Portugal : Vive le Bloc de gauche !

Le Bloco de Esquerda, autrement dit le Bloc de gauche du Portugal, fondé en 1999, tenait son VIIIe congrès national les 9, 10 et 11 novembre à Lisbonne. Décryptage.

Repor­tage, par Fred Bor­ras| 14 novembre 2012

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« L’Europe contre l’austérité ! » Conscient qu’il n’existe pas de solu­tion pure­ment natio­nale de sor­tie de la crise et de la néces­si­té de faire appa­raître une conver­gence de la gauche anti-aus­té­ri­taire euro­péenne, le Blo­co de esquer­da (BE) a choi­si d’ouvrir son congrès par un mee­ting inter­na­tio­na­liste [[La pré­sence de délé­ga­tions étran­gères était par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante cette année. Syri­za (Grèce), Izquier­da Uni­da et Izquier­da Anti­ca­pi­ta­lis­ta (Espagne), Bloc natio­na­liste et Ano­va (Galice), Bata­su­na (Pays Basque), PSOL et PCdoB (Bré­sil), SWP (Royaume-Uni), SP (Irlande), Par­ti du tra­vail (Pologne), Die Linke (Alle­magne), … Pour ce qui est de la France, toutes les orga­ni­sa­tions du Front de gauche étaient pré­sentes, le PCF, le PG, la Gauche anti­ca­pi­ta­liste, Conver­gences et alter­na­tive, la Gauche uni­taire, le PCOF, la FASE ain­si que le NPA.]]. Pré­sents pour l’occasion, Céline Meneses, du Par­ti de gauche, Gabrielle Zim­mer de Die Linke (Alle­magne), Cayo Lara d’Izquierda Uni­da (Espagne) se sont suc­cé­dés à la tri­bune, tan­dis qu’Alexis Tsi­pras de Syri­za, inter­ve­nait en dif­fé­ré depuis Athènes.

Fus­ti­geant la venue de Mer­kel le lun­di 12 novembre à Lis­bonne, les inter­ve­nants se sont accor­dés sur le fait que la situa­tion en Europe ouvre bien des pos­sibles. Dégra­dant les condi­tions de vie de cen­taines de mil­lions d’européens, de façon encore plus dra­ma­tique en Grèce, en Espagne, en Ita­lie, en Irlande et au Por­tu­gal, les poli­tiques d’austérité ont été au centre des attaques. La néces­si­té de la rup­ture se fait plus urgente que jamais et toutes les for­ma­tions de la gauche radi­cale com­prennent qu’il s’agit de se ras­sem­bler le plus lar­ge­ment pos­sible sur cet objec­tif. Dans le cas contraire, il fau­dra assis­ter de façon impuis­sante à la pour­suite des poli­tiques d’austérité, voire à l’émergence de solu­tions auto­ri­taires ou fas­ci­santes si le mécon­ten­te­ment popu­laire se fait trop fort. De ce point de vue, en Grèce par exemple, la course de vitesse entre la gauche radi­cale et la droite dure ou extrême est lan­cée. La crise poli­tique couve et comme l’a sou­li­gné Jean-Luc Mélen­chon, il suf­fi­rait que la brèche s’ouvre dans un pays par la com­bi­nai­son de la mobi­li­sa­tion popu­laire et de la vic­toire élec­to­rale d’un cou­rant de la gauche radi­cale, pour que tout l’édifice aus­té­ri­taire euro­péen s’écroule. Le ren­for­ce­ment des mou­ve­ments et par­tis uni­taires anti­ca­pi­ta­listes d’un pays nour­rit et encou­rage le même phé­no­mène dans d’autres. D’où l’absolue néces­si­té de ren­for­cer les liens, notam­ment au sein du Par­ti de la gauche euro­péenne, de ces courants.

Vaincre la troïka !

Pour le Blo­co et Syri­za, il s’agit de vaincre la Troï­ka dans la rue et dans les urnes. L’impressionnante cou­ver­ture média­tique dont a béné­fi­cié le congrès a per­mis au Blo­co de for­mu­ler à une échelle de masse sa poli­tique, de récla­mer avec force la démis­sion de l’actuel gou­ver­ne­ment de droite diri­gé par Pedro Pas­sos Coel­ho, de reje­ter le pro­jet d’alternance, com­pa­tible avec les exi­gences de la Troï­ka, por­té par le PS : « Le PS n’a pas de solu­tions contre la crise car il fait par­tie du pro­blème ». Par ailleurs, le BE a réaf­fir­mé sa pro­po­si­tion de « gou­ver­ne­ment de gauche » ados­sé à la mobi­li­sa­tion popu­laire et com­po­sé de toutes les forces hos­tiles à l’austérité – cou­rants « gauche » du PS, PCP [[Le Par­ti Com­mu­niste du Por­tu­gal est une force mili­tante impor­tante et recueille des résul­tats élec­to­raux assez bons, par­fois en deçà, par­fois au-des­sus de ceux du Blo­co. Le PCP est lui aus­si très hos­tile à la poli­tique de la Troï­ka, il mobi­lise mais ses solu­tions demeurent assez mar­quées par le natio­na­lisme. Il était jusque lors sec­taire vis-à-vis du Blo­co mais les choses semblent s’améliorer.]] , Verts, mou­ve­ments sociaux – à quatre condi­tions pro­gram­ma­tiques mini­males et non négo­ciables : rompre avec le mémo­ran­dum de la troï­ka et annu­ler la dette « abu­sive » ; mettre les banques et le cré­dit sous contrôle public ; rele­ver les salaires et les pen­sions de retraite ; réforme la fis­ca­li­té en taxant le capi­tal pour favo­ri­ser la jus­tice sociale et per­mettre le main­tien et le déve­lop­pe­ment de la pro­tec­tion sociale et des ser­vices publics.

Des attaques ciblées

Les attaques contre le bloc de gauche se sont mul­ti­pliées, signe que cette for­ma­tion repré­sente un dan­ger réel pour les classes domi­nantes. Les édi­to­ria­listes de la presse se sont relayés pour ten­ter de le dis­cré­di­ter, en cher­chant à faire peur, exac­te­ment comme pour Syri­za en Grèce : la pro­po­si­tion du Blo­co ris­que­rait la sor­tie du Por­tu­gal de la zone euro et de l’UE. Mal­gré cette mau­vaise pro­pa­gande, le Blo­co affiche un bul­le­tin de san­té au beau fixe. Sur­mon­tant le pré­ju­dice subi par leur revers élec­to­ral aux légis­la­tives anti­ci­pées de 2011, où leur nombre de voix a été divi­sé par deux par rap­port à l’exercice pré­cé­dent (de 10 % à un peu plus de 5 %), ain­si que le nombre de dépu­tés au Par­le­ment por­tu­gais (de 16 à 8), dans un contexte d’abstention mas­sive de la jeu­nesse et des classes popu­laires, le bloc de gauche est aujourd’hui cré­di­té de 11 % dans les son­dages. Le cau­che­mar des forces « pro-mémo­ran­dum » est de le voir réa­li­ser une per­cée ana­logue à celle de Syri­za en Grèce, il faut dire que les mili­tant-e‑s « blo­quistes » jouent un rôle très impor­tant dans les mou­ve­ments sociaux qui se mul­ti­plient et qu’il compte aujourd’hui envi­ron 9000 mili­tants dans un pays d’à peine plus de 10 mil­lions d’habitants.

Une leçon de démo­cra­tie et de fra­ter­ni­té militante

« Le Bloc est un par­ti d’émotions fortes », a lan­cé Fran­cis­co Lou­ça, son lea­der his­to­rique lors du dis­cours d’ouverture du congrès, le der­nier qu’il aura pro­non­cé en tant que « coor­di­na­teur natio­nal ». Depuis, il a lais­sé la place à un duo de coor­di­na­teurs natio­naux : Cata­ri­na Mar­tins, 38 ans, actrice, dépu­tée au Par­le­ment por­tu­gais et mili­tante récente du Blo­co et Joao Seme­do, 61 ans, dépu­té et ancien diri­geant his­to­rique du PCP.

Treize ans après sa nais­sance, le Blo­co a réus­si à agré­ger les forces fondatrices[[Le Bloc est issu de la fusion en 1999 de trois par­tis, l’Union démo­cra­tique popu­laire (UDP) de Luis Fazen­das, d’origine maoïste, le Par­ti socia­liste révo­lu­tion­naire (PSR) de Fran­cis­co Lou­ça, d’origine trots­kiste et Polí­ti­ca XXI, un cou­rant qui s’est déta­ché du PCP. Le congrès a salué avec émo­tion la mémoire du lea­der de ce troi­sième cou­rant et fon­da­teur du Blo­co, Miguel Por­tas, dépu­té euro­péen, dis­pa­ru au prin­temps der­nier.]] et nou­veaux venus. Sans jamais être au pou­voir, il a réus­si à ins­tal­ler des majo­ri­tés d’idées dans le pays, à faire avan­cer concrè­te­ment, par la com­bi­nai­son de son tra­vail social et par­le­men­taire, la pro­tec­tion des femmes vic­times de vio­lence, le droit à l’avortement, le mariage entre per­sonnes de même sexe, la levée du secret ban­caire ou la recon­nais­sance des méde­cines alter­na­tives. Pour les mili­tants de la trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire de la socié­té, le Blo­co n’est pas un modèle abso­lu, repro­duc­tible en tant que tel par­tout, mais il force le res­pect et demeure indé­nia­ble­ment une source d’inspiration.