L’homme à l’origine du film La Marche participe à un « programme éducatif » sur Israël

Nader Boussandel, l'homme sans qui le film La Marche n'aurait pas vu le jour, revient d'un voyage "éducatif" en Israël organisé par un puissant lobby sioniste américain. Décryptage.

Nader Bous­san­del, l’homme sans qui le film La Marche n’au­rait pas vu le jour, revient d’un voyage “édu­ca­tif” en Israël orga­ni­sé par un puis­sant lob­by sio­niste amé­ri­cain. Décryptage.

Trente ans après la marche contre le racisme et pour l’é­ga­li­té, un film ‑cen­sé hono­rer la mémoire des mani­fes­tants- est à l’af­fiche : dénom­mé La Marche, l’oeuvre ciné­ma­to­gra­phique résulte de la média­tion fruc­teuse opé­rée par Nader Bous­san­del. Cet acteur du film a mis en rela­tion la scé­na­riste Nadia Lakh­dar (por­teuse du pro­jet), le réa­li­sa­teur Nabil Ben Yadir et le pro­duc­teur Hugo Séli­gnac. Dans l’his­toire (très) libre­ment ins­pi­rée des évè­ne­ments de 1983, il incarne le per­son­nage fic­tif de Yazid Taleb, un gui­ta­riste ama­teur sur­nom­mé “Elvis” dont le kef­fieh pales­ti­nien autour du cou est sys­té­ma­ti­que­ment pré­sent à l’image.

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Ce motif ves­ti­men­taire ‑poli­ti­que­ment conno­té- n’est jamais expli­qué tout au long du film tan­dis que des élé­ments tota­le­ment ima­gi­naires (par­mi les­quels la vio­lente ins­crip­tion d’une croix gam­mée sur une mar­cheuse) viennent régu­liè­re­ment encom­brer la nar­ra­tion, dès lors approxi­ma­tive, des faits historiques.

Peu de temps après le tour­nage, l’ac­teur se ren­dait, du 22 au 27 juin, en Israël ‑en com­pa­gnie de plu­sieurs “lea­ders d’o­pi­nion fran­çais”- afin d’y suivre un “sémi­naire édu­ca­tif” selon les termes employés par ses guides : les cadres du Pro­ject Inter­change, un pro­gramme rele­vant de l’A­me­ri­can Jewish Committee.

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Nader Bous­san­del (à droite de l’i­mage) échan­geant avec l’ex-ambas­sa­deur de France en Israël

Le pro­gramme inti­tu­lé Pro­ject Inter­change (com­por­tant un voyage sui­vi de contacts per­ma­nents) est éla­bo­ré par l’une des com­po­santes majeures du lob­by pro-israé­lien des Etats-Unis. Son res­pon­sable, Sam Wit­kin, est un ancien membre du groupe ultra-droi­tier AIPAC.

La vidéo sui­vante, réa­li­sée par Pro­ject Inter­change, illustre l’audace de la pro­pa­gande déployée (has­ba­ra, en hébreu) pour enjo­li­ver la répu­ta­tion du régime colo­nia­liste de Tel-Aviv.

En 2008, dans la droite ligne de Nico­las Sar­ko­zy, l’ex-Pre­mier ministre Fran­çois Fillon avait salué les membres de l’A­JC réunis à New-York.


Après Sar­ko­zy Fillon s’ex­plique devant l’A­JC… par haris­sien

Dénom­mé le « Comi­té juif amé­ri­cain » (Ame­ri­can Jewish Com­mit­tee), ce groupe ‑fon­dé en 1906 et fort aujourd’hui de 175 000 membres- orga­nise depuis une tren­taine d’années des séjours en Israël à des­ti­na­tion des futurs lea­ders poli­tiques, finan­ciers, média­tiques et cultu­rels. Le but ? Don­ner à voir une image posi­tive de l’Etat hébreu et faire nouer loca­le­ment des contacts avec des per­son­na­li­tés du monde entier consi­dé­rées comme de poten­tiels déci­deurs influents dans l’avenir. Chaque par­ti­ci­pant coûte 5000 dol­lars à l’AJC.

Simone_Rodan-Benzaquen.jpg Simone Rodan-Ben­za­quen, direc­trice de l’an­tenne fran­çaise de l’A­JC, a fait par­tie de la délé­ga­tion pré­si­den­tielle offi­cielle en visite en Israël.

En mai 2011, plu­sieurs Fran­çais ‑clas­sés à gauche- furent annon­cés par l’AJC dans leur sélec­tion de per­son­na­li­tés invi­tées à visi­ter l’Etat hébreu. Oli­vier Fer­rand (fon­da­teur de Ter­ra Nova), Pierre Aïden­baum (maire du III ème arr. de Paris), le dépu­té Vert Fran­çois de Rugy et deux dépu­tés socia­listes (Arnaud Mon­te­bourg et Manuel Valls) furent ain­si conviés, en com­pa­gnie d’une repré­sen­tante du CRIF, à décou­vrir les mer­veilles poli­tiques et tech­no­lo­giques de la socié­té israé­lienne. On note­ra éga­le­ment la par­ti­ci­pa­tion d’Harold Hau­zy, éter­nel char­gé de com­mu­ni­ca­tion de Manuel Valls.

L’AJC invite aus­si des dépu­tés UMP (comme ce fut le cas en mars 2012) et des jour­na­listes de l’Hexagone. Plus sin­gu­lie­rèment, ce lob­by ultra-sio­niste (mais plus déli­cat dans la forme que l’AIPAC) s’intéresse régu­liè­re­ment aux musul­mans, de France ou d’ailleurs. Fin juin, comme l’avait rap­por­té Panam­za, une délé­ga­tion de l’AJC s’est ain­si ren­due au Maroc et en Tuni­sie. L’homme à la tête de cette délé­ga­tion se nomme Jason Isaac­son : sous la pré­si­dence Ben Ali, il était déjà un habi­tué des ren­contres offi­cielles dont cer­taines étaient effec­tuées en tan­dem avec le CRIF. En 2009, il fut éga­le­ment déco­ré par le roi Moham­med VI du titre de “che­va­lier de l’Ordre du Trône”.

Cet inté­rêt de l’A­JC pour l’A­frique du nord remonte à loin : en 1955, ses membres, sou­cieux de sort de la com­mu­nau­té juive magh­ré­bine, fai­saient déjà pres­sion sur la France et les diri­geants locaux pour co-finan­cer un exil sécu­ri­sé de leurs core­li­gion­naires. De nos jours, l’A­JC orga­nise régu­liè­re­ment des débats sur l’is­lam, notam­ment en com­pa­gnie de l’is­la­mo­phobe Ayaan Hir­si Ali.

Un groupe sur­nom­mé « Les lea­ders musul­mans de la socié­té civile » fut invi­té à décou­vrir les charmes du régime israé­lien. Du 14 au 19 décembre 2008, la juriste Jean­nette Bou­grab, le conseiller muni­ci­pal Karim Zéri­bi et le com­man­dant de police Moha­med Dou­hane ‑entre autres- ont ain­si été gui­dés dans les méandres de la géo­po­li­tique israé­lienne. Ils ont pu ren­con­trer -images à l’appui- Mah­moud Abbas, pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne ain­si que Shi­mon Per­es, pré­sident israé­lien et archi­tecte prin­ci­pal du pro­gramme nucléaire illé­gal de l’Etat hébreu.

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D’origine kabyle, Nacer Ket­tane, PDG de Beur FM, a d’ailleurs tenu des pro­pos stu­pé­fiants pour le diri­geant d’une radio sui­vie par bon nombre d’audi­teurs pro-pales­ti­niens. Son revi­re­ment idéo­lo­gique témoi­gne­rait de « l’efficacité » du pro­gramme conçu par l’AJC et sui­vi actuel­le­ment par Manuel Valls. Voi­ci les décla­ra­tions édi­fiantes du diri­geant de Beur FM (à prendre néan­moins avec pré­cau­tion) telles qu’elles ont été rap­por­tées par les res­pon­sables du séjour (et non par un organe de presse indépendant):

« Je ne pou­vais pas pro­non­cer le nom du pays, je disais seule­ment ‘l’entité sio­niste’ et je ne croyais pas que le Hamas était une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste. Main­te­nant, je com­prends entiè­re­ment que les Israé­liens soient vigou­reu­se­ment enga­gés en faveur de la paix. (…)

C’est pro­ba­ble­ment le seul pays dans la région où, dans la même ville, les gens peuvent assis­ter libre­ment à un office, que ce soit dans une syna­gogue, une mos­quée ou une église. Cela n’aurait pas été le cas dans Jéru­sa­lem si la ville était encore sous domi­na­tion arabe ».

Huit jours après leur retour en France, l’agression mili­taire israé­lienne contre Gaza démar­rait. Le contexte ten­du qui s’en est sui­vi, y com­pris dans l’Hexa­gone, entraî­na la mise en place par l’AJC de plate-formes de débats entre juifs et musul­mans fran­çais dans le but impli­cite d’estom­per la cri­tique crois­sante du bel­li­cisme israé­lien. Un docu­ment PDF de l’AJC en don­na les grandes lignes.

De SOS Racisme à Pro­ject Interchange

Dans l’un de ses entre­tiens pro­mo­tion­nels, l’ac­teur Nader Bous­san­del fus­tige “l’infan­ti­li­sa­tion” du slo­gan Touche pas à mon pote pro­pul­sé, en 1984, par SOS Racisme. Le film n’a­borde pas le sujet de la récu­pé­ra­tion poli­tique : seul un bref mes­sage, avant le géné­rique de fin, rap­pelle que les mar­cheurs se sont “sen­tis dépos­sé­dés” de leur com­bat. Une timide allu­sion qui a pour­tant suf­fi à cour­rou­cer Julien Dray, vice-pré­sident du Conseil régio­nal et cofon­da­teur de SOS Racisme, mal­gré le ton mit­ter­ran­do­lâtre de la conclu­sion du film.

Si Nader Bous­san­del ne semble pas ché­rir SOS Racisme, asso­cia­tion en déclin comme l’illustre l’échec de sa mani­fes­ta­tion orga­ni­sée le 30 novembre, reste à savoir ce qu’il pense du viru­lent racisme anti-arabe et anti-noir pra­ti­qué en Israël. En par­ti­ci­pant à des voyages enca­drés et finan­cés par un lob­by ultra-sio­niste, l’homme cau­tionne de fac­to la pro­pa­gande idyl­lique déployée par les fau­cons de Tel-Aviv et New-York qui recherchent conti­nuel­le­ment de nou­veaux “amis d’Is­raël” dans les sphères poli­tiques, cultu­relles et média­tiques des pays influents.

L’un des accom­pa­gna­teurs de Nader Bous­san­del, en juin der­nier, fut le rap­peur Rost (le troi­sième en par­tant de la gauche de l’image).

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Para­doxe : l’homme a par­ti­ci­pé, hier soir, à l’é­vè­ne­ment anti­ra­ciste orga­ni­sé au Théâtre du Rond-Point. Le pré­sident de l’association Ban­lieues actives a notam­ment ren­du hom­mage à Mar­tin Luther King et à son com­bat pour les droits civiques. Pré­sent dehors à l’ar­ri­vée de Chris­tiane Tau­bi­ra, ministre de la Jus­tice, il s’est indi­gné en enten­dant les huées lan­cées par des par­ti­sans de la Manif pour tous. Ques­tion : peut-on accep­ter de se rendre en Israël en étant cha­peau­té par des pro­mo­teurs zélés du sio­nisme et tenir en France des dis­cours contre les dis­cri­mi­na­tions ? A cha­cun de trou­ver sa propre réponse.

En atten­dant, espé­rons que les nou­veaux amis de Bous­san­del sau­ront lui don­ner l’oc­ca­sion de par­ti­ci­per à des pro­jets ciné­ma­to­gra­phiques dignes de ce nom. Si La Marche s’an­nonce déjà être un bide com­mer­cial, peu se sou­viennent du film De l’huile sur le feu sor­ti en 2011 et réa­li­sé par un col­la­bo­ra­teur de Michaël Youn. La bande-annonce se passe de tout commentaire. 

Hicham HAMZA

Source de l’ar­ticle : INFO PANAMZA