Un documentaire audio d’Hubert Prolongeau pour France Culture
Elia Kazan est le plus célèbre Janus du cinéma américain. Cinéaste génial et reconnu comme tel, son passage volontaire devant la commission des activités anti-américaines du sénateur Mac Carthy pour y dénoncer certains de ses amis communistes lui a valu aussi de devenir le symbole du traître.
Pourquoi Elia Kazan a‑t-il commis cet acte ? Pourquoi est-il volontairement passé devant la commission des activités anti-américaines du sénateur Mac Carthy pour y dénoncer certains de ses amis communistes ?
Il s’en est expliqué dans une énorme et passionnante autobiographie, affirmant qu’il croyait sincèrement au danger communiste. N’y a t il que cela ? Kazan est un exemple type de l’intégration ratée, d’une quête de l’identité qui s’égare.
Arrivé enfant aux Etats-Unis, fraîchement émigré, il adopte les valeurs du pays qui l’accueille jusqu’à la caricature. A l’école, il découvre le rejet, l’exclusion, tant par sa différence que par sa pauvreté. Mais il se forme aussi à ce qui pour lui incarne son nouveau pays : la liberté, le mélange, l’ouverture à l’autre.
Il s’intègre, beaucoup en participant à la chaîne de solidarité qui se forme autour des réfugiés. Il entre au parti communiste et participe par le théâtre au grand élan libéral des années 30. S’il lui arrive d’être choqué par ce qu’il entend dire des dérives du parti communiste (dont il démissionnera quelques années plus tard), il reste proche de ses valeurs de générosité et d’égalité, incarnation à ses yeux de ce qu’il a cherché et trouvé en Amérique.
En 1952, le maccarthysme déferle. Il en est au début révolté : le mouvement représente tout ce qu’il déteste. Mais il est confiant : l’Amérique, son Amérique, le pays où il s’est trouvé une place, ne peut que rejeter ce qui s’annonce.
Il est approché, sollicité pour témoigner. Convoqué une première fois devant la commission, il refuse de donner des noms. Autour de lui, d’autres cependant n’ont plus cette pudeur. Il vacille. S’entêter, c’est aussi perdre l’identité qu’il s’est si difficilement construite.
La souffrance du déracinement, la volonté d’intégration l’amènent à la faute suprême. Il retourne de lui-même devant la commission, et dénonce. Avec aussi un certain panache, il assumera cet acte jusqu’au bout, allant jusqu’à, le lendemain de sa déposition, acheter une page de publicité dans le “New York times” pour s’en expliquer.
Ce reniement de soi est déjà passionnant. Mais il y a plus chez Kazan. Car il a trouvé dans cette infamie la matière même d’une œuvre qui, d’intéressante et talentueuse qu’elle était avant, est devenue ensuite, nourrie par la culpabilité, l’une des plus grandes du cinéma de son époque. Lui-même a admis dans son “autobiographie” qu’il n’aurait pas fait les mêmes films sans cet acte.
Cette émission, portrait d’un homme qui se trahit lui-même et trouve dans cette chute la matière à faire naître l’artiste, fait revivre deux mondes : celui du théâtre libéral des années 30, et du formidable élan qui l’a accompagné, puis celui du Hollywood des années 50, gangrené par la peur du communisme.
Un documentaire d’Hubert Prolongeau, réalisé par Guillaume Baldy. Lectures : Gilles Kneuse. Liens internet : Annelise Signoret.