Par Jesse Chacón, Directeur de la Fondation GISXXI
mardi 6 décembre 2011
L’information dans la société est étroitement liée au droit à la LIBERTÉ d’ EXPRESSION et au droit à la LIBERTÉ DE PENSÉE.
Ces deux droits sont bien définis par ces instruments internationaux de protection des droits humains :
- La Convention américaine des Droits Humains.
- La déclaration Universelle des Droits Humains.
- La Résolution 59(I) de l‘Assemblée Générale des Nations Unies.
- Le Pacte International des Droits Civils et Politiques.
Cependant la production de normes de protection ne visibilise comme sujets de violations que les États. Elle ignore que la société s´est reconfigurée autour du marché et que c´est le capital qui dirige dans la plupart des cas le destin de chaque pays. Le capital a réussi à construire des formes juridiques soi-disants démocratiques qui correspondent à ses besoins, mais aucune forme juridique ne le visibilise ni le régule.
Le capital et la logique marchande ont pénétré les espaces pensés il y a dix ans encore comme des espaces publics et sociaux. Ils contrôlent et orientent l´État, le cadre légal et les politiques publiques en leur faveur. Les droits économiques et sociaux ont été convertis en marchandises (santé, éducation, sécurité sociale…)
Les grands médias ont perdu leur sens en tant que sphère publique et comme espace de liberté d’opinion et de liberté d’expression. Ils sont aujourd’hui des reproducteurs de la plus-value symbolique et financière du capital, leur éloignement du service public est patent, comme l’est leur fonction de produire et de reproduire le capital.
- Ils génèrent un excédent symbolique pour les bourgeoisies, qui va de la création de mentalités soumises à la formation de modèles de consommation cohérents avec les besoins du marché.
- Ils produisent un excédent financier et se constituent en secteur à haute rentabilité pour les investisseurs privés.
- Les médias ont cessé d’être un contre-pouvoir. Ils sont le pouvoir lui-même et sont responsables d’imposer l’idéologie néo-libérale dans un contexte globalisé. Ils servent les puissants, mettent en oeuvre des coups d’État en particulier contre des gouvernements progressistes, citons le cycle putschiste d’avril à décembre 2002 au Venezuela.
- Autre élément qui reconfigure la forme actuelle de la communication dans la société est la profonde monopolisation du secteur. Quelques corporations dominent les environnements locaux et cette monopolisation croissante viole le pluralisme et annule la possibilité de réaliser vraiment le droit à la libre expression ou opinion.
La concentration monopolistique des médias aux mains du capital a été rendue possible par le support actuel de la révolution télématique et par les processus de dérégulation nationale en faveur des transnationales, permettant ainsi que les corporations globales imposent sans la moindre pudeur la dictature médiatique locale. On trouve les figures emblématiques de ce processus dans News Corporation de Murdoch, AOL Time Warner (USA), Walt Disney Co (USA), Bertelsmann AG (Allemagne), Viacom (USA) et Vivendi Universal, Fox, CNN,Prisa, HBO, TNT entre autres.
Au Venezuela, comme cela se produit dans tout processus révolutionnaire, nous allons à contre-courant de cette extinction de la liberté d’expression, et nous retrouvons la conception de la Communication comme Droit Humain.
En ce sens nous avons obtenu les résultats suivants :
- La démocratisation de l’information à travers la concurrence plurielle d´acteurs communautaires, publics et privés. Avant le processus de la révolution bolivarienne les médias privés disposaient de 331 concessions de radiodiffusion. Le cycle bolivarien les a augmentées à hauteur de 473 mais ont pu surgir également 244 concessions communautaires (c‑à-d populaires, associatives. NDT). Les publiques ont pu passer de 11 à 83.
En ce qui concerne les concessions de télévision en clair le pluralisme est tout aussi palpable puisque avant 1998, on ne comptait que 36 concessions privées alors qu´aujourd’hui on en compte 65. Ont pu surgir 37 concessions communautaires et les publiques sont passées de 8 à 13.
- L’impulsion donnée à la production indépendante a permis de séparer le média du message, faisant de la société un acteur de la production et plus seulement de la consommation.
- L’impulsion donnée à la formation des mouvements sociaux dans les secteurs de la communication et de l’information, une éducation pour tous.
- La légitimation et le renforcement des médias alternatifs et non conventionnels.
Tout ce qui précède nous permet de conclure qu´il n´existe pas de sociétés plurielles sans médias pluralistes, et qu´il est donc fondamental de :
- Multiplier le nombre et le type d´acteurs qui convergent dans les processus de production et de diffusion (privés, publics et communautaires).
- Garantir le financement du système public et du système communautaire.
- Briser le monopole média-message et promouvoir la création en impulsant un vaste secteur de producteurs nationaux indépendants (PNI).
- Promouvoir le contrôle social du système de communication.
Il est vrai que dans la tradition des droits humains, les États sont leurs garants et sont les seuls, normativement, responsables de leur protection et de leur violation, par action ou par omission. Cependant nous vivons un nouveau contexte et un monde très différent du cycle d´après-guerre dans lequel les droits humains furent formalisés comme norme universelle.
Aujourd´hui il est nécessaire de produire dans le cadre de l’ONU, un protocole additionnel qui définira le rôle du capital et sa présence dans les médias. Il faut définir le cadre des violations de la part du capital et développer en conséquence des normes protectrices et des garanties du droit à l’information, à la liberté d’expression et de conscience pour les citoyens.
Jesse Chacón
www.gisxxi.org
Traduction : P.C.
Source de l’article : La Révolution Vive