Une commission d’évaluation environnementale a donné son feu vert lundi à un des projets énergétiques les plus ambitieux et controversés du Chili, cinq barrages hydroélectriques dans deux vallées sauvages d’une des plus grandes réserves naturelles du monde, la Patagonie.
Ce projet du consortium chileno-espagnol Endesa-Colbun, baptisé HydroAisen, représente un investissement de 3,2 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) et doit générer 2.750 mégawatts pour un Chili à la croissance avide d’énergie.
Il sera implanté sur les fleuves Baker et Pascua de la région d’Aisen (ou Aysen), qui attisent les convoitises de groupes hydroélectriques depuis 50 ans, à 1.600 km au sud de Santiago.
Son excellence Monsieur Sébastian Piñera,
Président de la Répubique du Chili,
Palais de la Moneda, Chili.
Citoyen président : Je suis un écrivain né au Chili et un bon connaisseur de la Patagonie ainsi que de la Terre de Feu. Dans beaucoup de mes livres, traduits en plusieurs langues, on y lit cette vie, les gens et les rêves de la région du sud que j’aime et que je défends avec la même ténacité saine et pacifique que ses habitants.
Il y a quelques années, depuis les mêmes bureaux que vous occupez maintenant avec votre gouvernement et avec l’élégante froideur de certaines banques, il y a eu une tentative de crime environnemental contre la Patagonie, en particulier contre la région d’Aysén. Une compagnie appelée Noranda, ayant son adresse postale au Canada et son siège dans le paradis fiscal des îles Caïmans, utilisait l’odieuse « loi des eaux » chilienne, l’une des plus libérales du monde, cette compagnie cherchait à bloquer, arrêter le cours, et tuer trois rivières qui se jettent dans le fjord d’Aysen, dans le but d’y construire trois centrales hydroélectriques. Dans le but d’alimenter une usine d’aluminium, l’une des industries les plus polluantes, et la construction un port pour la réception de la bauxite et autres minerais.
L’opposition des habitants d’Aysén fut déterminante. Le sérieux d’un projet alternatif économique, social et culturel appelé “Aysén Proyecto de Vida”, les quarante mille habitants de Puerto Aysén, Puerto Chacabuco, Coyhaique et d’autres villes allaient être affectés par ce crime « d’entrepreneurs ». Leurs vies, leur culture et leurs espoirs, leur présent et leur futur, ont été injustement offensés par le ministre d’économie du moment, Mr Sergio Rodríguez Grossi, qui avait déclaré qu’en termes macroéconomiques quarante mil êtres humains n’étaient « personne ».
Mais « personne » ont été rejoints par d’autres « personne » à travers le monde, car les préoccupations environnementales, écologiques et l’amour envers une économie durable fait partie de l’imaginaire du futur qui fait bouger des millions de femmes et d’hommes qui désirent être des citoyens plutôt que des consommateurs. Ces « personne » ont demandé quelque chose de très simple et de très légitime : une étude d’impact environnemental réalisée par un organisme scientifique et indépendant, et non pas par la même société qui propose le projet ou par un gouvernement directement impliqué ou engagés dans des intérêts commerciaux. Et ces « personne » ont été grossièrement classifiés comme des éco-terroristes, ils ont au moins réussi à arrêter temporairement, une des plus grandes attaques criminelles contre la Patagonie.
J’ai été l’un de ces « personne », citoyen Président, j’ai réalisé un documentaire intitulé « Corazón Verde », le film a remporté un prix au Festival du Film de Venise, et a servi aux quarante mille « personne » pour qu’ils se sentent soutenus par des centaines de milliers d’autres « personne » pour défendre la Patagonie, ce sud, monde originaire qui est le patrimoine de l’humanité tout entière. Je fait partie de ceux qui ont paralysé un « investissement de sept milliards de dollars », et avec les rivières qui continuent de couler dans le fjord d’Aysen et qu’on a essayé de tuer, j’assume ma culpabilité avec fierté.
Maintenant, citoyen président, nous sommes confrontés à un nouveau déséquilibre, une nouvelle tentative pour mettre fin à la vie de l’une des dernières régions non-polluées de la planète, et pour cette raison, elle as une valeur inestimable. La valeur de la Patagonie, par sa nature essentielle, de son peuple, de ses rêves et espoirs, ne peut être déterminé ou calculé, ni dans les bureaux de la présidence, ni coté à la bourse, et encore moins être à l’ordre du jour de cette infâme table du conseil des actionnaires des compagnies d’énergie qui prétendent obtenir l’approbation du méga-projet appelé HidroAysén.
Vous, citoyen président, avez décerné à juste titre de monument national au cheval chilien. Lorsque vous l’avait fait, plusieurs d’entre nous, nous nous sommes sentis satisfaits par votre déclaration qui a permis de sauver ce superbe cheval de toute expérience génétique. Ne croyez-vous pas, citoyen président, qu’un tracé du territoire national de 2300 kilomètres de long et cent mètres de large, ne mérite‑t’il pas le même traitement que celui du cheval chilien ? Êtes-vous capable d’imaginer un espace de vingt mille hectares ? Il est difficile de convertir les nombres en une image. Je vous invite à imaginer vingt à trois mille stades de football, côte à côte. Imaginez-les pleins d’arbres, de forêts, pas de pin brut ou de plantations d’eucalyptus, mais de nobles forêts originaires du Chili, celle d’une merveilleuse diversité en flore et faune qui vit dans ces forêts, et de ce peuple chilien qui connaît et aime ces forêts. HidroAysén, citoyen président, signifie le déboisement complet, la destruction, l’extermination de vingt mille hectares de forêt chilienne.
Oui, je peux imaginer cette extension, car je connais la Patagonie, car j’aime le monde du Sud, ses habitants, leurs espoirs et leurs rêves, et pour cela je m’oppose à la réalisation de ce crime écologique et de ce crime contre l’humanité qui s’appelle HidroAysén.
Il y a quelques jours, citoyen président, vous avez dit qu’Adam et Eve ont été les premiers « entrepreneurs » parce qu’ils ont osé manger le fruit défendu. Outre les appréciations de l’Eglise catholique ou des producteurs de pommes, suite à cette déclaration, je vous rappelle que la Patagonie n’est pas une pomme, mais un territoire dont la plus grande valeur réside dans sa pureté de l’environnement, et habité par des citoyens de la République du Chili, et c’est sur base de ce statut qu’ils ont le droit d’exprimer leur approbation ou leur désaccord avec le projet HidroAysén. Mais il arrive que les « entrepreneurs » et les instigateurs de ce macro-crime environnemental ignorent l’opinion publique.
L’étude d’impact environnemental HidroAysén a ignoré l’opinion des citoyens, il n’y a jamais eu de participation démocratique exempte de pressions garantie par la légalité. Il s’agit d’un rapport vicié, et vous le savez, citoyen président, et si ce n’est pas le cas, consultez vos ministres. Jusqu’à 13h30 heures le 26 avril, le rapport d’impact environnemental a été étiqueté comme “non-conforme”, mais à 14 heures du même jour, avec la seule intervention des fonctionnaires du Bureau du Département du développement urbain et d’un certain monsieur nommé Nicolás Terrazas, fonctionnaire du ministère du logement, l’évaluation de cette étude d’impact environnementale est passée de « non-conforme » à « conforme ».
« Le tout Puissant est Monsieur Argent », écrivait le grand Francisco de Quevedo y Villegas… Il se fait que par le plus grand hasard un autre membre de la famille Terrazas, à savoir Pablo, le frère de Nicolas, possède plusieurs lots de terre qui seraient inondés si le projet HidroAysén venait à se concrétiser, en assurant une juteuse compensation.
Ce seul fait, ce détail, citoyen président, ce conflit d’intérêt (euphémisme pour cacher le mot corruption) entache l’ensemble des considérations sur l’étude d’impact environnemental, et cela dans la plus stricte légalité, il est recommandé de paralyser le projet d’arrêt HidroAysén.
Cependant, vous occupez les plus hautes fonctions dans la République du Chili, au-delà des petits tours conçus par vos subordonnés qui devraient être congédiés de manière fulminante, vous devrez considérer face à l’histoire, qui juge toujours, bien que tard, elle juge toujours plus clairement et fermement.
Dans un avenir proche, votre buste occupera une place dans la galerie des sinistres ex-présidents du Chili, et quand le responsable du nettoyage viendra enlever la poussière avec son plumeau, de vous dépends, que cet homme se dise avec admiration : je suis en train de dépoussiérer le buste d’un ancien président qui a sauvé la Patagonie de la destruction, ou tout simplement il passe son chemin refusant de dépoussiérer l’image du destructeur de l’une des plus belles et pures régions de ce monde. Cela dépend de vous, citoyen président.
Avec mes considérations les meilleures
Luis Sepulveda, écrivain
Source : http://www.patagonjournal.com/
Traduction : www.zintv.org
Vidéo de la Manifestation à Santiago du Chili contre le projet HydroAysen
http://youtu.be/PdP9aR5vZJ8