Pourquoi Elia Kazan a‑t-il dénoncé certains de ses amis communistes ?

Dos­sier Elia Kazan sur le site de l’encyclopédie qué­bé­coise de l’Agora.

Bio­gra­phie et fil­mo­gra­phie sur le site du ciné-club de Caen.

Autre bio­gra­phie pro­po­sée cette fois par le site CinémaClassic.

Ame­ri­ca Ame­ri­ca (Elia Kazan, 1963) : la mémoire de l’exil, article de Del­phine Letort publié dans Quai­na, revue de l’université d’Angers.

Elia Kazan est le plus célèbre Janus du ciné­ma amé­ri­cain. Cinéaste génial et recon­nu comme tel, son pas­sage volon­taire devant la com­mis­sion des acti­vi­tés anti-amé­ri­caines du séna­teur Mac Car­thy pour y dénon­cer cer­tains de ses amis com­mu­nistes lui a valu aus­si de deve­nir le sym­bole du traître.

Pour­quoi Elia Kazan a‑t-il com­mis cet acte ? Pour­quoi est-il volon­tai­re­ment pas­sé devant la com­mis­sion des acti­vi­tés anti-amé­ri­caines du séna­teur Mac Car­thy pour y dénon­cer cer­tains de ses amis communistes ?

Il s’en est expli­qué dans une énorme et pas­sion­nante auto­bio­gra­phie, affir­mant qu’il croyait sin­cè­re­ment au dan­ger com­mu­niste. N’y a t il que cela ? Kazan est un exemple type de l’intégration ratée, d’une quête de l’identité qui s’égare.

Arri­vé enfant aux Etats-Unis, fraî­che­ment émi­gré, il adopte les valeurs du pays qui l’accueille jusqu’à la cari­ca­ture. A l’école, il découvre le rejet, l’exclusion, tant par sa dif­fé­rence que par sa pau­vre­té. Mais il se forme aus­si à ce qui pour lui incarne son nou­veau pays : la liber­té, le mélange, l’ouverture à l’autre.

Il s’intègre, beau­coup en par­ti­ci­pant à la chaîne de soli­da­ri­té qui se forme autour des réfu­giés. Il entre au par­ti com­mu­niste et par­ti­cipe par le théâtre au grand élan libé­ral des années 30. S’il lui arrive d’être cho­qué par ce qu’il entend dire des dérives du par­ti com­mu­niste (dont il démis­sion­ne­ra quelques années plus tard), il reste proche de ses valeurs de géné­ro­si­té et d’égalité, incar­na­tion à ses yeux de ce qu’il a cher­ché et trou­vé en Amérique.

En 1952, le mac­car­thysme déferle. Il en est au début révol­té : le mou­ve­ment repré­sente tout ce qu’il déteste. Mais il est confiant : l’Amérique, son Amé­rique, le pays où il s’est trou­vé une place, ne peut que reje­ter ce qui s’annonce.

Il est appro­ché, sol­li­ci­té pour témoi­gner. Convo­qué une pre­mière fois devant la com­mis­sion, il refuse de don­ner des noms. Autour de lui, d’autres cepen­dant n’ont plus cette pudeur. Il vacille. S’entêter, c’est aus­si perdre l’identité qu’il s’est si dif­fi­ci­le­ment construite.

La souf­france du déra­ci­ne­ment, la volon­té d’intégration l’amènent à la faute suprême. Il retourne de lui-même devant la com­mis­sion, et dénonce. Avec aus­si un cer­tain panache, il assu­me­ra cet acte jus­qu’au bout, allant jus­qu’à, le len­de­main de sa dépo­si­tion, ache­ter une page de publi­ci­té dans le “New York times” pour s’en expliquer.

Ce renie­ment de soi est déjà pas­sion­nant. Mais il y a plus chez Kazan. Car il a trou­vé dans cette infa­mie la matière même d’une œuvre qui, d’intéressante et talen­tueuse qu’elle était avant, est deve­nue ensuite, nour­rie par la culpa­bi­li­té, l’une des plus grandes du ciné­ma de son époque. Lui-même a admis dans son “auto­bio­gra­phie” qu’il n’aurait pas fait les mêmes films sans cet acte.

Cette émis­sion, por­trait d’un homme qui se tra­hit lui-même et trouve dans cette chute la matière à faire naître l’artiste, fait revivre deux mondes : celui du théâtre libé­ral des années 30, et du for­mi­dable élan qui l’a accom­pa­gné, puis celui du Hol­ly­wood des années 50, gan­gre­né par la peur du communisme.

Un docu­men­taire d’Hu­bert Pro­lon­geau, réa­li­sé par Guillaume Bal­dy. Lec­tures : Gilles Kneuse. Liens inter­net : Anne­lise Signoret.