveau d’efficacité dans l’exécution des poli­tiques du Gou­ver­ne­ment Bolivarien.

Le suc­cès de cette mis­sion conso­li­de­ra la connec­tion du peuple véné­zué­lien avec un pro­ces­sus qui l’a sor­ti des oubliettes aux­quelles l’ont jeté 50 ans de farce démo­cra­tique. Son échec engen­dre­ra un cli­mat de frus­tra­tion qui éloigne les plus néces­si­teux de leur unique voie vers le para­dis : la révolution !

Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de l’efficacité révolutionnaire.

Jesse Chacón Direc­teur de la Fon­da­tion GISXXI

http://www.gisxxi.org/

Tra­duc­tion (FR) : Thier­ry Deronne, pour www.larevolucionvive.org.ve