La guerre des Malouines (en Anglais : Falklands War) a changé le panorama politique de l’Amérique du Sud, entraînant la chute du régime militaire responsable de l’échec, mais également renforçant la dictature de Pinochet qui as soutenu la Grande Bretagne avec des bases opérationnelles et des vols aériens. Révélé par des documents secrets déclassés, Margaret Tatcher – premier ministre à l’époque – transporta du matériel nucléaire vers ce bout du monde, ce qui veut dire que l’Amérique Latine aurait pu connaître l’horreur d’Hiroshima et Nagasaki. Nous vous proposons un article écrit par Garcia Marquez un an après cette guerre.
Par Gabriel Garcia Marquez
Article publié dans El Espectador, le 3 avril 1983
Un soldat argentin qui de retour des îles Malouines à la fin de la guerre a appelé sa mère par téléphone depuis le premier régiment de Palermo à Buenos Aires, lui a demandé la permission de venir à la maison avec un ami mutilé dont sa famille vivait ailleurs. Il s’agit d’une recrue de 19 ans qui avait perdu une jambe et un bras dans la guerre, et aussi était aveugle. La mère, heureux du retour de son fils vivant, lui a répondu avec horreur qu’elle ne serait pas en mesure de supporter la vue de l’estropié, et a refusé de l’accepter à la maison. Alors le fils a raccroché et s’est tiré une balle : le partenaire présumé, c’était lui-même, il avait utilisé cette supercherie pour connaître l’état d’âme de sa mère de le voir mutilé.
Ceci est juste une des nombreuses terribles histoires qui circulent comme des rumeurs au cours des douze derniers mois en Argentine, qui n’ont pas été publiées dans la presse à cause de la censure militaire, mais qui se propagent dans le monde entier dans des lettres privées reçus par les exilés. Il y a quelque temps, j’ai lu une de ces lettres au Mexique, et je n’ai pas eu le cœur à reproduire certaines informations trop terrifiantes. Toutefois, les magazines anglais et américains ont célébré ce 2 avril, le premier anniversaire de la victoire écrasante britannique, et il me semble injuste qu’au même temps, vous n’entendez pas une voix en colère de l’Amérique latine qui montre certains des aspects inhumains et irritants autre côté de la médaille : la défaite de l’Argentine. L’histoire du jeune infirme qui s’est suicidé à la pensée d’être désavoué par sa mère est à peine un épisode de ce drame caché de cette guerre absurde.
Nous savons maintenant que de nombreuses recrues âgé de 19 ans ont été envoyés dans les Malouines contre leur volonté et sans formation pour faire face à des professionnels Britanniques, ils portaient des chaussures de tennis et très peu de protection contre le froid, qui parfois allait à 30 degrés sous zéro. Beaucoup d’entre-eux ont dû être amputés, car la peau gangrenée était collé aux chaussures et 92 ont dû être castrés à cause du gel des testicules, après avoir été forcés de rester assis dans les tranchées. Sur le site de Santa Lucia, 500 garçons sont devenus aveugles à cause du manque de lunettes de protection contre l’éblouissement à la vue de la neige.
A l’occasion de la visite du pape à l’Argentine, les Anglais ont libéré mille prisonniers. Cinquante d’entre eux ont dû être opéré pour déchirement de l’anus causé par les violations des anglais qui ont occupé la ville de Darwin. La totalité a dû être hospitalisé dans des hôpitaux spéciaux de réadaptation, de sorte que leurs parents ne soient pas conscients de l’état dans lequel ils sont arrivés : leur poids moyen était de 40 ou 50 kilos, la plupart souffraient d’anémie, pour certains qui avaient encore des bras et des jambes le seul remède était l’amputation et un autre groupe a été interné souffrant de graves troubles psychologiques.
« Les garçons ont été drogués par les fonctionnaires avant d’être envoyés au combat », explique l’une des lettres d’un témoin. « On les droguais à travers le chocolat, puis à coups de piqûres, de sorte que vous ne vous sentez pas faim et restez éveillé autant que possible. » En tout, ils ont été soumis à un froid si intense que beaucoup sont morts endormis. Peut-être qu’ils ont été les plus chanceux parce que d’autres sont morts de faim à essayer d’extraire la viande en pâte pétrifiées dans les boîtes. À cet égard, la barbarie de la logistique alimentaire pratiquée par l’armée argentine dans les Malouines est bien connue. Les priorités étaient inversées : les soldats de la première ligne obtenaient à peine quelques sardines cristallisé par la glace, la ligne au milieu recevaient une meilleure ration, et à l’arrière-garde ils ont eu l’occasion de parfois manger chaud.
Face à de telles conditions déplorables et inhumaines, l’ennemi anglais avait toutes sortes de moyens modernes pour faire la guerre en condition polaire. Contrairement aux armes de l’Argentine gâtés par le froid, les Anglais avaient un fusil si sophistiquée qu’ils pouvaient atteindre une cible se déplaçant à 200 mètres, équipés de viseurs de précision infrarouge. Ils ont également utilisés des habits thermiques et des gilets pare-balles qui allaient causer plus tard des troubles mentaux auprès des pauvres conscrits argentins : ils tombaient frappés par l’impact d’une salve de mitraille, puis, ils se relevaient aussitôt sains et saufs et poursuivaient le combat. Les troupes Britanniques passaient une semaine au front et une semaine à bord du “Canberra”, qui leur offraient un repos véritable avec toutes sortes de divertissements urbains dans un des endroits les plus reculés et isolées sur Terre.
Cependant, au milieu de ce grand déploiement technique, le souvenir le plus terrible des survivants argentins est la sauvagerie du bataillon des “Gurkhas”, les légendaires et féroces coupeurs de têtes népalais qui ont précédé les troupes britanniques à la bataille de Puerto Argentino. « Ils se déplaçaient en criant et en égorgeant », écrivait un témoin de ce carnage impitoyable. « La rapidité avec laquelle nos pauvres enfants avec leurs cimeterres se faisaient décapiter était un tous les sept secondes. Par une étrange habitude, ils tenaient la tete coupée par les cheveux et coupaient les oreilles. » Les “Gurkhas” faisaient face à l’ennemi avec une détermination aveugle, des 700 qui ont débarqué ont survécu seulement 70. « Ces bêtes étaient tellement excitées qu’une fois la bataille de Puerto Argentina terminée, ils ont continué à tuer les Anglais eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils se fassent menotter pour les soumettre. »
Il y a un an, comme l’immense majorité des Latino-Américains j’ai exprimé ma solidarité avec l’Argentine dans son but pour récupérer les îles Malouines, mais j’ai été très explicite dans le sens de la solidarité qui ne pouvait pas être considéré comme une négligence de la barbarie de leurs dirigeants. Beaucoup d’Argentins et même quelques amis personnels, n’ont pas bien compris cette distinction. J’ai confiance, toutefois, que le souvenir des événements inconcevables de cette guerre ratée nous aide à mieux nous comprendre. J’ai donc trouvé qu’il n’était pas superflu de les évoquer dans cet anniversaire sans gloire. Comme il ne me semble jamais superflu de demander encore et mille fois plus, avec les mères de la Plaza de Mayo, où sont les huit mille, dix mille, quinze mille disparus de la décennie précédente.
Traduit par www.zintv.org
Vendredi 20 janvier 2012
Malouines : l’Argentine refuse la loi du plus fort
Le Times a révélé hier le plan du gouvernement britannique pour envoyer de nouvelles troupes aux îles Malouines. Cette mesure a fait suite à la récente montée des tensions avec les pays voisins et notamment avec l’Argentine qui revendique l’archipel. Déjà 2 000 soldats britanniques stationnent sur l’île ( pour 2 800 habitants). Le premier ministre David Cameron à l’issue d’une réunion de son Conseil national de sécurité le 18 janvier n’avait pas hésité à accuser l’Argentine de “colonialisme” (une attaque qu’on pourrait croire humoristique quand on sait que le Royaume Uni fut la plus grande puissance coloniale de l’histoire, responsable à ce titre de crimes nombreux).
Le 20 décembre l’association de pays d’Amérique du Sud Mercosur avait manifesté sa solidarité avec l’Argentine et adopté une mesure d’interdiction des navires battants pavillon des Malouines dans les ports sud-américains (le pavillon des Malouines est un pavillon de complaisance accordé à diverses nationalités, 25 bateaux seraient concernés dont des bateaux de pêche). Les pays bolivariens comme — le Venezuela, l’Equateur, la Bolivie — mais aussi des pays d’Amérique centale comme le Panama et le Honduras ont aussi soutenu cette mesure. Le lendemain l’ancien chef d’état major de la marine britannique suggérait l’envoi d’un sous-marin nucléaire dans la région et le 17 janvier le “gouvernement autonome” des Malouines a interdit à 3 500 passagers (dont beaucoup d’Argentins) d’un paquebot entre le Chili et le Brésil de faire escale dans l’archipel au motif que certains auraient eu une gastro-antérite.
La guerre des Malouines en 1982 dont on fête bientôt le trentième anniversaire a causé la mort de 649 soldats argentins et 255 Britanniques. Les Malouines font régulièrement l’objet de débats aux Nations-Unies, en tant que territoire où le respect du droit à l’autodétermination fait problème (comme Guam, Porto Rico, le Sahara occidental etc). En 1833 le Royaume-Uni avait expulsé les Argentins de l’archipel. Il tire prétexte aujourd’hui du fait que la population des Malouines exclusivement britannique refuse les négociations pour exclure toute discussion bilatérale avec Buenos Aires (en juin dernier Cameron avait même parlé avec arrogance de “point final de l’histoire”, en violation de la résolution 31/49 de l’assemblée générale des Nations-Unies du 1er décembre 1976).
Dans un discours du 20 décembre la présidente argentine Cristina Fernandez-Kirschner a donné au dossier une dimension propre à mobiliser tous les pays du Sud derrière elle en déclarant que les Malouines n’étaient pas un enjeu national argentin mais un thème “global”. Elle a souligné que dans le monde actuel les pays qui ont la force iront chercher les ressources naturelles “où qu’elles soient et comme ils veulent”. Contraindre Londres à négocier répond donc à un objectif de justice planétaire selon elle pour ne pas cautionner la loi du plus fort.
La Grande-Bretagne surexploite les ressources pétrolières et piscicoles de la région. Dans les années 1980 – 1990 l’activité de pêche organisée par le gouvernement autonome pro-britannique a profondément détrioré le milieu naturel entraînant la disparition de 90 % des pingouins. Les réserves pétrolières de l’archipel sont quant à elles évaluées à un potentiel de 3,5 millions de barils par jour (exploitées par Argos Resources, Borders and Southern, Falkland Oil & Gas Limited (FOGL), Desire Petroleum, FOGL & Hardman et Rockhopper Exploration).
Par ailleurs il convient de rappeler que les Malouines doivent recevoir 4,6 millions d’euros au titre du Fonds européen de developpement (EDF) entre 2008 et 2013, soit 232 euros par habitant d’après les calculs de la commission, environ 20 fois plus que la Polynésie française ou la Nouvelle Calédonie. Le 22 décembre le président de la chambre des députés argentine a saisi le président du parlement européen Jerzy Buzek en visite à Buenos Aires pour demander à son parlement de reconnaître l’existence d’un litige territorial entre Londres et Buenos Aires. Le but est de faire retirer les Malouines du Traité de Lisbonne qui reconnaît aux Malouines le statut de territoire d’outre-mer du Royaume Uni.
Djibril Cissoko
Atlasalternatif