Reportage, par Fred Borras| 14 novembre 2012
Source de l’article : regard
« L’Europe contre l’austérité ! » Conscient qu’il n’existe pas de solution purement nationale de sortie de la crise et de la nécessité de faire apparaître une convergence de la gauche anti-austéritaire européenne, le Bloco de esquerda (BE) a choisi d’ouvrir son congrès par un meeting internationaliste [[La présence de délégations étrangères était particulièrement importante cette année. Syriza (Grèce), Izquierda Unida et Izquierda Anticapitalista (Espagne), Bloc nationaliste et Anova (Galice), Batasuna (Pays Basque), PSOL et PCdoB (Brésil), SWP (Royaume-Uni), SP (Irlande), Parti du travail (Pologne), Die Linke (Allemagne), … Pour ce qui est de la France, toutes les organisations du Front de gauche étaient présentes, le PCF, le PG, la Gauche anticapitaliste, Convergences et alternative, la Gauche unitaire, le PCOF, la FASE ainsi que le NPA.]]. Présents pour l’occasion, Céline Meneses, du Parti de gauche, Gabrielle Zimmer de Die Linke (Allemagne), Cayo Lara d’Izquierda Unida (Espagne) se sont succédés à la tribune, tandis qu’Alexis Tsipras de Syriza, intervenait en différé depuis Athènes.
Fustigeant la venue de Merkel le lundi 12 novembre à Lisbonne, les intervenants se sont accordés sur le fait que la situation en Europe ouvre bien des possibles. Dégradant les conditions de vie de centaines de millions d’européens, de façon encore plus dramatique en Grèce, en Espagne, en Italie, en Irlande et au Portugal, les politiques d’austérité ont été au centre des attaques. La nécessité de la rupture se fait plus urgente que jamais et toutes les formations de la gauche radicale comprennent qu’il s’agit de se rassembler le plus largement possible sur cet objectif. Dans le cas contraire, il faudra assister de façon impuissante à la poursuite des politiques d’austérité, voire à l’émergence de solutions autoritaires ou fascisantes si le mécontentement populaire se fait trop fort. De ce point de vue, en Grèce par exemple, la course de vitesse entre la gauche radicale et la droite dure ou extrême est lancée. La crise politique couve et comme l’a souligné Jean-Luc Mélenchon, il suffirait que la brèche s’ouvre dans un pays par la combinaison de la mobilisation populaire et de la victoire électorale d’un courant de la gauche radicale, pour que tout l’édifice austéritaire européen s’écroule. Le renforcement des mouvements et partis unitaires anticapitalistes d’un pays nourrit et encourage le même phénomène dans d’autres. D’où l’absolue nécessité de renforcer les liens, notamment au sein du Parti de la gauche européenne, de ces courants.
Vaincre la troïka !
Pour le Bloco et Syriza, il s’agit de vaincre la Troïka dans la rue et dans les urnes. L’impressionnante couverture médiatique dont a bénéficié le congrès a permis au Bloco de formuler à une échelle de masse sa politique, de réclamer avec force la démission de l’actuel gouvernement de droite dirigé par Pedro Passos Coelho, de rejeter le projet d’alternance, compatible avec les exigences de la Troïka, porté par le PS : « Le PS n’a pas de solutions contre la crise car il fait partie du problème ». Par ailleurs, le BE a réaffirmé sa proposition de « gouvernement de gauche » adossé à la mobilisation populaire et composé de toutes les forces hostiles à l’austérité – courants « gauche » du PS, PCP [[Le Parti Communiste du Portugal est une force militante importante et recueille des résultats électoraux assez bons, parfois en deçà, parfois au-dessus de ceux du Bloco. Le PCP est lui aussi très hostile à la politique de la Troïka, il mobilise mais ses solutions demeurent assez marquées par le nationalisme. Il était jusque lors sectaire vis-à-vis du Bloco mais les choses semblent s’améliorer.]] , Verts, mouvements sociaux – à quatre conditions programmatiques minimales et non négociables : rompre avec le mémorandum de la troïka et annuler la dette « abusive » ; mettre les banques et le crédit sous contrôle public ; relever les salaires et les pensions de retraite ; réforme la fiscalité en taxant le capital pour favoriser la justice sociale et permettre le maintien et le développement de la protection sociale et des services publics.
Des attaques ciblées
Les attaques contre le bloc de gauche se sont multipliées, signe que cette formation représente un danger réel pour les classes dominantes. Les éditorialistes de la presse se sont relayés pour tenter de le discréditer, en cherchant à faire peur, exactement comme pour Syriza en Grèce : la proposition du Bloco risquerait la sortie du Portugal de la zone euro et de l’UE. Malgré cette mauvaise propagande, le Bloco affiche un bulletin de santé au beau fixe. Surmontant le préjudice subi par leur revers électoral aux législatives anticipées de 2011, où leur nombre de voix a été divisé par deux par rapport à l’exercice précédent (de 10 % à un peu plus de 5 %), ainsi que le nombre de députés au Parlement portugais (de 16 à 8), dans un contexte d’abstention massive de la jeunesse et des classes populaires, le bloc de gauche est aujourd’hui crédité de 11 % dans les sondages. Le cauchemar des forces « pro-mémorandum » est de le voir réaliser une percée analogue à celle de Syriza en Grèce, il faut dire que les militant-e‑s « bloquistes » jouent un rôle très important dans les mouvements sociaux qui se multiplient et qu’il compte aujourd’hui environ 9000 militants dans un pays d’à peine plus de 10 millions d’habitants.
Une leçon de démocratie et de fraternité militante
« Le Bloc est un parti d’émotions fortes », a lancé Francisco Louça, son leader historique lors du discours d’ouverture du congrès, le dernier qu’il aura prononcé en tant que « coordinateur national ». Depuis, il a laissé la place à un duo de coordinateurs nationaux : Catarina Martins, 38 ans, actrice, députée au Parlement portugais et militante récente du Bloco et Joao Semedo, 61 ans, député et ancien dirigeant historique du PCP.
Treize ans après sa naissance, le Bloco a réussi à agréger les forces fondatrices[[Le Bloc est issu de la fusion en 1999 de trois partis, l’Union démocratique populaire (UDP) de Luis Fazendas, d’origine maoïste, le Parti socialiste révolutionnaire (PSR) de Francisco Louça, d’origine trotskiste et Política XXI, un courant qui s’est détaché du PCP. Le congrès a salué avec émotion la mémoire du leader de ce troisième courant et fondateur du Bloco, Miguel Portas, député européen, disparu au printemps dernier.]] et nouveaux venus. Sans jamais être au pouvoir, il a réussi à installer des majorités d’idées dans le pays, à faire avancer concrètement, par la combinaison de son travail social et parlementaire, la protection des femmes victimes de violence, le droit à l’avortement, le mariage entre personnes de même sexe, la levée du secret bancaire ou la reconnaissance des médecines alternatives. Pour les militants de la transformation révolutionnaire de la société, le Bloco n’est pas un modèle absolu, reproductible en tant que tel partout, mais il force le respect et demeure indéniablement une source d’inspiration.