L’école du « Ciné-oeil » exige que le film soit bâti sur les « intervalles », c’est-à-dire sur le mouvement entre les images. Sur la corrélation visuelle des images les unes par rapport aux autres. Sur les transitions d’une impulsion visuelle à la suivante.
La progression entre les images (« intervalle » visuel, corrélation visuelle des images) est (pour le « Ciné-oeil ») une unité complexe. Elle est formée par la somme de différents corrélations dont les principales sont :
1) corrélation des plans (gros, petits, etc.),
2) corrélation des angles de vue,
3) corrélation des mouvements à l’intérieur des images
4) corrélation des lumières, ombres,
5) corrélation des vitesses de tournage.
Sur la base de telle ou telle association de corrélations, l’auteur détermine : 1) l’ordre de l’alternance, l’ordre de succession des bouts filmés, 2) la longueur de chaque alternance (en mètres), c’est à dire en temps de projection, le temps de vision, de chaque image prise séparément. De plus, parallèlement au mouvement entre les images (« intervalle »), on doit tenir compte entre deux images voisines du rapport visuel de chaque image en particulier avec toutes les autres images qui participent à la « bataille du montage » à ses débuts.
Trouver l’«itinéraire » le plus rationnel pour l’oeil du spectateur parmi toutes ces interactions, interattractions, interrepoussages des images, réduire toute cette multitude d’« intervalles » (mouvement entre les images) à la simple équation visuelle qui exprime le mieux le sujet essentiel du film, telle est la tâche la plus difficile et capitale qui se pose à l’auteur-monteur.
Le « Ciné-oeil » c’est :
je monte lorsque je choisis mon sujet (en choisir un parmi les milliers de sujets possibles),
je monte lorsque j’observe pour mon sujet (réaliser le choix utile parmi mille observations sur le sujet),
je monte lorsque j’établis l’ordre de passage de la pellicule filmée sur le sujet (s’arrêter, parmi mille associations possibles d’images, sur la plus rationnelle en tenant compte aussi bien des propriétés des documents filmés que des impératifs du sujet à traiter).
Monter, cela signifie organiser les bouts filmés (les images) en un film, « écrire » le film au moyen des images tournées, et non choisir des bouts filmés pour faire des « scènes » (déviation théâtrale) ou des bouts filmés pour faire des légendes (déviation littéraire).
Tout film du « Ciné-oeil » est en montage depuis les moment où l’on choisit le sujet jusqu’à la sortie de la pellicule définitive, c’est-à-dire qu’il est en montage durant tout le processus de fabrication du film.
Dans ce montage continu, nous pouvons distinguer trois périodes :
Première période. Le montage est l’inventaire de toutes les données documentaires ayant un rapport direct ou non, avec le sujet traité (que ce soit sous forme de manuscrits, sous forme d’objets, sous forme de bouts filmés, de photographies, de coupures de presse, de livres, etc.). A la suite de ce montage, — Inventaire au moyen de la sélection et de la réunion des données les plus précieuses — le plan thématique se cristallise, se révèle, « se monte ».
Seconde période. Le montage est le résumé des observations réalisées par l’oeil humain sur le sujet traité (montage de ses propres observations ou bien montage des informations fournies par les ciné-informateurs ou éclaireurs).
Le plan tournage : résultat de la sélection et du triage des observations réalisées par l’oeil humain. En effectuant cette sélection, l’auteur prend en considération aussi bien les directives du plan thématique que les propriétés particulières de la « machine-oeil », du « ciné-oeil ».
Troisième période. Montage central. résumé des observations inscrites sur la pellicule par le « ciné-oeil ». Calcul chiffré des groupements de montage. Association (addition, soustraction, multiplication, division et mise entre parenthèse) des bouts filmés de même nature. Permutation incessante de ces bouts-images jusqu’à ce que tous ceux-ci soient placés dans un ordre rythmique où tous les enchaînements de sens coïncideront avec les enchaînements visuels.
Comme résultat final de tous ces mélanges, déplacements, coupures, nous obtenons une sorte d’équation visuelle, une sorte de formule visuelle. Cette formule, cette équation, obtenue à l’issue d’un montage général des ciné-documents fixés sur la pellicule, c’est le film à cent pour cent, l’extrait, le concentré de « je vois », le « ciné-je vois ».